Texte intégral
FEN Hebdo – 20 mai 1994
Le nouveau contrat pour l'école
Le 9 mai, lors d'une table ronde de synthèse réunie à Paris, Maison de la Chimie, le ministre a présenté 155 propositions réparties en six chapitres : l'école primaire ; le collège ; le lycée ; formation professionnelle, initiale et continue ; l'école et son environnement ; vie des établissements.
Des pétitions de principe
Certaines de ces propositions sont des pétitions de principe auxquelles nous ne pouvons que souscrire. Quelques exemples :
– « L'un des objectifs du lycée est d'aider les élèves à acquérir une véritable autonomie dans la conduite de leurs études. »
– « Une meilleure continuité est recherchée entre le premier degré, le collège, le lycée, la poursuite d'études et les sorties après les diplômes du second degré. »
– « Les ATOS sont reconnus comme membres à part entière de la communauté scolaire. Les missions propres revêtent une dimension éducative. »
Des déclarations d'intention
D'autres propositions sont des déclarations d'intention ou des affichages d'objectifs qui vont dans le sens de nos revendications ou nos préoccupations. Quelques exemples :
– « Une infirmière est affectée à chaque établissement de plus de 500 élèves. »
– « Dans tous les établissements scolaires un projet de sécurité est élaboré en liaison avec le conseil d'administration. »
– « Un crédit équivalent à une journée par trimestre est accordé aux enseignants du second degré pour la coordination, la concertation et le travail en équipe. »
– « Les enseignants bénéficient d'une assistance et d'un suivi au cours de leur première année d'affectation. »
– « L'accent est mis dans toutes les classes et en particulier en sixième sur l'apprentissage méthodologique en petits groupes pour “apprendre à apprendre“. »
– « À terme, tous les collèges bénéficient d'un CDI et d'un documentaliste. »
Des annonces spectaculaires
D'autres propositions sont des annonces spectaculaires, à la mise en œuvre aléatoire et à la portée hypothétique, à moins que la volonté existe vraiment et que les moyens suivent. Ainsi en est-il de l'initiation quotidienne à une langue vivante dès le cours élémentaire, l'initiation musicale quotidienne dans toutes les écoles, au moyen de l'audiovisuel, avec formation concomitante des enseignants, l'offre d'options identiques partout est pour tous dans les collèges et les lycées.
L'idée, que tous les établissements scolaires doivent répondre à toute demande de formation émanant d'adultes et ouvrent le soir pour cela, est séduisante, mais nécessite des adaptations juridiques et des moyens importants pour être crédible.
De même recueillent notre adhésion l'allégement des programmes, l'aide au travail personnel, une meilleure orientation des élèves, la meilleure information des parents, le développement de la formation continue des personnels et son meilleur ancrage sur le métier, la meilleure articulation CM2-sixième, troisième-seconde, et la création d'une sixième de consolidation, l'organisation des établissements en réseau dans le cadre des bassins de formation. Mais tout dépendra de la mise en œuvre.
Des points de friction
Les propositions du ministre soulèvent quelques problèmes difficiles qui vont alimenter la pression des syndicats dans les quinze jours à venir. Sans vouloir être exhaustif, on peut citer le rétablissement d'une discrimination de recrutement et de formation entre enseignants du premier et du second degrés, la diversification de durée des séquences en collège, l'articulation de la formation professionnelle publique et des dispositifs sous contrat de travail, les mutations des enseignants et les postes à profil, la polyvalence souhaitée des enseignants du second degré sans que la formation soit adaptée, l'organisation de la prévention.
Un énorme champ de travail syndical
Si on ajoute que beaucoup de propositions sont prévues pour n'avoir d'effet qu'à la rentrée 1995 ou plus tard, que bien d'autres annoncent des groupes de travail, de réflexion ou des redéfinitions de missions à venir, on constate qu'un vaste champ demeure ouvert à la discussion. Mais dans quel cadre ? Et pour quelle mise en œuvre véritable ? La loi de programmation réclamée par tous n'est pas annoncée, des orientations budgétaires du gouvernement contredisent la volonté de changement que le ministre manifeste à grand fracas. Et le Premier ministre en personne est venu dire : « On ne peut pas faire nôtres toutes les propositions telles qu'elles sont. » De quoi freiner les enthousiasmes.
FEN Hebdo : 20 mai 1994
L'opinion à chaud des syndicats nationaux
Des propositions à débattre, à préciser et à concrétiser
École primaire : des mesures sans mode d'emploi.
Parmi les propositions avancées, deux d'entre elles risquent de modifier sensiblement le fonctionnement des classes. Il s'agit :
– de l'aide aux devoirs dans le cadre d'études dirigées organisées à la fin de la journée scolaire ;
– de l'enseignement quotidien des langues vivantes et de la musique à tous les niveaux de l'école élémentaire.
Elles peuvent contribuer à une plus grande démocratisation de l'école. Mais le SE-FEN constate que le ministre de l'Éducation nationale n'en tire aucune conséquence concrète en matière de redéfinition des programmes. Pour le moment, on réduit le temps de classe des élèves à vingt-quatre heures, on ajoute des enseignements nouveaux et on demande aux maîtres de gérer cette situation. D'autre part le développement de l'enseignement précoce des langues vivantes et de la musique à l'école élémentaire va susciter une attente très forte de la part des parents d'élèves. Or le ministre n'a annoncé aucune mesure pour équiper les classes en matériel audiovisuel indispensable et pour former efficacement les maîtres. Ce qui rend cette proposition inapplicable à court terme
Collège : points positifs et points d'interrogation
Certaines des mesures annoncées reprennent les propositions du SE-FEN : prise en charge des élèves en difficulté dès la sixième, apprentissage méthodologique, informations sur les métiers, définition des missions du collège, organisation d'études dirigées.
Ces dernières sont indispensables. Encore faut-il, afin d'être efficaces, qu'elles soient organisées sous la responsabilité de personnels qualifiés. De même, la réorganisation des cycles et le développement de certaines options soulèvent un certain nombre de questions sur les conséquences qu'ils entraînent sur l'identité du collège, sur l'orientation et la redéfinition des programmes. Enfin la coexistence de séquence à durée variable, si elle offre des marges de souplesse, risque de poser des problèmes insurmontables d'emploi du temps.
Lycées : de rares annonces à concrétiser
La rénovation des lycées n'est pas remise en cause. Quelques nouvelles dispositions sont annoncées. Elles doivent être précisées avant d'être jugées : allègement des programmes, aide personnalisée aux élèves en difficulté, réflexion sur l'avenir de la voie technologique, développement de l'enseignement à distance pour les options non offertes dans un établissement. Reste que la démocratisation du lycée ne pourra se faire sans une profonde amélioration du dispositif d'orientation au collège comme au lycée.
Formation professionnelle : la mise en place de la loi quinquennale
Le SE-FEN se félicite des propos qui affirment la valorisation des enseignements professionnels. D'autres propositions consacrent la mise en place de la loi quinquennale : ouverture de sections d'apprentissage en lycée, possibilité de formation professionnelle pour les jeunes sortant du lycée de l'enseignement général. Sur ces sujets, bien des ambiguïtés méritent d'être levées et des assurances doivent être données sur l'avenir du service public. Enfin, d'autres mesures relèvent de l'effet d'annonce. Précisions et garanties seront donc nécessaires.
Recrutement : complet décalage. Formation : mutisme
En 1995, les IUFM devront admettre les titulaires d'un BTS ou d'un DUT afin qu'ils puissent préparer le concours de professeurs des écoles. Cette mesure est en décalage complet avec la réalité des IUFM, qui ne connaissent pas de difficultés d'admission au niveau de la licence.
Démagogie calculée ou nostalgie élitiste, cette mesure ouvre la voie à un recrutement différencié des enseignants et contredit, à terme, la volonté d'assurer la continuité éducative entre les différents niveaux d'enseignement.
En matière de formation, pas de révélation et surtout pas de réponse à la question : quelles compétences, quelle capacité doit acquérir un enseignant en formation ?
Le SE-FEN va maintenant consulter tous ses adhérents sur les propositions ministérielles. Il attend désormais qu'une vraie négociation s'ouvre d'ici au 27 mai. Il restera au gouvernement à dégager les moyens horaires et matériels (équipements multimédia, sportif…) à la hauteur de certaines des ambitions affichées.
Un nouveau contrat pour l'école
155 propositions dont les deux tiers environ sont programmés pour la rentrée 1995 et au-delà, d'intérêt inégalement novateur, puisque certaines ne sont que la reprise de l'existant et beaucoup méritent d'être précisées faute de rester des vœux pieux.
Il serait excessif de leur reconnaître toute la hardiesse et le caractère d'avant-garde que le ministre n'a pas hésité à leur attribuer dans son intervention au 9 mai.
Analyse selon quelques éléments clés de la loi d'orientation
Système éducatif centré sur chaque enfant et sur chaque jeune : des points positifs qui vont dans le sens souhaité :
– aide au travail individualisé, sous forme d'études surveillées sur le temps scolaire à l'école élémentaire et au collège, pour les élèves en difficulté au lycée ;
– prise en charge des élèves au collège pendant toute la journée ;
– allègement des effectifs à vingt-cinq élèves par classe de l'école maternelle et accueil favorisé dès 2 ans, en ZEP ;
– deux séquences mensuelles dès la cinquième, d'information et de réflexion sur les métiers et l'éducation des choix ;
– centre de bilan mis en place pour aider les jeunes et les adultes à mieux définir leur projet professionnel.
La continuité éducative : peu d'avancées significatives :
– si un effort fait pour décloisonner « horizontalement » avec la mise en réseau des établissements et des écoles, on cloisonne toujours « verticalement » et le rapprochement reste une juxtaposition géographique dans le bassin de formation ;
– un cycle pédagogique CM2-sixième ouvrirait la possibilité d'enseigner au collège et à l'école, comme cela est ouvert entre le collège et le lycée ;
– la consolidation prévue pour la sixième vise plutôt au rattrapage pour quelques-uns, au redoublement probable et fait courir le risque d'amorcer une filière du type ex-« voie III » ;
– abandon total d'une partie commune dans la formation initiale et continue des enseignants entre premier et second degré.
L'évaluation : il y a effectivement nécessité et de poursuivre la réflexion :
– curieuse façon de considérer le travail de suivi et d'évaluation des élèves (livret scolaire) comme du travail administratif pour les enseignants, qu'il faut, bien sûr, alléger ;
– mettre en place des groupes de travail pour réfléchir à de nouveaux modes d'évaluation des enseignants et des établissements est une bonne chose ;
– si l'ensemble des personnels participent à la réalisation des missions de l'administration centrale – impulsion, conception, évaluation et contrôle –, il faut redéfinir le rôle spécifique des corps d'inspection.
Autres observations
La notion d'expérimentation est à préciser : simple expérience « pour voir » où véritable expérimentation avec formulation d'hypothèses et évaluation avant généralisation ? C'est une clarification nécessaire et un engagement, surtout lorsqu'on affiche donner la priorité au pilotage par objectifs.
Il faut préciser la notion d'initiation à une langue étrangère : simple « bain de langue » ou amorce de l'apprentissage – d'une seule langue étrangère ou de plusieurs ? Dès le cours élémentaire, donc quelle suite pour le cycle 3 de l'école primaire et quelle articulation avec le collège ? Voilà un domaine où l'on doit aller plus loin dans la continuité éducative. L'option choisie conduit nécessairement à revoir programmes et contenus de l'enseignement des langues étrangères dès l'école primaire.
Formation initiale et continue des enseignants : l'abandon de toute partie commune aux enseignants du premier et du second degré est un recul regrettable. Il faut insister sur l'aspect plus concret et plus proche des réalités de la classe, sur les méthodes et les pratiques d'enseignement, tout autant dans la formation initiale des professeurs du second degré que dans celles des professeurs des écoles. Le risque est grand de voir se mettre en place une formation essentiellement sur « le tas » pour les professeurs des écoles et « théorique » pour les professeurs du second degré.
Formation continue : la reconnaissance de son caractère prioritaire va dans le bon sens. Il reste à en donner les moyens et en fixer les conditions. La valorisation de l'effort de formation reconnu pour les avancements de carrière des enseignants est actuellement intéressante, mais l'amélioration qualitative qui en est attendue doit être assurée à tous les élèves. La formation continue ne doit plus exclusivement relever du volontariat, mais revêtir un caractère d'obligation de service.
La prévention : c'est un domaine du système éducatif qui a subi, plus que d'autres, des évolutions de structure dont la caractéristique essentielle est qu'elles n'ont fait les unes et les autres, à aucun moment, l'objet d'une évaluation sérieuse, même si, pour les GAPP, une tentative a été faite dans ce sens. Il serait sage de procéder à une évaluation des RASED avant de passer à d'autres formes d'aide et de prévention.
En conclusion
Deux inquiétudes pour le SI.EN :
– l'absence de mesures innovantes pour assurer réellement la continuité éducative, renforcée par un cloisonnement étanche de la formation des enseignants, fait douter de l'objectif affiché de démocratisation ;
– le silence actuel sur l'évaluation et sur les corps intermédiaires ne manque pas de mobiliser fortement les corps d'inspection qui sont directement concernés.