Texte intégral
LUTTE OUVRIÈRE du 04 septembre 1998.
Les changements économiques intervenus depuis dix ans dans les pays de l’ex-URSS devaient, d’après tous les admirateurs du système capitaliste, permettre à ceux-ci de connaître le bien-être pour tous. C’est évidemment le contraire qui s’est produit. La politique visant à généraliser l’économie de marché en Russie, menée par les successeurs de Brejnev, a mené, après des années de recul de la production, à une crise monétaire qui inquiète même les classes possédantes d’Occident.
Ce n’est pas le problème de savoir si Eltsine sera partiellement ou totalement écarté du pouvoir qui inquiète les dirigeants occidentaux. Ils ne craignent pas la venue au pouvoir du parti qui se dit toujours « communiste » (comme Eltsine le disait lui-même il n’y a pas si longtemps), car les dirigeants de ce parti, comme les autres rivaux d’Eltsine proposent en fait la même politique d’intégration de la Russie dans l’économie capitaliste.
Ce que craignent les dirigeants et les commentateurs occidentaux, c’est que la crise monétaire qui touche depuis plusieurs mois les pays du Sud-Est asiatique, qui vient de frapper l’Europe de l’Est, qui menace déjà l’Amérique latine, ne débouche sur une nouvelle récession touchant aussi les pays industrialisés.
Les industriels et les banquiers craignent pour leurs profits, comme en témoignent les secousses qui ébranlent les marchés banquiers. Mais ce n’est pas non plus une perspective réjouissante pour la population laborieuse, car cela pourrait signifier une recrudescence du chômage, de nouvelles attaques du patronat contre les travailleurs, afin de tenter, avec l’aide de l’État, de leur imposer de faire les frais des conséquences de ce système économique aberrant qu’est le système capitaliste.
Pendant ce temps-là, à l’université d’été du Parti Socialiste, Jospin, très content de lui, déclarait que tout allait très bien dans le meilleur des mondes, et qu’il n’était pas question d’infléchir en quoi que ce soit sa politique. Et si Robert Hue s’est senti obligé de lui rappeler respectueusement qu’il y a tout de même des urgences dans un pays qui compte cinq millions de chômeurs totaux ou partiels, c’est sans remettre en cause le soutien de son parti à la politique du Gouvernement.
C’est que la seule ambition de Jospin et de ses ministres, c’est de gérer au Gouvernement les affaires de la bourgeoisie, dans le strict respect des règles de ce système capitaliste pour qui la course au profit individuel est le moteur de l’économie, et donc l’égoïsme le plus sordide une vertu.
La seule ambition de ces gens-là, c’est d’aider ce système économique aberrant, qui a fait faillite depuis longtemps, à se perpétuer.
Car ce n’est pas le communisme qui a fait faillite en Russie, comme voudraient nous en convaincre tous ceux qui présentent la débâcle économique à laquelle préside Eltsine comme un héritage du passé.
Il y a d’ailleurs bien longtemps, depuis le règne de Staline, que les dirigeants de ce qui était alors l’Union Soviétique ont renoncé dans les faits aux idées socialistes et communistes, même s’ils n’ont jeté le masque, en se prononçant ouvertement en faveur du système capitaliste, que bien plus récemment. Et la crise que traverse aujourd’hui une Russie ruinée par des couches privilégiées où se mêlent les hauts dirigeants de l’appareil d’État, les nouveaux capitalistes et les mafieux en tous genres (sans que l’on puisse d’ailleurs dire où passent les limites entre les uns et les autres) est au contraire un signe de plus de la faillite du capitalisme.
Le communisme, c’est-à-dire une société où l’économie sera organisée pour satisfaire les besoins de tous les hommes, et non pas pour permettre à une petite minorité de s’enrichir sur le dos de la grande masse des travailleurs, cela reste au contraire plus que jamais une nécessité, face à la faillite du système capitaliste.
LUTTE OUVRIÈRE du 11 septembre 1998.
« Faut-il devenir socialiste ? » Voilà le titre du long article publié par Le Figaro du 7 septembre et signé par…Jean d’Ormesson, académicien et homme de droite bien connu.
D’Ormesson, que les divisions de la droite désolent, affirme qu’il « y a une rumeur qui monte du pays », qui dirait aux leaders du RPR et de l’UDF : « Faites l’union ou laissez faire les socialistes ». Et il fait l’éloge de l’équipe gouvernementale actuelle, estimant à propos du ministre de l’Intérieur Chevènement, du ministre du Travail Martine Aubry, du ministre des Finances Strauss-Kahn, du ministre de l’Éducation nationale Claude Allègre, que « toutes et tous dépassent le niveau moyen du politicien du dimanche » parce qu’ils « ont le sens de l’État ». Et il ajoute : « Le mérite du choix de ses collaborateurs revient au chef du Gouvernement », c’est-à-dire à Jospin.
D’Ormesson se félicite aussi de la situation intérieure de la France : « Au milieu de ce paysage de ruines ou au moins de rages » (c’est du reste du monde qu’il s’agit) « la France de M. Jospin apparaît comme un îlot de calme, de sécurité, de relative prospérité ».
Jean d’Ormesson n’est pas le seul homme de droite à tenir ce langage. Le samedi 5 septembre, sur les ondes de France Inter, le journaliste Philippe Tesson, homme de droite lui aussi, tenait pratiquement le même.
On comprend que ces gens-là voient dans la France de Jospin « un îlot de relative prospérité » pour eux et leurs semblables, puisque malgré les secousses qui agitent en ce moment le mode boursier, les profits des entreprises ont considérablement augmenté depuis un an, et que les riches se sont encore enrichis. Quant aux centaines de milliers de chômeurs dont le système capitaliste a fait des exclus, des sans-domicile, aux trois millions de chômeurs qui sont eux menacés par la misère, aux millions d’autres travailleurs qui végètent réduits à des « petits boulots » et à des emplois précaires, il faut plus pour émouvoir le public auquel s’adressent les Jean d’Ormesson et les Philippe Tesson.
On comprend aussi que ces gens-là soient satisfaits de la politique d’un gouvernement qui, tout comme ses prédécesseurs, se refuse à prendre les bénéfices du grand patronat, comme sur ceux des spéculateurs, pour financer les mesures qui pourraient permettre de créer les emplois nécessaires afin de combattre efficacement le chômage. La plupart d’entre eux, comme d’Ormesson, préféreraient sans doute des hommes qui se présenteraient ouvertement comme des défenseurs des intérêts des capitalistes, plutôt que ces prétendus socialistes, qui se sentent malgré tout obligés de donner de temps en temps des allures d’hommes de gauche, à l’intention de leurs électeurs. Mais puisque la droite est en pleine pagaille, ils s’accommodent très bien de ce gouvernement de la « gauche plurielle » qui défend parfaitement leurs intérêts.
Mais les travailleurs qui ont voté socialiste, en espérant que leur vote permettrait la formation d’un gouvernement qui prendrait vraiment des mesures en faveur des travailleurs, ne peuvent que s’inquiéter en voyant que rien ne vient, mais qu’au contraire les porte-parole de la bourgeoisie décernent à qui mieux mieux des éloges à Jospin et à ses ministres.
Mais les travailleurs qui ont voté communiste, en pensant que présence de ministres du PCF permettrait d’infléchir dans le bon sens la politique du Gouvernement ne peuvent eux aussi que s’inquiéter en voyant que les ministres et les députés communistes se contentent de timides doléances, en soutenant par ailleurs toutes les décisions que prend ce Gouvernement.
Pourtant, la classe ouvrière a les moyens d’imposer un changement de politique. Mais à condition de ne compter ni sur le Gouvernement, ni sur l’Assemblée, mais sur la force immense qu’elle représente par sa place dans la production et sur les luttes qu’il lui faudra bien mener si elle ne veut pas voir ses conditions de vie et de travail continuer à se dégrader.
LE MONDE du 07 septembre 1998.
A la suite de notre article intitulé «L’Express dévoile ce qu’il y a derrière Mme Laguiller » (Le Monde daté 30-31 août), la porte-parole de Lutte ouvrière nous a adressé la lettre suivante :
Le Monde reproduit certaines affirmations de L’Express, dont la phrase : « Lutte ouvrière n’est pas le parti d’Arlette Laguiller, mais le paravent derrière lequel se cache l’ultrasecrète Union communiste (UC). » Or, cette mention « Union communiste (trotskiste) » figure depuis des années sous le titre de notre hebdomadaire, Lutte ouvrière. Quel scoop d’avoir su l’y lire et quelle « révélation » ! ( …)
Je passe sur la puérilité de la phrase de votre article : « Les militants de Lutte ouvrière (LO) fonctionnent depuis près de soixante ans dans une quasi-clandestinité, sous la férule d’un dirigeant dont la véritable identité est longtemps restée un mystère », lorsque vous écrivez par ailleurs que ce « dirigeant » serait né en juillet 1928. Pour un journal d’information tel que le vôtre, il vaudrait mieux savoir compter et se rendre compte que ce « dirigeant » aurait ainsi manié sa férule…dès l’âge de dix ans.
Vous reproduisez, de plus, une phrase de nos bulletins intérieurs à propos d’une discussion dont vous ne connaissez ni les tenants ni les aboutissants et qui est isolée de telle façon qu’on lui fait dire le contraire ce qu’elle exprime : « il n’y a pas de domaine qui soit réservé : on ne demande pas des rapports à chaque membre d’un couple pour savoir comment cela se passe chez lui, mais, malgré tout, il n’y a rien qui échappe à la discipline de l’organisation. » vous ne citez pas la phrase qui précède : « Par exemple, nous ne nous mêlons pas de la vie personnelle des camarades, mais s’il y avait un camarade qui battait sa femme, on l’exclurait », ce qui éclaire d’un tout autre jour un découpage peu digne de vos colonnes. (…)
Quant au camarade que nous appelons « Hardy », dont vous prétendez connaître l’identité et qui se « cacherait » sous ce pseudonyme, il fait comme de nombreux journalistes, mais aussi comme tous nos militants et, jusqu’à présent, comme un grand nombre de militants et de dirigeants des organisations trotskistes, dont la LCR (…). Vous écrivez que L’Express publie sa photo qui, selon cet hebdomadaire, aurait été prise, en septembre 1995, au Père-Lachaise, lors du transfert des cendres d’Ernest Mandel, un dirigeant de la Quatrième Internationale (trotskiste). Une telle occasion, qui rassemblait des militants d’extrême gauche et d’une partie de la gauche, sans compter, sûrement, de nombreux agents des renseignements généraux, ne serait pas vraiment l’idéal pour quelqu’un qui se cacherait. (…)
LUTTE OUVRIÈRE du 18 septembre 1998.
Pendant quelques jours, la presse du monde entier n’a plus parlé que du rapport de ce procureur Kenneth Starr, qui demande la destination du président des États-Unis, Clinton, coupable d’après lui d’avoir menti à la justice sur les relations qu’il aurait entretenues avec une stagiaire de la Maison Blanche.
Derrière ce procureur, si soucieux de vertu qu’il a rendu public un document qui révèle plus de la pornographie que d’autre chose, il y a bien sûr tous les bigots qui rêvent d’imposer aux pays leur morale d’un autre âge, mais aussi la fraction la plus réactionnaire de la droite américaine qui a fait de cette affaire une arme politique pour essayer de discréditer un président qui ne lui plaît pas.
Mais l’hypocrisie n’est pas seulement du côté de ces gens-là. Elle est aussi du côté de ceux qui, aux États-Unis comme ici, défendent Clinton en affirmant que l’essentiel est qu’il n’ait pas menti aux citoyens en ce qui concernent les affaires publiques. Car si les petits mensonges que Clinton a fait pour dissimuler des frasques - qui ne regardaient après tout que des personnes privées - n’ont effectivement aucune importance, il a, comme bien d’autres hommes d’État, dans l’exercice de ses fonctions, dit ou laisser dire des mensonges bien plus lourds de conséquences.
Il n’y a pas besoin de remonter bien loin dans le temps pour en trouver un exemple. Il y a quelques semaines, le président des États-Unis a fait bombarder au Soudan une usine de fabrication de produits pharmaceutiques dont les autorités américaines prétendaient qu’elle travaillait en même temps à la fabrication d’armes chimiques. Les techniciens étrangers qui travaillaient dans cette usine ont témoigné après ce raid du contraire. Clinton n’a présenté, cette fois-là, ses excuses à personne, pas même aux victimes innocentes que ces bombardements ont fait parmi la population soudanaise, ou à leurs familles. Ces victimes-là ne comptaient pas pour lui, pas plus que les enfants qui meurent en Irak faute de médicaments ou de sous-alimentation du fait de l’embargo auquel ce pays est soumis. Et Clinton n’hésite pas à proclamer que tout cela est nécessaire à la paix, alors qu’il s’agit seulement de démontrer la suprématie de l’impérialisme américain.
Les dirigeants de l’impérialisme français ne valent pas mieux. La France a été une grande puissance coloniale. Et nul ne peut faire le compte de tous les discours sur « le droit et la civilisation » qui ont servi à justifier les guerres de conquête qui ont asservi des peuples entiers, les conflits sanglants avec les puissances coloniales concurrentes, puis les guerres menées pour essayer d’empêcher ces pays d’accéder à l’indépendance.
Aujourd’hui encore, toutes les interventions de l’armée française en Afrique pour y préserver les intérêts des grandes sociétés françaises (comme il n’y a pas si longtemps au Rwanda) nous sont effrontément présentées comme des « opérations humanitaires ».
Pour permettre aux industriels et aux banquiers de maintenir leurs profits malgré la crise, tous les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans ont multiplié les aides, les dégrèvements de charges sociales, les réductions d’impôts en faveur des entreprises, en même temps qu’ils s’efforçaient de diminuer le « coût du travail », c’est-à-dire finalement la part du revenu de la société qui va à la classe ouvrière. Mais on nous a dit bien sûr, et on continue à nous dire, que c’est pour permettre de créer des emplois, alors que l’expérience montre qu’il n’en est rien.
Le mensonge politique, il est dans la nature même de cette société dominée par le capitalisme, puisque le rôle des dirigeants, à partir du moment où ils ne remettent pas ce système en cause, est de défendre les intérêts d’une minorité de privilégiés, en prétendant que, ce faisant, ils défendent l’intérêt général.
Les hommes politiques de la bourgeoisie trompent la population laborieuse en lui cachant la réalité de l’exploitation dont elle est victime. Mais ce n’est évidemment pas sur la grande presse qu’il faut compter pour faire la lumière sur ces mensonges-là !
LUTTE OUVRIÈRE du 25 septembre 1998.
En présentant son projet de loi de financement de la Sécurité sociale, Martine Aubry clame sa volonté de « maîtriser les dépenses de santé » afin de réduire le trou de la Sécu à 12,9 milliards cette année et le supprimer l’année prochaine. Et la presse de relayer la ministre sur le thème : les Français dépensent trop en médicaments ou en consultations.
Il faut une bonne dose de cynisme pour parler des dépenses de santé en général. Un nombre croissant de travailleurs, réduits au chômage, à la précarité, à des salaires à peine supérieurs au RMI, ne peuvent pas se payer les dépenses de santé les plus élémentaires, comme les soins dentaires ou l’achat de paires de lunettes. S’il en est dans les classes aisées qui dépensent sans nécessité, dans les classes populaires beaucoup n’ont pas les moyens de faire face même à la nécessité et, à plus forte raison, de se soigner correctement.
Il faut un cynisme tout aussi grand pour mettre en accusation les dépenses de santé, et elles seules, en parlant du trou de la Sécurité sociale. Car enfin, il est logique que les dépenses de santé augmentant avec les progrès de la médecine, avec la mise en œuvre d’appareillages médicaux de plus en plus complexes et coûteux. Et il serait juste et humain que tout le monde bénéficie de ces progrès. Le Gouvernement prétend qu’il faut freiner les dépenses de santé, car il n’y a pas assez d’argent dans les caisses. Mais c’est là l’escroquerie. Car si le trou de la Société sociale il y a, ce n’est pas parce que la population se soigne trop, mais parce que le budget de la Sécurité sociale sert à tous les gouvernements pour y puiser de quoi aider le grand patronat.
La même Martine Aubry qui dénonce le « laxisme » des médecins qui prescriraient trop, défend becs et ongles le projet d’une nouvelle baisse des cotisations patronales d’assurance-maladie. Rien que la ristourne de cotisations patronales mise en place par Juppé et que le gouvernement de la gauche plurielle continue à appliquer, coûte 44 milliards à la Sécurité sociale. Il suffirait de supprimer cette ristourne pour que la Sécu soit excédentaire. Mais non, Martine Aubry veut en rajouter au nom du prétexte éculé que cela favorisera l’emploi. Le patronat a encaissé, depuis vingt ans, des centaines de milliards sous ce prétexte, tout en continuant à fabriquer de nouvelles générations de chômeurs.
La réduction des charges sociales envisagée par Marine Aubry devra prendre la place de la ristourne Juppé. Mais elle coûtera encore plus cher. Et lorsque le ministre envisage timidement qu’une petite partie de la réduction de la cotisation sur les bas salaires soit compensée par une hausse de cotisation sur les hauts salaires, le patronat crie au scandale. Le CNPF veut bien du cadeau de Martine Aubry, mais réclame qu’il soit financé par des économies sur la santé de la population.
C’est ce qui se passe depuis des années. Pour aider le patronat au détriment du budget de l’État ou de la Sécurité sociale, on fait des économies sur le dos des couches populaires. Non seulement les prestations sociales diminuent et les minima sociaux sont bloqués, mas les crédits nécessaires aux services indispensables à la majorité de la population sont freinés ou réduits. On supprime des lits dans les hôpitaux quand on ne les ferme pas. Alors que pour les riches il y a des dégrèvements même pour payer leurs domestiques, on impose plus les retraités et on leur fait payer plus cher la Sécurité sociale.
Le projet du budget du Gouvernement socialiste va dans le même sens. Tout pour le patronat et la piécette de la réduction de la TVA sur les abonnements EDF pour les classes populaires ! Jusqu’à ce que les travailleurs piquent un grand coup de colère et non seulement obligent le Gouvernement à cesser d’aider le grand patronat, mais imposent à ce dernier de prendre avec les bénéfices gigantesques des entreprises de quoi supprimer le chômage.