Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur les défis environnementaux, technologiques, économiques et sociaux posés à l'industrie automobile, Paris le 30 septembre 1998.

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Circonstance : Colloque intitulé "Quelles stratégies pour l'industrie automobile européenne" à Paris le 30 septembre 1998

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

C'est avec plaisir que j'ouvre aujourd'hui ce colloque consacré à l'automobile. Je remercie en particulier mon collègue et ami Gérard Fuchs. Cette initiative qui fait une suite au remarquable rapport qu'il a rédigé, permet à la représentation nationale de dresser un constat sur un des secteurs les plus importants de notre économie et de favoriser un débat qui, je l'espère, éclairera, nos concitoyens. Associer la réflexion et le concret, mêler l'initiative et le contrôle, ouvrir nos travaux à l'extérieur et écouter ce que celui-ci a à nous dire, constituent des priorités pour l'institution que je préside.

Je veux saluer chaleureusement tous nos invités, on ne pouvait réunir de plateau plus approprié.

Avant de parler chiffres et marchés, de raisonner en termes de croissance et d'emploi, une courte observation. Pour la voiture, les jours se suivent et, apparemment, ne se ressemblent pas. Il y a une semaine, nous écartions les automobiles de nos centres villes. Dimanche dernier nous les fêtions en leur offrant une parade sur les Champs-Elysées. Ce rapprochement dans le temps pourrait témoigner d'une certaine versatilité des sentiments humains. Je crois que le choc entre les deux évènements démontre tout bonnement que la voiture meilleure amie mécanique de l'homme, indispensable agent de liaison et mode de déplacement commode pour les uns, pour les autres ennemi juré de la ville et du vélo, du piéton et de ses poumons, n'est qu'un des symbole des contradictions de la civilisation du progrès. Comme d'autres moyens de communication ou de télécommunications, la voiture libère le citoyen et enchaîne le citadin, elle asservit le consommateur et émancipe le conducteur.

Ce qui peut apparaître comme une menace est pour bien des gens un objectif de consommation. La voiture, comme le logement, est une sorte de prolongement de nous-mêmes. Nous y mettons une part de notre identité et, pour certains agressivité ou affabilité, de notre imaginaire. Entre circulation excessive et totale interdiction, le remède tient davantage dans la régulation entre les différentes parties, l'amélioration des techniques et la modération de l'utilisation.

Le rôle économique de l'automobile n'est plus à démontrer à la fois en termes d'activité, chez les constructeurs et les sous-traitants, et d'emplois, direct ou indirects. Je suis élu d'une région, la Haute-Normandie, où l'on sait ce que le long de la Seine, a apporté cette industrie que nous attendions et que nous voulons garder. C'est un secteur où s'exerce une très forte concurrence, qui, si elle pose d'évidents problèmes d'adaptation, a le mérite, il faut le reconnaître, de largement bénéficier depuis quelques années au consommateur, à la fois en matière de prix, de qualité et d'innovation technologique traditionnellement point fort de l'automobile française.

Parallèlement, les résultats obtenus par PSA et Renault dans la reconquête des marchés intérieurs et européens, sont brillants. Twingo, 106, Clio, Xsara, 206, Scénic, Kangoo, 306, d'autres, autant de noms qui sonnent comme des victoires. Ce sont les fruits de politiques dynamiques menées pour lancer de nouveaux modèles plus fréquents, plus séduisants en élargissant les gammes, en intégrant les options de base et en segmentant mieux l'offre produit. Les équipes dirigeantes des sociétés qui ont remporté ces lauriers ont de lourdes responsabilités et doivent, aujourd'hui, faire face à des nouveaux défis de grande ampleur, que les bons résultats actuels des entreprises françaises ne doivent pas masquer.

1) Le premier, je l'ai évoqué, est celui de l'environnement.

C'est au politique d'indiquer le calendrier du temps long et de rappeler l'intérêt des prochaines générations. L'effet de serre, et ses conséquences sur le climat, devient un problème majeur qu'il est impératif de traiter dès lors que nous voulons laisser à nos enfants la planète où nous avons vécu et que nous aimons.

Il est nécessaire pour l'industrie automobile de s'adapter à cette donnée. Ceci passe d'abord par la concrétisation des progrès prévus en matière de consommation de carburant. Les constructeurs français se sont engagés avec dynamisme dans ce processus. Ils ont raison, mais peuvent sans doute aller plus loin encore en renforçant leur effort de recherche et de développement pour rendre plus compétitif à grande échelle l'utilisation de carburant propre, GPL ou électricité.

Le Gouvernement, vous le savez, a souhaité cette année procéder à une réflexion systématique et à la mise en oeuvre de propositions en matière de fiscalité écologique. Quand il s'agit de gérer des ressources rares ou de pénaliser des comportements négatifs, la fiscalité peut être dans nos économies, un puissant instrument de prévention et d'évolution. Les mesures proposées pour rapprocher, progressivement, l'écart de la fiscalité du diesel et de l'essence sans plomb par rapport à la moyenne européenne vont dans le bon sens.

La prochaine loi de finances, tenant compte du programme communautaire « auto oïl », pourrait renforcer les avantages donnés aux technologies propres par rapport à celles qui polluent. Je pense en particulier à la bicarburation, et à la création d'un crédit d'impôt pour faciliter l'achat de véhicules fonctionnant à l'électricité et au GPL notamment dans les flottes captives. Près de 20 % du parc de cette maison utilise désormais un tel mode de locomotion. Sachant que nous avons devant nous trente à cinquante ans de cette ressource et qu'il ne faut pas la gaspiller, je pense qu'il serait utile de cibler les nouvelles aides sur les taxis, comme à Tokyo, et sur les transports urbains. Ces mesures constitueraient pour l'industrie automobile une indication de l'intérêt qu'il y a à travailler dans cette voie.

Toutes ces actions, même très énergiques, (le mot est bien choisi), ne suffiront pas à régler les problèmes que pose aujourd'hui la circulation automobile dans les villes. TIPP avantageuse, taxes minorés sur les cartes grises et les vignettes, aides des pouvoirs publics et d'EDF, beaucoup a été fait. Des orientations complémentaires devront être prises. J'en citerai certaines : la restructuration des centres des agglomérations pour favoriser les vélos et les piétons et le renforcement de la place des transports publics en ville. Ici même, nous mettrons en place avant la fin de l'année un service de vélos en libre service et les dernières négociations avec la Mairie de Paris devraient permettre d'inscrire le pourtour de l'Assemblée parmi ces « quartiers tranquilles » où le rehaussement de la chaussée et l'élargissement des trottoirs favorisent la sécurité et la qualité de vie. Il sera important aussi de favoriser le développement de formules de type location ou libre service, covoiturage, permettant de diminuer le nombre de kilomètres parcourus tout en accroissant l'offre de transport.

Dans ce contexte, l'industrie automobile ne doit pas se sentir « agressée », mais continuer à montrer sa capacité d'innovation et d'adaptation. Notre civilisation ne doit pas être celle des mange-bitume. Elle ne peut pas pour autant être celle du char à boeufs. Si l'utilisation de la voiture individuelle doit être découragée ou même interdite à certains moments et certains endroits dans les centres villes, c'est pour lui donner sa pleine place ailleurs, selon des modalités adaptées qui permettent en particulier de réduire les nuisances et les encombrements et d'augmenter la sécurité. ABS, air bag, pots catalytiques, tout cela participe de la même approche et devrait disparaître du catalogue des options pour être installé en série. Avec la limitation de la vitesse et la modernisation du réseau, ce sont des éléments fondamentaux pour qu'il y ait sur les routes moins de morts et de blessés.

2) Le deuxième défi à l'industrie automobile est sa capacité à s'adapter aux évolutions des marchés et des structures de production.

Les récents événements financiers et monétaires risquent de freiner le processus de diffusion des automobiles dans certains pays et de rendre plus acharnée la concurrence sur le marché européen pris périodiquement d'assaut par de nouveaux entrants. Ce sont les marchés extérieurs, l'Amérique Latine, l'Asie, qui ont la plus forte croissance potentielle. Ils sont aujourd'hui en crise et les capacités de production se tournent vers l'îlot encore protégé que nous formons. Lorsque choc de l'offre et choc de la demande sont contemporains, ce n'est jamais très bon. On le voit déjà sur le marché de l'acier dont les évolutions anticipent souvent, et pour cause, celui de l'auto. De plus même si c'est encore un phénomène mineur, on constate l'irruption de certains constructeurs haut de gamme, comme Mercedes et BMW, sur le terrain des voitures moyennes et petites. D'autant que l'Euro, en mettant fin aux vieilles pratiques de prix différenciés entre marché domestique et étranger facilitera la transparence, et sera un facteur positif pour le consommateur, mais d'une gestion délicate pour les industriels.

Il est donc important que l'industrie automobile française, constructeur et sous-traitants, soit encore plus fortement présente et performante. Il n'est pas satisfaisant que notre présence reste nettement plus modeste sur ces marchés lointains que celle de nos concurrents. Mais cela, on le sait, ne tient pas toujours qu'à nous. Par exemple, même si la situation est meilleure que ce qu'elle était il y a une dizaine d'années, l'écart reste grand entre la modestie du score européen, moins de 3 % du marché japonais, et la place des constructeurs nippons dans l'Union Européenne où ils fournissent 12 % des véhicules vendus en 1998. Il faut s'assurer que dans un monde ouvert, la compétition est équitable. La commission européenne veille à ce que le consommateur européen bénéficie d'une concurrence qu'aucune barrière administrative, aucun obstacle commercial ne freine. Il serait bon qu'elle assure qu'il en est de même au Japon et en Corée.

3) Le troisième défi pour l'industrie automobile est évidemment social.

L'intensification de la concurrence, les gains de productivité et le ralentissement des volumes de vente ont conduit à de sévères restructurations. Les salariés sont passés de près d'un demi-million à 300.000. Il faut entamer cette nouvelle étape en renforçant le dialogue et la négociation qui sont un élément important de la compétitivité à long terme d'une industrie. Certaines décisions récentes indiquent que cela est désormais compris par tous les constructeurs.

Deux thèmes seront évidemment au coeur des discussions, la réduction du temps de travail et l'adaptation de la pyramide des âges. Ces deux aspects, qui à bien des égards sont liées, devront être traités par les différents partenaires avec un souci d'ouverture et la double volonté d'améliorer la productivité tout en cherchant à préserver les emplois et à recruter. Le contexte, la santé de nos firmes, les possibilités offertes par la loi, des formules souples et si besoin audacieuses, la nécessité d'embaucher des jeunes et la possibilité que nous devons donner à ceux qui ont déjà travaillé quarante années, souvent dans la pénibilité, de prendre une retraite bien méritée doivent permettre d'aboutir à un accord gagnant-gagnant où salariés et entreprises trouvent leur compte à l'issue d'une négociation à laquelle l'État devra, pour qu'elle réussisse, apporter sa contribution le moment venu. Le marché automobile est soumis à une nouvelle donne économique et sociale, écologique et culturelle : cette nouvelle donne montre l'étendue du défi automobile français. Comme on le voit, il y a matière à débat et à initiatives. Je vous souhaite un fructueux travail. Merci.