Déclarations de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, et M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, sur la politique du médicament, Paris les 18 octobre et 14 décembre 1994.

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Circonstance : Assemblée générale du syndicat nationale de l'industrie pharmaceutique à Paris le 18 octobre 1994. Conférence de presse "Bilan et orientations de la politique du médicament" le 14 décembre

Texte intégral

Allocution de madame Simone Veil, ministre d'État, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville, le 18 octobre 1994

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Répondant à l'invitation du Président Mesuré, que je remercie de son accueil, j'ai accepté avec plaisir de participer à votre assemblée générale. J'ai beaucoup à vous dire, et c'était pour moi l'occasion de le faire.

Lorsque je suis arrivée au ministère, il y a maintenant 18 mois, j'ai retrouvé en effet dans le domaine de la pharmacie un paysage à la fois très différent et très proche de celui que j'avais connu lors de mon premier séjour voici près de vingt ans maintenant.

Très différent parce que les instruments administratifs que j'avais mis en place à l'époque autour de la direction de la pharmacie et du médicament – instruments qui, me dit-on, avaient bien fonctionné pendant plusieurs années après mon départ – avaient été peu à peu démantelés au fil du temps. On avait juste avant le changement de gouvernement, supprimé ce qui restait de ces structures, déménagé les locaux et créé dans la hâte de nouvelles institutions sans même qu'existent les instruments financiers et juridiques de leur fonctionnement.

Un paysage très proche aussi parce que certains des problèmes dont on me saisissait m'étaient hélas familiers : structure des prix des médicaments désordonnée et erratique ; mécanismes de fixations lourds et peu transparents ; consommation de médicaments très supérieure à celle des pays étrangers et surtout, à la réalité des besoins sanitaires de la population ; dépenses promotionnelles excessives et mal régulées ; croissance insupportable des remboursements de frais pharmaceutiques par l'assurance-maladie. Rien ne semblait avoir changé.

La tentation était forte de revenir sur les réformes de structure décidées dans ces conditions.

J'ai choisi une autre voie : celle de faire fonctionner les nouvelles institutions – alors que la création très prochaine de l'agence européenne du médicament ne permettait pas qu'on tarde à les mettre en œuvre - celle, aussi, de faire confiance à la raison, au sens de l'intérêt bien compris des industriels en m'engageant avec eux sur la voie contractuelle.

Nous nous sommes donc engagés dans une nouvelle politique du médicament, dont les instruments, agence et comité économique, sont aujourd'hui bien en place et même rodés.

J'ai veillé à ce que l'agence soit le plus vite possible consolidée, c'est-à-dire dotée d'un budget, de pouvoirs juridiques clairs, et rendue opérationnelle. Sous l'impulsion de son directeur général, elle a depuis près d'un an atteint son rythme de croisière. Je crois pouvoir dire qu'elle est au niveau des meilleures en Europe.

Le crédit scientifique qui s'attache à ses décisions est évidemment un atout essentiel pour l'investissement pharmaceutique dans notre pays. Les industriels qui développent en France des spécialités nouvelles sont assurés de l'existence d'un environnement institutionnel de qualité. Une fois réunies les conditions très exigeantes mises à l'octroi des autorisations de mise sur le marché en France, l'accès aux principaux marchés étrangers est largement ouvert.

La mise en place du nouveau comité économique revêt également une importance décisive. Présidé en toute indépendance par M. Marmot, magistrat de la cour des comptes, le comité examine les questions tarifaires. Je rappelle au passage, comme vous l'avez certainement constaté, que je me garde bien d'interférer dans les décisions individuelles concernant la fixation des prix. J'estime qu'un ministre ou son cabinet n'a, sauf intérêt public majeur, ni légitimité, ni compétence technique pour le faire. Les fonctions du comité sont donc bien distinctes de celles de l'agence. Il exerce la responsabilité de définir les conditions de remboursement des médicaments, à l'exclusion de toute appréciation sur les qualités pharmacologiques des produits.

Cependant, il est bien vrai que ces fonctions, pour séparées qu'elles soient, doivent aussi être articulées. Les décisions du comité doivent s'appuyer, spécialité par spécialité, et même indication par indication, sur les réflexions approfondies de la commission de la transparence, qui siège, comme il se doit, à l'agence du médicament. Il faut donc réfléchir – vous avez eu raison de le dire, Monsieur le président –, au renforcement des liens fonctionnels entre les deux pôles. MM. Tabuteau et Marmot, en concertation avec vous, me présenteront bientôt des propositions en ce sens.

Dans une période si difficile pour l'assurance-maladie, le Gouvernement aurait pu préférer la crispation à l'innovation, rechercher par décision d'autorité des résultats comptables immédiats, ne pas s'interroger sur le moyen terme, et différer toute expérimentation de politiques réellement nouvelles. D'autres pays ont pris des mesures d'encadrement très strictes, non sans courage, parfois de manière brutale. Ils ont d'ailleurs enregistré des résultats réels. Je pense, vous l'avez compris, à nos voisins allemands.

En choisissant avec la politique conventionnelle une voie différente, nous nous sommes lancés à nous-même un défi faire aussi bien pour les chiffres, en tenant compte de nos réalités propres, mais faire mieux pour la qualité des prescriptions, le bon usage du médicament et le développement dans notre pays d'un puissant secteur pharmaceutique adossé à une recherche vivante et féconde.

Mais d'abord, faire aussi bien pour les chiffres ! C'est la contrainte absolue. Votre industrie ne prospérera pas sur les décombres de l'assurance-maladie. Je sais combien vous en êtes conscients et, à cet égard, je tiens à saluer l'esprit de responsabilité de vos représentants.

Mais il est des vérités d'évidence qui ne perdent rien de leur force à être souvent rappelées.

La France se distingue depuis trop longtemps par une économie pharmaceutique marquée par l'excès de la consommation de médicaments. Chacun porte sa part de responsabilité dans cette situation :

1. L'État, quand les tarifs de remboursement sont trop éloignés de la rationalité économique ou des prix internationaux – ce qui était fréquemment le cas dans le passé même si ce n'était pas vrai de toutes les spécialités ;

2. L'hôpital, qui devra mettre en place les instruments d'une politique plus active d'évaluation et de maîtrise des prescriptions ;

3. Les praticiens, qui sont portés à faire des ordonnances trop longues et trop coûteuses, notamment faute d'outils pour développer la prescription au moindre coût.

Une vision trop répandue de la santé ne pousse-t-elle pas les malades eux-mêmes à réclamer plus de médicaments, tandis que de son côté, le médecin, en France plus qu'ailleurs, est tenté de recommander des nouveautés qui bénéficient d'une forte promotion, mais ne sont parfois que d'apparence.

J'ai parlé de promotion : c'est que bien évidemment, vos entreprises, par l'importance des budgets qu'elles consacrent à la promotion, jouent elles aussi un rôle, et non des moindres, dans la situation que je décris.

Mais il leur revient également le mérite d'avoir accepté de s'engager sur une autre voie, celle du contrat.

L'accord-cadre conclu en janvier comporte en effet des stipulations essentielles pour une meilleure maîtrise des volumes, à commencer par celles qu'il consacre à la régulation des dépenses de promotion – qui doivent encore diminuer –, ou à la transparence de l'information relative à l'évolution des quantités vendues. Je reviendrai dans un instant sur les objectifs de santé publique de cette politique, qui contribuera à un meilleur usage du médicament. Mais je voudrais insister d'abord sur l'équilibre des conventions conclues avec le comité du médicament. Equilibre pour l'entreprise, bien-sûr, puisqu'elle peut planifier son activité dans un cadre économique stabilisé. Mais aussi équilibre pour l'assurance-maladie. À cet égard, je souligne que la politique conventionnelle ne pourra être définitivement consolidée que si, loin d'entraîner des dépenses supplémentaires pour l'assurance-maladie, elle contribue finalement à réduire son déficit. Il faut qu'à terme l'échange prix-volumes soit un échange gagnant pour la sécurité sociale.

Nous avons pu constater que les premiers mois de l'année 1994 étaient marqués par une inversion de tendance dont il y a tout lieu de se réjouir. L'application des références médicales obligatoires, à côté d'autres facteurs, a permis d'enregistrer des résultats très positifs. Entre janvier et août, la progression des dépenses présentées au remboursement n'aura été que de 0,5 % par rapport à la même période de 1993, tandis que la dépense remboursée diminuait de 2,5 %. Nous sommes donc parvenus – pour le moment – à enrayer la progression de la consommation. Mais celle-ci demeure très élevée, non justifiée si on la compare aux pays voisins, et les résultats enregistrés sont encore trop récents pour que nous puissions considérer comme définitivement acquise l'inversion de tendance.

Le Gouvernement entend donc demeurer très vigilant. Les prochains mois devront être marqués par de nouvelles étapes dans la mise en œuvre de la politique du médicament :

a) Accélération de la politique conventionnelle, qui devra par ailleurs donner l'impulsion au développement du marché des génériques en France – cette évolution, je tiens à le souligner devant vous, est à la fois inéluctable sur le plan industriel et nécessaire du point de vue de l'assurance-maladie– ; elle n'appelle pas nécessairement la mise en place d'un droit de substitution exercé par le pharmacien ; j'ajoute qu'elle permettra à l'industrie pharmaceutique française de s'inscrire dans les politiques d'ores et déjà suivies par la plupart des pays et donc d'exporter davantage.

b) Promotion de la prescription au moindre coût, avec votre aide et grâce à l'action conjointe de la mutualité, de l'État et, surtout, des signataires de la convention nationale des médecins.

c) Élaboration et mise en place de nouvelles références médicales obligatoires.

d) À côté des RMO, définition de protocoles de référence adaptés à l'hôpital, et examen de l'évolution des achats hospitaliers par l'inspection générale des affaires sociales.

f) Sortie du décret relatif aux médicaments d'exception, médicaments très coûteux dont la prescription fera l'objet d'une vigilance particulière.

g) Fixation, enfin, de l'objectif d'évolution des dépenses présentées au remboursement pour l'année 1995, à un taux qui marquera notre volonté de poursuivre l'effort engagé.

Mais nous ne devons jamais oublier que la politique du médicament est avant tout une politique de santé publique.

À cet égard, les responsabilités de l'agence du médicament sont bien sûr très grandes. J'ai veillé à ce que son fonctionnement soit caractérisé par l'application d'une déontologie très rigoureuse, tant pour les personnels que pour les experts. Vous connaissez les initiatives qui ont été prises sur ce point – non pas récemment comme je l'ai lu dans la presse mais depuis dix-huit mois – et je n'y reviens pas. Je voudrais néanmoins vous annoncer que les déclarations d'intérêts établies par les experts de l'agence seront progressivement rendues publiques, comme dans certains autres pays.

Toutes les missions de l'agence – évaluation, inspection, mise en œuvre de la pharmacovigilance, mais aussi assistance aux entreprises pour le développement des molécules nouvelles –, convergent vers un seul objectif : l'efficacité et la sécurité des médicaments.

Mais cette sécurité et cette efficacité passent aussi par le « bon usage du médicament », notion-clé de l'accord cadre du 20 janvier dernier. On a vu trop d'exemples de médicaments largement prescrits en dehors de leurs indications pour ne pas faire preuve sur ce point d'une vigilance accrue.

L'effort doit porter d'abord sur l'information des prescripteurs. Il faut leur faciliter la tâche pour qu'ils puissent mieux choisir la spécialité la plus appropriée au traitement de la pathologie rencontrée, pour le meilleur prix. La publicité des avis de la commission de la transparence, que j'ai récemment décidée conformément à l'accord-cadre, va dans ce sens, de même que l'obligation faite aux visiteurs médicaux de remettre aux praticiens l'avis de la commission, pour que les médecins puissent apprécier eux-mêmes la réalité de l'amélioration du service médical rendu. La qualité scientifique du message des visiteurs médicaux en sera renforcée.

Par ailleurs, la prochaine parution d'un décret relatif aux médicaments à prescription spécifique fournira aux pouvoirs publics les moyens de faire sortir certaines spécialités de la réserve hospitalière tout en assurant la qualité des prescriptions portant sur ces médicaments.

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, le secteur de la pharmacie et du médicament est un secteur où les choses bougent. Je me réjouis qu'elles le fassent par une concertation étroite entre l'État et votre profession.

Certes, nous ne sommes pas au bout de nos peines, même si les premiers résultats sont encourageants ! Mais l'année 1994 aura marqué l'ouverture d'une nouvelle période pour la politique du médicament.

1995, annonce de nouveaux défis, que nous devrons relever ensemble. Je pense en particulier à la création de l'Agence européenne du médicament. Une certaine émulation va se créer entre les États européens dont les agences et les experts sont les plus performants et les plus renommés. La France a une place de premier plan dans cette compétition pour plus d'efficacité et de sécurité et la rénovation du système français d'évaluation du médicament devrait faire de l'Agence française un partenaire privilégié de l'Agence européenne.

Je suis convaincu que le dynamisme créé par ces réformes fondamentales profitera aux industriels qui investissent dans les pays. C'est donc à vous de les porter et de les défendre, si vous en êtes convaincus comme moi !


Discours de Mme Simone Veil, ministre d'État, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville devant la presse, le mercredi 14 décembre 1994

Le Gouvernement met en œuvre depuis 20 mois une politique profondément novatrice par rapport à celles qui ont été suivies depuis plusieurs décennies dans le domaine du médicament.

C'est une politique conventionnelle fondée sur un double accord, avec les prescripteurs, d'une part, et avec l'industrie pharmaceutique, d'autre part. Mais c'est aussi avant tout une politique de santé publique, qui prend appui sur la rénovation du système d'évaluation et de contrôle et sur le renforcement de la sécurité sanitaire.

Dans une période si difficile pour l'assurance maladie, le Gouvernement aurait pu préférer la crispation à l'innovation, rechercher par décision d'autorité des résultats comptables immédiats mais sans doute précaires, ne pas s'interroger sur le moyen terme, et différer toute expérimentation de politiques réellement nouvelles.

Le médicament représente en effet à lui seul le quart des dépenses de médecine de ville, soit environ 95 milliards en 1994, avec une progression annuelle de près de 7 % en moyenne au cours des trois années précédentes.

En présence de telles évolutions, d'autres pays ont pris des mesures d'encadrement très strictes, non sans courage, parfois de manière brutale. Certains ont enregistré des résultats réels, mais peut être provisoires. Je pense, notamment, à nos voisins allemands.

En choisissant avec la politique conventionnelle une voie différente, nous nous sommes lancés à nous-même un défi : faire aussi bien pour les chiffres, en tenant compte de nos réalités propres, mais faire mieux pour la qualité des prescriptions, le bon usage du médicament et le développement dans notre pays d'un puissant secteur pharmaceutique adossé à une recherche vivante et féconde.

Car le médicament, c'est aussi et avant tout, je le disais à l'instant, un enjeu de santé publique.

À cet égard, je dois dire que le Gouvernement a trouvé une situation particulièrement difficile : la direction de la pharmacie et du médicament, devenue exsangue, venait d'être supprimée alors que la nouvelle Agence du médicament n'était pas encore en mesure de fonctionner. Il a fallu mettre les bouchées doubles. Garantir l'efficacité, la sécurité, et la qualité des médicaments et des réactifs de laboratoire est en effet une mission fondamentale de l'État. Heureusement, nous sommes parvenus à assurer la continuité du service public, puis à rendre pleinement opérationnelle notre nouvelle administration du médicament. Elle est maintenant au niveau des meilleures.

Il a fallu d'abord doter le nouvel établissement public des personnels nécessaires à l'accomplissement de ses missions, des textes juridiques qui lui manquaient encore et des moyens financiers indispensables à son bon fonctionnement. La loi du 18 janvier 1994 a par ailleurs réaffirmé la responsabilité de l'État.

Près de deux ans après sa création, l'Agence a vu ses effectifs augmenter de 300 à 450 personnes (elles seront 510 en décembre 1995) et son budget passer de 91 millions de francs pour le second semestre 1993 à 258 millions en 1994. Il sera porté à 288 millions de francs en 1995 (+ 11 %)

Cet effort s'est traduit par un raccourcissement spectaculaire des délais d'instruction des autorisations de mise sur le marché. Les dossiers de nouveaux médicaments sont désormais traités en 4 mois au plus, ce qui place l'Agence en tête des administrations du médicament en Europe. Pour les autres dossiers d'AMM, le délai moyen est passé de 450 jours en 1992 à environ 210 jours en 1994 et sera encore raccourci en 1995. L'Agence assure désormais le traitement de près de 20 000 dossiers par an.

J'ajoute que le travail d'expertise confié à l'Agence obéit à des règles déontologiques très rigoureuses, applicables tant aux personnels permanents de l'établissement qu'aux experts qu'elle consulte qui, tous, ont accepté de remplir une déclaration sur les liens et les collaborations qu'ils peuvent avoir avec l'industrie pharmaceutique, qui sont normaux quand il s'agit d'expertises très pointues. Ces déclarations seront accessibles, sur demande, dès le 19 décembre, par consultation d'un registre mis à la disposition du public.

C'est à cette condition que le crédit national et international de l'Agence, qui s'appuie sur des qualités scientifiques reconnues, sera durablement assuré.

Mais l'Agence, ce n'est pas seulement l'évaluation des médicaments, c'est aussi une mission prioritaire de vigilance sanitaire. C'est à l'Agence qu'incombe en effet d'animer le système français de surveillance des risques liés à l'usage des médicaments, que l'on appelle aussi la pharmacovigilance. Cette activité connaît un développement considérable. Elle va être encore renforcée par des dispositions législatives en cours de discussion au Parlement, qui précisent les obligations des industriels. L'année 1995 verra le doublement des subventions accordées par l'Agence aux centres de pharmacovigilance. Le nombre d'enquêtes de pharmacovigilance a d'ailleurs déjà augmenté de 30 % depuis 1992.

Par ailleurs, et ce point est également essentiel, l'Agence a mis fin à une situation dont l'IGAS avait révélé les graves carences, en ce qui concerne le contrôle des réactifs de laboratoire et la surveillance de la qualité des analyses de laboratoire, qui ont fait l'objet de dispositions législatives en janvier 1994. Vous le savez, la surveillance des réactifs de laboratoire a donné lieu au retrait de 23 trousses de réactifs depuis 18 mois, à la suite d'évaluations scientifiques approfondies.

L'Allemagne est d'ailleurs en train de suivre la même voie.

M. Douste-Blazy reviendra sur ces points dans un instant.

Enfin, l'Agence contrôle aussi les médicaments dérivés du sang, qui ne relevaient pas des normes pharmaceutiques jusqu'à la loi du 4 janvier 1993. Elle a, à ce titre, autorisé la création du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies en tant qu'établissement pharmaceutique.

Elle assure ainsi le contrôle de produits dont la sécurité est vitale pour la santé publique. L'expérience dramatique d'un passé récent et encore douloureux est là pour témoigner de l'importance de cette mission.

La rapidité de cette rénovation est à la mesure des enjeux auxquels nous étions confrontés.

Parmi ceux-ci, la localisation future des centres de recherche et de développement pharmaceutiques en Europe a revêtu pour le Gouvernement une importance primordiale, au moment où se crée à Londres une Agence européenne du médicament. Son directeur général, M. Fernand Sauer, est d'ailleurs un Français.

La France est désormais en bonne place dans cette compétition, qui est aussi une compétition pour plus de sûreté et pour plus d'efficacité des médicaments. Les industriels qui développent dans notre pays des spécialités nouvelles sont assurés de l'existence d'un environnement institutionnel de qualité.

Alors qu'on évalue à 2 milliards de francs le coût de mise au point d'une molécule innovante, et que la durée de développement est comprise entre 10 et 16 ans, l'efficacité et la qualité du service public chargé de l'évaluation du médicament sont un élément déterminant pour la recherche pharmaceutique. Grâce aux échanges entre l'entreprise et l'Administration, en amont de la demande d'AMM, les coûts de développement pour l'entreprise peuvent être réduits et les délais de mise à disposition des médicaments raccourcis.

J'en viens ainsi au volet économique et financier de notre politique de bon usage ou médicament.

Grâce à la convention nationale des médecins et à l'accord-cadre conclu avec l'industrie pharmaceutique en janvier 1994, la progression des dépenses présentées au remboursement devrait être inférieure à 3 % en 1994 et nous aurons ainsi fait mieux que réaliser notre objectif.

Ces résultats sont la traduction d'une politique de pilotage médicalisé du secteur pharmaceutique, aujourd'hui préféré au traditionnel pilotage par les prix. Le système d'encadrement par les tarifs, appliqué depuis plusieurs décennies avait en effet développé des effets profondément pervers. Si les prix français ont longtemps été inférieurs de 50 % en moyenne aux prix allemands, les volumes vendus ont été en moyenne de 50 % supérieurs. Il est clair que l'insuffisance relative des prix a été compensée par une promotion intensive de la prescription. Aujourd'hui encore, le niveau de la consommation des médicaments demeure très élevé en France, et surtout injustifié du point de vue de la santé publique si on le compare aux pays voisins.

Avec la politique conventionnelle du médicament, les laboratoires pharmaceutiques s'engagent sur plusieurs années à limiter le volume de leurs ventes aux quantités médicalement justifiées, en contrepartie des prix qui leur sont accordés. Ainsi seront assurés à la fois les objectifs de santé publique et les objectifs de maîtrise des dépenses que nous nous sommes assignés.

Six conventions ont d'ores et déjà été signées et les accords devraient couvrir avant la fin du premier trimestre de l'année 1995, environ les deux tiers des médicaments remboursables vendus en France.

Les accords passés comportent à chaque fois que possible des stipulations permettant le développement du marché des médicaments génériques.

L'accord-cadre prévoit aussi une régulation des dépenses de promotion et impose la transparence de l'information relative à l'évolution des quantités vendues.

L'échange prix/quantités médicalement justifiées, sur lequel reposent les conventions, sera à terme un échange gagnant pour la sécurité sociale. Les effets de l'accord-cadre s'ajouteront ainsi aux résultats déjà obtenus grâce à la convention nationale des médecins.

15 références médicales opposables sur 65 portent sur la prescription des médicaments. Elles concernent le quart des médicaments prescrits. En 1994, la consommation de ces médicaments aura baissé alors que les ventes des autres médicaments augmentaient légèrement. De nouvelles références du même type doivent prochainement être établies.

D'autres mesures contribueront à assurer un meilleur usage du médicament :

1. Certains médicaments vont sortir de la réserve hospitalière ; ils pourront désormais être prescrits, à certaines conditions par les médecins de ville et délivrés par les pharmacies d'officine.

2. La prise en charge de quelques médicaments très coûteux sera réservée à certaines indications, pour lesquelles ils sont réellement supérieurs à d'autres produits moins chers.

3. Les « fiches de transparence » établies par l'agence du médicament pour comparer les propriétés et les prix des médicaments seront mises à la disposition des médecins sous une forme plus accessible.

Conformément aux orientations du Livre Blanc sur le système de santé et d'assurance maladie, les parties conventionnelles vont également être invitées, dans les prochains jours, à donner l'impulsion à une politique de prescription des médicaments les moins chers, à effet thérapeutique identique.

Enfin, plusieurs mesures ont été prises pour sortir certains médicaments de la réserve hospitalière, mieux suivre la prescription de certains autres médicaments en raison de leur coût élevé, et assurer l'information objective des praticiens sur les médicaments.

Cette politique, dont les auteurs du Livre Blanc viennent de conforter les principes, va être consolidée par la prochaine institutionnalisation du Comité Économique du Médicament, qu'ils ont recommandée.

Vous savez l'importance qu'a revêtue l'an dernier la mise en place du nouveau comité. Présidé en toute indépendance par un magistrat de la Cour des comptes, M. Jean Marmot, le comité examine depuis plus d'un an les questions tarifaires et met en œuvre la politique conventionnelle avec l'industrie. Désormais, le Gouvernement se garde bien d'interférer dans les décisions individuelles concernant la fixation des prix. J'estime qu'un ministre ou son cabinet n'ont, sauf intérêt public majeur, ni légitimité, ni compétence technique pour le faire. L'institutionnalisation du comité consolidera cette nouvelle approche.

La publication d'un nouveau décret sur la publicité du médicament complétera la mise en œuvre de cette partie des propositions du Livre blanc. La réglementation sera plus rigoureuse, mieux contrôlée et mieux sanctionnée, englobant la promotion assurée par les visiteurs médicaux. D'ores et déjà, l'Agence du médicament a renforcé le contrôle exercé sur la publicité. En 1994, le nombre des mises en demeure adressées aux laboratoires pharmaceutiques aura triplé par rapport à 1991 ou 1992.

À la lumière de ce premier bilan, il me paraît très important, pour des raisons de santé publique autant que de maîtrise des dépenses de santé, que cette politique nouvelle soit appliquée avec constance au cours des prochaines années. C'est la condition d'un meilleur usage du médicament, d'une plus grande sécurité sanitaire et d'un renouveau de l'économie pharmaceutique, propre à faciliter la recherche et le développement de produits innovants. Nous aurons également à réfléchir aux prolongements européens qu'il conviendra de donner à cette politique, notamment dans le domaine des médicaments « orphelins ».


Intervention de Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la Santé, le mercredi 14 décembre 1994

Je souhaiterais insister sur deux points très importants qui s'inscrivent dans la démarche du Gouvernement concernant la sécurité sanitaire : la pharmacovigilance et la pharmaco-épidémiologique.

Pharmacovigilance

La pharmacovigilance se définit comme l'ensemble des procédures organisées de surveillance du risque d'effet indésirable résultant de l'utilisation d'un médicament.

Le système français de pharmacovigilance repose sur le prescripteur qui a l'obligation de signaler au centre régional de pharmacovigilance dont il dépend, tout effet inattendu ou toxique susceptible d'être dû à un médicament qu'il a prescrit.

Une même obligation de déclaration pèse sur les établissements pharmaceutiques qui produisent ces médicaments et un prochain décret, en cours de préparation, étendra à tous les professionnels de santé, pharmaciens, chirurgiens-dentistes et sages-femmes, cette obligation de déclaration.

30 centres régionaux de pharmacovigilance répartis sur tout le territoire national assument cette mission de veille sanitaire et sont chargés de communiquer à l'Agence du Médicament les effets indésirables observés.

Une commission nationale de pharmacovigilance est par ailleurs chargée de faire mener par les centres régionaux des enquêtes nationales sur la fréquence de ces effets et les risques encourus.

Les activités de pharmacovigilance ont connu depuis quelques années une croissance considérable :

– de 85 enquêtes nationales en 1991 nous sommes passés à 129 en 1994,
– ceci a entraîné pour la seule année 1994 le retrait de 4 médicaments du marché.

Nous avons décidé de soutenir et d'amplifier ce système indispensable pour la sécurité sanitaire du pays, par différentes mesures :

1. En 1995, la subvention accordée aux centres régionaux de pharmacovigilance versée par l'Agence du Médicament sera doublée puisqu'elle passera de 5 millions de francs en 1994 à 10 millions de francs en 1995. Ceci permettra à chaque centre régional, qui a été équipé en 1994 de nouveaux ordinateurs connectés à l'Agence du Médicament, d'augmenter sa capacité d'enquête et d'investigations sur le terrain.

2. Un guide des bonnes pratiques de pharmacovigilance, élaboré par l'Agence du Médicament en collaboration avec le SNIP et les ordres professionnels, sera diffusé à 300 000 exemplaires aux professionnels de santé afin de rappeler leurs obligations et de les sensibiliser à ces problèmes.

3. La distribution de médicaments dérivés du sang humain assurée à partir du 1er Janvier 1995 par les pharmacies hospitalières nécessitait de mettre en place un nouveau système sécuritaire. Un décret en cours de rédaction précisera que les pharmaciens doivent assurer le traçage de tous ces médicaments, c'est à dire la possibilité à tout moment de savoir d'où viennent les produits, à quels patients ils ont été administrés, à quelle date, dans quelles circonstances, etc. Les pharmaciens devront signaler au centre régional de pharmacovigilance la survenue de tout effet indésirable lié à l'utilisation de ces médicaments dérivés du sang, information qui sera immédiatement transmise à l'Agence du Médicament en relation permanente avec l'Agence Française du Sang.

Ce système permettra la détection immédiate de toute anomalie, ainsi que l'identification des produits en cause et des patients qui pourraient avoir été exposés à un risque d'effet indésirable.

4. Enfin, je voudrais insister sur un dernier aspect que nous appelons la réactovigilance et qui concerne l'évaluation systématique et régulière des réactifs de laboratoire.

Vous savez que depuis 1993 un certain nombre de réactifs de dépistage des infections par le VIH ou le virus de l'hépatite C ont été retirés du marché par décision de l'Agence du Médicament.

Les réactifs de laboratoire sont ainsi devenus des biens de santé à part entière au même titre que les médicaments.

En effet, à quoi servirait de laisser en circulation des réactifs incapables de diagnostiquer suffisamment tôt et avec suffisamment de sécurité ces maladies gravissimes ?

Cet effort systématique, unique en Europe, sera appliqué en 1995 à d'autres réactifs de dépistage des anticorps de la rubéole, des marqueurs tumoraux, des anticorps anti toxoplasmose ou anti-cytomégalovirus. Une nouvelle réévaluation des anticorps anti-VIH sera effectuée en 1995 pour le diagnostic du SIDA.

La France possède seule en Europe, un fichier national des réactifs de laboratoire commercialisés et la réactovigilance est ainsi devenue une part importante de la sécurité sanitaire du pays.

La pharmaco-épidémiologie

La pharmaco-épidémiologie est une science toute nouvelle depuis qu'on s'est aperçu qu'il était capital de continuer d'étudier les effets et la tolérance des médicaments dans les conditions réelles de leur utilisation usuelle par les médecins et les patients.

C'est un domaine d'investigation nouveau car jusqu'à présent on considérait que les essais cliniques réalisés avant l'obtention de l'AMM des médicaments apportaient des preuves suffisantes d'efficacité et de tolérance de ces médicaments.

Nous pensons maintenant que ce n'est pas suffisant et que dans un certain nombre de cas, il faut poursuivre la surveillance pendant des mois, voire des années.

L'Agence du Médicament a été chargée de mettre en place les premières études de pharmaco-épidémiologie soit avec des équipes des centres de pharmacologie clinique ou de pharmacovigilance soit avec des équipes INSERM compétentes dans ce domaine.

Ainsi en 1994 ont été lancées 4 grandes études de pharmaco-épidémiologie, afin d'analyser :

– le risque de cancer de l'ovaire résultant de l'utilisation des inducteurs de l'ovulation,
– le suivi des 3 300 hémophiles traités par les facteurs anti-hémophiliques 8 et 9,
– le suivi des 5 000 premiers patients traités par la tacrine, premier médicament de la maladie d'Alzheimer dont on connait le risque de toxicité hépatique,
– l'évaluation du risque de syndrome de Reye chez les enfants recevant de l'aspirine.

Ces suivis de cohortes importantes de patients nécessitent des moyens que le ministère de la Santé et l'Agence du Médicament ont décidé d'affecter à cet objectif ambitieux.

On a beaucoup parlé du retard de la France en épidémiologie. Ce retard est en passe d'être comblé puisque ces 4 premières grandes études seront suivies de beaucoup d'autres dès que la situation d'un médicament le justifiera.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire aujourd'hui.

La sécurité sanitaire est une mission essentielle des autorités de la santé.

Mme Veil et moi ne cessons de rappeler qu'il s'agit là d'un devoir que l'État doit assumer en totalité afin d'assurer la sécurité des médicaments et des réactifs biologiques utilisés dans notre pays.