Interview de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, dans "les Dernières Nouvelles d'Alsace" le 5 septembre 1998, sur le bilan de son action au ministère de la culture, l'avenir de l'audiovisuel public et son attachement à Strasbourg.

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Média : Les Dernières Nouvelles d'Alsace

Texte intégral

Dernières Nouvelles d'Alsace :
Comment avez-vous vécu ces quinze premiers mois au Gouvernement ?

Mon arrivée au Gouvernement s'est faite dans des conditions inattendues, mais cette année a été intense. Comme porte-parole, j'ai été impliquée plus que d'autres dans la vision d'ensemble du Gouvernement et dans l'échéancier du Premier ministre. J'ai aussi de la chance, on me donne le temps de travailler, ce qui marque une rupture, sur ce point aussi, avec les méthodes des Premiers ministres précédents.

Dernières Nouvelles d'Alsace :
Quelles sont les difficultés qui vous ont marquée ?

J'ai dû faire face à un état général des affaires de mon ministère que je n'imaginais pas. Je devais aussi opérer un net redressement budgétaire. Et, en attendant, j'ai dû faire face sans les moyens financiers suffisants pour affirmer mon ambition dans ce ministère. Et puis, le risque d'invalidation de mon élection a pesé lourd pendant les premiers mois, rue de Valois.

Dernières nouvelles d'Alsace :
(...)

J'ai conscience d'avoir effectivement changé les approches, le style, et même l'image du ministre de la Culture. Mais c'est comme ça : j'ai besoin d'un temps de travail sur le fond avant de prendre les décisions. Je n'ai pas fait non plus dans la facilité en choisissant de m'attaquer en même temps à plusieurs dossiers coriaces. Sur le style, c'est vrai, je ne suis pas une adepte de la posture médiatique. Quand j'annonce des choses, je veux être sûre de pouvoir les réaliser.

Dernières Nouvelles d'Alsace :
Tout de même, les attaques ont été parfois rudes, y compris dans votre propre camp.

Je travaille en politique par la preuve et je sais que l'année 1999 sera une année de concrétisation. Je pense que la perception de mon action par l'opinion sera logiquement beaucoup plus forte. Et puis, il y a eu, c'est vrai, des critiques de caractère politicien. C'est le jeu de la vie politique parisienne microcosmique et narcissique. Sur les critiques de fond, j'ai écouté, et parfois je les ai prises en compte. Mais je n'ai jamais voulu, non plus, travailler en fonction d'un lobby d'opinion.

Dernières Nouvelles d'Alsace :
Quelle est la ligne de force principale que vous avez voulu donner à votre action ?

Donner plus de chance à la création mais aussi à tout ce qui a été laissé pour compte dans la gestion structurelle, au jour le jour, de la Culture : les archives, le patrimoine et notamment l'usage de la numérisation pour le recenser, mais aussi la popularisation d'Internet dans l'univers culturel. Alors c'est vrai, en ouvrant tous ces chantiers à la fois, ce que j'ai déjà vécu à Strasbourg, j'ai pu donner une impression de confusion. Mais j'assume parfaitement cette première phase indispensable de mon travail. J'ai, je le reconnais, un handicap. Mon ministère est important sur le plan symbolique, mais il n'a pas suffisamment été pris en considération pour le rôle qu'il joue dans l'administration.

Dernières Nouvelles d'Alsace :
La grande priorité de votre politique, c'est la culture pour tous ». Quelle est, à vos yeux, la clé de cette démocratisation de la culture qu'évoquait déjà Malraux dans les années 60 ?

Ce sont les enseignements artistiques. Voilà effectivement des années qu'on parle de les développer, mais ce n'est pas le cas ! Il y a une terrible force d'inertie qu'il faut dépasser. Et ce n'est pas seulement une question de loi. Il faut parvenir à impliquer les gens eux-mêmes. Comme me disait Yehudi ? Menuhin, donner un instrument à un enfant, c'est lui donner une approche tactile, physique des choses. Sur le fond, il faut aussi désacraliser la culture. En faire tout simplement un goût de la vie. Et pour moi, il n'y a pas de tabou sur ce point. Je travaille également à l'interprétation de la culture et de la communication.

Dernières Nouvelles d'Alsace :
Justement, l'élaboration de la loi sur l'audiovisuel est apparue chaotique aux yeux d'un certain nombre de professionnels. Est-ce vraiment un dossier ingérable ?

Non. Je crois que notre pays a besoin d'une réforme de l'audiovisuel, même si, c'est évident, je ne réglerai pas tout avec des textes législatifs ! Je veux, d'une part, renforcer le service public et, d'autre part, éviter les risques d'influence économique sur l'information.

Dernières Nouvelles d'Alsace :
Bâtir une télévision publique de qualité et tenir la distance dans une course à l'audience, n'est-ce pas une chimère ?

Non, ces deux objectifs sont compatibles et nous allons avoir des surprises. Cette qualité se verra à l'écran. Je ne veux plus, par exemple, des tunnels de publicité sur les chaînes publiques, et le respect de la ponctualité devra être une règle. Cela dit, je ne suis pas publiphobe, et je constate que la fuite en avant en matière de publicité est aussi le résultat du désengagement de l'Etat, il faut donc donner plus de moyens aux chaînes publiques, tout en préconisant la complémentarité de leurs programmes. Et je suis persuadée qu'elles constitueront un pôle de référence qui aura des effets sur le contenu du secteur privé. Tout le monde y gagnera.

Dernières Nouvelles d'Alsace :
Vouloir intervenir pour modeler l'esprit même de l'audiovisuel public, n'est-ce pas revenir à une forme d'interventionnisme que la gauche a précisément dénoncée avant d'arriver au pouvoir en 1981 ?

Non ce n'est pas la même chose. La gauche en 81 voulait en finir avec l'interventionnisme politique. Moi, ce que je veux aujourd'hui, c'est éviter que la liberté acquise permette à l'influence économique de dénaturer l'information du grand nombre. Par ailleurs, il ne s'agit pas de nous immiscer dans la gestion des chaînes, mais logiquement, de jouer notre rôle d'actionnaire !

Dernières Nouvelles d'Alsace :
Décomplexée ?

Totalement. Au fond, d'une certaine manière, j'introduis plus de liberté… Cette nouvelle forme d'engagement incarne la réforme de l'Etat entreprise par Lionel Jospin.

Dernières Nouvelles d'Alsace :
Qu'est-ce que vous entendez par amélioration de la qualité sur les chaînes publiques ?

La qualité, ça ne veut pas dire que France 2 ne doive plus être une chaîne populaire. Je crois, au contraire, au rassemblement des publics. Il faut sortir de la comparaison avec TF1 qui est devenue complètement réductrice. Je m'intéresse, notamment, à la production qui risque de s'appauvrir.

Dernière Nouvelles d'Alsace :
Dans votre propre majorité, certains députés se sont montrés sceptiques, non ?

Peut-être, mais ils sont, à mon sens, isolés. Car ce projet de loi est un projet de loi de tout le Gouvernement et une chance unique. Si l'Etat s'engage financièrement, il exigera, comme cela est normal, une contrepartie du service public qui ne se traduira pas des contrats pluriannuels et des contrats d'objectif. Je tiens à préciser que la redevance ne sera pas la quadrature du cercle. Il faudra également faire des choix. Or, par exemple, France 2 a été le symbole du non-choix pendant et on a laissé la situation de cette chaîne à vocation généraliste et tous publics se dégrader. France 2 ne sera pas privatisée, c'est la branche maîtresse. Il n'est pas question de s'en séparer.

Dernières Nouvelles d'Alsace :
Venons-en à Strasbourg. L'arrachement a-t-il été douloureux lorsque vous vous êtes démise volontairement de votre mandat de maire ?

J'ai la chance d'avoir une équipe qui a pu supporter ma prise de fonction au ministère. Ma complicité avec Roland Ries et avec l'équipe municipale nous a permis de traverser tellement d'épreuves. Elle est aujourd'hui un atout.

Dernières Nouvelles d'Alsace :
Mais le succès de Roland Ries n'est-il pas une menace pour vous ?

Je ne vois pas les choses comme ça et je ne peux que me réjouir de la réussite de Roland. De mon côté, je peux travailler dans ce ministère en toute sérénité et il sait qu'il peut compter sur moi. Mais, c'est vrai. Strasbourg m'a manqué. Je sais aussi que les Alsaciens espèrent mon succès dans ce ministère.

Dernières Nouvelles d'Alsace :
Un retour est-il possible ? Car c'est la question qui semble se poser pour tous les maires qui, comme vous, ont dû démissionner volontairement pour respecter la règle imposée par Lionel Jospin.

Je n'ai pas quitté Strasbourg. Je reste attachée à ma ville et à l'Alsace. Je suis d'ailleurs amenée à défendre certains dossiers comme les contrats Plan-Etat-Région, les crédits logements, les aéroports, le Parlement Européen, le régime local ou encore l'emploi chez de Dietrich ou Orangina. La question de mon retour n'est pas encore d'actualité. Il se fera le moment venu en parfaite harmonie avec Roland Ries comme nous nous y sommes engagés en toute loyauté.

J'assume le fait que Roland Ries exerce son mandat pleinement. Notre équipe sortira renforcée de nos succès respectifs. Je crois avoir impulsé de l'énergie à cette ville, et je sais que l'équipe avec laquelle j'ai travaillé compte avec moi pour l'avenir.