Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, sur l'urgence cardiaque et sur la prévention comme enjeu fondamental de la santé publique, Paris le 8 et 17 octobre 1994.

Prononcé le

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Circonstance : Journée de l'urgence cardiaque le 8 octobre. Inauguration de la semaine de prévention à Paris le 17 octobre 1994.

Texte intégral

Discours sur la cardiologie prononcé le 8 octobre 1994

Mesdames, Messieurs,

Plus de 1 300 personnes meurent chaque jour de mort subite – 40 000 par an.

La plupart de ces décès sont d'origine cardiaque et 10 à 20 % pourraient être évités – 200 vies sauvées par jour.

Cette journée de l'urgence cardiaque, organisée à l'initiative de la Fédération Française de Cardiologie et de son Président, le Professeur Pierre Bernadet, doit nous rappeler qu'il n'y a pas forcément de fatalité.

En cardiologie, à l'inverse d'autres disciplines médicales, l'état du malade peut s'améliorer très rapidement ou au contraire se détériorer très vite.

Chaque minute compte, et mon expérience de cardiologue ayant exercé en soins intensifs m'incite à souligner que l'on peut agir efficacement sous réserve d'une organisation sans faille.

Devant un arrêt cardiaque, les mesures de réanimation, ventilation, massages cardiaques, défibrillation, doivent être entreprises dès les premières minutes.

Le traitement thrombolytique, pour détruire le caillot qui obstrue l'artère, doit être réalisé – lorsqu'il est indiqué – dans les premières heures et appliqué par l'unité mobile d'intervention.

Une prise en charge efficace de l'urgence cardiologique dépend principalement de deux facteurs essentiels :

– c'est tout d'abord la rapidité avec laquelle l'alerte des secours est donnée, car c'est bien de cette alerte dont dépend l'intervention immédiate d'une équipe médicale entraînée et équipée ;
– mais c'est simultanément la pratique la plus précoce possible des gestes de survie.

Or, dans notre pays, le numéro 15, numéro de téléphone qui permet d'alerter les SAMU, est encore mal connu – alors que pratiquement tout le monde connaît l'existence des SAMU, dont le sigle est même passé dans l'usage courant.

De même, les gestes de survie, simples mais nécessaires, tels que le bouche à bouche ou le massage cardiaque externe sont également insuffisamment répandus parmi nos concitoyens.

C'est pourquoi, l'initiative de la Fédération Française de Cardiologie visant à sensibiliser l'opinion publique, principalement sur ces deux problèmes, est à saluer.

La France est l'un des pays industrialisés les mieux équipés en matière d'aide médicale urgente. Chaque département dispose d'un SAMU ; il existe 350 Services Mobiles d'Urgence et de Réanimation (SMUR) à même de prendre en charge précocement les urgences, notamment cardiaques, avec les stratégies modernes de soins.

Les médecins libéraux, qui doivent être de plus en plus impliqués dans le fonctionnement de l'aide médicale urgente, complètent ce maillage, de même que les très nombreux médecins volontaires de sapeurs-pompiers souvent installés en zone rurale.

Aujourd'hui, la quasi-totalité du territoire français est couverte par ce qu'on appelle les centres 15, centres de régulation des appels qui permettent à toute personne ayant composé le « 15 », d'être en relation avec un médecin urgentiste expérimenté, à même de décider le type de secours qui convient le mieux pour régler l'urgence en question.

Il ne s'agit pas, bien sûr, d'appeler le 15 en cas de problème médical mineur, mais il convient par contre que tous nos concitoyens puissent avoir le réflexe immédiat de composer le 15 devant toute situation de détresse vitale.

À l'évidence, et je le dis avec force, le premier maillon de la chaîne de l'urgence, c'est vous ! Et c'est un maillon essentiel quand on sait que dix minutes perdues, c'est une vie perdue !

Mais si l'alerte immédiate des secours est indispensable, le deuxième temps est tout aussi primordial, c'est celui des gestes de survie qui permettent de maintenir la vie jusqu'à l'intervention des secours.

Savoir quoi faire devant un évènement aussi imprévu et stressant qu'un malaise cardiaque grave, ne s'improvise pas.

Sauver une vie, ça s'apprend.

L'enseignement du secourisme et des « gestes qui sauvent » remonte maintenant à près de trois décennies. Le nombre de détenteurs du brevet national de secourisme est évalué à environ 3 millions et demi de français. C'est encore trop peu.

Nous devons, à terme, disposer de bien plus de 4 millions de nos concitoyens capables de réagir et d'agir efficacement dans de telles circonstances.

C'est pourquoi, en collaboration avec le ministère de l'Intérieur, nous avons engagé une grande réforme du secourisme avec le concours des organismes formateurs que sont les associations (Croix-Rouge Française, Croix Blanche, Protection Civile…), les services d'incendie et de secours, et les SAMU.

Je souhaite ici, profiter de l'occasion qui m'est donnée, pour saluer avec force le dévouement et l'efficacité de tous ces organismes, et de tous les bénévoles et professionnels qui œuvrent quotidiennement en leur sein, parfois dans des conditions difficiles, mais qui, jour après jour, sauvent des centaines de vies.

Je conclurai en insistant sur les deux messages essentiels que l'ensemble de nos concitoyens doivent retenir en ce jour.

Quand la vie est en danger, ayez le réflexe de composer le numéro 15 – numéro du SAMU – où un médecin vous répondra et pourra vous envoyer les secours nécessaires en collaboration bien sûr avec les services de sapeurs-pompiers.

Mais la vie dépend aussi d'un deuxième maillon, celui des gestes qui sauvent, et je vous engage à apprendre ces gestes dans les organismes de formation de secourisme agréés.

Il n'y aura plus de progrès possible dans la réanimation cardiaque sans la participation de tous.

Soyons au rendez-vous de l'urgence cardiaque pour constituer ensemble une véritable chaîne de survie.


Inauguration de la semaine de la prévention, lundi 17 octobre 1994, au groupe hospitalier Pitié Salpêtrière

Monsieur le Président du Conseil d'Administration,
Monsieur le Directeur Général, 
Monsieur le Directeur, 
Mesdames, Messieurs,

Il est sans doute peu de combats plus importants à mener que celui qui nous rassemble ici à la semaine de prévention du groupe hospitalier Pitié Salpêtrière. La prévention est en effet pour tout ministre de la Santé une priorité essentielle qui doit guider son action.

Elle est une priorité parce qu'elle représente en quelque sorte l'idéal d'une politique de santé publique. C'est l'objectif le plus ambitieux, quand elle permet d'éradiquer complètement une pathologie comme nous avons su le faire grâce à la vaccination. La prévention est aussi une priorité car elle est dans certains cas le seul moyen dont nous disposons pour lutter efficacement contre la maladie. Je pense évidemment au SIDA mais aussi à la lutte contre le tabagisme ou contre l'alcoolisme qui a des conséquences souvent irrémédiables sur la santé.

Mais la prévention est également une source d'interrogations, parce qu'elle est délicate à mettre en œuvre. Elle se heurte tantôt aux rigidités des comportements, tantôt à l'absence de prise de conscience de risques, ou au bénéfice tardif pour l'individu des mesures préventives.

Si le rôle de l'État n'est pas de régenter la vie privée des citoyens, il est de son devoir de favoriser des comportements qui préservent la santé de l'individu, et des groupes. Il doit le faire en les informant de façon permanente et continue des risques qu'ils prennent. Cela implique :

– d'identifier des groupes cibles ;
– de proposer une politique de réduction des risques.

Il n'y a pas de contradiction entre le respect de la liberté individuelle et le souci d'influer sur les comportements individuels pour réduire les risques de maladie pour chacun ou les nuisances pour les autres.

Cette politique de prévention, je me suis attaché à la développer dès mon arrivée. Je ne citerai que quelques exemples en relation avec les thèmes de vos journées, même s'ils dépassent le cadre de l'hôpital.

La prévention des cancers, en particulier le cancer du sein. La campagne de dépistage des cancers du sein a fait l'objet d'un cahier des charges approuvé par l'Association des Présidents des Conseils Généraux, la CNAM et les syndicats de médecins. Parallèlement, un comité de pilotage et une cellule de gestion ont été mis en place, avec un contrôle de qualité des actes, dans les premiers départements concernés. Les femmes de 50 à 69 ans pourront bénéficier tous les 3 ans d'une mammographie gratuite dans 18 départements.

La prévention de l'alcoolisme et du tabagisme. Nous avons avec Madame Simone Veil, tenu à ce que les limites fixées à la publicité pour ces consommations, soient maintenues et que les Centres d'Hygiène Alimentaire et d'Alcoologie retrouvent en 1995 un équilibre financier compromis depuis 1991.

La prévention du SIDA. J'ai estimé indispensable de renforcer la prévention dans ce domaine. Le plan d'urgence du 13 mai 1993 a permis d'augmenter le nombre de centres de dépistage anonymes et gratuits. La politique de réduction des risques dans la toxicomanie s'est considérablement renforcée et diversifiée : (stéribox à 5 F en pharmacie, partenariat effectif avec les pharmaciens, augmentation du nombre de programmes d'échange de seringues).

L'initiative que vous avez prise de créer une semaine de prévention à l'hôpital mérite d'être soulignée car elle est innovante.

L'hôpital a trop longtemps été considéré comme dédié seulement à la mise en œuvre de soins curatifs. Si l'article 2 de la loi hospitalière de 1991 comprend la prévention dans les missions confiées à l'hôpital, celle-ci est restée très discrète sauf dans quelques disciplines.

Pourtant, la prévention doit devenir, à côté des soins curatifs, une des deux missions essentielles de l'hôpital. En effet : la prévention permet d'unir les disciplines pour une meilleure coopération au service des malades : nutritionnistes, endocrinologues, cardiologues pour le diabète, gynécologues et oncologues pour les cancers féminins. La prévention unit aussi tous les personnels de l'hôpital, confronté au même risque, comme le tabac par exemple, Gilles Brucker ne tente-t-il pas de faire de la Pitié Salpêtrière un « hôpital sans tabac ».

L'hôpital doit mener une politique de prévention à un double niveau :

Une prévention secondaire, dans toutes les pathologies où les complications représentent un risque majeur ; certaines spécialités telle que la diabétologie en sont le témoignage. Le diagnostic précoce du malade est toujours accompagné d'une information, d'une sensibilisation des individus aux facteurs de risque potentiel.

Une prévention primaire grâce aux consultations anti-tabac, aux centres de dépistage anonymes et gratuits dans les hôpitaux qui doivent assurer une meilleure insertion de l'hôpital dans son environnement.

L'hôpital peut-il aller plus loin ?

Je crois qu'il pourrait développer une compétence spécifique de prévention, dans des unités spécialisées. J'en prendrais quelques exemples : La prévention des maladies cardio-vasculaires représente en enjeu majeur de santé publique. Il me paraît indispensable de mettre l'accent sur la prise en charge de ces patients à haut risque en raison de la présence simultanée de facteurs de risques différents. À la suite d'un rapport confié au Professeur Berthezene, j'ai pris la décision de créer des centres de détection et de prévention de l'athérosclérose qui auront en charge :

– d'harmoniser la prise en charge des facteurs de risques cardio-vasculaires,
– de développer et d'évaluer les marqueurs de risque,
– de participer à des études épidémiologiques et des essais thérapeutiques ou de les coordonner,
– enfin, d'organiser un enseignement et de la recherche.

Ces centres, créés pour une période de cinq ans dans des CHU volontaires, seront soumis à une évaluation de leurs résultats (utilité, pertinence et efficience) en vue du maintien, voire de l'éventuelle extension du dispositif.

Ce réseau multicentrique sera précisé avant la fin de cette année. C'est un exemple mais il n'est pas seul.

Ne pourrait-on pas également envisager des unités de prévention à l'intérieur de l'hôpital, qui s'inscriraient dans le réseau de soins de proximité et accueilleraient des personnes moins favorisées qui souhaitent demander conseil, ou évoquer des problèmes de santé nécessitant une orientation. Il ne pourrait s'agir d'avoir une clientèle stable, mais au contraire de favoriser la prise de conscience du capital « santé » et de sa préservation, et aussi à cette occasion de favoriser une réinsertion sociale éventuelle.

L'acquisition d'une très grande technicité par l'hôpital a parfois conduit à réduire une partie de son rôle social. L'exclusion et les toxicomanies rappellent que l'hôpital a une mission spécifique à remplir, dans un dispositif de prévention cohérent, à la fois sanitaire et social.

La prévention est un défi.

Je suis convaincu que cette semaine de la prévention fera progresser la notion de facteurs de risques, afin qu'ils soient mieux pris en considération. C'est à cette condition que l'on pourra modifier les comportements et faire changer les mentalités.

Merci de votre attention.