Déclaration de M. Jean Puech, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les objectifs de la politique céréalière de la France dans le cadre de la PAC réformée et sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture, Bordeaux le 22 septembre 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jean Puech - Ministre de l'agriculture et de la pêche

Circonstance : Congrès de l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM) à Bordeaux le 22 septembre 1994

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Votre congrès se situe réellement cette année à un moment charnière de l'avenir de l'agriculture française et de l'agriculture européenne.

J'ai été tout à fait attentif, Monsieur le Président, aux grandes lignes et à la tonalité de votre intervention. J'ai noté, certes, quelques inquiétudes, mais également une attitude combative et je vous en félicite.

En effet, ce n'est pas avec de la « sinistrose » que l'on réglera les problèmes mais avec de la volonté, une volonté positive, et une vision à moyen et long terme du devenir de l'agriculture française.

En m'adressant aujourd'hui devant vous à Bordeaux, je voudrais vous faire partager ma conviction que l'agriculture européenne et notamment l'agriculture française ont un avenir prometteur. Mais ceci n'est possible que si chacun d'entre nous est capable de surmonter les difficultés du moment et de juger sereinement des très grands atouts dont nous disposons pour la compétition future.

1. Les difficultés du moment

Comment, aujourd'hui, à trois semaines du paiement des aides compensatoires aux grandes cultures et notamment aux cultures de maïs, oublierais-je d'évoquer vos préoccupations concernant le niveau des aides qui vont vous être versées ?

J'entrerai tout de suite dans le vif du sujet qui vous préoccupe et qui a plané sur l'ensemble de votre congrès.

En 1992, le Conseil des ministres de l'Union Européenne a accepté la réforme de la politique agricole commune. Sur cette base, des choix en matière de régionalisation des aides ont été faits. Ces choix ont été arrêtés après une concertation la plus large possible, notamment avec votre organisation.

Il a ainsi été décidé, comme le souhaitaient les organisations professionnelles agricoles départementales, de créer 12 bases maïs en France, afin de permettre aux producteurs de cette céréale de bénéficier d'un rendement de référence le plus proche possible du rendement réel et, en tout cas, de les exonérer très largement des effets de la péréquation nationale. Je rappellerai d'ailleurs que cette possibilité de créer des « bases maïs » a été demandée par la France lors de la négociation et cela, en écho à votre demande.

Parallèlement, et également afin de tenir compte de la spécificité de la culture du maïs, des rendements irrigués, donnant droit à des primes majorées, ont été créés dans plus de la moitié des départements français. Ces décisions, qui ont été prises au cours de l'été 1992 n'ont pas fait l'objet, loin s'en faut, de l'unanimité de tous les producteurs, vous le savez. Les pouvoirs publics ont dû, parfois, insister pour que la « spécificité maïs » soit entendue car ils estimaient justifier ce besoin de différenciation. Entre le moment où ces plans ont été élaborés et aujourd'hui, certaines modifications réglementaires, le plus souvent malheureuses, sont intervenues, à l'initiative de la Commission. Ainsi, l'édifice de départ a été en grande partie sapé. 

Face à la situation actuelle, deux attitudes sont possibles :

a) Ou bien discuter à l'envie sur les résultats des dépassements de certaines surfaces de base maïs départementales, s'engager avec la Commission dans d'interminables discussions et prendre le risque certain d'un retard dans le paiement des aides.

b) Ou bien faire preuve d'un esprit de décision, c'est-à-dire choisir une solution, payer les aides en temps et en heure et réfléchir ultérieurement, mais très vite, aux voies et moyens d'améliorer la situation structurelle actuelle.

J'ai choisi et ma décision est prise. Je ne saurais accepter d'une part que certains départements se voient imposer des pénalisations en terme d'aide et de gel de 10 à 15 % et, d'autre part, que les aides compensatoires qui vous sont dues, soient payées avec retard par rapport au calendrier pour lequel je me suis engagé.

La solidarité s'impose et elle s'impose d'autant plus qu'elle rejoint le bon sens. Ainsi, les 12 bases maïs seront globalisées en une base unique pour calculer le niveau du dépassement. Ce niveau est de 2,7 %. Une réfaction de ce montant sera donc appliquée aux différentes primes maïs propre à chaque département.

Est-ce dommageable ? Certainement ! Est-ce pour autant une catastrophe ? Je ne le crois pas.

Aujourd'hui, les prix de marché du maïs sont proches de ceux de la campagne précédente, et, dans le même temps, les primes ont été revalorisées de 40 % comme cela était prévu dans la réforme de la PAC, et la prime jachère a été revalorisée de 27 %, ainsi que la France l'a obtenu l'an dernier lors des négociations bruxelloises. Dans ces conditions, je crois qu'il convient de faire preuve d'une certaine objectivité dans l'appréciation des conséquences financières de ce dépassement de surface de base.

Néanmoins, et comme je l'ai évoqué précédemment, il convient de trouver une solution pour l'avenir. À cet égard, j'ai bien noté, monsieur le Président, votre proposition que j'appellerai le « recalibrage » des bases maïs obtenu par une augmentation des surfaces et une baisse du rendement. Cette proposition est intéressante. Toutefois, il convient d'expertiser d'éventuelles solutions alternatives avant de choisir celle que nous défendrons à Bruxelles lors de futures négociations.

Mais il y a un autre sujet de préoccupation, c'est celui du niveau de gel des terres.

Comme vous le savez, j'ai officiellement demandé à la Commission de prévoir dès la campagne de semis 1994/1995 une baisse substantielle du taux de jachère. Cette demande n'est pas une demande de circonstance. Elle s'appuie sur une analyse des bilans prévisionnels tant communautaire que mondial des marchés céréaliers et elle s'inscrit dans l'esprit et dans la lettre de la politique agricole commune réformée, telle qu'adoptée en mai 1992.

Il est en effet indispensable que l'Union Européenne ait la possibilité de démontrer sa capacité à adapter en permanence le potentiel productif de son agriculture aux besoins du marché. Comme j'ai eu à le rappeler à plusieurs reprises : « le gel des terres n'est pas une fin en soi mais seulement un instrument de gestion du marché ».

Ainsi, après deux années d'application de la réforme de la PAC, et notamment d'un taux de gel de 15 % (gel rotationnel) et 20 % (gel fixe ou libre), on observe une forte réduction des stocks céréaliers dans l'Union Européenne.

Lors de la dernière campagne avant la réforme (1992/1993), les stocks s'établissaient à 46,2 Mt dont 33,4 Mt en stocks d'intervention (stocks publics).

Après la première année de la mise en œuvre de la réforme (1993/1994), les stocks se sont établis à 35,7 Mt soit une diminution de 10,5 Mt. Sur ces 35,7 Mt, il y avait 18 Mt en stocks d'intervention.

Compte tenu des prévisions de production de céréales en 1994 (environ 160 Mt) et d'un niveau de consommation moyen de 175 Mt, le niveau des stocks devrait s'établir au 30 juin 1995 à environ 25,7 Mt soit une nouvelle diminution de 10 Mt.

Dans ces conditions, si aucune modification du taux de jachère n'est adoptée pour les semis 94/95, le niveau des stocks au 30 juin 1996 pourrait être insuffisant pour assurer la « soudure » des deux campagnes. Ceci nous mettrait alors en position plus que délicate si la récolte 1995 devait se révéler inférieure à l'habitude. C'est pourquoi, il convient d'anticiper dès maintenant cette situation, en « réinjectant » une production supplémentaire de quelques millions de tonnes qui sera obtenue par une baisse du taux de jachère.

Lors du Conseil des ministres de l'Agriculture de lundi et mardi dernier, j'ai eu l'occasion d'évoquer ce sujet en session plénière. J'ai aujourd'hui, de bonnes raisons de penser que notre demande de baisse de la jachère a été entendue, comprise et je dirai même partagée.

Ainsi, le Conseil des ministres de l'Agriculture du mois d'octobre devait définir une orientation politique claire sur cette question afin que les agriculteurs puissent intégrer dans la gestion de leurs assolements le taux de gel applicable en 1994/1995.

Concernant le gel supplémentaire induit par les dépassements de surfaces de base, je dois reconnaître qu'il y a un certain paradoxe à constater que ce dépassement n'est pas dû à une augmentation des superficies cultivées mais à un accroissement sensible des surfaces mises en jachère. La France ne veut pas méconnaître les règles inscrites dans la réforme de la PAC et qu'elle a acceptées. Mais cela ne doit pas l'empêcher d'attirer l'attention de la Commission et de ses partenaires sur cette situation tout à fait paradoxale. D'ailleurs, elle le fera très prochainement.

II. – Les perspectives d'avenir

A. – La culture du maïs

Contrairement à ce que beaucoup craignait il y a deux ans, la culture du maïs reste à la fois présente et forte dans la céréaliculture française. Cette situation n'est pas le fruit du hasard. Elle relève bien sûr de votre capacité à vous adapter en permanence aux nouvelles conditions réglementaires et aux besoins du marché ; mais elle relève aussi de la détermination des pouvoirs publics à prendre toutes les dispositions nécessaires pour en assurer la pérennité.

Le maïs, nous en avons besoin. Nous en avons besoin comme aliment du bétail, nous en avons besoin pour les produits transformés, nous en avons besoin pour notre industrie amidonnière.

a) L'alimentation animale 

L'un des principaux objectifs de la réforme de la PAC était la reconquête du marché de l'alimentation animale par une meilleure incorporation des céréales communautaires. À cette fin, il convenait d'une part d'abaisser les prix des céréales, avec compensation du revenu du producteur par une aide directe, pour les rendre plus compétitives par rapport aux produits de substitution importés et d'autre part de veiller à un encadrement strict de l'importation de ces mêmes produits de substitution aux céréales.

Ces deux objectifs doivent être atteints.

Le premier l'a été sans conteste l'an passé. En revanche, je suis plus circonspect pour l'actuelle campagne. J'espère que l'on observera dans les semaines et mois à venir, une certaine détente sur les prix afin d'enrayer le mouvement actuel de baisse de l'incorporation de céréales communautaire dans l'alimentation animale. Je voudrais d'ailleurs ajouter que la demande française d'abaissement du taux de gel des terres est également un élément qui pourrait contribuer à un meilleur rééquilibrage entre l'offre et la demande.

Concernant le second point, c'est-à-dire les conditions d'entrée sur le territoire de l'Union Européenne des produits de substitution aux céréales, je voudrais, ici, réaffirmer la plus totale opposition de la France à la modification réglementaire de la définition tarifaire du corn gluten feed. Ceci nous a ainsi conduits à décider le dépôt d'un recours en annulation de ce règlement devant la Cour de Justice de l'Union Européenne.

b) L'industrie de transformation

Le maïs est également une céréale aux nombreux usages industriels, alimentaires ou non. Les débouchés vers l'amidonnerie, et toute sa palette de produits à haute valeur ajoutée, ou vers la brasserie, par exemples, doivent être confortés.

À cet égard, mais j'y reviendrai tout à l'heure, la France sera attentive à la valorisation des matières premières agricoles, qui est le plus sûr avenir de l'agriculture française, et à la préservation de la situation concurrentielle de ces industries dans la mise en œuvre de nos engagements internationaux.

B. – La nouvelle orientation de l'agriculture française

Comme je l'avais annoncé devant le Parlement lors du débat d'orientation sur l'agriculture, j'ai remis à la Commission de l'Union Européenne, il y a deux semaines, un mémorandum pour une agriculture européenne ambitieuse. De plus, lors de leur session d'automne, l'Assemblée nationale et le Sénat seront saisis d'un projet de loi de modernisation de l'agriculture française.

Le document que j'ai remis au Commissaire René Steichen comprend trois volets essentiels.

Le premier concerne les conditions de mise en œuvre des accords de Marrakech dans le cadre de la politique agricole commune. À ce sujet, la France exprime deux idées forces :

a) Il revient au Conseil des ministres, c'est-à-dire à l'échelon politique, de définir de façon précise les modalités de mise en œuvre de nos engagements internationaux. En effet, même si certaines dispositions peuvent apparaître très techniques, leurs conséquences sont par essence politique.

b) La mise en œuvre de ces engagements doit tenir compte de la vocation exportatrice de l'Union Européenne, c'est-à-dire être soucieuse des usages commerciaux propres à chaque secteur, et ne doit pas conduire à accentuer les diverses disciplines et contraintes que nous avons accepté.

Le second volet de notre mémorandum concerne l'amélioration de la performance de l'agriculture européenne sur les marchés ainsi qu'une attention particulière au rôle de l'agriculture dans le maintien des grands équilibres du territoire.

À cet égard, la France entend réaffirmer la vocation exportatrice de la Communauté grâce à un renforcement de la compétitivité des différentes filières de production, de manière à développer les parts de marché de l'Union Européenne. Une meilleure valorisation des produits et un renforcement de la politique de qualité et d'identification des produits contribueront positivement à la réalisation de cet objectif.

Enfin, le troisième volet de ce mémorandum porte sur la nécessaire simplification à apporter aux diverses procédures liées à la politique agricole commune. Il est également un appel permanent au principe de subsidiarité afin de ménager à chaque État-membre les marges de manœuvre minimales pour une gestion harmonieuse, efficace, et acceptée par les agriculteurs, de la PAC.

Le projet de loi de modernisation, dans le même esprit, visera à répondre aux deux objectifs suivants de la politique agricole nationale : premièrement, accroître le niveau de performance de l'agriculture, de façon à garantir sa compétitivité et sa capacité exportatrice, et, deuxièmement, contribuer au développement du territoire et à l'équilibre économique et social des espaces ruraux, dans le respect de l'environnement.

Pour accroître le niveau de performance de l'agriculture, cette loi prévoira :

1) Le renforcement des outils de coordination des politiques agricoles et agro-alimentaire, avec :

– un renforcement du rôle du Conseil Supérieur d'Orientation Agricole ;
– un élargissement du champ de compétence des organisations interprofessionnelles agricoles ;
– et une meilleure coordination, au niveau départemental, des outils de la politique agricole, avec la création d'une commission départementale d'orientation agricole, fusionnant commission des structures et commission mixte.

Cette loi prévoira aussi :

2) La modernisation des structures de l'entreprise agricole, avec des dispositions visant principalement à favoriser le développement du cadre sociétaire, que je considère comme mieux adapté, dans ses différentes formes juridiques, aux enjeux d'avenir de l'agriculture, plutôt que le statut de l'entreprise individuelle qui confond patrimoine personnel et outil de production. 

Cette loi prévoira également :

3) L'allègement des charges fiscales et sociales

Il s'agit là d'un point important, mais dont le contenu est encore en discussion très ouverte et vous me permettrez de ne pas vous en dire d'avantage aujourd'hui.

Concernant cependant les taxes fiscales et parafiscales qui pèsent sur chaque tonne de maïs commercialisée, vous me permettrez de rappeler, afin de lever tout éventuel malentendu, les décisions que j'avais annoncé lors du congrès de l'AGPB en juin dernier.

Je voudrais notamment vous confirmer l'important engagement financier pris par le gouvernement de diminuer de 50 % le montant de la taxe BAPSA pour l'actuelle campagne de commercialisation des céréales.

Ainsi, et comme je l'avais annoncé au Touquet, le montant des taxes fiscales et parafiscales qui pèsent sur vos produits sera abaissé de 35 %, c'est-à-dire un montant équivalent à 1 % du prix de vente de vos céréales. Cet effort mérite d'être souligné, il aura un effet direct sur vos revenus.

Le second volet de la loi de modernisation qui aura pour objet de contribuer au développement du territoire et à l'équilibre des espaces ruraux devrait porter sur quatre points essentiels.

Tout d'abord un renforcement de la politique d'installation. À cette fin, et de façon principale, le dispositif de pré retraite agricole sera réorienté pour servir prioritairement à l'installation de jeunes sur les terres libérées.

En second lieu la loi de modernisation visera à faciliter les modalités d'exercice des activités agricoles, notamment dans le cadre de la pluriactivité.

En troisième lieu nous œuvrerons en faveur des outils de gestion de l'espace agricole.

Ainsi, en complément de la création du fonds de gestion de l'espace rural, prévu dans le projet de loi sur le développement du territoire, cette modernisation sera obtenue avec : d'une part, des mesures visant à faciliter le recours aux structures existantes : notamment les associations foncières pastorales, qu'il est proposé d'exonérer de la taxe sur le foncier non bâti, et la création d'un nouveau type de groupement, le groupement foncier rural ; d'autre part, des mesures visant à adapter les procédures d'aménagement foncier pour leur permettre de mieux prendre en compte les contraintes d'ordre économique ou environnementale.

Enfin, cette loi abordera également les conditions de vie des retraites agricoles et une avancée significative devrait intervenir sur la question des pensions de réversion.

Voici brièvement exposé les deux piliers, c'est-à-dire le mémorandum et le projet de loi de modernisation, qui fondent, dans mon esprit, les perspectives d'avenir de l'agriculture française et européenne.

Monsieur le Président, je ne crois pas que les producteurs de maïs soient les boucs émissaires ou les victimes expiatoires de la politique agricole commune et encore moins de notre politique agricole nationale.

Il ne faut pas avoir la mémoire courte et savoir se rappeler l'écoute dont votre organisation a fait l'objet dans l'élaboration des plans de régionalisation. Le ministère de l'Agriculture et de la Pêche sera une fois de plus à votre côté pour résoudre au mieux les problèmes actuels.

Toutefois, dans un monde économique qui évolue quotidiennement, l'agriculture ne peut s'exonérer de réformes et d'adaptations. Toutefois, ces réformes et ces adaptations ne doivent pas être conçues comme de simples réactions aux évènements, bien au contraire, elles doivent s'inscrire dans une vision à moyen et long terme, car c'est cela ma conception du rôle d'un ministre de l'Agriculture : prévoir, et prévoir loin, plutôt que réagir.