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Luc Guyau : "Il faut mettre la France en position de force"
L'Assemblée nationale commence, jeudi 24 novembre, l'examen du projet de loi de modernisation de l'agriculture présenté par Jean Puech, ministre de l'Agriculture et de la Pêche. Les principales dispositions de ce texte, promis par Édouard Balladur au monde agricole fin 1993 quand la France avait donné son feu vert aux accords du GATT, concernant la revalorisation des pensions des veuves d'exploitants, des incitations pour favoriser l'installation des jeunes, et des dispositions sociales, fiscales et juridiques afin de développer le cadre sociétaire par rapport çà l'exploitation individuelle familiale. À l'occasion du grand rassemblement organisé, jeudi 24 novembre à Paris, dans les jardins des Tuileries, par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et le Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA) auquel sont invités les députés, Luc Guyau, président de la FNSEA explique les positions de son organisation sur ce texte.
Le Monde : Une loi de modernisation de l'agriculture vient en discussion au Parlement. Quelle est votre réaction ?
Luc Guyau : C'est le moment crucial pour poser deux questions-clés : le gouvernement est-il capable de réaliser la politique qu'il préconise ? Sa parole reflète-t-elle sa volonté profonde ? La réponse est imminente car le débat dévoilera enfin la véritable ambition du gouvernement pour notre agriculture. C'est un test, grandeur nature, de sa détermination.
Le Monde : Croyez-vous qu'Édouard Balladur et Jean Puech manquent de détermination ?
Luc Guyau : On est encore loin, du compte. L'agriculture est en pleine révolution : en 1992, l'Europe a demandé une politique qui fonctionnait depuis trente ans. Et les premiers effets de l'accord du GATT conclu l'hiver dernier sont attendus pour 1995. Vous voyez le bouleversement ! Il faut anticiper et mettre, sans attendre, la France en position de force par rapport à ses concurrents. Une loi de modernisation s'impose, à condition qu'elle soit ambitieuse et avisée.
Le Monde : Le projet, tel qu'il a été adopté au Conseil des ministres, a quand même de la consistance…
Luc Guyau : Dans sa formulation actuelle, c'est vrai, le texte a du bon. Je pense, par exemple, aux nouvelles commissions départementales qui doivent permettre d'orienter durablement l'agriculture de chaque département. Et le projet reprend la double ambition du syndicalisme : des entreprises performantes, un territoire partout vivant et équilibré.
La réduction des charges
Le Monde : Alors, que lui reprochez-vous ?
Luc Guyau : Depuis la mise en chantier de la loi de modernisation, au printemps, le gouvernement a oublié ce qu'il appelait sa "première priorité" : la réduction des charges. C'est pourtant sur cet aspect qu'on verra concrètement s'il a la volonté d'agir en faveur du secteur agricole.
Le Monde : Que voulez-vous dire par "les charges" ?
Luc Guyau : J'insiste sur l'impôt foncier non bâti. Les agriculteurs français paient deux fois plus d'impôts foncier que la moyenne de leurs concurrents européens. Cela représente 5 % de notre valeur ajoutée. Il faut que ce handicap soit levé. Nous demandons ainsi que le revenu du capital (bâtiments, biens fonciers, machines) ne soient plus inclus dans l'assiette de nos cotisations sociales. Pour la plupart des entreprises, les charges sociales se portent que sur le revenu du travail, mais ce n'est pas le cas pour les entreprises "individuelles" (par opposition aux sociétés de capitaux). La loi agricole ne peut tout de même pas pénaliser le statut de l'entreprise individuelle ! C'est ce statut, en effet, qui permet à la France d'avoir des entreprises agricoles responsables dans un milieu rural animé et vivant, et non une industrie de la production agricole, concentrée sur un petit cinquième du territoire national !
Le Monde : Dans un pays où le nombre d'installations de jeunes agriculteurs diminue d'année en année…
Luc Guyau : C'est un problème très grave. Toutes les douze minutes, une exploitation agricole disparaît. C'est pourquoi nos demandes sont simples et précises : les meilleures retraites – cette revendication se justifie d'elle-même quand on connait le montant de ces pensions – des incitations publiques à l'installation des jeunes, une politique de préretraite dynamique. Il faut tout faire pour assurer le renouvellement des générations.
Le Monde : Le revenu agricole a tout de même progressé de 11,5 % en 1994…
Luc Guyau : Je ne conteste pas. Pour la première fois en quatre ans, le revenu agricole a enregistré une hausse. Il faut soutenir activement cette reprise. Pas question que cette hausse soit le point de départ d'une nouvelle baisse pendant trois ans. Voilà pourquoi la loi de modernisation doit agir en profondeur sur les charges des exploitations.
Le Monde : Pourquoi manifestez-vous depuis deux jours ?
Luc Guyau : Il faut que le gouvernement et la majorité parlementaire nous entendent. Ce sont des manifestations pacifiques mais légitimes. Nous rappellerons aux parlementaires que la décision est entre leurs mains. Et que les agriculteurs sont à l'écoute.