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Le Progrès - 5 octobre 1998
Q - A un mois de la rentrée, dans l'Eure, un collège vient déjà d'être fermé pour cause de violence. Pourquoi n'arrive-t-on toujours pas à maîtriser ces phénomènes qui pourrissent la vie de certains établissements scolaires ?
Ségolène Royal. - Aujourd'hui, on en parle beaucoup plus qu'avant. Autrefois, un recteur aurait hésité à faire fermer un collège pour des faits de violence. Mais j'ai dit la nécessiter de réagir très vite lors de tels phénomènes. En fermant un établissement, on crée un électrochoc et on peut repartir sur de nouvelles bases. Il manquait un certain nombre d'encadrants dans ce collège, le recteur les a nommés. Mais il y a des collèges qui bénéficient de tous les moyens et qui sont pourtant en situation de violence.
Donc, je crois que cela dépend aussi du chef d'établissement. Il doit redynamiser son équipe de direction, se sentir épaulé, conforté. Lundi 12 octobre, lors de la réunion du Conseil Interministériel de la Sécurité avec le Premier ministre, je vais annoncer la diffusion d'un guide très pratique pour les chefs d'établissements. Il est en chantier depuis six mois et il va dire que faire concrètement face à la violence verbale, aux coups et blessures. Il y est question de coopération avec la justice, la police, la gendarmerie pour que chacun assume ses responsabilités. Le renforcement de l'éducation civique a aussi pour objectif de faire comprendre aux élèves qu'il il y a un certain nombre de règles de comportement à suivre.
Q - Le chef d'établissement est donc l'homme fort de la situation ?
Ségolène Royal. - Oh oui. Je pense qu'il a un rôle capital et autour de lui l'équipe de direction, adjoint, conseiller principal d'éducation, professeurs principaux. Les enseignants peuvent s'investir dans cette fonction de civilité des collèges, quelque soit leur matière.
Q - Vous venez à Lyon pour lancer une campagne nationale anti-racket dans les collèges. Cette forme de délinquance, plus sournoise, moins visible, s'est elle aggravée plus particulièrement ?
Ségolène Royal. - Oui, elle s'est aggravée, et surtout l'âge des auteurs a à tendance à baisser. Il est temps de réagir. J'ai choisi Lyon parce que c'est à Lyon qu'un lycéen avait trouvé la mort dans une action de racket (NDLR : en décembre 97, un lycéen de Saint-Priest, attaqué par trois racketteurs près d'une station de métro à Vénissieux, avait succombé aux coups qu'il avait reçu). C'est à partir de ce fait que j'ai conçu cette campagne de lutte contre le racket. Je viens sur le terrain des collèges pour participer justement à une réunion de chefs d'établissements qui se sont engagés dans une telle action. Ils vont m'apprendre ce qui se met en place et qui correspond à l'impulsion nationale que j'entends donner.
Dans cette campagne, c'est la première fois que l'on va s'adresser aux élèves et aux adultes. Aux élèves, pour leur dire, si vous parlez du racket, ce n'est pas de la délation, vous n'êtes ni lâches, ni rapporteurs. Les jeunes ont peur des mesures de rétorsion, je veux leur dire : en parlant, vous protégez d'autres victimes. Cela peut déclencher chez eux la prise de parole. Je dis aux adultes, le racket, c'est quelque chose de très grave, de traumatisant, qui laisse des traces. Trop souvent les adultes ferment les yeux parce que c'est entre élèves… Dans le dépliant distribué dans les collèges, je rappelle aux adultes qu'il y a dans la loi, dans le code pénal, des peines pour le vol avec violence, pour l'extorsion, des peines de 5 à 7 ans d'emprisonnement et de 500 à 700 000 francs d'amende. Pour les élèves, il faut être dans une démarche éducative et revenir en aide à la victime, qu'elle puisse trouver des adultes à qui parler.
Q - En plus des dépliants, il y a un numéro vert « SOS Violences », c'est un signe fort, mais beaucoup pensent que la solution passe aussi par l'affectation de personnels supplémentaires.
Ségolène Royal. - Lorsqu'il y a des collèges avec beaucoup d'élèves, plus de 1 000 élèves par exemple, et peu de personnels dans les cours de récréation et dans les cantines, il est vrai que cela suscite des phénomènes d'anarchie ou de violence. C'est la raison pour laquelle avec Claude Allègre, nous avons décidé de renforcer le nombre d'aides-éducateurs, 10 000 de plus dans les écoles et 10 000 de plus dans les collèges, et surtout dans les collèges où il y a des phénomènes de violence. Nous créons aussi plus de 400 postes de personnels médico-sociaux, infirmières, assistantes sociales : ce sont des personnes qui peuvent jouer aussi un rôle considérable pour l'amélioration de l'ambiance dans les établissements scolaires.
Le Progrès - 6 octobre 1998
Q - Du 12 au 17 octobre, à votre initiative, se déroulera la « Semaine des parents à l'école ». Qu'en attendez-vous ?
Ségolène Royal. - D'abord une mise en valeur de ce qui est déjà fait dans de nombreuses écoles en direction des parents. Par exemple, dans l'Oise, j'ai vu une maîtresse qui avait fait filmer par une aide éducatrice toute une journée de classe en maternelle et qui montrait la vidéo aux parents, avec un vrai dialogue. Pour les parents, c'est très mystérieux une journée d'école. Ensuite, dans les écoles où il ne se passe que peu d'initiatives, je souhaite que durant cette semaine soit conçu un projet de partenariat avec les parents autour de l'intérêt de l'enfant.
Mon rôle est de dire que le temps est passé de la méfiance réciproque. D'un côté les enseignants n'aimaient pas trop que les parents viennent et inversement, les parents se retenaient de dire des choses car ils se sentaient jugés. Or, je considère qu'aujourd'hui, c'est plus difficile d'élever des enfants parce qu'ils sont sollicités de toute part. Ils vivent la déstructuration des familles, la perte des points de repère, la violence, les images dures de la télévision, etc. Dans ces conditions, l'école a besoin de forger un nouveau partenariat avec l'ensemble des adultes qui sont chargés de l'éducation des enfants, au premier desquels les familles.
Q - C'est une boutade : on dit que les enseignants ne voudraient instruire que des orphelins. Beaucoup ne voient pas d'un bon oeil l'implication des parents dans le système éducatif. Quel est votre message vis-à-vis de ces enseignants ?
Ségolène Royal. - Je veux leur dire que l'école a besoin des parents et que c'est de l'intérêt même des enseignants d'établir ce partenariat pour être soutenu dans leurs efforts. Pour toutes les questions liées à l'éducation civique et citoyenne, l'apprentissage de la politesse par exemple, le respect des autres, on a besoin du relais des parents, pour jouer un rôle décisif sur la qualité de l'enseignement, de l'ambiance qui règne dans les classes, et donc des conditions de travail. Ce n'est pas une action à sens unique. Je dis aux enseignants : ouvrez les portes de l'école, vous y avez intérêt et il n'y a aucun risque à cela. Les collèges et les écoles qui l'ont pratiqué on fait reculer les incivilités parfois de façon radicale. Et je dis aux parents : vous devez assumer vos responsabilités. Je leur dis encore : il ne faut pas parler seulement des problèmes mais aussi de ce qui va bien dans l'école. Car, du côté des parents, on les entend surtout quand il y a quelque chose qui ne va pas. Il y a un pas à accomplir les uns envers les autres pendant cette semaine qui est un temps fort pour faire ou préparer des actions de partenariat.
Q - Parole, respect mutuel et liberté sont cette année, les grands axes du plan « Initiatives Citoyennes » qui débutera du 19 au 24 octobre. Quel bilan tirez-vous du plan de l'année dernière ?
Ségolène Royal. - Un bilan très positif. Ce qui me frappe c'est la rapidité avec laquelle les idées évoluent. Quand j'ai lancé les Initiatives Citoyennes, dans certains endroits, on a ricané. On m'a même dit que je remettais en cause le fondement de la laïcité de l'école. Et il m'a fallu batailler, montrer que l'école avait la légitimité de s'occuper des valeurs de la morale républicaine, afin d'améliorer le fonctionnement des classes, de faire régner la sérénité et de former les citoyens de demain. Aujourd'hui, ce que j'observe, c'est que les Initiatives Citoyennes s'étendent, et seuls les établissements qui ne font rien se sentent mal à l'aise. Cela, c'est un retournement de situation… La semaine n'est pas une fin en soi, elle est conçue comme un point de départ par rapport à des projets.