Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'environnement, sur la protection internationale du Rhin, Berne le 8 décembre 1994.

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Circonstance : 11ème conférence des ministres de l'environnement des pays riverains du Rhin (commission internationale pour la protection du Rhin), à Berne le 8 décembre 1994

Texte intégral

Madame la Conseillère fédérale, 
Chers Collègues, 
Monsieur le Président de la Commission internationale pour la protection du Rhin,
Mesdames et Messieurs,

Aux yeux de la France, la coopération que les États riverains et l'Union européenne mènent pour redonner vie au Rhin est exemplaire par sa méthode, par ses résultats, par ses ambitions.

L'œuvre accomplie est vaste, long est le chemin qui reste à parcourir : il est bon de pouvoir faire le point de temps à autre. La Commission internationale pour la protection du Rhin est pleinement dans sa mission en nous proposant de le faire.

Je me réjouis de me trouver avec vous, au cœur d'un pays toujours soucieux de l'environnement des Alpes, qui me sont chères, au cœur de la Suisse toujours attentive à coopérer avec les États voisins et avec l'Union européenne pour protéger les fleuves et les lacs transfrontaliers. Nous n'oublions pas non plus que c'est à Berne que fut signée, il y a 32 ans, la convention qui a créé la CIPR.

À la fin des années cinquante, la cause du Rhin comme milieu de vie apparaissait perdue. Le fleuve avait payé cher l'honneur redoutable de traverser la plus puissante région industrielle du monde, d'être la première voie navigable de la planète.

Nos prédécesseurs ont su relever le défi. De fortes raisons, il est vrai, y poussaient. Elles valent d'ailleurs toujours aujourd'hui. J'en citerai deux :

– notre civilisation n'a pas le droit de renoncer à un patrimoine naturel de grande valeur ; 
– un tel sacrifice finirait d'ailleurs par se retourner contre l'économie elle-même.

Nos pays ont commencé par le plus urgent la dépollution industrielle et urbaine.

Certes, de toute façon, poussés par la nécessité, ils l'auraient fait, mais la création de la CIPR fut un stimulant puissant. Modeste par les moyens, cette organisation s'est révélée irremplaçable comme lieu d'échange d'informations, de confrontation des expériences, de coordination des programmes, de suivi des actions. Les résultats sont là : le rapport sur les substances prioritaires est éclairant. Mais, plus encore peut-être que les chiffres, le retour spontané du saumon témoigne d'une amélioration profonde.

Pourtant les épreuves n'ont pas manqué. La plus rude fut sans doute, comme l'a rappelé le Docteur Ruchay, Président de la CIPR, l'accident de la Schweizerhalle, dans l'entreprise SANDOZ, à la Toussaint 1986. Mais ce revers a été l'occasion de relancer les efforts de la CIPR avec le plan d'action Rhin. Les nouveaux objectifs, – eau potable, sédiments dépollués, saumon 2000, – sont clairs et cohérents. Ils ont mobilisé dans tout le bassin des énergies qui auraient pu fléchir.

Je tiens à dire que la France a eu à cœur de prendre toute sa part à la restauration du Rhin.

Elle considère qu'elle a une responsabilité particulière, car les eaux de la Lorraine et de l'Alsace s'écoulent vers les États voisins. Les programmes de l'agence de l'eau Rhin-Meuse sont un exemple pour le reste du territoire français.

Dans le même esprit, j'ai été heureux de signer en avril dernier avec les régions belges et les Pays-Bas les accords créant des commissions de même nature sur la Meuse et l'Escaut.

La France se réjouit donc que la Commission européenne, dans son projet de directive sur la qualité écologique des eaux, cite comme un modèle ce qui est entrepris sur le Rhin.

Qu'attend de nous en ce jour l'opinion publique ? Non pas un satisfecit, mais à mon sens, de répondre aux questions simples que se posent les habitants de la vallée du Rhin qui, de Constance à Rotterdam, sont les premiers artisans de l'action commune :

– l'acquis est-il durable ?
– doit-on faire plus ?
– comment ?

Je vais tenter d'y répondre.

1. L'acquis est-il durable ?

Non, dans le domaine de l'environnement, il n'y a pas de « fin de l'histoire ». La dépollution industrielle et urbaine n'est pas derrière nous. Relâcherions-nous notre vigilance, alors, très vite, nous ruinerions trois décennies d'efforts. Il faut parfaire l'assainissement, rénover les équipements, surveiller avec plus de rigueur encore les grands points de rejet.

Je sais que c'est continuer à exiger beaucoup d'industries confrontées à une concurrence toujours plus aiguë et de municipalités dont l'équilibre financier est difficile à maintenir. Mais avons-nous le choix ? Aux unes et aux autres, il faut rappeler sans cesse que la protection de la ressource en eau est un impératif.

2. Doit-on faire plus ?

Oui, une tâche nouvelle nous attend : la lutte contre la pollution diffuse. Ses effets sont maintenant bien connus. La CIPR a contribué à les identifier et à les évaluer. Nos agriculteurs sont très conscients du problème. Je puis vous dire en tout cas que, dans toute la France, la diffusion des « bonnes pratiques agricoles » ne se limite pas aux discours : c'est une action qui mobilise les organisations agricoles, les chambres d'agriculture, l'État, et pour laquelle nous avons une obligation de résultat.

Et les agriculteurs progresseront d'autant plus qu'ils sentiront que l'industrie et les communes poursuivent leurs efforts.

3. Comment y parvenir ?

Il me paraît indispensable que les riverains du Rhin et leurs élus aient une vision claire et concrète des priorités pour le court terme. Or, nous avons un cadre : la 3ème phase du plan d'action Rhin, qui couvre la période 1996-2000. Je considère que maintenir l'effort sur les pollutions concentrées et s'attaquer aux pollutions diffuses sont les priorités de cette 3ème phase.

Au-delà du plan d'action Rhin, nous devons nous fixer de nouveaux objectifs. C'est le but de la nouvelle convention discutée au sein de la CIPR. 
Le contenu est ambitieux : revivifier le fleuve. Ceci implique de ne pas se cantonner à la dépollution, aussi nécessaire soit-elle.

Éclairés par l'expérience, nous redécouvrons qu'il n'y a pas d'action durable pour la qualité des eaux qui ignore l'écosystème. C'est l'équilibre de l'écosystème qu'il faut rétablir.

Le champ d'action devra, dans l'avenir, dépasser le lit du fleuve Rhin pour embrasser le bassin tout entier, en y incluant les nappes souterraines. Au demeurant, cette conception n'a-t-elle pas été présente dès la naissance de la CIPR, puisque le Grand-Duché, pays non riverain du Rhin, a adhéré à l'organisation ?

L'équilibre de l'écosystème requiert que l'on s'intéresse à nouveau à la dynamique fluviale un fleuve vivant, c'est un fleuve qui respire, un fleuve dont les variations naturelles de débits n'ont pas été totalement écrêtées, un fleuve qui retrouve en partie ses champs d'inondation naturels. Sans doute devrons-nous réviser des conceptions anciennes, mais c'est une condition du succès.

Pour la France, refaire du Rhin un milieu vivant est une nécessité, et non un luxe. Elle implique une triple action :

– lutter contre les pollutions ponctuelles,
– lutter contre les pollutions diffuses,
– rétablir l'équilibre de l'écosystème.

Ces trois actions sont nécessaires et complémentaires.

L'ampleur de la tâche rend plus utile encore notre commission du Rhin. Mais, pour ne pas décliner, une institution doit se renouveler régulièrement : j'approuve donc le principe d'une nouvelle convention, comme ses modalités.

Elle traduit l'engagement de nos pays, malgré l'ampleur des défis qui nous attendent en Europe centrale et orientale, à ne pas relâcher l'effort à l'Ouest, mais au contraire à l'intensifier.

N'ignorons pas cependant l'expérience acquise dans le fonctionnement de l'actuelle convention : le mode de décision par consensus, adapté à des membres peu nombreux et se connaissant bien, a fait la preuve de son efficacité : il ne m'apparaît pas utile de compliquer les choses.

Le caractère intergouvernemental de la Commission impose d'autre part que les instances délibératives soient réservées aux seuls représentants des États. Mais il est clair que la CIPR doit s'ouvrir sur l'extérieur. Les organisations non gouvernementales jouent un rôle déterminant dans la protection de l'environnement : leur avis doit être recueilli et elles doivent être informées de ce que nous faisons. Je suis partisan d'un dialogue plus régulier et plus organisé entre les ONG et la CIPR.

Bien entendu, ce dialogue doit s'ouvrir aussi aux communes, départements, régions, cantons, Länder, provinces qui sont les premiers financeurs de nos projets.


Mesdames et Messieurs,

Le Rhin est plus encore qu'un patrimoine naturel de premier plan, plus qu'une artère économique exceptionnelle, plus même qu'une communauté humaine active et unie par-delà les différences de langues et de nationalités.

Le bassin du Rhin, bordé par Maastricht, vieille cité romaine, par Aix-La-Chapelle, capitale carolingienne, ce bassin où naquirent Conrad Adenauer et Robert Schumann, où se rencontrent les cultures germaniques et latine, ce bassin semé d'universités prestigieuses est le cœur vivant de l'Europe, d'une Europe qui, au-delà des différences institutionnelles, nous rassemble tous et à laquelle chacun de nos pays a tant apporté.

L'engagement de nos pays à poursuivre leurs efforts sur ce grand fleuve est donc porteur d'un grand espoir pour les peuples d'Europe, et je vous remercie, madame la Conseillère fédérale, de nous avoir réunis ici aujourd'hui pour cette Conférence.