Déclaration de M. Edmond Alphandéry, ministre de l'économie, le 6 décembre 1993, publiée dans INC-Hebdo de juillet 1994, sur la maîtrise des dépenses de santé, la responsabilisation et l'information des patients et des praticiens.

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Circonstance : Journées du droit de la consommation les 6 et 7 décembre 1993, organisées par l'Institut national de la consommation

Média : INC Hebdo

Texte intégral

Madame la Présidente,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs,

Vous avez choisi à l'occasion de ces VIIIe Journées du droit de la consommation de traiter de l'avenir des relations entre patients et médecins.

Je ne puis que vous féliciter de ce choix. Il est particulièrement opportun. En effet, la santé prend une part croissante dans les préoccupations des Français : deux raisons : d'abord les coûts qu'elle engendre pour la collectivité ensuite, l'espoir d'une vie plus longue et meilleure grâce au progrès médical.

Dans cette double perspective, il me semble que plusieurs questions se posent. Vos travaux vont les aborder et contribuer au dialogue entre les organisations de consommateurs et celles représentatives du corps médical.

Ce dialogue me paraît en effet indispensable pour qu'une évolution puisse se produire dans les relations entre patients et médecins. Je citerai notamment l'information du patient sur les affections dont il peut être atteint, sur les thérapies disponibles, leurs avantages et leurs inconvénients. Je citerai aussi l'information sur le coût des traitements médicamenteux ou chirurgicaux, les risques qu'ils impliquent, l'indemnisation des victimes éventuelles. Je mentionnerai enfin les problèmes posés par le respect du secret médical…

À mon sens, toute réflexion en ce domaine doit tenir compte d'une donnée : les Français sont avides d'informations sur tout ce qui touche la santé. Cette réflexion doit aussi intégrer une nécessité : il faut davantage de transparence et de responsabilité dans les relations entre le corps médical et les patients.

Je souhaiterais étayer et approfondir ces éléments.

1. Quelques mots, tout d'abord, quant à la part croissante prise par les problèmes de santé dans les préoccupations de nos concitoyens.

Cet intérêt apparaît par exemple dans les succès qu'enregistrent la presse grand public qui s'est spécialisée dans la santé. Il est visible aussi dans le succès des émissions de télévision ou de radio sur ces sujets.

Cet engouement n'est certes pas sans poser quelques problèmes. Nombre de consommateurs se font en effet "piéger" par les publicités vantant les mérites de produits ou de méthodes "miracles". Vous savez d'ailleurs que le Conseil National de la Consommation a créé un groupe de travail pour réfléchir à ce problème. Je m'en félicite.

Mais des données sont encore plus "parlantes" que des réflexions théoriques. À cet égard, je note les sommes croissantes, que les Français consacrent à la protection ou au rétablissement de leur état de santé.

Dois-je rappeler, que la part de la consommation médicale dans les dépenses globales des ménages est passée de 8,7 % en 1970 à 11,1 % en 1980, pour atteindre 12,2 % en 1992 !

L'évolution des techniques médicales risque d'accroître encore ces coûts. Il faut aussi ajouter la charge que représente les accidents thérapeutiques. Les affaires du sang contaminé et de l'hormone de croissance sont révélateurs à cet égard.

En résumé, on ne peut que se sentir concerné. Il n'y a évidemment rien d'anormal en soi à ce que dans une société très développée, la santé représente une part croissante des dépenses des ménages. Ceci reflète un choix de société. Mais, il serait irresponsable de penser que ce développement peut se faire sans que personne n'ait à en supporter le coût. De même qu'il serait déraisonnable de laisser croire à nos compatriotes que le système de santé peut vivre si chacun se comporte en "passager clandestin". Consacrer d'importantes ressources à la couverture des dépenses de santé est un choix, un choix nécessaire, mais un choix qui doit être assumé dans la transparence.

Or, les données objectives accessibles et incontestables font encore largement défaut. C'est le cas dans le domaine de l'information vulgarisée sur la santé. C'est également le cas dans celui de la prise de conscience de son coût.

Il faut qu'évoluent les mentalités. Des affirmations comme "la santé doit être affaire de spécialistes", "la santé n'a pas de prix" sont certainement dépassées.

Je souhaite que vos travaux trouvent un prolongement dans ceux menés par le Conseil National de la Consommation. C'est pourquoi, j'ai décidé d'instituer un groupe de travail du CNC sur ces sujets. Je suis persuadé qu'il contribuera à accroître la transparence et la responsabilité de tous les intervenants.

2. J'en viens à mon second point. Il me paraît indispensable que professionnels de la santé et organisations de consommateurs coopèrent. Leur objectif doit être de développer la transparence et la responsabilité à tous les niveaux et pour tous les partenaires.

Car nous le savons bien, c'est le défaut de transparence qui ouvre les portes à l'excès de recours au système médical et hospitalier. C'est lui qui ouvre les portes à l'excès de prescription. C'est lui enfin qui ouvre grand les portes à l'intervention des faiseurs de miracles, des méthodes thérapeutiques parallèles. Il ne faut plus jouer au sorcier : le consommateur-patient doit être considéré comme un partenaire responsable.

Cette transparence est nécessaire à l'exercice de leurs responsabilités par tous les partenaires socioéconomiques. Elle doit intervenir à chacun des stades des relations entre les patients et les professionnels de santé.

Il faut surmonter les obstacles "naturels" à cette transparence, en particulier ceux qui résultent du double constat suivant : d'une part, les prescripteurs ne sont généralement pas directement concernés par les dépenses qu'ils engendrent. La maîtrise médicalisée de ces dépenses prévues par la convention médicale constitue donc un progrès majeur sur ce point ; d'autre part, une majorité de consommateurs, malgré la révision des taux de remboursement, restent encore largement insensibles aux dépenses de santé. Elles sont en effet prises en charge par les régimes obligatoires et par les systèmes complémentaires de protection sociale.

Il faut donc que s'ouvre le dialogue entre les organisations de consommateurs et les syndicats médicaux. Ce dialogue doit porter sur la question des tarifs et des coûts de la santé. Il doit porter aussi sur les moyens de responsabiliser chacun des acteurs. Il doit enfin concerner les explications à fournir au patient sur la pathologie, la thérapie, les risques médicaux.

Bien évidemment, l'information dans la transparence ne doit pas aboutir à la remise en cause du secret médical. Mais le secret médical ne doit pas être entendu comme l'absence complète d'information. Meilleures seront les relations patients-médecins, moins sera mis en cause le secret médical. Il faut fonctionner dans la transparence. Il faut valoriser la responsabilité économique.

Ce n'est qu'à cette condition que chacun pourra assumer l'ensemble de ses responsabilités dans la santé de demain.

Ces responsabilités ont bien évidemment plusieurs facettes.

Responsabilité des organisations de consommateurs dans la qualité des informations qu'elles assurent sur les problèmes de santé : ces informations doivent se développer pour mieux éclairer les Français. J'insiste toutefois sur le contrôle préalable avant leur diffusion.

Responsabilité encore de ces organisations pour ouvrir le dialogue avec les professions concernées. Il doit intervenir avec les professions médicales et avec les entreprises opérant dans ce secteur. Il doit s'inscrire dans le cadre d'une coopération constructive qui implique le respect de la déontologie de chacun. J'insiste sur la nécessité de préserver tant l'indépendance des organisations de consommateurs que le secret médical.

Responsabilité de ces organisations dans l'éducation du consommateur. Le consommateur doit apprendre à distinguer méthodes charlatanesques et thérapies véritables. Il doit aussi prendre conscience des coûts de la santé, même s'il n'en supporte directement qu'une faible part.

Responsabilité également du corps médical dans l'évaluation des risques thérapeutiques, dans le respect du secret médical, mais aussi dans la qualité de l'information qu'il doit dispenser.

Responsabilité du corps médical dans sa prise de conscience du coût que représentent pour la collectivité les dépenses de santé. Leur maîtrise ne signifie nullement une médecine au rabais, mais seulement adéquation entre les moyens financiers et les moyens techniques.

Responsabilité enfin du corps médical, pour éviter l'exclusion du système de santé des plus démunis. Cette exclusion risque d'intervenir si l'explosion des dépenses se poursuit. La médecine libérale comme hospitalière doit en prendre conscience.

Mesdames et Messieurs, l'évolution de la santé publique vers une meilleure prévention et des thérapies efficaces est justifiée. Je sais la préoccupation de nos concitoyens sur ce point. Elle passe nécessairement par des relations entre les patients et médecins empreintes de transparence et de responsabilité.

Longtemps ces problèmes ont été quasiment passés sous silence. Une partie du corps médical ne souhaitait pas en parler. Une autre partie limitait la discussion au seul corps médical. Les organisations de consommateurs de leur côté n'en parlaient pas assez et en cercles trop fermés.

Que ces journées du droit de la consommation permettent une réflexion et un dialogue sur ce sujet est donc très positif.

Je suis convaincu que ces VIIIe Journées du droit de la Consommation contribueront grandement à clarifier et à améliorer en ces domaines la situation actuelle, en tout cas à ouvrir des voies.

Au-delà, je pense que ces sujets devraient être une préoccupation majeure des mouvements de consommateurs dans les prochaines années. C'est pourquoi, Madame la Présidente, Monsieur le Directeur, Mesdames, Messieurs, tous mes vœux accompagnent vos travaux, que j'ai été heureux de pouvoir ouvrir.

Je vous remercie.