Point de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, à Madrid le 9 janvier 1995, interviews accordées à la presse, à RTL et à Europe 1 le 10, sur les objectifs de la présidence française de l'Union européenne et la position française sur la situation en Algérie et en Tchétchénie.

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Circonstance : Voyage de M. Juppé à Madrid (Espagne) dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, le 9 janvier 1995

Média : EFE - RTL - Europe 1

Texte intégral

Point de presse du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à la résidence de France à Madrid (Madrid, 9 janvier 1995)

Comme je l'ai indiqué tout à l'heure lors de notre première rencontre au ministère des affaires extérieures, j'ai exposé à M. Solana les priorités de la Présidence française de l'Union européenne. Je viens de le faire également devant M. Felipe Gonzalez, qui a bien voulu nous recevoir, Alain Lamassoure et moi-même. Nous avons également échangé quelques vues sur la future architecture de l'Union européenne, lorsqu'elle sera élargie, et sur la préparation de la conférence intergouvernementale de 1996. Nous avons constaté notre désir commun d'y travailler ensemble dès les prochains mois de manière à bien coordonner les travaux de la présidence française et de la présidence espagnole. Beaucoup de questions se posent naturellement. Il n'est pas question de les résoudre aujourd'hui, ce sera un processus qui va durer tout au long de l'année 1995, mais nous sommes tombés d'accord pour dire que la conférence intergouvernementale de 1996, compte tenu de sa complexité, devait être préparée activement dès les prochains mois et c'est ce que nous allons nous employer à faire. Plutôt que de poursuivre cet exposé que j'ai pratiquement fait tout à l'heure, je pense qu'il serait plus utile que M. Lamassoure et moi-même répondions maintenant si vous le souhaitiez aux questions complémentaires que ce que nous avons déjà dit aurait pour vous inspirer.

Q. : En ce qui concerne la politique méditerranéenne en général, je voudrais savoir – étant donné qu'apparemment les points de vue espagnols et les points de vue français ne sont pas tout à fait les mêmes, en particulier s'agissant de la politique vis-à-vis de l'Algérie et même en ce qui concerne la préparation de la conférence de Barcelone il y a quelques divergences – nous voudrions donc savoir comment vous voyez ces deux positions, Messieurs les ministres, et comment vous pensez que l'Union européenne pourrait avoir une position globale compte tenu de ces conceptions différentes de la part de ces deux pays ?

R. : En ce qui concerne la préparation de la conférence de Barcelone, je ne vois pas en l'état actuel des choses de différences entre la France et l'Espagne. M. Solana m'a expliqué quels étaient les quatre grands axes de réflexion de la diplomatie espagnole. Je les rappelle rapidement. La coopération économique et financière, le dialogue politique, la stabilité et également les aspects culturels et de civilisation. Nous sommes parfaitement d'accord sur cette approche et nous allons essayer d'approfondir ensemble ces différents thèmes. Je crois qu'il ne sera pas non plus difficile de définir une position commune à quinze. Les pays du nord de l'Union européenne sont parfaitement conscients que, tout en continuant une politique de rapprochement avec l'Europe centrale, il est nécessaire d'avoir aussi une ouverture sur la Méditerranée. Je ne vois donc pas là de difficulté.

En ce qui concerne l'Algérie, on dit qu'il y a des différences ou des divergences de sensibilités, je crois que cela provient en grande partie du fait que l'on caricature souvent la politique de la France. Quand je lis, ici ou là, certaines analyses, je constate que nous sommes considérés comme le soutien inconditionnel de tel ou tel gouvernement ou régime. Ce n'est pas ce que nous avons dit depuis deux ans. Quelle est notre ligne vis-à-vis de l'Algérie ? D'abord, nous insistons fortement sur l'idée que c'est aux Algériens de décider de leur destin. Ce n'est pas à la France de décider. Nous ne sommes plus avant 1962, on a parfois tendance à l'oublier ici ou là, autour de la Méditerranée, au sud comme au nord d'ailleurs. Deuxième réflexion, nous condamnons la violence et le terrorisme, et, je l'ai dit à plusieurs reprises, d'où qu'il vienne, car il y a une violence terroriste et il y a parfois une violence répressive qui ne permet pas d'avancer vers une solution. Troisième élément de la position française, M. Balladur l'a rappelé très explicitement il y a quelques jours encore, nous appelons au dialogue. C'est moi même qui ai dit, je crois, au mois d'août 1993, ça remonte à un an et demi, le statu-quo n'est pas tenable, il faut donc évoluer par le dialogue, avec les forces démocratiques de façon à préparer de vraies élections. Je reconnais que la difficulté est de savoir où sont les forces démocratiques. Est-ce qu'elles sont prêtes à s'organiser, à s'unifier, à proposer un projet politique qui soit de nature à convenir au peuple algérien. C'est là la difficulté. En tout cas c'est notre politique. Et enfin, dernier élément de la position française, c'est peut-être là-dessus que l'on nous fait parfois des procès d'intention, c'est l'aide économique et financière. Nous pensons qu'il faut continuer à aider, sur le plan économique et financier, l'Algérie et le peuple algérien. Et je voudrais faire remarquer que dans ce domaine, la France n'est pas seule. C'est l'Union européenne qui a pris cette position, c'est le Fonds monétaire international, c'est le G7. Il y a donc là une approche commune qui repose sur la conviction que couper les vivres à l'Algérie, ce serait précipiter ce pays dans le chaos. Qui a intérêt à ce que l'Algérie sombre dans le chaos ? Quand on rappelle bien quelle est la position de la France, je ne crois pas que les divergences soient aussi fortes qu'on veuille bien le dire ici ou là.

Q. : Pardonnez-moi d'insister sur l'Algérie mais c'est une question très importante aussi bien pour la France que pour l'Espagne. Vous avez dit que finalement il n'y a pas de divergences entre la France et l'Espagne, mais tout à l'heure quand même lorsque le ministre espagnol parlait de la position de l'Espagne en ce qui concerne le dialogue entre les forces algériennes, il envisageait les élections pour l'année 1995, ce qui fait d'ailleurs partie du projet du Président algérien. Je voudrais savoir si vous pensez que des élections sont viables dès 1995 ? Vous avez dit d'autre part qu'il faut savoir où se trouvent les forces démocratiques algériennes. Est-ce que vous considérez que le FIS fait partie de ces forces démocratiques ? Est-ce que c'est, pour vous, une force démocratique ? Et, dès lors le FIS, peut-il selon vous faire partie d'un groupement des forces démocratiques avec lesquelles l'on pourrait instaurer un dialogue ?

R. : Sur le premier point, il ne m'appartient pas de fixer la date des élections. C'est aux autorités algériennes et aux forces politiques algériennes de voir à quel moment les conditions d'une véritable consultation seront réunies. Je pense qu'il ne faut pas trop tarder car il y a urgence, on le voit bien. Sur le deuxième point, il y a pour moi un critère tout à fait simple : qu'est-ce qu'une force démocratique ? C'est une force qui récuse clairement la violence et le terrorisme. À partir du moment où il y a, sur ce point, une position claire et constante, on peut considérer que l'on a à faire à une force démocratique et j'ajouterai qu'une force démocratique accepte aussi les principes de base de la démocratie. À partir du moment où ces choses-là sont claires, il appartiendra alors aux Algériens de savoir avec qui l'on discute. Ce n'est pas à moi d'en décider.

Q. : Monsieur le ministre, lors de votre rencontre tout à l'heure avec la presse, je vous avais demandé, puisque vous alliez rencontrer le Président Gonzalez, si vous alliez voir avec lui si la situation espagnole risquerait d'avoir une incidence sur la coordination des présidences française et espagnole. Vous m'aviez dit que vous n'aviez pas envisagé d'aborder ce genre de sujet. Mais, maintenant que vous avez rencontré le Président Gonzalez, est-ce que vous pouvez me dire si vous en avez parlé ?

R. : Je salue votre persévérance, mais ma réponse sera la même que tout à l'heure, et en tout cas je ne pense pas qu'il y ait le moindre problème pour la coordination de nos deux présidences.


Propos du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à la presse, à l'issue de son entretien avec le ministre des affaires étrangères espagnol, M. Javier Solana (Madrid, 9 janvier 1995)

M. Solana : Mesdames, Messieurs, bonsoir.

Je voudrais souhaiter la bienvenue au ministre français des affaires étrangères qui effectue une visite en Espagne. Ce n'est pas son premier voyage dans notre pays, mais il effectue aujourd'hui cette visite dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne. Je tiens à le remercier ainsi que l'ensemble de ses collaborateurs pour la fructueuse réunion que nous venons d'avoir. Nous avons, essentiellement, abordé trois thèmes : les objectifs de la présidence française, dont M. Juppé pourra vous informer, la coordination des présidences française et espagnole, dont nous sommes convaincus qu'elle pourra bénéficier non seulement à la France et à l'Espagne mais aussi à l'ensemble de l'Union européenne et, en troisième lieu, quelques-unes des questions d'actualité internationale.

Ce que je voudrais dire à l'occasion de cette très brève introduction c'est que nous partageons avec la France une vision de la construction européenne, non seulement pour aujourd'hui, mais aussi s'agissant des perspectives d'avenir de la construction européenne. Dès lors, je suis convaincu comme je le disais précédemment que le travail conjoint et combiné que nous allons entreprendre tout au long de l'année 1995 s'avérera bénéfique pour la construction européenne.

M. Juppé : Je voudrais, à mon tour, dire combien je suis heureux d'être ici et remercier MM. Solana et Westendorp de l'accueil qu'ils ont réservé à Alain Lamassoure et à moi-même. Je suis venu dans le cadre des tournées qu'effectue la présidence française dans les différents États membres de l'Union européenne. C'est, ici, mon premier déplacement de l'année 1995 et je me permets de présenter à nos collègues espagnols tous nos vœux pour l'année qui commence. Nous souhaitons, en France, coordonner très étroitement notre présidence, qui va durer pendant les six premiers mois de 1995, avec la présidence espagnole qui lui succédera, et cela me paraît être nécessaire pour l'efficacité du travail de l'Union européenne. Cela me paraît d'autant plus nécessaire que sur bien des problèmes nous avons des vues communes que nous allons essayer de renforcer dans la continuité nécessaire.

Quelles seront les grandes priorités de la présidence française ? La présidence française se fixe cinq grandes priorités. Je les citerai rapidement car je n'ai pas ici le temps de les développer :

Tout d'abord, tout ce qui a trait à la croissance et à l'emploi dans l'Union européenne et, à ce titre, nous allons nous attacher à faire démarrer quelques-uns des grands projets d'infrastructures qui ont été retenus et qui intéressent aussi bien l'Espagne que la France.

Le second grand thème, c'est la sécurité en Europe et vous savez que la Conférence sur la stabilité en Europe se terminera au mois de mars ; ce sera l'un des thèmes forts de cette action en faveur de la stabilité du continent.

Troisième priorité, tout ce qui a trait à la dimension méditerranéenne. Nous préparerons ensemble, à la fois le Forum méditerranéen, qui doit se tenir en France au premier semestre et la conférence euro-méditerranéenne que l'Espagne organisera au second semestre. La quatrième priorité, ce sera la culture et l'audiovisuel pour remettre à jour la directive télévision sans frontière.

Enfin, les questions sociales. Nous souhaitons ouvrir un débat entre les États membres sur des sujets comme le dialogue social ou la protection sociale et son financement dans les différents États membres.

Je terminerai enfin en disant que nous travaillerons ensemble bien entendu à la préparation de la conférence intergouvernementale de 1996 et c'est sous présidence française que le Conseil européen établira le rapport qui est prévu sur le fonctionnement du Traité et c'est au tout début de la présidence espagnole que se mettra en place le groupe des représentants des ministres, qui sera chargé de préparer cette conférence. Et nous sommes convenus, M. Solana et moi, de rester en étroit contact et de travailler ensemble sur ces questions très sensibles et qui font, en ce moment, l'objet de beaucoup de réflexions dans nos pays.

Q. : Vous aurez sans doute, Messieurs les ministres, évoqués au cours de vos entretiens la question de l'Algérie. Je voudrais savoir si, les deux gouvernements espagnol et français, il y a les mêmes points de vue sur la façon de sortir de cette situation ?

R. : M. Solana : Pour ma part, je peux vous exposer la position espagnole, M. Juppé vous exposera la position française. L'Espagne nourrit une préoccupation croissante vis-à-vis de la situation en Algérie. Notre souhait est que, par un dialogue entre toutes les parties représentatives, on puisse avancer vers un processus électoral en 1995. C'est notre souhait et notre espoir.

M. Juppé : Vous connaissez la position française sur le drame que vit aujourd'hui l'Algérie. Tout d'abord, nous estimons que c'est aux Algériens de choisir eux-mêmes leur destin, et à personne d'autre. Ensuite, nous condamnons la violence d'où qu'elle vienne. Et, en troisième lieu, nous appelons au dialogue car c'est par le dialogue que pourra petit à petit émerger une solution démocratique, c'est-à-dire l'organisation d'élections permettant au peuple algérien de s'exprimer. Je terminerai en disant qu'il nous apparaît nécessaire que l'Union européenne et les instances internationales continuent à aider économiquement le peuple algérien, pour éviter le chaos qu'engendrerait une instabilité pour nous tous.

Q. : Sur les priorités de la présidence française et l'Amérique latine.

M. Juppé : Quand on essaie d'énumérer, en cinq minutes les priorités, la conséquence est que l'on ne peut pas tout dire, et il y a beaucoup de choses que je n'ai pas dites. Je n'ai pas parlé d'Europol et de bien d'autres sujets, et je n'ai pas parlé de l'Amérique latine qui pourtant sera l'un de nos axes de travail prioritaires. Nous souhaitons conclure l'accord avec le Mercosur. Nous souhaitons également que l'Union européenne manifeste une très grande ouverture vis-à-vis du Mexique. Vous voyez que ces sujets ne seront pas oubliés, tant s'en faut, lors de la présidence française.

Q. : Les développements de l'affaire du GAL en Espagne, vont-ils avoir une incidence sur la position française en matière de lutte anti-terroriste ? Deuxième question, après les élections qui se sont tenues en Allemagne au cours de la présidence allemande, est-ce que les prochaines élections en France ne vont pas détourner la France des questions européennes ?

M. Juppé : Sur le premier point, notre détermination à lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes n'est pas sujette à variation. Sur le deuxième point, l'Allemagne a montré qu'elle était parfaitement en mesure d'assurer sa présidence malgré ses échéances électorales, le sommet d'Essen a été un excellent sommet. Et je peux vous dire qu'il en sera de même pour la France et que toute la priorité nécessaire sera accordée à la présidence française de l'Union européenne.

Q. : (sur la Tchétchénie ?)

M. Solana : Nous en avons, c'est logique, parlé aujourd'hui, mais pas seulement car nous sommes, la France en sa qualité de Président et l'Espagne en sa qualité de membre de la troïka, en contact permanent sur cette question sur laquelle certaines initiatives de l'Union européenne ont été prises ensemble.

M. Juppé : La présidence française a déjà pris des initiatives dans les tout premiers jours de janvier à la suite de ce que d'ailleurs la présidence allemande avait déjà engagé. C'est ainsi que nous avons soutenu la démarche de la troïka de l'OSCE, qui a demandé à Moscou de recevoir un émissaire qui puisse examiner avec les autorités russes la situation. La troïka de l'Union européenne a fait une démarche dans le même sens. Cette démarche a été bien accueillie à Moscou. Et c'est demain qu'un haut fonctionnaire hongrois, au titre de la présidence de l'OSCE, se rendra sur place pour étudier les modalités d'une coopération avec les autorités russes. Nous avons dit à ce propos que la Tchétchénie faisant partie intégrante de la Russie, c'est à la Russie bien entendu de prendre ses responsabilités, mais nous avons également indiqué très clairement que la violence, l'affrontement, l'effusion de sang ne sauraient être admis comme des solutions valables et que nous invitions très fermement les autorités russes à engager le dialogue pour trouver une solution pacifique à ce conflit d'une extrême gravité.

Q. : Le conseil des ministres a-t-il lancé un avertissement à la Russie ?

M. Juppé : Non, le conseil des ministres n'a pris aucune décision dans ce sens.

Q. : (Inaudible).

M. Juppé : Sur le premier point, il y a une règle d'or au sein de l'Union européenne, c'est que chacun est maître chez soi, donc je n'ai pas de commentaire à faire sur la situation politique en Espagne. Je suis convaincu que notre coopération, qui est excellente, c'est le mot qui convient depuis deux ans en tout cas que j'exerce mes fonctions, continuera à être excellente au cours de nos présidences respectives.


Interview du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé à RTL et Europe 1 (Paris, 10 janvier 1995)

Q. : Après les discussions que vous avez eues avec les autorités espagnoles, y-a-t-il une position commune concernant l'Algérie et comment voyez-vous la réunion qui se tient ces jours-ci à Rome ?

R. : J'ai constaté en écoutant mon collègue espagnol à la suite de notre entretien que nos vues sur l'Algérie étaient très proches. Nous avons l'un et l'autre redit que c'est par le dialogue avec l'ensemble des composantes de la vie politique algérienne que l'on pouvait, petit à petit, réunir les conditions d'élections démocratiques. Or, c'est par des élections que le peuple algérien doit pouvoir choisir son destin. Sur ce plan-là, il y a je crois une très forte convergence entre l'Espagne et la France. Nous sommes également très soucieux de lutter avec détermination contre toutes les formes de terrorisme, et la France a montré qu'elle ne laisserait pas son territoire national devenir une sorte de base arrière du terrorisme international. Enfin, nous pensons nous, à Paris, que la Communauté internationale doit maintenir son aide économique et financière au peuple algérien, je dis bien la Communauté internationale, car cette aide est le fait de l'Union européenne, des institutions financières internationales comme le Fonds monétaire et puis des pays les plus industrialisés dans le cadre du G7. Ceci a d'ailleurs donné déjà quelques résultats encourageants puisque les réformes économiques qui ont été faites en Algérie ont permis d'améliorer la situation.

Quant au dialogue que vous évoquiez, je le répète, ce n'est pas à la France de se substituer aux initiatives des forces politiques algériennes, c'est à elles de voir comment elles peuvent organiser petit à petit ce dialogue.

Q. : Quelle coordination va-t-il y avoir avec l'Espagne sur la politique méditerranéenne de l'Europe ?

R. : Ce sera l'un des points forts à la fois de la présidence française et de la présidence espagnole. Nous avons beaucoup fait depuis plusieurs années en direction de l'Europe centrale et orientale, c'était nécessaire et il faut continuer bien entendu, mais comme le Président Delors l'a expliqué à plusieurs reprises, il y avait un déséquilibre très fort entre l'aide à l'Europe centrale et l'aide à l'Europe du sud, les pays méditerranéens. Or, il y a là aussi des enjeux très importants. Des enjeux économiques et aussi des enjeux de stabilité et de sécurité. Il faut donc augmenter l'effort en direction du sud, c'est ce que nous allons faire. Sous quelle forme ? Il y a d'abord des accords bilatéraux entre l'Union européenne et certains de ces pays à conclure. Nous sommes en cours de négociation avec le Maroc, avec la Tunisie, avec Israël ; il faudra négocier avec des pays comme l'Égypte et la Jordanie. En second lieu, il faut avoir une approche globale, et c'est dans cet esprit que nous avons préparé ensemble la conférence euro-méditerranéenne qui se tiendra à l'automne, qui réunira à la fois les pays de l'Union européenne et les pays associés du sud de la Méditerranée. Et puis, il faudra faire un effort financier qui permette de rééquilibrer un peu les choses entre l'Europe centrale et méditerranéenne.

Q. : Sur des projets plus précis, comme le TGV; en a-t-il été question aujourd'hui ?

R. : Oui, il en a été question aujourd'hui. Il en a été question aussi à Essen, je voudrais le rappeler, puisque la liste de ces grands projets d'infrastructure qui sont à la fois des projets autoroutiers et souvent des projets ferroviaires a été confirmé. Plusieurs de ces projets, concernent la France et l'Espagne, je pense en particulier au TGV Montpellier-Barcelone ou au projet Tours-Bordeaux-Madrid. Maintenant, il faut passer aux travaux pratiques : d'abord, lancer concrètement ces projets. Pour certains les études sont déjà suffisamment avancées pour que l'on puisse passer aux procédures administratives, aux enquêtes, aux lancements de marchés etc. Il faut aussi compléter les financements. Il y a déjà des financements disponibles, il faut boucler l'opération, si je puis dire, et les ministres des Finances seront chargés d'y travailler dans les mois qui viennent.

Q. : Pour la Tchétchénie, les opérations continuent. La gare est occupée, le marché central aussi, il semble qu'une grande partie de la ville soit occupée. Il y a depuis 15 jours un grand nombre de victimes civiles. Quelle est la position de l'Union européenne par rapport à ce problème ?

R. : Il y a de très nombreuses victimes, il y a aussi un grand nombre de réfugiés, on les chiffre par plusieurs centaines de milliers, c'est la raison pour laquelle nous avons exprimé notre très vive préoccupation. Le respect des Droits de l'Homme est en cause pour ce qui se passe en Tchétchénie. Certes, la Tchétchénie fait partir intégrante de la Fédération de Russie et il est normal que la Russie prenne ses responsabilités, mais nous sommes également fondés à dire que la violation des Droits de l'Homme, le recours à la violence, l'effusion de sang ne sont pas acceptables. C'est la raison pour laquelle l'Union européenne a engagé des démarches. La troïka de l'Union, qui est animée par la France en sa qualité de présidente de l'Union, est intervenue à Moscou il y a trois jours. Nous avons obtenu que Moscou accueille, cela se passe demain, l'émissaire de l'OSCE qui étudiera avec les autorités russes la question des Droits de l'Homme. Nous renouvelons notre appel. Le Président Eltsine avait annoncé que les bombardements s'arrêteraient ; apparemment il n'en est rien, les offensives se poursuivent. Il faut absolument passer maintenant à une forme de dialogue politique pour trouver une solution de caractère politique.


Interview du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à l'agence de presse « EFE » (Paris, 10 janvier 1995)

Q. : La France comme présidente de l'Union européenne va-t-elle demander une coopération spéciale à l'Espagne ?

R. : C'est l'intention de la France. Vous savez que nous nous sommes étroitement coordonnés avec la présidence allemande qui nous a précédée, et nous souhaitons également nous coordonner avec la présidence espagnole qui va nous suivre pour le second semestre 1995. C'est dans cet esprit que je viens ici pour expliquer quelles sont nos priorités, écouter également quelles sont les préoccupations prioritaires du chef du gouvernement et du ministre des affaires étrangères espagnol. J'insisterai tout particulièrement sur la dimension méditerranéenne de nos relations extérieures puisque c'est l'Espagne qui préparera la Conférence euro-méditerranéenne du second semestre 1995 et nous essaierons de préparer le terrain.