Texte intégral
P. Lapousterle : E. Balladur va annoncer sa candidature à l'élection présidentielle dans quelques heures. Allez-vous le soutenir ?
H. de Charette : La position des Clubs Perspectives et Réalités n'est pas celle-là. Nous avons d'abord fixé notre calendrier : un conseil national se réunira à la fin du mois de février. C'est à ce moment-là que nous prendrons position. Aujourd'hui, je reste dans l'idée qu'il est dommageable pour la démocratie française et pour le pays que l'UDF ne soit pas présente à l'heure qu'il est dans la campagne. Plusieurs des composantes de l'UDF, en particulier le PR et le CDS, ont déjà officieusement-officiellement – c'est selon les termes – décidé de soutenir E. Balladur dès le premier tour. Je le comprends ; des liens d'amitié qui se tissent au sein du gouvernement peuvent expliquer cela. Sur le fond de l'affaire, c'est assez regrettable parce que l'UDF est, dans la vie politique, porteuse d'un certain nombre de valeurs et de convictions sur quelques sujets essentiels de l'avenir de notre pays. Il est dommage de les mettre dans sa poche avant de jouer.
P. Lapousterle : Cela ne sera pas gênant pour vous d'être le seul ministre UDF à ne pas soutenir E. Balladur ?
H. de Charette : Non, je ne vois pas pourquoi. Je fais tout cela au nom des convictions qui sont les miennes et je ne suis pas embarrassé.
P. Lapousterle : C. Millon se présente comme un candidat probable de l'UDF.
H. de Charette : Il explique qu'il souhaite qu'il y ait un candidat, que si ceux qui peuvent l'être ne l'étaient pas, il serait prêt à l'être. C'est une position courageuse, sympathique et qui a notre soutien. Les deux noms qu'on prononce quand on pense à une candidature UDF, c'est R. Barre et V. Giscard d'Estaing. L'un ou l'autre. C'est à eux d'en débattre dans les semaines qui viennent. C'est aussi aux Français de nous dire s'ils souhaitent vraiment que ces valeurs de l'UDF s'expriment dans la campagne électorale.
P. Lapousterle : Pensez-vous que V. Giscard d'Estaing et R. Barre attendent des signaux ?
H. de Charette : Pour R. Barre, je l'ignore ; pour V. Giscard d'Estaing, il n'en est pas ainsi. La question est de savoir si nous sommes en situation d'exprimer ces convictions qui sont les nôtres en ayant un candidat et en l'occurrence, la candidature de V. Giscard d'Estaing. Mais dans la période actuelle, nous ne sommes pas encore dans la campagne. J'ai d'ailleurs cru comprendre que le Premier ministre, une fois sa candidature déclarée, comptait plutôt retourner à Matignon et continuer de mener les responsabilités qui sont actuellement les siennes. Dans cette période, nous allons répéter tous les jours, avec le plus de force possible, quelles sont les questions prioritaires. C'est-à-dire, veut-on avoir une politique de l'emploi vigoureuse, ardente, qui centralise la totalité des préoccupations du Président de demain et du gouvernement de demain ? Deuxièmement, est-ce que, sur l'Europe, le rôle de la France va-t-il être fixé avec suffisamment d'ambition pour que cette grande affaire – la seule grande de la génération qui vient – soit pour les jeunes d'aujourd'hui et de demain la grande affaire française ? Nous allons, sur ces deux points, nous exprimer. Et nous allons écouter les candidats actuels, que ce soit J. Chirac ou E. Balladur, deux candidats du RPR. Je vais personnellement contribuer à ce débat et à les interroger. À l'UDF, ce sera notre contribution à la campagne, c'est-à-dire à la réflexion des Français. Qu'est-ce qu'une campagne électorale si ce n'est, pour les candidats, l'occasion de s'exprimer et pour les électeurs, l'occasion d'écouter, de réfléchir et de former leur jugement ? Je veux aider les électeurs à former leur jugement sur les deux priorités françaises que sont l'emploi et l'Europe. Aujourd'hui, je suis un peu sur ma faim concernant les positions des uns et des autres. Cela viendra peut-être dans les semaines prochaines.
P. Lapousterle : Le fait de ne pas avoir de candidat dans la pré-campagne n'est-il pas un constat de décès de l'UDF ?
H. de Charette : Vous avez raison. Je n'irai pas jusque-là, mais je suis comme vous : je suis déçu. Parce que l'UDF est la deuxième formation politique de France si je compte le nombre des électeurs ou les responsabilités qu'elle exerce dans les assemblées. Je suis déçu à la pensée que plusieurs de nos formations, et en particulier le PR et le CDS, se soient précipitamment ralliées sans avoir été capables de s'entendre avec nous sur ces convictions qui sont les nôtres, et de soutenir quelqu'un qui soit susceptible de défendre nos valeurs. C'est une déception collective. Nous avions tout à fait la possibilité que ces idées gouvernent la France.
P. Lapousterle : Votre prime d'incitation à la location a été mal reçue au Budget ; on a dit qu'elle favorisait les riches.
H. de Charette : Cela tient sans doute à la mauvaise humeur liée à la préparation de la campagne électorale à laquelle participe N. Sarkozy. Car ça n'avait pas de chance. La mesure que je continue de proposer tant qu'elle n'a pas fait l'objet d'une décision gouvernementale est une mesure simple, aussi simple que celle qu'on appelle la prime Balladur pour l'automobile. Elle cherche à résoudre un problème très important, humain et social. Il y a, dans nos grandes agglomérations, un certain nombre de logements vides qu'il ne faut pas laisser vides. Par conséquent, il faut pousser les propriétaires – et les modestes d'abord – par une prime qui les incitera à mettre leurs logements sur le marché.
P. Lapousterle : Ça va être le rififi dans le gouvernement ?
H. de Charette : Je ne l'espère pas mais ça peut l'être. L'éviter, c'est une question de détermination. Il faut que nous restions entre nous, amicaux, solidaires même si nous pouvons avoir, de temps en temps, à un moment comme celui-ci, des opinions un peu différentes.
France 3 : Jeudi 19 janvier 1995
P. Boyer : Vous êtes ministre du Logement et animateur des Clubs Perspectives et Réalités, une composante très giscardienne de l'UDF. Après avoir écouté hier E. Balladur se déclarer pour l'Élysée, persistez-vous à dire que l'UDF doit avoir son propre candidat pour défendre ses couleurs et ses valeurs ?
H. de Charette : Je voudrais exprimer ce qui est la position des Clubs Perspectives et Réalités, qui est en effet l'une des composantes de l'UDF, la troisième par son importance, dans cette période. La particularité des Clubs Perspectives et Réalités, c'est que c'est la plus grande organisation « club » de la vie politique française, avec des réseaux dans pratiquement toutes les villes de France. La particularité, c'est que c'est d'abord un lieu de réflexion et de propositions, avant d'être un lieu d'action politique et d'engagement. Donc, pendant la période qui vient, nous avons décidé de consacrer le mois de février à écouter les candidats, à poser nos questions, à mettre l'accent sur deux problèmes, l'emploi et l'Europe et ce n'est qu'à la fin du mois de février que je convoquerai le Conseil national des Clubs Perspectives et Réalités qui, à ce moment-là, prendra position.
P. Boyer : Vous-même, sur E. Balladur et sur l'UDF… Un autre candidat ?
H. de Charette : Écoutez, c'est vrai que je regrette qu'à l'heure qu'il est il n'y ait pas de candidat qui porte les valeurs de l'UDF. De la même façon, je regrette, je dois le dire franchement, l'engagement, que je trouve précipité, du PR et du CDS, alors qu'il eut été plus utile, me semble-t-il, que la collectivité, la force politique de l'UDF, son unité, son identité, puissent s'exprimer de façon groupée et commune pour défendre nos valeurs communes. C'est la situation, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle, nous, au Club Perspectives et Réalités, et moi comme vice-président de l'UDF, proche de V. Giscard d'Estaing, vous avez raison, nous avons décidé d'attendre.
P. Boyer : Qu'est-ce qui vous sépare du candidat E. Balladur ? C. Millon dénonce une gestion « cotonneuse » et déclare qu'une candidature exprimée de Matignon le laisse pantois. Et vous ?
H. de Charette : Non, je ne dirai pas ça. D'abord, je n'exprimerai pas de critiques, pas plus vis-à-vis d'E. Balladur que de J. Chirac. Nous avons, nous, deux préoccupations centrales : 1) L'emploi, parce que le problème de la France d'aujourd'hui, c'est l'emploi. Nous ne pouvons pas rester dans la situation où nous sommes, celle où le chômage augmente lorsqu'il y a récession et se stabilise lorsqu'il y a croissance. Cela veut dire qu'il y a chaque jour plus de chômeurs que la veille. Nous sommes arrivés maintenant à plus de 3 350 000 demandeurs d'emplois, sans compter les RMIstes, sans compter tous ceux qui sont dans des formules diverses, ça n'est pas possible. Il faut faire une politique de l'emploi plus forte et la démonstration par les Français qu'ils sont capables de résoudre leurs problèmes ; 2) La deuxième question est la question de l'avenir de la France, la question de l'Europe. Sur ce sujet nous avons aussi des questions très précises parce que nous sommes convaincus que c'est un sujet central qui exige de la part de la France une position, un message fort.
P. Boyer : Est-ce que dans ce domaine, M. Balladur manque d'ambition ?
H. de Charette : Pour vous dire vrai, sur ces deux questions, la politique de l'emploi, priorité nationale, et l'engagement de la France dans l'Europe pour la génération qui vient, je ne vais pas porter de jugement prématuré, je vais attendre, nous allons interroger aussi bien M. Chirac que M. Balladur. Mais, pour l'instant, je n'ai pas les réponses tout à fait convaincantes que j'espère.
P. Boyer : L'UDF a déjà un candidat virtuel en la personne de C. Millon, dont on dit qu'il chauffe la place pour R. Barre, et, au passage, M. Méhaignerie dit que M. Millon n‘a pas atteint la masse critique pour une telle candidature ?
H. de Charette : C'est vrai, mais C. Millon a toujours placé sa démarche dans une perspective d'ouvrir la voie aux deux personnalités qui sont seules susceptibles à l'UDF de mener une campagne présidentielle, que ce soit R. Barre ou V. Giscard d'Estaing. Vous savez que ma préférence va à V. Giscard d'Estaing, mais encore faut-il – et pour l'un et pour l'autre – que non seulement ils le veuillent, mais que ce soit possible. Et c'est précisément ce que nous allons déterminer dans cette période d'observation du mois de février.
P. Boyer : Au sein du gouvernement, vous vous êtes déjà heurté à N. Sarkozy, vous avez regretté sa mauvaise conduite à propos de la prime que vous réclamiez, en tant que ministre du Logement, pour inciter les propriétaires à louer des appartements vacants. Cette affaire est-elle enterrée sur le fond et dans la forme ?
H. de Charette : Non. Sur la forme, c'est-à-dire sur le conflit public que j'ai eu avec N. Sarkozy, c'est une affaire terminée. Il avait dit des choses que je trouvais à la fois inamicales et inexactes. Comme il l'avait dit publiquement, je me suis permis de répondre publiquement. Il ne faut pas laisser les choses comme ça se gâcher dans la vie gouvernementale, qui doit rester une vie amicale. Mais, dans le même temps, sur la question de fond, la question est toujours ouverte, nous avons des réunions à Matignon, nous travaillons sur ce sujet et, par conséquent, je pense qu'une décision sera prise par le Premier ministre dans les jours ou les semaines qui viennent.
P. Boyer : Dans quel climat va travailler ce gouvernement où le ministre des Affaires étrangères est le lieutenant de J. Chirac, où vous même attendez une autre candidature. Ce gouvernement, tel qu'il est composé, est-il viable jusqu'au 7 mai ?
H. de Charette : Oui. C'est très important que nous montrions ensemble que nous sommes déterminés à travailler ensemble jusqu'au 7 mai prochain. D'ailleurs c'est un bon exercice d'union entre nous. Qu'il y ait des analyses différentes sur l'avenir de la France, c'est une question, mais pour l'essentiel nous appartenons à la même majorité et de toute façon le 7 mai au soir nous serons ensemble autour du nouveau président de la République Française qui sera, je n'en doute pas, un président issu de la majorité.
P. Boyer : Dans l'hypothèse où l'UDF ne serait pas représenté, pourriez-vous envisager de soutenir J. Chirac ?
H. de Charette : Mais vous pourriez me demander aussi bien est-ce que je peux envisager le soutien à E. Balladur. Pour ce qui concerne les Clubs Perspectives et Réalités, la réponse vous sera donnée à la fin du mois de février à notre conseil national.
P. Boyer : Donc la balance est très ouverte ?
H. de Charette : Mais j'attends le débat, les réponses aux questions. Nous allons interroger, nous allons écouter et nous allons juger.
P. Boyer : Vous n'excluez rien ?
H. de Charette : Mais bien sûr que non.