Interview de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre mer et ministre de l'intérieur par intérim, à France-Inter le 29 septembre 1998, sur le projet de redéploiement de la police et de la gendarmerie, la situation en Corse et la régularisation des sans-papiers.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - Un mot tout de même, parce que comment ne pas vous poser la question ? Comment va J.-P. Chevènement ?

- « Il va bien. Son état s'améliore rapidement. C'est une évolution positive. J'espère qu'il sera bientôt parmi nous. En tout cas, j'assure l'intérim de J.-P. Chevènement avec la plénitude des fonctions, mais dans les grandes orientations qui ont été définies au sein du Gouvernement. »

Q - Juste un mot, quand même, sur l'évolution positive. On dit que J.-P. Chevènement, par exemple, est capable de lire les journaux, d'écrire. Il a donc recouvré la totalité de ses capacités intellectuelles ?

- « Sur le plan intellectuel, l'évolution est forte. »

Q - C'est absolument extraordinaire !

- «Elle est forte par rapport au choc opératoire qu'il a subi. Il peut effectivement regarder la télévision, lire les revues de presse, peut-être nous écouter ce matin. »

Q - On le souhaite de tout coeur. C'est un miraculé, disons-le franchement!

- « Nous avons eu de grosses inquiétudes le jour de l'opération, qui n'a pas eu lieu, mais de l'anesthésie. Depuis, cette évolution qui montre la stature, la force physique, personnelle de J.-P. Chevènement »

Q - Alors force physique de J.-P. Chevènement, c'est la très bonne nouvelle. L'homme a du tempérament, aussi. Est-ce que J.-P. Chevènement aurait reculé sur le dossier police-gendarmerie ? Il n'est pas du genre.

- « Il aurait pris ce dossier en tenant compte des réactions qui se sont manifestées à  la fois par les élus locaux et par les organisations de police, pour tenir compte justement du terrain. Comme vous l'avez expliqué tout à l'heure »

Q - C'est le terrain ou le corporatisme, franchement ?

- «Il y a des corporatismes, des défenses de situations acquises sur place, mais il y a aussi à  prendre en considération la situation des petites villes qui sont concernées, à  la fois par les transferts dans un sens ou un autre. Nous ne voulons pas entrer dans une querelle police-gendarmerie sur les mérites respectifs des uns ou des autres. Ce que je constate, c'est que quand il y a des gendarmes dans des petites villes, on dit : on veut les garder, on ne veut pas passer en zone de police et inversement. Il s'agit d'assurer une meilleure répartition des forces de l'ensemble du territoire et d'être ainsi au plus près de ce que l'on appelle la sécurité proximité. »

Q - Apparemment, cela, tout le monde pourrait le comprendre. D'où vient le blocage ? Est-ce que ce sont les syndicats de policiers qui disent : on ne touche pas à  nos implantations, et d'un certain point de vue à  nos privilèges ? Où est-ce que cela coince ?

- «Les difficultés, elles proviennent d'abord des élus des villes concernées, qui ont craint une moindre sécurité. Ils ont craint que le transfert - je ne dis pas la fermeture, parce qu'on dit fermeture de commissariats, mais il ne s'agit pas de fermer les commissariats, mais de transférer la compétence de la police nationale vers la gendarmerie. Ils ont craint qu'il y ait une moindre sécurité, une moindre couverture, en particulier, la nuit, dans les amplitudes d'ouverture. Ce qui n'était pas le cas en ce qui concerne le dispositif de la gendarmerie. Moi aussi, je constate que, par exemple, un petit commissariat de 35, 40 fonctionnaires de police dans une zone de gendarmerie, c'est peut-être moins efficace, dans la mesure où il faut assurer une meilleure coordination des forces. Donc, derrière ces problèmes, on voit toute la question du devenir des petites villes, la crainte que le commissariat, cela signifie aussi la fermeture d'autres institutions, dans le domaine de santé, l'hôpital, de la justice. C'est toute la question justement de l'aménagement du territoire qui a été posée. Mais la gendarmerie a une tradition dans notre pays. Vous voyez: le ministre de l'Intérieur fait l'éloge de la gendarmerie! La gendarmerie a aussi cette habitude de couvrir des secteurs plus dispersés et elle le fait bien. »

Q - Comment allez-vous procéder ? Il y a en même temps la colère des syndicats de policiers et puis, il y a l'inquiétude et la mauvaise humeur de maires de villes et de banlieues qui disent : là  où la délinquance est la plus élevée, on n'a pas ce qu'il faut en effectifs !

- « Nous avons une inégale répartition des forces de police et, effectivement, le besoin de se renforcer dans des secteurs de banlieue, de périphérie des villes, parce que c'est là  où l'urbanisation s'est faite, et de tenir compte des situations qui sont, au niveau de la sécurité, peut-être moins lourdes sans d'autres secteurs, d'où cette idée de répartition. Maintenant, nous reprenons le dossier. »

Q - Les préfets devaient rendre la copie le 7 novembre, c'est cela ?

- « Sur la base des projets qui leur ont été remis, 94 commissariats concernés, 38 brigades de gendarmerie, les préfets devaient consulter sur le plan local. Il y a eu ces réactions. Nous préférons reprendre le dossier, consulter, tenir compte des demandes, évaluer plus précisément les besoins. Donc, il ne s'agit pas d'imposer, mais véritablement d'associer à  cette réflexion et c'est le message que je veux passer, ce matin. »

Q - Quoi qu'il en soit, cette carte de la sécurité française, il est impératif de la redessiner complètement. Quand je disais 1941, c'est en effet de cette époque-là  que date la répartition ?

- « Elle date effectivement de 1941, puisque c'est l'époque où il y a eu création de la police nationale, au sens des polices qui étaient auparavant municipales, donc implantation de la police nationale dans les secteurs qui étaient municipalisés. Donc, c'est une carte ancienne et depuis, il y a eu quelques évolutions. Des villes ont changé. Par exemple, une vile comme Langres, une ville comme Corte sont passées de zone de commissariat en zone de gendarmerie, sans qu'il n'y ait eu de véritablement mouvement et tout le monde s'en porte bien. Au fond, pour prendre mon exemple, dans ma circonscription, j'ai une ville, Rillieux-la-Pape, 30 000 habitants, qui est en zone de gendarmerie. Puis la ville de Bron qui est à  côté, 40 000 habitants, qui est en zone de police. Vous voyez que l'on a des situations très disparates. »

Q - Vous m'avez tendu la perche de la Corse avec Corte. Ils ont tous été relâché, ceux qui étaient soupçonnés d'avoir participé plus ou moins directement à  l'assassinat du préfet Erignac. Est-ce que l'on avance sur l'enquête, ou pas ?

- « L'enquête se poursuit. Nous sommes dans une situation de terrorisme et on sait qu'il faut du temps, parce que l'enquête est minutieuse; elle est méthodique ; elle conduit à  rassembler le maximum de preuves sur ce terrain. Donc, elle se poursuit avec beaucoup de détermination de la part de la police judiciaire. Mais, je ne peux pas vous en dire plus. »

Q - J'imagine bien. Mais en même temps, face à  votre détermination, il y a ce culot incroyable de ceux qui ont revendiqué l'assassinat du préfet Erignac et qui vous adressent un autre petit mot, avec un nouveau numéro de revolver, pour vous montrer qu'en effet, c'est bien la même filière.

- « Il y a des groupes qui, effectivement, en Corse, cherchent à  agir par la violence, par l'intimidation. C'est ce que nous voulons essayer de rejeter, d'éradiquer. La volonté, c'est d'établir en Corse l'Etat de droit. Donc d'éviter que ce type d'action, de pression agisse et conduise la Corse, finalement, à  être en situation de non-droit ».

Q - Et puis il y a un autre dossier. Vous avez beaucoup de dossiers sur votre bureau. La régularisation des sans-papiers. J'ai vu qu'il y a des affaires en cours à  Paris dans le XIe, à  Créteil, à  Bordeaux, au Havre. La position, là -dessus? Qu'est ce que vous faites ?

- « La position. Il y a eu, donc, examen des demandes des sans-papiers, des demandeurs de papiers, c'est-à-dire les étrangers qui sont en situation irrégulière. Un peu plus de 140 000 demandes ont été déposées, 76 000 ont été retenues, puisqu'elles rentraient dans les critères définis dès l'origine, c'est-à-dire dès juin 1997. Quant à  ceux qui n'ont pas été entretenues, il y a la possibilité de faire des recours. Nous sommes dans cette phase. Soit recours gracieux auprès des préfectures, soit recours hiérarchique auprès du ministre de l'Intérieur. Nous avons, nous, environ 28 000 recours que nous examinons en fonction des critères. Il ne s'agit pas de régulariser tous ceux qui demandent à  sortir de la situation irrégulière, mais de prendre en compte des critères, et notamment le fait d'être sur le territoire français en situation d'intégration depuis un certain temps. »

Q - La ligne ne change pas là-dessus ?

- « La ligne ne change pas. Nous traitons d'une façon à  la fois ferme et humaine ce dossier. »