Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les objectifs de la politique céréalière, notamment pour le maïs (Agenda 2000, irrigation, OGM et loi d'orientation), les aides financières et la position de la France dans le cadre de la PAC, Lille le 17 septembre 1998.

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Circonstance : Congrès de l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM) à Lille le 17 septembre 1998

Texte intégral

Monsieur le président,

Agenda 2000, irrigation, OGM, loi d’orientation : vous avez retenu des dossiers conséquents pour les travaux de votre congrès.

Je vais m’efforcer, avec le même souci que vous, d’être direct, de répondre à vos interrogations, et de vous présenter la façon dont je traite ces questions.

Mais permettez-moi d’abord de vous dire que, n’ayant pu, l’an dernier, venir à Montpellier, à la rencontre des producteurs de maïs, je tenais aujourd’hui, comme je vous l’avais indiqué lors de notre rendez-vous de juillet, à faire avec vous, ici, le point des dossiers qui préoccupent votre secteur.

Je n’aime pas, pour ma part, les caricatures, surtout lorsqu’elles se veulent désobligeantes, et je ne considère donc nullement que les producteurs de maïs puissent être abusivement assimilés à des chasseurs de primes excessives, à des consommateurs d’eau abusifs, à des fanatiques de l’intensification à tout prix.

Je sais au contraire le rôle que le maïs a joué dans certains départements, du Sud-ouest, notamment, pour permettre le maintien d’exploitations dans des zones qui, sans le maïs, se seraient désertifiées.

Je sais aussi que ces exploitations sont souvent petites ou moyennes, en tout cas de taille familiale, et que c’est bien souvent pour se maintenir qu’elles ont recours à l’irrigation comme technique de production.

Je sais enfin que c’est le maïs qui a représenté le produit de référence pour construire des outils économiques très performants, que ce soit dans la collecte ou la transformation de céréales, dans les semences et dans de très nombreuses diversifications que ces groupes, souvent coopératifs, ont su développer.

Sans cette politique, le tissu agricole et rural de nombreuses zones difficiles se serait fortement appauvri, et aujourd’hui, peut-être n’aurions-nous même pas la possibilité de trouver dans ces zones le point d’ancrage nécessaire pour bâtir la politique territoriale que j’entends promouvoir, et sur laquelle je reviendrai.

Tout ceci pour vous dire, Monsieur le président, qu’en aucun cas le secteur du maïs ne peut se sentir « le mal aimé » des productions végétales.

Des évolutions sont bien entendu nécessaires, y compris dans la gestion de la ressource en eau sur laquelle je reviendrai, mais je suis convaincu qu’une filière aussi organisée que la vôtre, a tout à fait les capacités pour conduire ces évolutions avec efficacité.

Cela sera nécessaire dans le débat sur l’évolution de la politique agricole commune.

J’ai eu récemment, lors du conseil national de la FNSEA, l’occasion de faire le point sur l’état de la négociation et des positions que la France défend à Bruxelles.

Vous savez que le débat s’est, depuis l’été, déplacé vers une approche budgétaire de la PAC, et notamment sur le niveau de la contribution apportée par les différents États membres.

Même si on peut le regretter, ce problème est désormais posé et la Commission présentera bientôt un rapport sur ce sujet.

Dans ce débat, la France, bien entendu, ne privilégie pas la voie du cofinancement de la PAC pour rééquilibrer les contributions des uns et des autres. C’est simplement l’une des solutions expertisées, parmi d’autres, par la Commission.

Cette approche risque de peser sur le calendrier des négociations, calendrier dépendant par ailleurs de l’élargissement futur de l’Union. Chacun s’aperçoit aujourd’hui que l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale sera beaucoup longue que cela n’était initialement prévu.

Cette perspective de disposer de temps ne nous dispense nullement d’approfondir notre position.

Sur nos objectifs, ceux de la politique agricole, la France n’a pas modifié ses choix :
- préserver le revenu des agriculteurs ;
- contribuer à l’équilibre des marchés agricoles ;
- assurer la sécurité alimentaire de la communauté ;
- favoriser un type d’agriculture fondé sur des exploitations nombreuses et responsables ;
- valoriser de façon équilibrée l’ensemble de nos territoires.

Ces objectifs nécessitent à l’évidence plusieurs outils d’intervention, regroupés au sein des OCM, et notamment celle des céréales.

L’aide directe au revenu des agriculteurs est, bien entendu, un outil important, mais les propositions de la Commission en font presque un outil exclusif. C’est là un point de divergence.

Par ailleurs, il m’apparaît nécessaire, dans l’examen technique de ce dossier, de faire comprendre que l’enjeu de I’agenda 2000 ne saurait se limiter à préparer les négociations de l’OMC. Les perspectives de celles-ci nous imposent d’être pragmatiques et j’y veillerai.

Des ajustements me semblent donc nécessaires, et s’agissant des grandes cultures en général, je dirais que la baisse du prix d’intervention des céréales, qui devrait favoriser à long terme l’équilibre du marché, ne doit pas conduire à affaiblir la protection communautaire.

Le niveau de diminution des prix doit tenir compte de cela, mais il est également important de ne pas déséquilibrer le marché du blé en provoquant des transferts inopportuns.

C’est pour cela que la France demande, notamment, le maintien d’un soutien spécifique pour les oléagineux, un renforcement du dispositif protéagineux, et aussi un soutien suffisant pour la production de maïs.

La négociation nous permettra de préciser la forme la plus efficace pour assurer un niveau de compensation plus élevé pour le maïs, tout au moins dans les zones où cette production est importante.

Faut-il maintenir les bases maïs ou rechercher un niveau de compensation supérieur ?

J’ai entendu aujourd’hui vos analyses et vos propositions, et j’en prends bonne note.

Le débat est ouvert, et je suis convaincu que le dialogue entre votre organisation et les services de mon ministère, dialogue qui se poursuivra dans les semaines à venir, permettra de négocier un dispositif adapté.

Je voudrais enfin vous dire toute l’importance que j’apporte au volet dit « horizontal » de l’agenda 2000.

C’est à travers ce type de mesures, qui ne sont actuellement qu’esquissées dans les propositions de la Commission, que nous trouverons des pistes pour avancer vers une politique agricole rémunérant les agriculteurs, non seulement pour leur fonction de production, mais aussi pour leurs fonctions territoriale et sociale.

Ce volet de l’agenda 2000, actuellement insuffisant, doit nous donner le cadre européen dont nous avons besoin pour mettre en œuvre ces orientations fortes, qui sont le fondement de la loi d’orientation agricole. C’est ainsi que la cohérence de notre politique nationale avec le cadre européen sera assurée.

En ce qui concerne la loi d’orientation agricole, vous savez qu’elle sera à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale à partir du 5 octobre prochain.

Mon ambition est d’abord de faire reconnaître dans notre politique agricole la « multifonctionnalité » de l’agriculture. Son rôle est non seulement économique, mais aussi social et environnemental. Ceci explique que l’objectif d’une occupation équilibrée du territoire, de maintien d’exploitations et d’emplois agricoles nombreux, soit au centre de ce projet.

Après une intense concertation avec la profession, les parlementaires se sont saisis du dossier. Ils y ont également beaucoup travaillé.

Le résultat de cette démarche devrait aboutir à un texte de loi définitivement adopté vers la fin du premier trimestre 99, et à la publication des décrets d’application avant l’été.

Sans attendre ces échéances, près de soixante-quinze départements français se sont d’ores et déjà portés volontaires pour un travail de préfiguration des contrats territoriaux d’exploitation. Je me réjouis d’une telle motivation locale, témoignage incontestable à mes yeux, d’une volonté partagée de fonder sur de nouvelles bases les relations entre l’État et les agriculteurs.

Cette mobilisation traduit aussi l’adhésion à une méthode que j’ai souhaité mettre en œuvre. Après une concertation extrêmement large et décentralisée, les CTE seront ainsi les outils efficaces d’une nouvelle politique agricole comprise, bien au-delà du seul monde agricole, par tous nos concitoyens.

Cela me conduit à aborder maintenant un autre dossier. Il concerne également, au-delà des seuls agriculteurs, les collectivités locales et l’ensemble de la population. Je veux, bien entendu, parler de la gestion de l’eau.

Vous êtes la première organisation nationale d’irrigants, c’est-à-dire utilisateurs d’une ressource naturelle collective, qui n’appartient pas plus aux agriculteurs qu’aux autres secteurs économiques, ni même aux simples usagers domestiques. Personne, en tout cas pas le ministre de l’agriculture, n’entend mettre en accusation qui que ce soit.

Mais personne ne peut nier que l’époque où l’on pouvait utiliser cette ressource sans limite, et à n’importe quel prix, est désormais révolue.

Je suis convaincu que vous êtes, mieux que d’autres, capables d’expliquer le bien-fondé d’une irrigation raisonnée, tant au bénéfice de votre production qu’à celui des régions où une gestion intelligente de la ressource est mise en œuvre.

Ce sujet est actuellement débattu au sein du groupe « eau/irrigation » mis en place par ma collègue Dominique Voynet, en charge de l’environnement et de l’aménagement du territoire, groupe auquel vous participez.

Le mandat de ce groupe est de mettre en cohérence les différentes politiques publiques pour assurer une bonne gestion de la ressource en eau.

C’est un sujet délicat, et, pas plus que vous, je ne suis surpris des hésitations apparues lors des premières réunions : il faudra dépasser ce stade et parvenir rapidement au vif du sujet, en particulier la question du prix de l’eau.

Les représentants de mon ministère au sein de ce groupe veilleront à ce que les préoccupations légitimes des producteurs de maïs soient prises en compte.

Votre association, Monsieur le président, entend légitimement participer activement à la réflexion sur ces questions. Je ne puis donc que vous encourager à suivre activement ce dossier, d’autant plus que les méthodes de gestion de la ressource en eau seront tout naturellement au cœur des CTE, ce qui rend encore plus nécessaire votre engagement dans ce débat.

Plus largement sur cette question de l’eau, il ne me semble pas efficace de nier, ou d’occulter, que le débat existe bien entre l’agriculture et les citoyens de notre pays.

Dans ce débat, il faut dire et redire, que l’irrigation n’est pas en elle-même une bonne ou une mauvaise technique.

Car il y a, vous le savez mieux que moi, plusieurs formes d’irrigation.

On ne peut pas les traiter de la même façon, et c’est peut-être à vous d’abord, de faire le tri entre ces différentes pratiques.

Cela nous sera utile, le moment venu, lorsque demain il nous faudra le préciser dans les CTE de la prochaine LOA, ou bien pour appliquer la réforme de la PAC.

Concernant les écotaxes que vous avez évoquées, je voudrais rappeler que les projets actuels ne concernent que les secteurs industriels, et non pas l’agriculture.

De plus, ils ne s’ajouteront pas à la fiscalité existante, mais s’y substitueront.

Puis-je vous faire une suggestion ? Je ne saurais trop vous conseiller, sur ces questions d’environnement, comme sur celles relatives à l’eau, de cesser d’être défensifs.

Soyez au contraire, ambitieux pour expliquer ce que vous faites déjà bien souvent, et pour présenter vos propositions.

Entrez avec détermination et volonté de dialogue dans ce débat.

Vous avez des arguments à faire valoir, vous saurez vous faire entendre.

Mais il est d’autres sujets pour lesquels vous êtes en première ligne, et qui posent de vrais problèmes de société.

Je pense au dossier des organismes génétiquement modifiés. Les premières autorisations sur le marché de plantes génétiquement modifiées ont suscité, comme vous le savez, un large débat en France.

L’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a organisé une conférence de citoyens afin de mener au niveau national un réel débat sur les organismes génétiquement modifiés.

Sur la base du rapport de l’office et des conclusions de la conférence de citoyens, le gouvernement a pris une série de décisions. Elles sont basées sur le respect du principe de précaution.

Pour les espèces présentant des incertitudes liées à la diffusion de transgènes dans l’environnement, comme le colza par exemple, le gouvernement a décidé d’appliquer un moratoire de deux ans.

Ce délai sera mis à profit pour poursuivre les recherches et préciser ce risque éventuel.

Pour les autres espèces, et le maïs en particulier, un examen au cas par cas des OGM sera réalisé.

Le dossier sur les OGM est complexe, et, j’en suis sûr, loin d’être clos. Il pose des questions de fond sur l’avenir de l’agriculture en Europe, et il est urgent d’ouvrir un large débat au niveau de l’Union européenne sur ce sujet.

La problématique environnementale, par exemple, n’est pas totalement prise en compte par la directive 90/220, puisque seule la dissémination d’un OGM, en tant que tel, est examinée et non celle de l’utilisation à grande échelle de l’herbicide pour lequel l’OGM est tolérant. Cette question est pourtant importante en termes de pratiques agricoles : n’est-il pas, pour l’agriculture, souhaitable de savoir si elle doit avoir ou non à sa disposition des herbicides totaux ?

La problématique éthique n’est également pas prise compte. Sa réponse théorique est dans l’étiquetage des OGM en cours de mise en place, et la préservation d’une filière non-OGM, qui n’est actuellement que du domaine des intentions.

Je sais que, pour la récolte en maïs génétiquement modifié de cette année, vous avez pris la décision courageuse, mais nécessaire, de séparer des récoltes OGM et conventionnelles.

Cette décision pose des problèmes pour les autres opérateurs de la filière, mais ensemble, nous trouverons des solutions adaptées, répondant aux attentes des différents acteurs.

Enfin et c’est peut-être le point essentiel, les effets économiques de l’utilisation des OGM n’ont jamais été véritablement évalués.

Le secteur des biotechnologies est toujours présenté comme un secteur fortement créateur d’emplois, ce qui est probablement vrai dans le secteur de la santé, mais cela reste largement à démontrer pour les biotechnologies végétales.

La mise en marché de plantes transgéniques va également engendrer des mutations profondes dans les relations entre les agriculteurs et les industries semencières, voire créer des dépendances entre les agriculteurs et certaines sociétés phytopharmaceutiques.

N’est-il pas légitime de savoir si cela est souhaitable ? Et d’en débattre largement ?

Les seuls critères de sécurité environnementale ou sanitaire ne me semblent pas être suffisants pour autoriser les plantes transgéniques, sans se poser les questions de fond quant à leurs répercussions sur le monde agricole.

Il est donc nécessaire que l’avenir des OGM soit raisonné en fonction des perspectives que l’on veut tracer pour l’agriculture française et européenne.

Monsieur le président, je ne peux pas ne pas dire un mot du dépassement des surfaces de base 98.

Cette année, dans la base maïs sec, le dépassement est de 11,9 % (8,7 % en 1997).

La base maïs irrigué n’est pas dépassée, et les 280 000 hectares correspondants ne seront pas pénalisés.

La base nationale irriguée, dont je rappelle qu’elle est composée à 65 % de maïs irrigué, n’est dépassée cette année que de 4,6 % contre 6,4 % en 1997.

Je dois vous dire, mais vous le savez, que la France était dans l’obligation de revenir à une pratique conforme au texte communautaire pour les compensations pratiquées entre les différentes bases ; faute de quoi des sanctions financières auraient été prises. Elles l’ont été d’ailleurs dès 1997.

L’enjeu financier global, c’est-à-dire le manque à gagner global pour les producteurs de la base maïs, du fait que nous ne pouvons pas cette année les faire bénéficier du disponible résultant de la sous-réalisation de la base maïs irrigué, est de 14 MF.

Cela représente en moyenne, une diminution, pour les producteurs concernés, de 61 francs par hectare.

Je précise en outre que le dispositif prévu pour les petits producteurs fait qu’ils ne sont pas concernés par ces ajustements.

Monsieur le président, comme vous, j’entends défendre, dans les débats nationaux comme ceux de l’Union européenne, des objectifs clairs correspondant à des ambitions légitimes.

Celles que je propose à travers la loi d’orientation agricole et qui se retrouvent dans les positions que nous défendons à Bruxelles, se veulent au service de l’ensemble des agriculteurs.

Je mesure l’enjeu que représentent, pour vous, producteurs de maïs, les perspectives de la réforme de la PAC, tout autant que la compréhension, évidemment réciproque, que votre filière doit retrouver vis-à-vis de l’opinion publique, notamment sur le dossier de l’eau.

Je souhaite que votre détermination à prendre, par le dialogue et la concertation, toute votre place dans cette nouvelle définition des relations entre l’agriculture et la Nation soit clairement prise en compte. Je serai donc à vos côtés pour l’expliquer cela et défendre ainsi efficacement votre secteur.