Déclaration de M. Edmond Alphandéry, ministre de l'économie, sur les relations économiques et financières franco-allemandes dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne et de la mise en œuvre de la 3e phase de l'union économique et monétaire, Paris le 23 janvier 1995.

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Circonstance : Colloque sur les relations financières franco-allemandes à La Sorbonne le 23 janvier 1995

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,

Je suis très honoré de prendre la parole ce soir devant une assemblée franco-allemande dont je mesure, soyez sûr, la haute qualité.

J'ai eu l'occasion lundi dernier à Bruxelles de confirmer devant mes collègues du Conseil Ecofin les trois priorités de la présidence française : élargissement, renouvellement, approfondissement. C'est ce troisième pilier, et le rôle qu'y jouent les relations franco-allemandes que je souhaiterais développer un peu avec vous aujourd'hui.

La France et l'Allemagne constituent le cœur de la constitution européenne. Tous ceux ici réunis, je le sais, en ont l'intime conviction. Conviction renforcée par la réalité quotidienne d'un partenariat sans faille.

1. Dans le domaine financier, nos deux pays partagent en effet deux caractéristiques fondamentales :

D'abord une même conception d'une sphère financière très structurée, avec une part importante d'intermédiation et des relations solides entre les différents types d'intervenants.

Ce point est, je crois, bien décrit dans le document préparé par la Fondation FINANCE qui a servi de support de réflexion à cette journée.

Ensuite, et peut-être surtout, une même culture de stabilité monétaire.

Cette affirmation peut surprendre alors que le franc s'est déprécié par rapport au mark jusqu'en 1987 et que la Banque de France n'est formellement indépendante que depuis un peu plus d'un an.

Permettez-moi cependant de prendre un peu de recul. Sur les deux derniers siècles, c'est en fait la stabilité de notre monnaie qui a été la règle et son instabilité l'exception – exception qu'on retrouve en Allemagne entre les deux guerres, dans des circonstances douloureuses dont l'histoire monétaire a gardé le souvenir.

Je sais que les périodes ne sont pas directement comparables. Je crois toutefois que les Français n'oublieront pas de sitôt que l'instabilité du franc n'a rien résolu de nos carences passées en matière de croissance et d'emploi.

Depuis octobre 1993, un certain nombre d'éléments sont venus renforcer encore cette cohésion franco-allemande au cœur de l'Europe :

Au plan macro-économique, vous avez été frappés comme moi par l'extraordinaire similitude des calendriers de la reprise en 1994 en France et en Allemagne.

Les deux cycles sont aujourd'hui complètement en phase ; les composantes de la croissance évoluent elles-mêmes de façon parallèle, en ce qui concerne en particulier le rebond des exportations et le restockage, avec le relais en cours de l'investissement. C'est un fait remarquable, cinq ans seulement après le choc asymétrique de la réunification.

Au plan micro-économique, les liens entre sociétés françaises et allemandes se sont encore renforcés.

Je ne souhaite pas revenir sur tous les cas débattus aujourd'hui mais les avancées sont évidentes : succès de l'accord MATIF-DTB, excellence de la coopération entre les équipes de l'UAP et de Colonia, de la BNP et de la Dresdner Bank, du Crédit lyonnais et de la BfG, du Crédit national et de l'IKB, des AGF et d'AMB.

La liste est longue…

2. Cette communauté de vues s'est traduite dans la construction européenne et tout particulièrement dans son volet économique et monétaire.

Sans revenir sur l'historique de la construction monétaire, en tant que ministre de l'économie depuis près de deux ans, je constate que le couple franco-allemand a toujours su trouver les solutions pour faire avancer l'Europe monétaire.

Le maintien de cette cohésion franco-allemande a été particulièrement évident et bénéfique dans la résolution des difficultés du système monétaire européen de 1993. L'élargissement des marges de fluctuation, tout en désarçonnant la spéculation contre le système monétaire européen, a permis d'en maintenir les mécanismes.

Les réunions fréquentes de sommets économiques et financiers franco-allemand, notamment celle d'août 1993, ont manifesté également cette cohésion.

Dès l'automne 1993, la définition de programmes de convergence allemand et français, établis de façon cohérente et concertée, a permis d'afficher le maintien de cette cohésion. Cela a aussi rassuré les milieux économiques et financiers sur la poursuite de la marche vers l'Union économique et monétaire.

De même, la mise en œuvre de la procédure des déficits excessifs dans le cadre européen à l'automne 1994, a conforté cette fois-ci, pour l'ensemble des pays européens, leur détermination à construire l'Union économique et monétaire.

Pour sa part, la France s'est préparée sur un plan interne. Je vous rappelle que depuis le 1er janvier 1994 la Banque de France est désormais indépendante dans la conduite de la politique monétaire.

Sous l'autorité du Premier ministre, M. Balladur, j'ai été particulièrement heureux d'avoir fait adopter cette mesure par le Parlement. Elle symbolise l'engagement de la France, et qui est également le mien, dans la construction monétaire de l'Europe.

La présidence française vient de démarrer. Et c'est une chance pour l'Europe, qu'elle puisse s'inscrire dans la continuité d'une présidence allemande. Présidence allemande qui accompli un travail remarquable.

Le Premier ministre, M. Balladur a indiqué que nos échéances électorales n'affecteront pas le rythme des travaux européens.

Cet engagement déterminé trouvera dans les prochains mois deux traductions :

1. Une intensification de la coordination en matière de politique économique, dans le cadre du Traité. Ceci suppose en particulier que nous résorbions rapidement les déficits publics dans les pays où ils sont excessifs. J'y reviendrai en fin d'exposé en ce qui concerne la France.

S'agissant des procédures, j'ai déjà proposé la semaine dernière d'entamer une rationalisation d'ensemble en procédant à une revue des déficits publics en juin, et non plus en octobre. Cela de façon à la rendre plus conforme au calendrier de nos procédures budgétaires nationales.

Dans le même esprit, j'attends de la Commission qu'elle remette les documents de son ressort en temps utile pour consulter nos Parlements nationaux.

2. La préparation active de l'entrée prochaine en troisième phase. Nous faillirions à l'Histoire si au stade où nous en sommes, nous ne nous fixions pas à nous mêmes comme hypothèse de travail, et comme discipline intellectuelle, la perspective d'une entrée en phase 3 à la date au plus tôt possible, c'est-à-dire le 1er janvier 1997.

Vis-à-vis de cette échéance, le temps nous est compté : il reste exactement cent semaines.

Il nous faut donc avancer vite dans l'identification et l'instruction des questions techniques liées à la mise en place de la monnaie unique, pour faire un premier rapport au Conseil de Cannes en juin 1995.

Ceci recouvre plusieurs sujets :

Au premier rang desquels IR préparation des pièces et des billets, avec les conditions de leur introduction et de substitution aux monnaies nationales ;

Mais aussi la poursuite des travaux dans le domaine des moyens de paiement scripturaux.

Je comprends que certains imaginent que pièces et billets puissent ne pas être disponibles avant plusieurs années, compte tenu des délais de production initiaux. Même si ceux-ci fluctuent au gré des discussions techniques.

Je lis ici ou là qu'il faudrait des années pour basculer les systèmes informatiques des banques et des entreprises. Je lis aussi que tout ceci coûterait fort cher. Il m'arrive d'entendre dire – en France et en Allemagne – que tout ceci dépasserait la compréhension de l'Européen moyen. Que la monnaie unique nécessiterait pour lui une adaptation psychologique…

Pour ma part, ce dont je suis certain, c'est que le premier et le principal coût, c'est l'incertitude. Plus tôt nous saurons définir un scénario de passage, moins cela coûtera et mieux nous préparerons les opinions publiques.

Ce scénario doit être complet : il ne s'agit pas seulement de dire à quelle date le système européen de banques centrales commencera ses opérations de refinancement. Il faut également dire s'il y aura ou non une phase de transition peur les pièces et les billets par exemple. Enfin, il faut tout faire pour que cette phase soit la plus courte possible.

Ceci fera naturellement l'objet d'une réflexion des États-membres. Réflexion qui sera commune avec la Commission européenne, MM. Santer et de Silguy, avec le Président de l'Institut monétaire européen, M. Lamfalussy, ainsi qu'avec les gouverneurs des banques centrales et en particulier MM. Tietmeyer et Trichet.

Mais cette réflexion avancera aussi avec l'ensemble des acteurs financiers, institutions, consommateurs, banquiers, assureurs.

C'est pourquoi je viens de confier au comité des usagers du Conseil national du Crédit le soin de rédiger un rapport sur les aspects pratiques pour les consommateurs et les institutions financières de l'introduction de la monnaie unique.

De mon côté, je m'efforcerai tout particulièrement de donner un plan nouveau à la réalisation du marché intérieur des services financiers, en axant les travaux sur la sécurité, la transparence et l'ouverture.

Ceci veut dire de façon très pratique :
– avancer sur la directive sur l'indemnisation des investisseurs,
– porter la surveillance prudentielle des assurances au niveau des groupes (comme pour les banques),
– favoriser l'adoption de la directive sur les virements transfrontaliers, qui permettra de concrétiser pour les particuliers la réalité du marché unique,
– travailler enfin sur les projets de règlement relatifs au système européen de comptes économiques intégrés et à l'indice des prix à la consommation.

Vous voyez que nos ambitions ne sont ni minces ni confuses.

J'en viens maintenant – et ce sera la dernière partie de mon exposé – à un sujet qui nous concerne tous et sur lequel le Président BARRE aura sans doute à cœur de revenir : les finances publiques.

Le Ministre des Finances allemand, mon ami Théo Waigel et moi-même avons présenté de façon conjointe, en novembre 1993, les plans de convergence français et allemands nous permettant de nous "qualifier" dès la première date d'entrée possible en phase III de l'UEM, c'est-à-dire au 1er janvier 1997 sur la base des résultats 1996.

Ces programmes coordonnés, présentés en plein milieu de la récession la plus sévère de l'après-guerre, ont été ouvertement critiqués à l'époque comme étant beaucoup trop optimistes ou beaucoup trop "volontaristes", selon l'expression consacrée.

Personnellement, j'assume volontiers ce type de reproche. Car l'incapacité à marquer une volonté est sans doute la critique la plus sévère que l'on pourrait formuler contre le pouvoir politique. Tel n'est pas le cas ici !

En outre, je pense que l'Histoire nous donnera raison !

Ce jugement s'est en effet d'ores et déjà avéré faux pour l'Allemagne. Je tiens à rendre ici hommage à la qualité du travail accompli depuis un an et demi en ce qui concerne le redressement des finances publiques allemandes.

Croyez-moi, je m'emploierai à ce qu'il le soit aussi pour la France, dont l'engagement dans la réduction des déficits ne doit susciter aucun doute ! En témoigne le fait que la France a réduit son déficit budgétaire de plus de 40 milliards de francs en deux ans et diminué de moitié le déficit social.

La baisse des déficits publics est bien engagée - 4,6 % en 1995 contre 5,6 % en 1994. Cela veut dire qu'il nous reste encore un effort à faire pour atteindre l'objectif de 3 %.

Je suis de ceux qui pensent qu'il faut donner un "coup de collier" sans attendre, et que l'objectif peut être atteint.

Il nous faut notamment poursuivre au plus vite le redressement des comptes sociaux en général et l'assurance-maladie en particulier. Dans ce domaine, le succès des résultats obtenus pour le moment en Allemagne montrent qu'il n'y a pas de fatalité.

Dans la situation actuelle en France, il ne suffit plus que les dépenses de la branche maladie croissent au même rythme que le PIB de moyen terme pour que le régime sorte du déficit à un horizon de temps convenable.

Bien sûr, il faut dès à présent travailler à l'équilibre de long terme en confortant la maîtrise médicalisée par un système global de régulation économique mis en place avec les professionnels et reposant lui-même sur la fixation d'objectifs quantifiés nationaux. Cette nécessité ressort nettement du Livre blanc sur la santé de M. Soubie.

La France est en mesure aujourd'hui de consentir cet effort de quelques dixièmes de points de PIB supplémentaires, compte tenu de la vigueur de la reprise et de son enchaînement qui se confirme indice après indice comme très sain.

Je suis personnellement convaincu que les effets de ce "coup de collier" seront très positifs pour l'économie française – en termes de taux à long terme notamment.

De toute façon, je l'ai dit à l'instant et je le répète : je ne conçois pas personnellement d'autre scénario que celui de mettre la France en condition pour qu'elle se qualifie pour la phase III dès 1997.

Voilà Mesdames Messieurs, qui confirme clairement l'engagement de la France aux côtés de l'Allemagne pour un approfondissement de la construction européenne et notamment de l'Union économique et monétaire.

Au-delà du gage de prospérité et de bien-être accrus pour tous, n'est-ce pas la meilleure arme dont nous disposons pour la paix en Europe ? Tel est le sens ultime de notre combat que croyez-moi nous conduirons longtemps avec ardeur.

Je vous remercie.