Interview de M. Alain Lamassoure, ministre chargé des affaires européennes, dans le journal luxembourgeois "Tageblatt" le 11 janvier 1995, sur le programme de la présidence française de l'Union européenne et sur la nomination de M. Jacques Santer à la présidence de la Commission européenne.

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Média : Tageblatt

Texte intégral

Q. : (Sur la continuité des présidences allemande et française ?)

R. : Les présidences allemande et française se sont succédées puisque la France a pris la Présidence le 1er janvier 1995, l'Allemagne ayant achevé la sienne le 31 décembre 1994. Il était naturel que les deux gouvernements décident de se concerter étroitement. Des procédures ont été mises en place, des groupes de travail ont été créés qui se sont réunis régulièrement, pour assurer la continuité des politiques.

Les conclusions du Conseil européen d'Essen traduisent le résultat de cette coopération, puisqu'y figurent des éléments qui constituent des priorités pour la présidence française du premier semestre 1995 et qui ont été reprises par la présidence allemande. On peut citer à ce titre l'importance attachée à la mise en œuvre des actions pour promouvoir la croissance et l'emploi, les engagements pris pour une politique méditerranéenne, la priorité accordée à la mise en œuvre de la coopération sur les questions intérieures et judiciaires.

Par ailleurs, des initiatives communes ont été prises, comme celle sur le racisme et la xénophobie : engagées par la Présidence allemande, elles déboucheront sous Présidence française.

Q. : (Sur l'objectif croissance et emploi ?)

R. : Le Conseil européen d'Essen, les 9 et 10 décembre 1994, a déjà confié un mandat au Conseil des ministres, que la Présidence française va mettre en œuvre, en lui demandant de poursuivre et de développer la stratégie du Livre blanc pour consolider la croissance et améliorer la compétitivité de l'économie européenne ainsi que la qualité de l'environnement.

À cette fin la présidence française s'est fixée de nombreux objectifs au sein des différents Conseil des ministres qui se réuniront au premier semestre 1995.

Elle préparera les échéances en matière économique et monétaire pour parvenir à la monnaie unique à partir de 1997 et au plus tard en 1999.

Elle mettra en œuvre la décision du Conseil européen d'Essen sur les 14 projets d'infrastructure en adoptant la carte des réseaux transeuropéens et le règlement permettant leur financement ainsi que la directive sur l'interopérabilité des réseaux ferroviaires à grande vitesse.

Elle poursuivra l'adoption des mesures nécessaires à l'achèvement complet du Grand marché, dans le respect du principe de subsidiarité. Outre l'allégement des contraintes qui pèsent sur les entreprises et le renforcement des politiques communes en leur faveur, la présidence française présentera un mémorandum sur la protection des consommateurs qui lancera de nouveaux projets (accès des consommateurs à la Justice, garantie des biens de consommation, des services après-vente, des contrats négociés à distance). Elle fera avancer les travaux sur plusieurs textes concernant la protection de l'environnement (biocides, prévention et contrôle intégré de la pollution, qualité de l'air et de l'eau etc.). Elle fera également avancer l'examen de plusieurs dispositions en matière de santé (lutte contre le SIDA, le cancer et la tabagisme, prévention contre la toxicomanie). Elle s'efforcera, enfin, de renforcer les modalités permettant d'appliquer avec efficacité le droit communautaire, notamment en lançant une réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre la fraude et renforcer les sanctions adoptées par chaque État-membre pour faire respecter les dispositions communautaires.

Comme vous le voyez, ce programme est vaste, et je n'ai pas cité tous les textes, toutes les dispositions, que nous avons l'intention de faire adopter aussi vite que possible dans tous les domaines de la vie communautaire pour aider à la reprise de l'activité économique, permettre une relance des investissements et de la consommation, et développer un véritable modèle social européen.

Q. : (Sur la question de sécurité extérieure et intérieure ?)

R. : Sur le plan extérieur, tout d'abord, il s'agit d'améliorer et de renforcer la stabilité du continent européen avec la conclusion d'un pacte de stabilité regroupant des accords de bon voisinage lors de la Conférence sur la stabilité en Europe qui aura lieu à Paris en mars 1995.

Il faut aussi continuer à rechercher une solution politique au drame de l'ex-Yougoslavie, qui rend encore plus pressante l'affirmation du rôle de l'Union de l'Europe occidentale comme instrument d'une politique de défense commune aux États membres de l'Union européenne.

Nous renforcerons aussi notre coopération avec les pays d'Europe centrale et orientale pour les aider à préparer leur adhésion.

La présidence française privilégiera également l'affirmation d'une politique méditerranéenne de l'Union, tant vis-à-vis du Maghreb que de la Turquie ou du Moyen-Orient. Elle dégagera un accord sur la poursuite du partenariat avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

Sur le plan intérieur, notre objectif est là aussi d'améliorer le fonctionnement de la coopération sur les affaires intérieures et judiciaires. Tout d'abord nous avons la ferme intention de parvenir à un accord pour le Conseil européen de Cannes sur la création d'Europol, qui sera un rouage essentiel de cette coopération.

Par ailleurs, nous nous attacherons à faire adopter certains textes de nature à renforcer la lutte contre l'entrée irrégulière d'étrangers provenant de pays tiers (liste commune sur les visas).

Parallèlement avec l'intégration et la libre circulation dans l'Union des étrangers en situation régulière.

Nous développerons aussi la lutte contre la drogue et la criminalité.

Q. : (Sur la politique culturelle ?)

R. : Nos ambitions sont doubles : premièrement faire progresser les discussions au Conseil des ministres sur la direction « Télévision sans frontières » dès que nous disposerons, en février peut-on espérer, de la proposition de la Commission. Il s'agit de favoriser la libre circulation des œuvres télévisuelles à l'intérieur de l'Union tout en respectant et en favorisant l'épanouissement de l'identité et de la culture européenne dans sa diversité. Dans le même esprit, nous nous efforcerons de faire avancer les travaux sur les propositions à venir de la Commission concernant le renouvellement du programme « Média », afin de soutenir la production d'œuvres européennes.

Deuxièmement, développer le plurilinguisme en proposant aux États-membres d'adopter une résolution qui encouragerait l'enseignement obligatoire d'au moins deux langues étrangères des pays de l'Union.

Q. : (Sur la conférence intergouvernementale de 1996 ?)

R. : À ce stade, il n'est pas envisagé de faire des propositions, mais de préparer la première réunion des Représentants des gouvernements, prévue au début du mois de juin. Chacune des institutions doit présenter son propre rapport, et la Présidence française aura à cœur de faire en sorte que celui du Conseil des ministres soit prêt en temps utiles, fin mai. Ce rapport posera les problèmes, tous les problèmes, tels qu'ils auront été recensés au cours des discussions préparatoires. Il n'est pas dans nos intentions de remettre en cause l'acquis européen et les progrès faits dans la construction européenne. Tout au contraire, il s'agit de progresser, et donc d'améliorer et d'adapter le fonctionnement de l'Union, qui, depuis le Traité de Maastricht, s'est enrichie de nouveaux membres et qui compte en accueillir d'autres d'ici la fin du siècle.

Q. : (Sur le régime linguistique de l'Union ?)

R. : La question du régime linguistique de l'Union n'est pas à l'ordre du jour ; et la Présidence française ne prévoit pas de l'aborder.

Elle sera traitée, éventuellement, lors de la Conférence intergouvernementale de 1996 dont je viens de parler.

Q. : (Sur la nomination de Jacques Santer ?)

R. : La France se réjouit de la désignation, à l'unanimité des États-membres, de M. Santer qu'elle connaît bien et qu'elle apprécie. Nous avons une grande confiance dans la capacité de M. Santer à mener les affaires européennes : le Luxembourg est un des pays fondateur, il pratique depuis plus de trente ans l'esprit européen et a su apporter beaucoup à la construction de notre Union. Je n'ai pas de doutes que son ancien Premier ministre saura utiliser toutes les ressources d'un pays central comme le Grand-Duché pour faire avancer la construction européenne.