Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Je mesure comme un honneur, pour mon pays d'abord, pour moi-même ensuite, d'avoir aujourd'hui à m'exprimer devant vous, comme un Européen devant d'autres Européens. Je ressens cet honneur à un triple titre. Ministre d'État du gouvernement français, engagé dans l'action politique de mon pays depuis près d'un quart de siècle, connaissant et aimant la langue, la littérature et la culture de votre pays, je suis convaincu que rien de durable, que rien de grand, ni d'utile ne se fera, en Europe, sans notre constante et commune volonté. C'est, d'ailleurs, ce qu'avait déjà écrit dans des années difficiles Gustav Stresemann – je le cite « … Annaherung und Ausgleich mit Frankreich sind die Voraussetzungen für den Frieden in Europa ».
La paix, messieurs, avait dit Stresemann. La paix et la liberté, piliers de la construction européenne. Elles ont un prix : cela s'appelle la défense. La défense occupe, comme vous le savez, une place singulière dans la construction européenne. Parlant devant vous, ici et en Bavière, c'est à la très grande figure de cet Européen que j'ai eu l'honneur de connaître que je songe : à Franz-Joseph Strauss, dont la marque qu'il imprima à la Bavière, à son parti, à son pays est toujours très visible et qui fut, en des années décisives, un grand ministre de la défense de la République fédérale.
Je veux rappeler, en premier lieu, que la construction européenne est née de la défense. Notre projet commun n'a pu prendre corps qu'en raison d'une menace, mortelle pour notre existence et pour nos valeurs, et qui fut un puissant facteur de cohésion de l'Europe occidentale. Les premières pierres de l'édifice européen – le traité de Bruxelles, en 1948, la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, en 1950 – étaient destinées à forger notre solidarité dans ce domaine.
Ensuite, parce qu'il est vrai que l'existence de l'Alliance atlantique – garantie ultime de notre sécurité collective – a longtemps donné au projet de défense européenne un caractère quelque peu subsidiaire. Mais c'est bien la pérennité de cette Alliance qui confère, aujourd'hui, au projet que j'évoque un caractère volontariste. L'Europe de la défense se construit, en complément de l'Alliance, non plus contre un État ou un groupe d'États, mais autour d'un projet commun. Nous ne résistons aujourd'hui à rien d'autre qu'à nos propres divisions d'Européens.
Troisièmement, cette construction s'effectue par le biais de ce que Robert Schumann aurait appelé – je le cite : « des réalisations concrètes, créant des solidarités de fait ». En forgeant des outils qui pourront être utilisés par une institution ou par une autre, par un groupe de pays ou par un autre.
Nous ne devons pas, pour autant, séparer à l'excès la défense des autres dimensions de la construction européenne – la sécurité est globale et notre démarche pour l'Europe ne peut pas se diviser. Mais le dispositif militaire européen doit conserver sa souplesse d'utilisation. Aussi souvent que possible, il faut mettre en commun des instruments de défense compatibles entre eux, sous l'autorité politique collective des chefs d'État et de gouvernement européens réunis en Conseil.
Dans cette Europe de la défense, le lien particulier entre la France et l'Allemagne est un élément décisif. C'est autour de ce lieu que se créera le tissu de solidarité nous permettant d'aborder, ensemble, notre destin. Ce sera l'objet de ma première série de remarques.
(1) Nous pouvons connaître, Mesdames et Messieurs, les risques d'une divergence d'approche entre nos deux pays, dans le traitement des grandes questions de politique européenne concernant la sécurité. L'absence de stratégie commune, dont nous avons eu un exemple au début de la crise balkanique, doit être considérée par nous comme un grand péril : non seulement pour nos deux pays, mais aussi pour l'ensemble de l'Europe. Personne, quel que soit le côté du Rhin d'où l'on s'exprime, personne n'a intérêt à l'affaiblissement de notre relation, faite de confiance et de détermination.
Notre relation s'est affirmée dans le contexte de l'après-guerre froide. Comment ne pas l'approfondir, alors que l'Allemagne s'est trouvée, et continue à se trouver, au cœur même de ce formidable mouvement de liberté et d'identité qui s'est emparé de l'Europe centrale, depuis cinq années ?
Nous travaillons, ensemble, pour le règlement de la crise dans les Balkans. Comment ne pas le faire, lorsqu'on sait ce que nous a coûté ; en souffrances européennes, la déflagration balkanique de 1914 ?
Nous nous concertons, dans le cadre du nécessaire travail d'adaptation des structures et des procédures de l'Alliance atlantique. Comment ne pas le faire, alors que vous avez été le pays le plus exposé de l'Alliance ?
Mais le couple franco-allemand n'est pas pour autant un ensemble fermé sur lui-même, n'acceptant d'autre ouverture que son propre dialogue interne.
Il nous faut veiller à ne pas créer de perceptions erronées ou jalouses, de notre coopération. Des initiatives franco-allemandes ont été à l'origine de la plupart des grands projets européens dans le domaine de la défense. Ces initiatives ont, toutes, eu une vocation d'ouverture. Elles ne sauraient et ne sauront se limiter à nos deux pays, quelque indispensables qu'elle demeurent.
Si nous agissons à deux, nous le faisons aussi, quelquefois, en raison de l'absence d'une démarche d'ensemble des Européens, toujours difficile à obtenir. Très souvent, c'est pour nous le moyen de mettre en mouvement ce vaste espace de liberté où, naturellement, continuent de jouer les intérêts nationaux.
Vous connaissez la liste de nos efforts récents, du Corps européen à l'Agence des armements, auxquels vient désormais s'ajouter le domaine satellitaire. Le spatial militaire étant, à l'évidence, une clef essentielle dans la maîtrise par nous-mêmes de nos informations, c'est-à-dire de notre indépendance de jugement et d'action. La France et l'Allemagne, associées, sur ce sujet, c'est un moment historique dans l'évolution de notre continent. Mon collègue Volker Ruhe en est persuadé comme je le suis moi-même. Nous pouvons être fiers de ce qui a été accompli, comme de ce qui est en train de s'accomplir.
Ces efforts, vous le savez bien, ne se limitent pas au domaine strictement militaire. J'ai en mémoire, à cet égard, l'initiative sur le statut d'association à l'UEO des pays d'Europe centrale et orientale. Voilà un excellent exemple de la philosophie d'ensemble d'une construction européenne que nous avons – vous et nous – la volonté d'animer. Cette initiative est d'ailleurs révélatrice, s'il en était besoin, du caractère artificiel d'un débat qui présenterait, comme les deux branches d'une alternative, l'approfondissement de la relation franco-allemande, d'un côté, et l'ouverture à l'Est, de l'autre.
Pour chacun de nos deux pays, l'Europe de la défense est une construction polymorphe, qui tire avantage de l'existence d'autres formes de partenariat.
Des progrès sont accomplis, pas à pas, avec le Royaume-Uni. Avec l'Espagne et avec l'Italie également. Ni alternative, ni substitut, ni concurrent du couple franco-allemand, le partenariat franco-britannique, comme la relation de la France avec ses deux sœurs latines, sont un complément de ce que nous construisons, depuis plus de trente ans, avec la patience de la lucidité.
De même avons-nous intérêt à renforcer notre coopération commune avec la Pologne, pays auquel nous sommes particulièrement attachés, pour des raisons qui tiennent à la mémoire commune de nos deux peuples, autant qu'à la place de la Pologne dans l'Europe moyenne – cette Mitteleuropa, dont une grande part de notre culture est issue.
À nos deux pays, des échéances s'imposent. La succession des présidences allemande et française de l'Union européenne a déjà suscité une coordination, nécessaire, de nos efforts. Le chancelier Kohl, dans une formule audacieuse, avait évoqué l'idée d'une Présidence commune de douze mois.
Nous devrons, cette année, aller plus loin. Une véritable stratégie franco-allemande pour la Conférence intergouvernementale de 1996 doit émerger. D'autant plus que la sécurité et la défense seront au cœur de ces débats, comme ils l'ont été de chacun des sommets bilatéraux entre la France et ses partenaires européens – allemand, britannique, espagnol, italien – dans les derniers mois de 1994.
D'autres échéances sont moins apparentes, ou moins proches. Mais l'architecture de sécurité et les relations entre l'UEO et l'Alliance atlantique doivent, également, faire l'objet d'une réflexion conjointe de notre part, dans la perspective de l'échéance de 1998, qui marquera le cinquantenaire du traité de Bruxelles.
De même, la question des interventions extérieures devra-t-elle faire l'objet d'une réflexion commune. C'est, en effet, cette année que le Corps européen va devenir opérationnel. Il devra être doté d'une capacité de réaction immédiate, en cas de crise. Quel meilleur exemple de son intervention possible, que celui qui nous permettrait d'agir, ensemble, dans une situation de drame humanitaire, comme hélas certains conflits nous en donnent l'occasion ? Au-delà de ces situations, c'est à une véritable réflexion sur les intérêts stratégiques partagés que nous devrons nous livrer, à l'image de nos deux livres blancs sur la défense, dont bien des pages pourraient désormais être écrites en commun.
Une évidence s'impose à nous : la coopération bilatérale fait naître une somme d'échanges, de programmes, de réalisations concrètes qui constituent la trame indispensable au projet d'ensemble de la construction européenne. Sans la coopération – notamment industrielle – le projet européen ne peut prendre forme ; sans projet politique européen, la coopération perd de son sens.
Comme l'a proposé le Premier ministre français Édouard Balladur, la formidable évolution du cadre de notre coopération, l'ampleur qu'a connu le développement de celle-ci, l'intérêt même de nos deux pays pourraient nous conduire à une actualisation du traité de l'Élysée, pour en renforcer encore, devant nos opinions publiques, la portée et les perspectives.
À ces premières analyses je souhaite ajouter devant vous quelques réflexions quant à l'avenir de l'Europe de la défense, c'est-à-dire l'avenir de la France et de l'Allemagne dans l'Europe.
(2) Je crois que nous n'avons pas encore pris toute la mesure des conséquences de la réalisation de l'union économique et monétaire. L'Union monétaire est comme la propédeutique de la politique de défense commune. L'harmonisation, progressive et prudente, de nos politiques budgétaires ne pourra que créer les conditions d'une véritable marche en avant de la coopération de défense.
De même, la création d'entreprises franco-allemandes dans le domaine de l'industrie de défense me semble être une condition de notre efficacité commune, tant vis-à-vis de nos propres armées que vis-à-vis des enjeux de l'exportation.
Il faut en être très conscients : ce n'est pas à travers l'addition des faiblesses et des réductions budgétaires que se construira la défense européenne. Pour une population beaucoup plus importante, pour des risques plus immédiats, à travers notre histoire déchirée et meurtrie, nous investissons pour notre défense, nous Européens, environ la moitié de ce que les États-Unis investissent pour la leur.
Nous comprenons donc tous que l'architecture européenne de la défense devra évoluer. Les relations entre l'Union européenne et l'UEO sont, par nature, vouées à cette évolution.
Pour l'avenir, plusieurs schémas existent. Le débat ne saurait se résumer au choix, réducteur et simpliste, entre ce qui serait d'un côté la fusion des institutions existantes, c'est-à-dire une sorte d'amalgame des armées nationales, et de l'autre leur séparation radicale. Mais une réflexion de nature historique pourra, utilement, nous inspirer.
Nous ne devrons pas rechercher la fusion, c'est-à-dire la confusion, de nos appareils de défense nationaux dans un seul et même ensemble, unique, homogène dans sa hiérarchie, placé sous l'autorité d'un responsable dont on voit mal, dans un avenir prévisible, par qui .et comment il serait désigné. C'est bien une formule du même genre qui, en 1954, compta parmi les raisons de l'échec de h Communauté européenne de défense !
L'autorité politique, collective, de l'Europe devra avoir à sa disposition, sous son seul contrôle, un ensemble d'outils institutionnels et militaires – y compris une capacité interarmées de commandement – qui lui permettront d'agir : sans délai, en toute autonomie, avec les moyens appropriés. Ces moyens pouvant être ceux de quelques-uns des États européens mettant en commun des forces comme cela est en train de se développer.
Cela signifie que l'on ne peut pas, raisonnablement, prévoir à court terme une évolution linéaire .et identique, tant des principaux aspects de la construction européenne, que des pays qui la mettent en œuvre.
On a beaucoup parlé, ces derniers temps, de la notion de noyau dur, à partir des concepts présentés par le document élaboré par la CDU – CSU. Même si certaines de ces thèses ont été mal comprises, même si elles paraissent à certains un peu abruptes, elles ont le mérite d'ouvrir un débat qui me semble essentiel pour l'avenir de la construction européenne.
La construction européenne, qui restera toujours une maturation sui generis, ne peut échapper à la flexibilité. Le caractère évolutif, dans l'espace et dans le temps, de cette construction est plus évident aujourd'hui, avec l'éclatement du cadre géopolitique trop longtemps figé de la guerre froide.
Il nous incombe, dès lors, d'aménager cette évolution au mieux ; de réconcilier l'esprit du projet européen et l'efficacité de ses institutions ; de prendre en compte, dans le même temps, les intérêts de chaque État membre et la réalisation des intérêts communs. Une évolution différenciée de l'Europe est donc possible, tant qu'elle n'affecte pas la cohésion de l'Union, ni la solidarité de ses membres et tant qu'elle ne porte pas atteinte à l'esprit de la construction qu'ensemble nous avons voulue.
C'est à nous, Allemands et Français, qu'il appartient de concilier le nécessaire pluriel des intérêts et des cultures de chaque nation, avec le singulier – tout autant nécessaire – du projet politique commun. Le Chancelier Adenauer et le Général de Gaulle, avec une exceptionnelle lucidité et un grand courage l'avaient bien compris.
Le nombre croissant des coopérations, sous diverses géométries, me conduit à croire à la fécondité de cette notion de cercles, qui ne seraient pas forcément ou systématiquement « concentriques », même si nos deux pays ont la vocation et la volonté d'être au cœur de chacun d'entre eux.
À l'évidence, un pôle européen – ce que certains d'entre vous appellent kern-Europa – se développera sans doute sui generis. Mais il importe que l'Union européenne conserve, intact, son rôle d'attraction et de stabilité.
La Conférence intergouvernementale de 1996 est l'échéance majeure qui se profile devant nous. J'affirme que la défense sera au premier rang des débats qui, d'ici là, seront engagés. Que signifie le débat institutionnel, si ce n'est la formulation juridique d'une légitimité de la décision européenne ? Quelle décision est plus lourde que celle qui consiste à agir militairement ? Nous sommes condamnés à réussir l'attente des opinions publiques est d'autant plus grande que le scepticisme et la critique ont fait place, pour nombre de nos concitoyens, à l'espoir d'une Europe unie.
Le 30 juin 1952, Raymond Aron fut invité par l'université de Francfort à prononcer une conférence aux étudiants, dont le thème était – je cite : « l'Europe et l'unité de l'Allemagne ». J'ai retrouvé ce texte. Il nous livre, à plus de quarante ans de distance, d'utiles leçons.
« Le choix n'est pas pour vous » – je cite Raymond Aron, qui s'adresse aux Allemands de 1952 – entre « l'intégration à l'Occident et l'unité d'une Allemagne maîtresse de son sort ». Ne parle-t-il pas, aussi, aux Allemands de 1995, en leur disant qu'ils doivent faire en même temps, d'un même mouvement, d'une même volonté, ces deux choix ?
Après la disparition du Pacte de Varsovie, l'éclatement de l'Empire soviétique, l'unification allemande, que signifie, pour l'Allemagne d'aujourd'hui, l'ancrage à l'Ouest, la Westbindung chère, à juste titre, au chancelier Adenauer ? L'unité allemande et l'unité européenne sont, en fait, les deux versants d'un seul et même mouvement, que la première épaule et que la seconde fortifie.
Les Allemands n'ont pas à prouver leur identité d'européens. Sans l'Allemagne, sans la culture allemande, l'Europe ne serait pas ce foyer d'intelligence et de civilisation qu'elle est devenue. Mais nous devons continuer, avec vous, ce dialogue engagé voici plusieurs siècles et auquel, hélas, a succédé pendant quelques temps le fracas des am1es et l'ombre des menaces.
Il est vrai qu'un nouvel équilibre européen s'esquisse, sur un continent déchiré par le drame des Balkans et que la Russie n'a pas fini d'inquiéter. Il est vrai que ce n'est plus le Rhin – der Vater Rhein, « le père Rhin » – mais la grande plaine du continent européen qui devient le lieu d'accueil pour une Europe qui se retrouve. Du Rhin au Danube, si l'on veut : c'est ce dernier qui symbolise notre continent sur la place Navone, à Rome, ainsi que l'a sculpté le Bernin !
Avec la chute du mur de Berlin, l'Europe retrouve, en même temps, son histoire et sa géographie. C'est ainsi, et c'est bien ainsi. L'association rapide des nouvelle démocraties d'Europe centrale et orientale, dont la fragilité est, quelquefois, préoccupante, aurait pour vertu de les stabiliser. Mais l'élargissement à l'Est ne saurait faire l'économie d'une réflexion, parallèle, sur celui de l'Alliance atlantique et de l'UEO. C'est dire que l'impérieuse nécessité d'un élargissement concerté devra préserver l'efficacité des institutions européennes et renforcer notre capacité commune de décider et d'agir.
Souvenons-nous, Messieurs, que la construction européenne n'a rien d'un processus linéaire ou définitif. C'est un mécanisme qui connaît des cycles, suivant un modèle qui voit succéder, à des succès économiques foudroyants, des difficultés politiques. C'est la CECA de 1950, à laquelle succède la CED de 1954 ; c'est le traité de Rome auquel succède le plan Fouchet ; c'est la politique agricole commune et la question de la souveraineté ; c'est l'Acte unique et le traité de Maastricht…
Tout se passe comme si le système communautaire imaginé par les pères de l'Europe était assez bien adapté à l'économie – domaine des vérités objectives – et se heurtait au politique – domaine des valeurs concurrentes. À moins qu'une volonté politique n'emporte, à la fin, la décision.
Mesdames et Messieurs, le projet européen de la CDU-CSU, auquel je faisais allusion tout-à-l'heure présente à mes yeux une grande qualité : il désigne, clairement, la France comme partenaire privilégié de l'Allemagne. Il nous tend la main. Il nous pose la question de confiance : la France veut-elle continuer à construire l'Europe avec l'Allemagne réunifiée, ou bien, préférant préserver sa propre liberté d'action – fût-elle réduite – veut-elle s'engager dans un jeu d'équilibre dont nous connaissons trop les risques ? L'Europe que la France veut bâtir ressemblera-t-elle à un espace, ou à une puissance ?
Notre choix est fait. L'engagement européen du gouvernement français est sans faille, à condition d'adapter l'Europe organisée aux conditions nouvelles de l'après-guerre froide. C'est alors que la défense revient en pleine clarté au premier rang des urgences de l'heure, c'est alors qu'il appartient, à la France, d'exprimer une volonté politique. De défendre un projet. D'encourager avec ses partenaires, au premier chef l'Allemagne, l'expression d'une volonté commune et ferme d'aller de l'avant.
J'ai parlé de volonté : la relation franco-allemande, nous le savons, est une construction permanente. Elle ne va pas de soi. Elle suppose le désir des peuples et elle exige la volonté des gouvernements. Mais c'est ce quelque chose de jamais achevé qui nous élève : « … dass wir nicht enden können, macht uns gross ! » disait Goethe.
Vous l'avez compris, Mesdames et Messieurs : de la politique économique et monétaire à la politique extérieure et de défense, il y a une continuité essentielle et qui fonde notre projet politique en devenir : il nous revient, à nous Français et à vous Allemands, d'assurer et d'assumer l'indépendance et la sécurité de l'Europe, pour permettre à notre continent de jouer tout son rôle dans le monde et de peser dans le concert des nations.
À nous Français, à vous Allemands, il nous faudra être à la fois passionnés, responsables et lucides. N'était-ce pas, déjà, ce que Max Weber recommandait aux hommes politiques lorsqu'il disait – je le cite : « … drei Qualitäten (sind) vornehmlich entscheidend für den Politiker : Leidenschaft, Verantwortungsgefühl, Augenmass ». C'est sans doute cela, aussi, qui nous réunit aujourd'hui.