Texte intégral
TF1 : dimanche 15 janvier 1995
C. Chazal : En soutenant E. Balladur, vous soutenez implicitement qu'E. Balladur est candidat ?
C. Pasqua : La décision officielle de candidature, tout le monde le sait, interviendra dans la semaine qui vient. Cette candidature est normale et les Français la ressentent comme telle.
C. Chazal : Votre décision de soutien a-t-elle été difficile à prendre, puisque l'on sait votre amitié de longue date avec J. Chirac.
C. Pasqua : Ce n'est jamais une décision très facile à prendre. Mais il ne faut pas se déterminer en fonction des personnes, mais en fonction des idées que l'on sert. Je n'ai jamais changé d'avis, ni de parti. Depuis que je suis engagé à servir le général de Gaulle, ses idées, je suis resté fidèle à cet engagement. Les hommes, les dirigeants, peuvent changer. L'important est de choisir celui qui, au moment opportun, est le mieux à même de faire triompher ses idées. Je n'ai jamais contesté à J. Chirac les capacités d'être président de la République. C'est un homme d'État, tout comme E. Balladur. Mais il est évident, qu'à l'heure actuelle, le mieux à même de rassembler très largement c'est E. Balladur. D'autre part, personne ne peut contester qu'il appartient à notre famille.
C. Chazal : Le RPR va-t-il rouler pour E. Balladur ?
C. Pasqua : Je ne me situe pas du tout à ce niveau. L'intérêt du mouvement gaulliste, et celui de la France, c'est qu'il y ait deux grandes formations de la majorité. Je souhaite donc que le RPR continue à exister. C'est vrai qu'il a été conçu pour porter l'un des nôtres – en l'occurrence J. Chirac – à l'Élysée ; mais pour servir les idées dont je parlais. Chacun doit se déterminer en fonction de l'intérêt général. Le RPR doit donc continuer à exister, et les mesures à prendre appartiennent aux dirigeants et aux cadres ce mouvement. J'ai une ambition qui va au-delà : conforter la majorité telle qu'elle existe depuis 1993, et telle qu'elle a soutenu le gouvernement. Dans cette majorité, le RPR tient une grande place, comme d'ailleurs l'électorat RPR derrière Balladur.
C. Chazal : Est-ce q te vous allez convaincre J. Chirac de se retirer ?
C. Pasqua : La présence de J. Chirac est légitime dans une campagne présidentielle, elle est logique. Je trouve simplement que la situation d'aujourd'hui est la conséquence logique des décisions prises en 1993. Lorsque J. Chirac n'a pas voulu aller à Matignon… Dieu sait que je lui ai suffisamment conseillé d'y aller. Chacun sait que, personnellement, j'ai tout fait pour que l'arbitrage soit rendu par les électeurs de la majorité à l'occasion de primaires. Ce qui aurait évité cette situation.
C. Chazal : Cette situation divise le RPR ?
C. Pasqua : Les militants du RPR, naturellement, sont attachés à J. Chirac, c'est tout à fait logique ; ils ont pour lui des sentiments d'attachement personnel et d'affection, mais se sont aussi des militants politiques et ils sont capables de réflexion, ce qui compte, c'est de gagner les élections, et que nos idées l'emportent.
C. Chazal : Est-ce que vous vous attendez à un second tour qui opposerait E. Balladur à J. Chirac ?
C. Pasqua : Non, ça me paraît irréaliste. Il y a dans la société française des constantes et des courants profonds, la gauche en est un. Même si elle est divisée elle finira bien par être capable de désigner un candidat. À la limite un candidat moyen fera toujours aux environs de 20 % ou plus. Je crois donc que la présence d'un candidat de la gauche au second tour m'a toujours semblé être l'hypothèse la plus vraisemblable.
C. Chazal : Qu'est-ce que vous allez faire au cours de cette campagne ?
C. Pasqua : Je ne crois pas que les élections présidentielles dépendent du nombre de députés. Naturellement, plus il y en a qui se déclarent et personne ne le regretterait, mais ce n'est pas ça une campagne présidentielle. Ce ne sont pas les campagnes que peuvent faire un certain nombre de personnes, c'est la campagne que fait le candidat. La première des choses que je dois faire, c'est continuer à gouverner. Chaque fois qu'on me le demandera, je me déplacerai aussi et je ferai connaître mon sentiment. Je le ferai sans aucune agressivité à l'égard de quiconque parce que je crois qu'il faut rassembler, et donc il ne faut pas dire des choses qui peuvent diviser. Nous verrons bien, mais c'est d'abord à M. Balladur lui- même de dire aux Français pourquoi il est candidat, quelle politique il propose aux Français, et comment il entend s'adresser à eux pour susciter un élan et une espérance qui sont indispensables pour l'avenir.
C. Chazal : Si jamais il est élu, puisque c'est ce que vous souhaitez, qu'est-ce vous souhaitez pour vous ?
C. Pasqua : Ça alors, on ne va pas commencer à se lancer dans la politique fiction !
C. Chazal : Vous souhaitez quand même figurer dans son gouvernement ?
C. Pasqua : Oui.
C. Chazal : Ou même le diriger ?
C. Pasqua : Ça, à la limite, c'est secondaire. Il ne sert à rien d'en parler maintenant. Quand on se lance dans une campagne présidentielle, on essaie de le faire pour gagner et pour faire gagner celui que l'on soutient. Nous verrons bien par la suite.
C. Chazal : P. de Villiers se présente, c'est une candidature qui va diviser la majorité ?
C. Pasqua : Oui, c'est inévitable, à partir du moment où on n'a pas voulu de primaires. Le RPR a aussi une certaine responsabilité. Il avait signé les primaires, comme l'UDF, et ensuite on a tout fait pour qu'elles n'aient pas lieu. Le premier tour sert de primaire. Il ne faut pas perdre de vue qu'une élection présidentielle n'est jamais gagnée. Qu'on ne croie pas que les jeux sont déjà faits. Ils ne le sont pas. Sur la droite, il y a un pourcentage important de voix qui ne sont pas encore décidées à soutenir le Premier ministre.
C. Chazal : Voix qui iraient vers l'extrême droite ?
C. Pasqua : En tous les cas qui se manifesteront sur le nom d'autres candidats. Nous aurons besoin de toutes ces voix pour gagner les élections présidentielles et pour constituer une majorité aussi large que possible pour gouverner. Je crois que c'est surtout au niveau des idées que nous allons soutenir et défendre dans cette campagne, et que nous pourrons faire en sorte de rassembler très largement au second tour. C'est ce que je souhaite, et je pense que c'est ce souhaite E. Balladur.
RTL : vendredi 20 janvier 1995
M. Cotta : Hier, P. Séguin a dit que s'il ne ralliait pas E. Balladur, c'est parce qu'il ne confondait pas la politique avec le PMU. Est-ce un propos de campagne ?
C. Pasqua : C'est un propos de campagne, oui. Il ne s'agit pas de rallier le vainqueur supposé, d'autant que l'élection n'est pas faite. Nous sommes à trois mois des élections. Beaucoup de choses peuvent se passer. Il s'agit de se déterminer en fonction de ce que l'on croit conforme à l'intérêt national. Un point c'est tout.
M. Cotta : A. Madelin se prononce lui aussi pour J. Chirac, là aussi ralliement attendu qui peut modifier les choses ?
C. Pasqua : Je crois que tout le monde savait qu'A. Madelin se préparait à rejoindre J. Chirac. Je trouve cela très bien. S'il considère que J. Chirac est le meilleur, c'est normal qu'il aille avec lui. Moi, je suis avec E. Balladur, parce que depuis plus de 20 mois nous sommes ensemble. Nous avons engagé un certain nombre de réformes. Je trouve qu'E. Balladur a les qualités nécessaires pour diriger le pays. Je veux dire par là que c'est un homme déterminé, mais pas entêté. Ce n'est pas un idéologue mais pragmatique. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir un certain nombre de convictions et c'est ce dont le pays a besoin.
M. Cotta : En dessinant le portrait d'E. Balladur, faites-vous le portrait en creux de J. Chirac ?
C. Pasqua : Non pas du tout. Ne jouons pas à ce petit jeu. J'ai beaucoup d'amitié pour J. Chirac, je le connais bien. Ce n'est pas parce qu'aujourd'hui j'ai décidé de soutenir E. Balladur que je vais me mettre à critiquer J. Chirac. Chacun choisit celui qui lui semble le plus apte à un moment déterminé pour diriger le pays. J'ai soutenu J. Chirac en 81 et j'ai fait une campagne ardente pour lui en 1988. Je n'étais pas le seul d'ailleurs.
M. Cotta : Quelle va être votre campagne ardente pour E. Balladur ?
C. Pasqua : Je ne dis pas que je vais faire une autre campagne ardente. D'abord il ne faut pas oublier une chose, n'est-ce pas ? Les élections présidentielles comme eût dit M. de La Palice, cela dépend d'abord du candidat. Il ne s'agit pas d'une élection législative. Il n'y a pas dix ou vingt campagnes. C'est le candidat qui se présente qui doit créer entre le peuple français et lui, ce lien un peu mystérieux qui résulte d'une alchimie et qui fait que les Français se reconnaissent à un certain moment en lui. C'est d'abord au candidat de faire passer son message.
M. Cotta : E. Balladur a dit hier qu'il ne dissoudrait pas l'Assemblée nationale, mais F. Léotard persiste dans l'idée inverse, de quel côté vous rangez-vous ?
C. Pasqua : je n'ai pas à choisir un côté ou un autre… Qui est candidat ? C'est E. Balladur ou F. Léotard ? C'est E. Balladur, bon.
M. Cotta : Pensez-vous qu'une dissolution peut aller de soi ?
C. Pasqua : Pas du tout, je crois qu'elle serait injustifiée. D'abord parce que nous avons à l'Assemblée nationale, une majorité très large et qui nous a toujours soutenu, que nous avons engagé avec elle un certain nombre de réformes. D'ailleurs E. Balladur lorsqu'il s'est présenté devant l'Assemblée nationale a tracé un programme sur cinq ans. Un certain nombre de lois que nous avons fait voter sont des lois quinquennales qui montrent bien que nous nous sommes assigné cinq ans pour conduire le redressement du pays. D'autre part, je vois mal pourquoi un président de la République qui a une large majorité à l'Assemblée nationale, à peine élu, procéderait à une dissolution. Qu'est-ce qui pourrait arriver avec une dissolution, pourrait-on gagner des sièges ? Non, on ne pourrait qu'en perdre.
M. Cotta : Mais il pourrait s'imposer une majorité plus balladurienne que chiraquienne, non ?
C. Pasqua : Ce n'est pas le problème. Le président de la République est issu du RPR et son ambition n'est pas de faire en sorte qu'il y a moins de députés RPR ou moins de députés UDF. Nous appartenons à la même majorité. Ce n'est pas la même chose lorsqu'un président est socialiste et qu'il a une majorité de droite. Dans ce cas, il convient de dissoudre. D'ailleurs j'ajouterai qu'E. Balladur a clairement dit qu'il ne dissoudrait pas, il a pris un engagement public et il le tiendra.
M. Cotta : Dans la lettre que vous avez envoyée à J. Chirac, vous affirmez votre souci de préserver l'unité et l'avenir du RPR. Cela veut-il dire que vous vous proposez dès aujourd'hui de faire une OPA sur le RPR en cas d'échec de J. Chirac ?
C. Pasqua : Mais non. On ne raisonne pas comme cela. Je n'ai aucune envie de diriger le RPR. Je crois simplement que l'existence de mouvements politiques qui s'inspirent des valeurs et des idées incarnées par le général de Gaulle est indispensable au pays et à son équilibre. Le RPR n'est pas une fin en soi mais c'est un moyen. Le mouvement gaulliste s'est appelée différemment, il a été organisé différemment. C'est un autre problème.
M. Cotta : Mais c'est la première fois qu'il est divisé pour des élections présidentielles ?
C. Pasqua : Il y a déjà eu d'autres circonstances où nous avons été divisés. En 81, avec M. Debré par exemple. Le plus gros paquet du mouvement était avec J. Chirac, mais enfin M. Debré n'était pas n'importe qui. Cela n'a pas causé de fracture. Il y a eu Maastricht. Nous avons eu une grande partie du mouvement d'un côté et un certain nombre de dirigeants de l'autre. Ce n'est pas pour cela que le mouvement a éclaté. La capacité des gaullistes à se retrouver et à se rassembler est beaucoup plus importantes que ce que l'on imagine. Le tout, c'est qu'au cours de la campagne électorale on ne soit trompe pas d'adversaire et que l'on ne s'égratigne pas inutilement.
M. Cotta : Pensez-vous que cela est possible ?
C. Pasqua : Cela dépend des uns et des autres. Le risque est davantage au niveau des troisièmes ou quatrièmes couteaux que des dirigeants. Les dirigeants sont plus responsables. Mais il faut faire attention, si on fait monter la pression, il arrive un moment où l'on ne contrôle plus les choses.
M. Cotta : Pensez-vous qu'après les élections, il a place pour un pôle gaulliste réconcilié mais aussi pour l'UDF ? Et sous quelle forme ?
C. Pasqua : L'UDF n'est pas un parti politique. Quelle a été la raison de la création de l'UDF ? C'était un cartel électoral pour faire pièce au RPR, je crois que cela existera d'une manière ou d'une autre. Je ne crois pas du tout à un seul mouvement politique, je ne crois pas du tout à ce genre de chose. Ce n'est pas conforme à notre tempérament, j'ai d'ailleurs été toujours opposé à cela, je ne vais pas changer d'avis.
M. Cotta : Pensez-vous que les conflits internes au PS sont de nature à empêcher la gauche d'être au deuxième tour ?
C. Pasqua : Je crois qu'il est souhaitable qu'à l'occasion de cette élection il y ait un vrai débat. Il faut donc que la gauche ait un candidat. Je ne sais pas qui ce sera ? Si ce sera H. Emmanuelli ? L. Jospin ? Mais on peut penser qu'H. Emmanuelli a un préjugé favorable. Il est premier secrétaire et tient l'appareil. Je crois aux tendances profondes dans le pays. Je ne crois pas du tout que 70 % des électeurs vont voter à droite. Les gens vont recouvrir leurs tendances et leur camp. Quel que soit le candidat, le Parti socialiste fera aux environs de 20 % et il sera au second tour.
M. Cotta : Si H. Emmanuelli se présente, pensez-vous que cela libère une place vers le centre gauche pour R. Barre ?
C. Pasqua : Cela fait un peu partie de la politique fiction. Je ne crois pas. Cela étant il est très possible que R. Barre ait envie d'y aller. Nous verrons bien.