Texte intégral
TF1 : dimanche 2 avril 1995
C. Chazal : Un sondage à 12,5 % pour Le Pen. Une hausse. Quel est votre objectif ?
B. Megret : Notre objectif c'est possible aujourd'hui. Nous sommes sur une trajectoire de forte augmentation. Rien n'est joué, d'autant plus qu'il est très important que les Français puissent avoir l'occasion de faire le véritable choix entre l'un des candidats de la classe politique. Entre J. Chirac, L. Jospin et E. Balladur, ils ont tous été au pouvoir et ils ont fait la même politique. C'est la même chose. J.-M. Le Pen candidat pour une alternative véritable, d'un côté, celui qui veut que ça continue comme avant, de l'autre, celui qui veut que ça change vraiment. Ça serait l'occasion d'avoir enfin, dans cette campagne, un vrai d'abat de fond sur les enjeux de l'avenir.
C. Chazal : À quoi vous attribuez cette progression. Est-ce dû à un relatif déclin de P. De Villiers ?
B. Megret : Oui Monsieur De Villiers est en train de tomber en dessous des 5 % des voix. Je crois qu'il devrait en tirer les conclusions. Il voulait être candidat pour que ses idées soient représentées. Elles le sont par J.-M. Le Pen, puisqu'il a repris le programme du Front national, et elles sont mieux représentées par J.-M. Le Pen que par lui-même, les sondages le montrent. Je pense qu'il va en tirer les conséquences et se retirer.
C. Chazal : Si jamais vous n'êtes pas au second tour, est-ce que vous donnerez une consigne de vote ?
B. Megret : Bien sûr, J.-M. Le Pen donnera une consigne de vote, le 1er mai à l'occasion d'un grand rassemblement qui est d'ores et déjà prévu à l'occasion de la fête de Jeanne d'Arc à Saint-Germain des-Prés. Pour l'instant, notre objectif c'est le deuxième tour, parce que je crois que le système politique actuel, celui de cette Vème République, est devenu totalement déliquescent. Il y a la corruption, que l'on voit éclater tous les jours, cette semaine avec Messieurs Tapie, Mellick, Longuet. Ça c'est le scandale absolu, parce que, lorsque ceux qui sont en charge de faire des lois, de les appliquer, de les faire respecter par les citoyens au lieu d'être exemplaires dans le respect de celles-ci les bafouent, alors c'est l'autorité de lois, c'est le prestige de l'État qui se dégradent. C'est d'autant plus grave que, dans le même temps, ceux qui sont au pouvoir sont incapables de résoudre les problèmes des Français.
C. Chazal : On a vu que le propre gendre de J.-M. Le Pen était impliqué dans une affaire de violence sur la voie publique ?
B. Megret : Ça n'a rien à voir. Il s'agissait de la caravane de J.-M. Le Pen qui a été attaquée sans aucune protection de police et ils ont été amenés à se défendre. Je crois que c'était un guet-apens politico-judiciaire.
C. Chazal : Il y a eu un jugement ?
B. Megret : On verra ce que donnera l'appel.
C. Chazal : Si on retrouve J. Chirac face à E. Balladur au second tour, vous donnerez une consigne de vote. On vous sent plus critique à l'égard de J. Chirac que d'E. Balladur ?
B. Megret : C'est la rengaine habituelle. La vérité c'est que Monsieur Balladur est la première personnalité de premier plan qui a reconnu le Front national comme un grand mouvement politique représentatif dans notre pays. Ça c'est appréciable et j'espère que les autres en feront autant. Pour le reste, je dis que E. Balladur, J. Chirac c'est du pareil au même sur le plan de la politique. E. Balladur est à la tête d'un gouvernement qui, ne l'oublions pas, a été soutenu par J. Chirac. Et le bilan est très mauvais ; tant sur le plan du chômage que sur le plan de l'immigration et de la sécurité.
C. Chazal : N. Sarkozy disait qu'en aucun cas il n'y aurait d'accord avec le Front national ?
B. Megret : Nous ne recherchons pas d'accord à ce niveau-là. Ce que nous souhaitons, c'est que J.-M. Le Pen puisse incarner cette alternative qui est nécessaire. Je parlais de la corruption, je parlais de l'impuissance de la classe politique : on a affaire à des gens qui, non seulement, ne servent à rien mais qui, en plus, se servent au passage, et ça c'est très grave. Si J. Chirac est élu président de la République, je dis que le risque n'est pas nul que le président de la République soit mis en examen quelques mois après son élection. Quand on voit toutes les personnalités de son entourage qui sont mises en examen, je dis que c'est un risque majeur pour notre pays.
France Inter : mardi 4 avril 1995
A. Ardisson : Il y a la campagne du Front national et il y a la campagne des deux candidats de la majorité qui échangent des aménités à votre sujet. Hier, ici, J. Chirac se félicitait d'être en butte à votre hostilité époque et il notait que vous étiez moins catégorique à l'égard d'E. Balladur. Y-a-t-il réellement une différence de traitement entre les deux et sentez-vous qu'une partie de votre électorat pourrait se tourner vers E. Balladur au cas où J.-M. Le Pen ne serait pas présent au deuxième tour ?
B. Megret : Les choses sont en réalité très claires : il y a en effet une différence entre MM. Chirac et Balladur, dans la mesure où E. Balladur est la première personnalité de premier plan, à avoir au fond reconnu le Front national pour ce qu'il est, pour une grande formation politique représentative, légitime, enracinée dans notre pays et la traiter comme telle.
A. Ardisson : Qu'appelez-vous reconnaître ?
B. Megret : M. Balladur a traité le Front national quand il était à Matignon, dans le cadre de ses responsabilités de Premier ministre, au même titre que les autres formations politiques. Ce qui n'était pas le cas des Premiers ministres socialistes, ni de M. Chirac. S'agissant de la politique qu'il conduit, nous considérons qu'elle n'est pas différente de celle conduite par Chirac et que la politique de Balladur est aussi celle de Chirac dans la mesure où son gouvernement est un gouvernement qui a été soutenu par le RPR, l'UDF, et évidemment par J. Chirac. Donc au plan de la politique, pour nous, Chirac et Balladur c'est blanc bonnet et bonnet blanc.
A. Ardisson : Et s'agissant de la sociologie de votre électorat ?
B. Megret : De ce point de vue, on ne peut rien dire. Nous avons maintenant un électorat qui est relativement consolidé, fidélisé, pérennisé et qui adhère à notre stratégie, à notre vision des choses. Je pense que les consignes de vote que donnera J.-M. Le Pen, s'il n'est pas lui-même au deuxième au deuxième tour ce qui n'est pas encore joué, pèseront considérablement auprès des électeurs qui en tout état de cause, restent libres.
A. Ardisson : Un thème est très en vogue dans cette élection, comme dans toutes les élections présidentielles, et qui avait été lancé par R. Barre : c'est le thème de l'Etat impartial. Selon vous, l'Etat est-il plus impartial ou serait-il plus impartial, avec Chirac, Balladur, avec d'autres ?
B. Megret : Je pense qu'il y a un très gros risque d'Etat RPR et ça va même au-delà de l'Etat RPR. Une chose me frappe : c'est déjà, la situation actuelle est très malsaine. Prenez le résultat des dernières élections européennes : la liste officielle du RPR et de l'UDF, celle conduite par D. Baudis, a fait 25 % des voix. Il y avait 50 % d'abstentions, 12,5 % des électeurs inscrits qui ont des représentants à l'Assemblée nationale avec 80 % des sièges ! Nous sommes donc dans un pays où 12,5 % des électeurs sont représentés à l'Assemblée par 80 % des députés.
A. Ardisson : Ici ce n'est pas une question d'hommes mais d'institution.
B. Megret : Oui mais ça concerne deux partis, ceux dont on nous dit qu'ils vont être à l'Elysée le mois prochain. Il y a là un problème majeur d'épanouissement de la démocratie authentique, une crise de régime, une crise de légitimité du pouvoir. Et je ne crois pas qu'un président de la République issu du RPR, puisse pérenniser cette situation car il y aurait alors un pouvoir exorbitant qui serait concentré entre les mains du même système partisan.
A. Ardisson : J.-M. Le Pen présente aujourd'hui un petit fascicule de quarante pages environ, contenant son programme, ses propositions, ce n'est pas la première fois que J.-M. Le Pen se présente à l'élection présidentielle. Qu'y-a-t-il de neuf par rapport aux autre fois ?
B. Megret : C'est un contrat pour la France, avec les Français. J.-M. Le Pen entend jouer cartes sur table avec les électeurs et annoncer clairement la couleur. Car c'est facile, comme les font les autres, de multiplier les discours dans tous les domaines, de tenir toutes sortes de promesses. Il faut ensuite être clair et dire exactement sur quoi on s'engage. J.-M. Le Pen va s'engager sur un contrat avec les Français.
A. Ardisson : Sur le fond maintenant ?
B. Megret : C'est l'explication de son projet de grande envergure, de VIème République. Nous souhaitons une République qui soit plus nationale, qui rétablisse la préférence nationale, la priorité pour les Français, en France, par rapport aux étrangers et qui instaure cette préférence dans la Constitution. Nous sommes pour une République populaire, une République qui, justement, corrige cette espèce de dictature larvée de dont je parlais tout à l'heure notamment par le biais du référendum et celui d'initiative populaire. Et puis une République souveraine, c'est-à-dire qui rende l'indépendance à la France alors qu'actuellement, les décisions de plus en plus, sont prises à l'étranger dans le cadre d'organisations internationales Si les décisions sont prises de plus en plus à l'étranger, ça veut dire qu'elles ne sont plus prises, pour ce qui concerne les Français, dans l'intérêt de la France. Donc, rendre à la France sa souveraineté, son indépendance.
A. Ardisson : Ces différents termes pris séparément ont une certaine dignité, quand on les met ensemble, ça a des relents un peu désagréables ?
B. Megret : Vous considérez que la nation, le peuple, la souveraineté sont des notions qui ne sont pas…
A. Ardisson : Non, les sigles possibles.
B. Megret : Vous avez l'esprit mal tourné.
A. Ardisson : Avez-vous un pronostic pour le premier tour par rapport aux sondages et aux informations dont vous disposez ?
B. Megret : Ce qui me paraît clair, c'est qu'on fait actuellement une présentation tronquée de la réalité. On dit qu'il y a trois grands candidats. J.-M. Le Pen fait partie des quatre candidats susceptibles d'être au deuxième tour. Nous sommes, comme toujours, sous-évalués dans les sondages, d'autres sont surévalués. C'est en tout cas les informations que nous avons. Et notre objectif est donc de faire en sorte que J.-M. Le Pen puisse être au deuxième tour. Ce serait d'abord essentiel pour permettre aux Français de faire un vrai choix parce qu'au fond, les candidats du RPR, c'est la même chose et même entre le RPR et le PS, c'est la même chose. Donc, le vrais choix est entre J.-M. Le Pen et un candidat de la classe politique. Entre celui qui veut que ça change vraiment et celui qui voudrait que ça continue comme avant.
Europe 1 : vendredi 14 avril 1995
F.-O. Giesbert : J.-M. Le Pen a déclaré, hier, que pas une seule voix n'irait à J. Chirac au second tour. Vous préférez L. Jospin ?
B. Megret : Non. Je peux vous dire tout de suite que pas une seule voix du FN n'ira à L. Jospin. Le problème, avec J. Chirac, c'est qu'il cultive la [Illisible]. Chirac rime avec arnaque. C'est cela qui nous inquiète, car beaucoup de français risquent de se laisser tromper. M. Chirac nous promet exactement tout ce qu'il aurait pu faire en 1986 lorsqu'il était Premier ministre et qu'il n'a pas fait. Je pose la question : pourquoi serait-il demain ce qu'il n'a pas fait, pas su, pas voulu faire hier ? Méfiez-vous : il faut, en politique, juger les hommes non d'après leurs promesses, mais d'après leurs actes.
F.-O. Giesbert : Votre rêve, n'est-ce pas un duel Chirac-Balladur ?
B. Megret : Mon rêve, c'est un duel Le Pen-Chirac. Là, il y aurait vraiment les deux termes de l'alternative : d'un côté, le candidat de la Vème République, aujourd'hui, au bout du rouleau, une Vème République corrompue, impuissante à résoudre les problèmes, et l'autre, J.-M. Le Pen qui propose un véritable renouveau, une VIème République, entre le candidat qui ne changera rien et le candidat qui veut que ça change vraiment.
F.-O. Giesbert : Vous préférez E. Balladur parce qu'il offrirait « des perspectives de progression nouvelle pour le Front national », comme vous l'avez dit. S'il était élu, vous pourriez participer au gouvernement mis en place ?
B. Megret : Non. Je ne pense pas que les choses se présentent de cette façon.
F.-O. Giesbert : Il vous a promis des choses, comme une réforme du mode de scrutin ?
B. Megret : Non, rien de tel. O m'avait posé la question de savoir quel serait l'avenir du FN après les élections si J.-M. Le Pen n'était pas au second tour. J'avais dit que dans le cas où E. Balladur serait élu, il y aurait peut-être en effet des perspectives de progression nouvelle, notamment dans un contexte nouveau, car M. Balladur, – ça, c'est clair – a reconnu le FN comme une force représentative et légitime. Mais j'avais dit qu'il y aurait aussi des perspectives importantes même peut-être plus importantes, si J. Chirac est élu, parce que J. Chirac va trahir, l'évidence, son électorat de droite : il va détruire le RPR aussi sûrement que F. Mitterrand a détruit le PS.
F.-O. Giesbert : Vous avez besoin de reconnaissance. Vous aimeriez bien pouvoir peser sur la politique française ?
B. Megret : Non. Nous n'avons pas besoin de la reconnaissance ou de la respectabilité de ceux qui se sont compromis dans les affaires, mis en examen, de cette classe politique qui est de plus en plus corrompue. Par contre, c'est l'ambition légitime de tout mouvement politique, c'est notre devoir à l'égard de ceux qui nous font confiance de nous placer en position de peser le plus possible pour infléchir la politique de la France. Ce n'est pas le sort du FN qui nous préoccupe : c'est le sort de la France. Le FN n'est qu'un instrument. La candidature de J.-M. Le Pen est un instrument pour peser sur le destin de la France.
F.-O. Giesbert : P. De Villiers qualifie son vote comme un vote d'influence et le vote Le Pen est qualifié de vote stérile. N'a-t-il pas un peu raison ?
B. Megret : Non. M. De Villiers n'a rien compris : la politique, c'est quand même le domaine par excellence du rapport de forces. Si on n'est pas en mesure de se positionner grâce à des soutiens massifs en situation de force pour peser dans le débat politique, on n'arrive à rien. Or, M. De Villiers – les sondages le montrent – ne va pas décoller des 5 %. Il n'a pas une position qui lui permette de peser. S'il est à l'intérieur de la majorité, il est ligoté. Ce n'est pas un homme libre. Il est dans la majorité qu'il conteste. Il est donc marginalisé dans la majorité, alors que le FN, autour de J.-M. Le Pen, est une force autonome, donc libre d'agir et de peser.
F.-O. Giesbert : Les thèmes du FN n'ont pas changé mais on vous entend moins sur le social. La France n'est-elle pas menacée d'implosion sociale ?
B. Megret : Si. Je vous trouve injuste, parce que nous nous sommes beaucoup exprimés sur cette question qui nous paraît majeure : nous avons fait des propositions très audacieuses en matière de lutte contre le chômage, en matière de relèvement des bas salaires, le SMIC à 7 000 francs. Pour nous, la politique sociale, ce n'est pas le socialisme, la distribution massive de prestations d'assistance. Pour nous, le social consiste à rendre ces prestations d'assistance inutiles en permettant à chaque Français de vivre décemment du fruit de son travail, c'est-à-dire le plein emploi et le relèvement des bas salaires. Ça, ce n'est possible que si on rétablit les frontières économiques de la France, parce que, lorsque nos adversaires disent aux Français qu'on peut à la fois ouvrir les frontières, rétablir le plein emploi, maintenir le niveau de vie et les prestations sociales, c'est faux ! C'est impossible. C'est une équation qui n'a pas de solutions. On ne peut rétablir le plein emploi et maintenir le niveau de vie, voire augmenter les salaires, que si on rétablit les frontières. Sinon, la concurrence sauvage le rendra impossible.
F.-O. Giesbert : Faut-il interdire le droit de grève dans les services publics, comme le propose P. De Villiers ?
B. Megret : Ceux qui sont dans les services publics disposent d'un privilège qui n'est pas injustifié : la garantie de l'emploi. Il doit en conséquence y avoir des devoirs particuliers liés à l'existence d'un service public, le fait que le droit de grève soit strictement réglementé pour qu'il ne vienne pas empiéter sur le droit des usagers à disposer d'un service public en permanence.
F.-O. Giesbert : Vous proposez une réduction des impôts. Est-ce vraiment sérieux quand on connaît l'état des déficits publics ?
B. Megret : C'est le gouvernement RPR-UDF qui a multiplié l'endettement de la France, plus 1 000 milliards de dettes supplémentaires.
F.-O. Giesbert : Comment baisser les impôts dans ces conditions ?
B. Megret : Ce qui coûte très cher à la France, c'est le chômage – près de 400 milliards – et l'immigration – près de 250 milliards. Si on résout ces deux problèmes, on fera des économies considérables qui permettront, avec la baisse du train de vie de l'Etat, d'abaisser les impôts. Encore faut-il s'attaquer sans tabous à ces deux problèmes. Seul J.-M. Le Pen propose des solutions d'envergure dans ce domaine.