Déclaration de M. Yves Cochet, porte-parole des Verts, sur l'accord multilatéral sur l'investissement (AMI), Paris le 22 avril 1998.

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Circonstance : Colloque sur l'accord multilatéral sur l'investissement (AMI), organisé à l'Assemblée nationale le 22 avril 1998

Texte intégral

Parce que je suis aussi président de séance et dois tenir compte du temps qui passe, je ne dirai que quelques mots en réduisant de moitié l'intervention que j'avais prévue.

Aux questions planétaires posées par la mondialisation, il faut des réponses planétaires en termes de démocratie. Faute de celles-ci, le déferlement mercantile actuel affaiblira puis détruira les formes collectives du vivre-ensemble ainsi que les bases biophysiques de la vie sur terre. L'aveuglement insensé d'une minorité de plus en plus riche face à l'abandon dans la misère de masses croissantes de laissés-pour-compte provient de l'immense transformation contemporaine du capitalisme, dont l'action idéologique de colonisation du monde peut se résumer ainsi :

- marketing centré sur les individus, par disqualification progressive des nations, des cultures, des couches ou classes sociales, des liens sociaux ou même familiaux ;
- suppression radicale de tous les intermédiaires entre producteurs et consommateurs : les commerçants, distributeurs et éditeurs, les États et autres institutions. Seuls les transporteurs se développeront ;
- promotion d'un ensemble de valeurs mondiales sur le modèle de l'idéologie californienne : la liberté hippie et la férocité du marché, l'individualisme libertarien et le déterminisme technologique, le libéralisme antiétatique et l'éclectisme socioculturel.

Le projet d'Accord Multilatéral sur l'Investissement est une nouvelle étape de ce processus, après l'étape de l'OMC concernant le commerce. Il s'agit de libérer les entreprises transnationales et les investisseurs de tout lien avec une communauté nationale quelconque, mettant ainsi à bas l'un des principes de la Charte des Nations-Unies sur les droits et devoirs économiques des États selon lesquels : « les entreprises doivent contribuer au bien-être de la population du pays où elles sont établies ».

Le projet d'AMI consacrerait ainsi la tendance actuelle vers la délocalisation des entreprises et le déplacement instantané du capital sans considération autre que la maximisation du profit privé. Dans ce cadre, les salariés sont simplement considérés comme un ensemble d'individus en concurrence, atomisés et précarisés, une humanité interchangeable et jetable.

À ce modèle néolibéral mondial et à ses effets destructeurs, il nous faut opposer des règles de l'économie planétaire qui, autant que les garanties des entreprises et des investisseurs, établissent des normes minimales sur les revenus, la santé et la sécurité des salariés, sur la protection de l'environnement naturel, sur un ensemble de services publics, sur un système de solidarité concernant les chômeurs et exclus, les retraités, les malades et infirmes, ainsi que toute autre personne provisoirement ou définitivement impuissante à subvenir à ses besoins.

Si de telles règles n'étaient pas établies rapidement à l'échelle planétaire, les entreprises et investisseurs transnationaux n'auraient d'autre souci que de s'établir dans les zones où les coûts sociaux et les normes environnementales sont les plus bas, exerçant ainsi un chantage au dumping sur l'ensemble des pays du monde. Au projet actuel d'AMI, il convient donc d'opposer un ensemble contraignant d'Accords Multilatéraux sur l'Environnement et le Social (AMES), destiné à obliger les entreprises et investisseurs transnationaux au respect de normes environnementales et sociales universelles sous peine de se voir refuser l'accès au marché intérieur des pays signataires.

L'Union européenne doit prendre toute initiative dans cette direction - notamment par l'harmonisation vers le haut des normes de ses États-membres - plutôt que de continuer à remettre en cause de telles normes sous l'impulsion d'une Commission soumise au modèle néolibéral. En outre, par cette conditionnalité d'accès à son territoire, le plus grand marché régional du monde que constitue l'Union imposerait ainsi aux pays non européens le respect de droits sociaux et de protections de l'environnement que nombre d'entre eux n'ont jamais établis ou bafouent allègrement.

Mais le Parlement français aussi doit prendre des initiatives, notamment l'Assemblée nationale, par la création d'une Délégation permanente sur les accords et traités multilatéraux, dans le sens de ce qu'a indiqué Laurent Fabius ce matin.