Déclaration et lettre aux médecins de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, Paris le 1er octobre 1998 et interviews (extraits) à RTL, Europe 1, RMC et France 3, le même jour, faisant le point sur la vaccination contre l'hépatite B, sur la décision de suspendre la campagne dans les collèges et de renforcer la surveillance épidémiologique des troubles neurologiques éventuellement liés au vaccin.

Prononcé le 1er octobre 1998

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission Journal de 19h - Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - France 3 - RMC - RTL - Télévision

Texte intégral

Le 01 octobre 1998

Introduction de Bernard Kouchner
Vaccination contre l'hépatite B :

Nous venons de recevoir les résultats des études sur la vaccination de l’hépatite B. Vous en aurez connaissance dans quelques instants.

Avant de laisser la parole aux différents experts qui sont ici, quelques éléments de contexte et quelques points de méthode.

Le vaccin contre l'hépatite est la seule vaccination disponible contre un cancer. Il prévient la survenue de maladies graves : hépatite aiguës fulminantes, hépatites chroniques, cirrhoses, cancers. Il est remarquablement efficace. C'est pourquoi, la France comme les autres pays, s'est engagée dans un programme de vaccination, à la suite de la décision de l'OMS de 1991. Nous avons aujourd’hui une couverture vaccinale particulièrement élevée, dont il faut tenir compte pour apprécier l'évolution des risques de transmission du virus de l’hépatite B.

Nous avons donc procédé à une évaluation actualisée des bénéfices attendus des stratégies vaccinales.

Nous avons également approfondi les connaissances sur les risques éventuels de la vaccination.

Rappel de la chronologie :

Des cas d'atteintes démyélinisantes du système nerveux central, potentiellement liés à la vaccination ont été signalés en 1994. Une étude de pharmacovigilance a été initiée.

En 1996 a été effectuée une étude à la Pitié Salpêtrière sur un éventuel lien entre le vaccin contre l’hépatite B et des troubles neurologiques (affections démyélinisantes du système nerveux central).

Cette étude a été examinée par la commission nationale de pharmacovigilance en juillet 1997. Elle ne pouvait conclure à un lien démontré. Nous avons demandé à la fin du mois de juillet 1997 deux nouvelles études ; ce sont ces études dont les résultats vous seront présentés.

En janvier 1998, devant vous, il a été fait état de problèmes vaccinaux qui auraient été liés à l'utilisation temporaire d'un vaccin surdosé. Nous avions alors confirmé qu'il s'était agi de troubles tout à fait passagers et bénins.

S'agissant des éventuelles complications neurologiques, nous avons demandé, devant vous, de rester vigilant et avons consulté le comité technique des vaccinations en avril pour répondre ides interrogations des médecins scolaires. A la suite de l'avis du CTV, la troisième injection a été effectuée.

Nous avons, en même temps, souhaité avoir une meilleure définition des groupes à risques c'est ce qu'a fait le conseil supérieur d'hygiène publique de France dans un avis rendu public en juillet dernier. Il a également modifié le schéma vaccinal et supprimé les rappels inutiles.

- Nous avons décidé une actualisation des données sur l'épidémiologie de l’hépatite B.

Ces travaux se sont poursuivis tout au long de l'été.

Le 21 septembre dernier, se sont réunis à Paris une quarantaine d'experts du monde entier (liste ci-jointe) pour prendre connaissance de premiers résultats des études menées en France et en Angleterre. Depuis lors, j'ai réuni à plusieurs reprises ces experts (Agence du médicament, RNSP, Conseil supérieur d'Hygiène publique de France, hépatologues, épidémiologistes, pharmacologues). Je les ai longuement écoutés. Nous avons mené des discussions approfondies. Nous avons entendu leurs certitudes comme leurs incertitudes, leurs chiffres, leurs raisonnements. Nous avons participé à une réunion qui s'est déroulée cette semaine à l'OMS, en présence des laboratoires producteurs.

Ensuite, j'ai pris une décision sur la stratégie vaccinale qui me paraît la mieux adaptée à la situation française. Je vous la ferai connaitre après les exposés qui suivent. J'ai souhaité en effet que cette décision soit rendue publique avec l'ensemble des résultats et des avis dont nous disposons et que ceux-ci soient directement portés à votre connaissance. Avec Martine Aubry, nous appelons cet éclairage démocratie sanitaire.

Enfin, nous avons travaillé en incluant les données recueillies par une association de malades, l'association REVAHB. Je crois que c'est la première fois qu'un tel travail est réalisé de cette façon. Les cas signalés à cette association de malades ont été transmis à l'agence du médicament, comptabilisés, comparés aux cas notifiés par le système de pharmacovigilance. C'est une illustration de la démocratie sanitaire, qui contribue à la sécurité sanitaire.

La France a ainsi réalisé un travail très approfondi, pionnier dans le monde scientifique. Il se poursuivra, dans ce domaine, comme dans d'autres.


La lettre aux médecins de Bernard Kouchner le 01 octobre 1998

Madame, Monsieur et Cher Confrère,

Je souhaite vous informer personnellement de la décision que j'ai prise concernant la vaccination contre l’hépatite B : conformément aux recommandations du Comité technique des vaccinations et du Conseil supérieur d'hygiène publique de France telles qu'elles ont été formulées les 13 mars, 14 avril et 23 juin 1998, la vaccination reste recommandée chez le nourrisson, l'adolescent et l'adulte à risque. La définition des groupes à risques a été précisée en juillet dernier par le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France, qui a par ailleurs considéré que les rappels vaccinaux étaient inutiles. Enfin, cette vaccination n'est obligatoire (Loi du 18 janvier 1991) que pour les personnels de santé.

J'ai, en revanche, suspendu provisoirement la campagne dans les collèges, parce que j'estime que ses modalités actuelles ne permettent pas toujours un dialogue approfondi avec le jeune et sa famille. Or, il me parait indispensable de rappeler que la vaccination contre l'hépatite B demeure un acte médical et volontaire, qui doit comprendre un entretien à la recherche d'antécédents (antécédents personnels ou familiaux de maladie démyélinisante ou d'affection auto-immune) et d'éventuelles contre-indications. Des discussions sont engagées avec mes collègues en charge de l'éducation nationale pour renforcer les services de la médecine scolaire. Cette vaccination pourra être reprise en milieu scolaire dès lors que les conditions en seront remplies.

J'ai, en outre, décidé de renforcer la surveillance épidémiologique. Sur le fondement des dispositions de la Loi du 1er juillet 1998 relative à la sécurité sanitaire, un recueil des cas d’hépatites B, d'hépatocarcinomes et d'atteinte démyélinisante du système nerveux central sera instauré. Ces maladies sont soumises à déclaration. Vous participerez ainsi plus activement que par le passé à cette fonction importante de la santé publique qu'est la veille épidémiologique. Par ailleurs, les études sur le risque vaccinal se poursuivent. Il est indispensable que vous continuiez à signaler tous les cas suspects d'ADSNC, ainsi que les autres effets indésirables, aux centres régionaux de pharmacovigilance dont l'adresse et le numéro de téléphone figurent dans les dictionnaires de spécialités.

Je souhaite également vous fournir les éléments d'information qui fondent cette décision, prise à partir de l'analyse, par des experts français et internationaux, des différentes études épidémiologiques et des données de pharmacovigilance, dont les résultats ont été rendus publics le 1er octobre.

Les données de pharmacovigilance :

Depuis le milieu des années 90, des cas d'atteinte démyélinisante du système nerveux central (ADSNC) ont été notifiés aux services de pharmacovigilance, chez des adultes vaccinés contre l’hépatite B. Une enquête nationale de pharmacovigilance a été entreprise en 1994.

En 1995, à la suite d'un premier avis de la commission de pharmacovigilance, une précaution d'emploi du vaccin chez les personnes atteintes de sclérose en plaques a été introduite. Cette information a été communiquée aux prescripteurs par l'Agence du médicament. L'enquête se poursuit et a été renforcée en juin 1997. A ma demande, l'Agence du Médicament a entrepris une collaboration avec les associations de malades.
Le point est fait régulièrement. Au 31 mars 1998, 2 millions d'enfants âgés de moins de 5 ans ont été vaccinés. Aucun cas d'ADSNC n'a été rapporté. Chez les 6 millions d'adolescents vaccinés, 27 cas d'ADSNC ont été rapportés. Au total à cette date, la pharmacovigilance faisait état de 249 cas d'ADSNC pour près de 26 millions de vaccinés. Ces cas surviennent avec la même fréquence et selon la même répartition en fonction de l'âge et du sexe, que les manifestations de sclérose en plaques (SEP) observées dans la population non vaccinée. Toutefois, nous devons aussi tenir compte d'une sous-notification, difficile à évaluer, mais très probable.

2. Les études scientifiques :

Trois études épidémiologiques (étude cas-témoins) ont été menées en 1996 et 1997. Elles ont été analysées par un comité réunissant certains des meilleurs experts internationaux le 21 septembre. Elles montrent, selon les analyses, un odds ratio (équivalent au risque relatif) compris entre 1,4 et 1, 7 qui n'est pas statistiquement significatif (l'intervalle de confiance incluant 1). Ceci veut dire que ces études ne démontrent pas de lien entre la vaccination contre l’hépatite B et une ADSNC.
Néanmoins, ces trois résultats sont concordants. Ils peuvent traduire une tendance. L'imputabilité de la vaccination contre l’hépatite B dans la survenue des ADSNC chez l'adolescent et l'adulte n'est donc pas entièrement à exclure.

3. Le rapport bénéfice/risque :

Même en tenant compte d'une sous-notification possible des ADSNC au système de pharmacovigilance, le rapport bénéfice/risque de la vaccination qui vient d'être actualisé par le Réseau national de santé publique, reste très favorable à la vaccination. Le risque d'être atteint d'une complication d'une hépatite B (cirrhose ou cancer vingt ans plus tard), reste largement supérieur au risque éventuel d'ADSNC que pourrait induire la vaccination.

C'est pourquoi les décisions que j'ai prises ne remettent nullement en question l'intérêt de la vaccination contre l'hépatite B. Elle l'aménage pour plus de précaution et pour tenir compte de l'évolution de l'endémie liée au virus de l’hépatite B à la lumière des dernières études
Épidémiologiques. Elle en précise les indications. Nous restons partenaires de l'O.M.S. dans ses efforts internationaux de lutte contre l'hépatite B, tout en restant vigilants et en poursuivant les investigations. Je compte sur vous pour présenter objectivement cette vaccination aux familles au cours d'un dialogue nécessaire à l'administration de cette protection individuelle et collective dans ces nouvelles conditions.

Je vous en remercie et je vous prie de croire, Madame, Monsieur et Cher Confrère, à l'assurance de mes sentiments les meilleurs.


RTL - 1er octobre 1998
(Au sujet de la suspension de la campagne de vaccination contre l’hépatite B dans les collèges)

- « Comme l'émotion a été grande, comme finalement on ne peut rien exclure parce que le doute est scientifique, nous voulons rétablir la confiance. C'est-à-dire que, la vaccination de masse, systématique, on vous injecte un petit produit dans le dos, elle doit céder la place - sans dommages pour la santé publique - au dialogue. Et en médecine scolaire, c'est assez difficile. Nous étions, avec nos amis de l'Éducation nationale et avec S. Royal, en discussion pour savoir comment la santé scolaire pouvait s'améliorer. Alors nous attendons quelques mois, pour que l'on puisse rétablir ce dialogue entre le médecin scolaire, la personne - ses antécédents -, l'enquête nécessaire, la famille - les antécédents familiaux. C'est ainsi à notre avis, que la confiance se rétablira. Ceci peut prendre quelques mois, peut-être un an. La confiance se rétablira ainsi dans le dialogue individuel et pas dans la vaccination de masse. Chaque famille, celle qui a peur - elle n'ont pas toutes peur, heureusement - peut parler avec son médecin avant que son enfant ne soit vacciné. Le médecin peut lui expliquer le bénéfice qu'il en tirera, qui est incomparable par rapport au risque. C'est quand même pas sorcier. Ça me parait humainement nécessaire. »


Europe 1 - 1er octobre 1998
(Au sujet de la suspension de la campagne de vaccination contre l'hépatite B dans les collèges)

- « Il n'y a pas de lien de cause à effet entre la vaccination contre l’hépatite B et l'apparition de phénomènes neurologiques, type sclérose en plaques. Mais comme l'émotion a été grande, comme finalement on ne peut rien exclure parce que le doute est scientifique, et que les chiffres sont assez convergents - le doute demeure -, nous voulons rétablir la confiance. C'est-à-dire que la vaccination de masse, systématique on vous injecte un petit produit dans le dos, elle doit céder la place au dialogue. Et en médecine scolaire, c'est assez difficile. Ceci peut prendre quelques mois, peut-être un an. »

Vous n'avez pas peur en prenant une telle décision de faire peur aux parents, finalement. Ils pourront croire : attention, ce vaccin est peut-être plus dangereux que ce qu'on croit ?

- « Non, je n'ai pas peur. Je crois au contraire que la confiance se rétablira ainsi dans le dialogue individuel, et pas dans la vaccination de masse. Je suis tout à fait partisan de la vaccination. Simplement, je voudrais qu'on se parle, les yeux dans les yeux, à la maman, au papa et à l'adolescent. Ce n’est quand même pas sorcier. Ça me parait humainement nécessaire. »


RMC - 1er octobre 1998
(Au sujet de la suspension de la campagne de vaccination contre l'hépatite B dans les collèges)

- « Ce qui est important, c'est de savoir que les deux enquêtes nouvelles en Angleterre apportent des chiffres convergents : il n'y a pas de lien de cause à effet entre la vaccination contre l'hépatite B et l'apparition de phénomène neurologique type sclérose en plaques. Mais, comme l'émotion a été grande, comme finalement on ne peut rien exclure parce que Je doute est scientifique et que les chiffres sont assez convergents - Je doute demeure -, nous voulons rétablir la confiance. C'est-à-dire que, la vaccination de masse, la vaccination systématique, on vous injecte un petit produit dans le dos, elle doit céder la place - sans dommage pour la santé publique, car la règle de la vaccination proposée demeure – elle doit céder la place au dialogue. Les nourrissons seront vaccinés parce qu'il n'y a eu aucun incident avant cinq ans, jamais, à notre connaissance, dans le monde. Les adultes à risques seront vaccinés, les professionnels de la santé, eux, c'est une vaccination obligatoire. Les adolescents, à l'école cela reprendra dans quelques mois. »

France 3 -  1er octobre 1998
(Au sujet de la suspension de la campagne de vaccination contre l'hépatite B dans les collèges)

- « Ma conviction est la même. C'est un vaccin où le bénéfice l'emporte absolument sur un risque potentiel qui n'a pas été prouvé. Il n'empêche que parce que l'alarme a été grandet parce qu'on doit toujours parler, parce qu'on doit toujours informer, parce que la médecine c'est cela - c'est de rétablir la confiance -, nous nous efforçons de la rétablir. Mais la vaccination n'est pas remise en cause. »