Texte intégral
Le Nouvel Observateur. - Vous vous revendiquez libéral. Mais votre libéralisme apparaît singulièrement hémiplégique : dogmatique sur le plan économique, frileux sur le plan société...
(Exergue)
« J’entends plus que jamais contribuer à construire une opposition libérale moderne et ouverte »
Alain Madelin - Il serait temps d'en finir avec les caricatures des libéraux ! Comment encore oser dire, en 1998, que les libéraux sont dogmatiques en matière économique ? Si le monde entier se convertit aujourd'hui au libéralisme économique, ce n'est pas par dogmatisme mais par pragmatisme. Si vous regardez les propositions économiques que faisaient les libéraux il a vingt ans, ce que disaient alors les socialistes, et que vous comparez avec ce que tout le monde dit aujourd'hui, c'est le réalisme qui était du côté des libéraux et non le dogmatisme.
Mais je n'ai, pour ma part, jamais réduit le libéralisme à l'économie. Au contraire, le libéralisme c'est pour moi avant tout une pensée philosophique, juridique qui tire les conséquences de la primauté donnée à la personne, à sa liberté et à sa responsabilité. C'est en cela que le libéralisme est d'abord humaniste.
N. O. - Vous êtes à votre façon en adepte du « y-a qu'à » appliquer la solution libérale, et le problème sera résolu. Votre croyance dans les vertus du marché tient du mysticisme !
A. Madelin - Les solutions libérales sont tout le contraire du « y-a qu'à » et du simplisme. Elles ne résument pas à une croyance naïve en les vertus du marché. Dans notre société complexe et ouverte, les solutions simplistes et dirigistes ne marchent plus. Et l'approche libérale me paraît être la meilleure pour découvrir les règles du jeu qui permettent l'autocoordination positive des actions humaines. Ce n'est pas là seulement une question d'efficacité, car je crois qu'il y a une supériorité éthique à une société qui accorde la plus large place à la liberté et à la responsabilité humaine et qui réduit la coercition de l'homme sur l'homme qu'exerce l'Etat. Enfin si je crois à l'efficacité du marché libre et concurrentiel qui met l'économie au service de l'homme, je n'entends pas réduire l'homme à l'économie. Ce que je défends avant tout c'est l'humanisme libéral, c'est-à-dire le système de valeurs, d'institution et de droits qui précède et sous-tend l'efficacité du marché.
N. O. - En quoi votre formation, Démocratie libérale, fait-elle preuve d'ouverture sur le plan des mœurs ? Sur le Pacs, par exemple, DL apparaît comme une formation résolument conservatrice...
A. Madelin - Là encore, je voudrais que l'on cesse d'aborder ce débat de façon caricaturale : d'un côté, il y aurait les conservateurs ringards et de l'autre les novateurs progressistes. Le débat démocratique mérite mieux que cette dichotomie simpliste. Pour les libéraux, chacun a la liberté et la responsabilité de poursuivre son propre bonheur, conseillé par son propre jugement. Tant que l'exercice de cette liberté se fait dans la sphère privée et ne porte et ne porte pas atteinte à autrui, le caractère moral ou immoral de l'exercice de cette liberté relève de l'éthique privée et non de la philosophie politique.
La crainte de beaucoup, et notamment de mes amis de DL, c'est de faire du Pacs une sorte de consécration de situations qui, sur le principe, ne relèvent que de la sphère privée. Et cette crainte est d'autant plus forte que le Pacs a été présenté par certaines associations gays et par le rapporteur du projet lui-même comme une démarche en vue de distinguer « le droit au mariage des couples homosexuels ». A cet extrémisme en correspond un autre, qui ne voit ni plus ni moins dans ce projet que « la destruction de notre civilisation ».
Je pense que mes amis de DL, s'ils restent très majoritairement opposés au Pacs, échappent à cette vision manichéenne et cherchent à comprendre les arguments des uns et des autres, à modérer le débat et admettent, comme je le disais il y a un an, qu'il existe un certain nombre de problèmes réels dans la vie des couples gays – transfert de contrat de bail d'habitation en cas de départ ou de décès, droit au rapprochement dans la fonction publique, code du Travail, fiscalité – qu'il faut bien régler.
N. O. - Concrètement, les députés DL ont-ils raison de rejeter massivement le Pacs ?
A. Madelin - Ils expriment deux craintes. La première, c'est que le Pacs fasse concurrence au mariage en offrant, au-delà des réponses apportées aux problèmes rencontrés par les couples gays, un « statut » aux situations de concubinage. Je ne partage pas cette crainte, car le concubinage est une réalité sociale, qui a de fait été instituée au travers de la loi de 1972 relative à la filialisation et confirmée par la loi de 1993 relative à l'autorité parentale. Et la défense de l'institution du mariage ne se réduit pas pour moi à un simple avantage fiscal, d'autant que l'opposition elle-même a longtemps réclamé l'égalité fiscale entre les concubins et les mariés. La seconde crainte, j'y reviens, c'est que le Pacs devienne une sorte de consécration d'un mariage homosexuel qui n'oserait pas dire son nom. C'est sur cette question que se cristallisent les positions, dans un débat devenu binaire et simpliste à forte connotation symbolique.
N. O. - Quelle position « non simpliste » allez-vous adopter sur le Pacs ?
A. Madelin - Dès lors que tout le monde est d'accord pour faciliter la vie de couples qui ont un projet de vie commune, y compris les couple homosexuels, cela implique nécessairement une forme de déclaration ou de constat d'une situation ou d'un contrat de vie commune. C'est cette déclaration ou ce constat qui est absolument nécessaire pour entraîner un certain nombre d'effets juridiques, qu'ils soient réglés – comme je l'aurais préféré – au cas par cas (loi de finances, droit au travail, droit social...) ou par une loi spécifique.
Comment faire pour que cette déclaration, ce constat ou ce contrat n'apparaisse pas comme une consécration d'un mode de vie ? C'est la seule vraie question. Pour ma part, j'ai longtemps pensé qu'un certificat de vie commune délivré en mairie était la solution la plus simple. Mais je reconnais que tant l'insistance de certaines associations gays à faire de la mairie le symbole d'une reconnaissance du mariage homosexuel que la réaction de nombreux maires excluent cette solution.
Dès lors qu'on exclut la mairie, reste le tribunal de grande instance, la préfecture ou le notaire. Beaucoup, dans l'opposition, se sont déclarés prêts à accepter le notaire. Si c'est au bout du compte la seule question qui demeure, elle ne mérite pas une guerre de religion.
Je pense que si le projet avait été présenté autrement et si le gouvernement avait eu une autre approche du débat, on aurait pu éviter bien des tensions et des divisions inutiles.
N. O. - A l'Assemblée, comment allez-vous vous prononcer ?
A. Madelin - Pour ma part, en l'état actuel des choses, je m'abstiendrai.
N. O. - Sur ce sujet, le risque pour la droite n'est-il pas d'apparaître comme ringarde ?
A. Madelin - Poser ainsi le problème – en suggérant que vouloir un mariage bis c'est être moderne, et défendre le mariage traditionnel c'est être ringard – est totalement absurde. C'est le meilleur moyen de figer les positions et d'entretenir un affrontement stérile.
N. O. - Votre position sur le FN est beaucoup moins bien comprise. Comment peut-on d'un côté tracer « un cercle de l'inacceptable » autour du FN et de l'autre côté réintégrer Jacques Blanc ?
A. Madelin - Assez d'hypocrisie ! Jacques Blanc avait toujours dit qu'il accepterait les voix d'où qu'elles viennent ; et il n'a pas trompé ses électeurs et pas trompé d'avantage les partis de l'opposition, qui lui ont donné leur investiture en toute connaissance de cause. Au surplus, Jacques Blanc dirige sa région en toute indépendance, et le Front national ne participe en rien à son exécutif. Personne ne peut sérieusement accuser Jacques Blanc de partager en qui que ce soit les thèses inacceptables du Front national. D'ailleurs le Front national désigne clairement, au-delà de la gauche et de la droite, les libéraux comme étant son principal adversaire.
N. O. - La réciproque est-elle vraie ?
A. Madelin - Tout oppose les valeurs des libéraux, issues des droits de l'homme, aux valeurs du Front national. Le programme et la doctrine du Front national sont profondément antilibéraux. Ils reposent sur le refus de l'autre, de l'ouverture au monde ou encore du libre-échange. D'ailleurs, je vous rappelle que Démocratie libérale a été encore récemment en première ligne dans le combat mené contre les idées dangereuses du Front national. C'est ainsi qui si nous avons accepté de débattre de la « préférence nationale », ce n'est pas pour en acclimater l'idée au sein de l'opposition, mais pour démonter et réfuter cette thèse sur le plan philosophique, juridique et économique. Mais si nous combattons le FN, nous entendons le faire à notre façon, en étant nous-mêmes, sans nous mettre à la remorque des campagnes orchestrées par la gauche et l'extrême gauche. Pour les libéraux, combattre c'est débattre, opposer des idées justes aux idées fausses.
N. O. - Que vous le vouliez ou non, l'affaire Blanc et le départ de personnalités plus recentrées, comme Robien ou Léotard, font apparaître DL comme un parti positionné à la droite de la droite...
A. Madelin - Vos questions précédentes laissaient plutôt entendre que j'étais un libéral coupé de la droite ! Il est vrai que les adversaires des libéraux aimeraient rejeter les libéraux à la droite de la droite. Qu'on ne compte pas sur moi pour cela ! Je suis convaincu que les idées libérales dépassent aujourd'hui le traditionnel clivage gauche-droite.
Aussi, je n'entends pas m'enfermer ni enfermer les idées libérales à droite. Il peut exister une gauche libérale, comme il existe une droite étatiste, dirigiste, égoïste, voire xénophobe qui n'a rien à voir avec le libéralisme. C'est pour cela que Démocratie libérale entend s'affirmer comme un mouvement ouvert à des libéraux venus d'horizons divers, comme l'a illustré la venue de Claude Goasguen, ancien secrétaire général de Force démocrate, ou encore celle de Brice Lalonde et de son mouvement Génération Ecologie.
Je ne me sens aucune envie ni aucune aptitude pour prendre la tête de la course à droite. En revanche, j'entends plus que jamais contribuer à construire une opposition libérale moderne et ouverte.
N. O. - Cette construction ou plutôt cette reconstruction se révèle difficile. L'Alliance n'est-elle pas morte, le vendredi 2 octobre au Sénat ? Et peut-on encore croire à une liste commune des formations de droite aux européennes ?
A. Madelin - L'union de l'opposition au travers de l'Alliance est une exigence incontournable. Il va nous falloir cependant savoir tirer les leçons de l'affaire du Sénat. Ceci ne peut que renforcer l'exigence d'union autour de procédures et de comportement clairs, comme le souhaite Démocratie libérale. S'agissant des élections européennes, je ne peux que répéter notre volonté de parvenir là encore à l'union de l'opposition.