Interviews de M. Pierre Méhaignerie, ministre de la justice et président d'honneur du CDS, à RTL et RMC le 30 mars 1995 et France Inter le 31, sur la campagne électorale des présidentielles et les affaires du CDS.

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Intervenant(s) : 

Média : France Inter - RMC - RTL

Texte intégral

RTL : Les affaires rattrapent le CDS, vous avez annoncé l'ouverture d'une enquête préliminaire sur le financement occulte de votre parti.

P. Méhaignerie : Exactement. C'est un fait qui date de huit ans. Par souci de transparence, par scrupule et en toute sécurité, j'ai demandé lundi, à ce que toutes les vérifications soient faites par l'intermédiaire d'une enquête préliminaire. Je n'y étais pas obligé mais ma ligne de conduite est la suivante ; aucun privilège pour qui que ce soit. Cette affaire sera donc traitée comme toutes les autres.

RTL : La situation va tout de même être délicate, car le Procureur rend compte au ministre de la justice ?

P. Méhaignerie : Oui, mais le Procureur, sur les affaires individuelles, a la totale liberté de mener ses investigations. C'est si vrai que c'est le seul gouvernement qui n'a pratiquement changé aucun des 33 procureurs de la République nommés avant la constitution de ce gouvernement. C'est donc l'assurance, l'affirmation que ce gouvernement accepte les contre-pouvoirs, l'indépendance de la justice et l'égalité des citoyens devant la loi.

RTL : Avez-vous pensé quitter votre fonction ?

P. Méhaignerie : Je suis personnellement totalement protégé. Il faut bien voir que le ministre de la Justice est une cible parce que ce que je fais ne plaît pas. Il y a des pressions. Or je dois vous dire que depuis plusieurs mois, ma vie personnelle, ma vie professionnelle, mes achats, tout est passé au peigne fin. Tout a été exploré. S'il y avait eu le moindre indice, il aurait été porté sur la place publique. Je crois que ces faits datent d'il y a huit ans, c'est-à-dire avant tout financement public. Dans tous mes propos, en 86-87, j'ai dit qu'il fallait sortir de cette période d'ambiguïté. S'il y a un parti qui a vécu pauvrement – on me l'a suffisamment reproché – c'est bien le CDS.

RTL : Dans voire livre "Aux Français qui ne veulent plus être gouvernés de haut", vous dites que "nous sommes un parti pauvre" Êtes-vous certain qu'il n'y a pas eu de faits délictueux après ?

P. Méhaignerie : L'enquête le montrera, c'est son intérêt de faire une enquête objective. Mais à mon avis, non. Moi-même, après la loi de 90, j'ai réuni tous les élus pour leur demander d'appliquer strictement la loi. Je crois qu'au CDS, la loi est strictement appliquée. J'ai d'ailleurs vérifier moi-même, en réunissant des entreprises de bâtiment et de travaux publics, pour être certain que cette loi soit bien appliquée par noire mouvement.

RTL : Un expert-comptable gérait le compte en Suisse. Cet argent servait à quoi ?

P. Méhaignerie : C'est lui qui en était l'auteur. Il disait que cet argent avait financé trois campagnes. Pour des sommes d'ailleurs légères, compte tenu du coût des campagnes, et parce qu'il y avait des donateurs qui préféraient, compte tenu de l'ambiguïté de l'absence de loi, verser ailleurs qu'en France. C'est la raison de cet argent, semble-t-il, mais je n'ai pas tous les éléments.

RTL : Si l'enquête débouchait sur une formation judiciaire, pourriez-vous être amené à être entendu ?

Je ne sais pas. Moi, j'accepte soit un contre-pouvoir.

RTL : Certaines personnes de la majorité, dont le président du PR G. Longuet, vous demandaient de vous expliquer. Vous dites que l'égalité ?

P. Méhaignerie : Les affaires ne peuvent pas être vues de la même façon. Après 1990, il y a la stricte application de la loi au niveau du CDS. D'autre part, je crois pouvoir dire, au moins au niveau des dirigeants, qu'il n'y a jamais eu aucun enrichissement personnel. Je suis prêt à faire toutes les comparaisons. En tous les cas, transparence, çà a été ma ligne depuis deux ans. Elle a été difficile à tenir : je me l'applique à moi-même c'est-à-dire à mon parti.

RTL : Un conseiller municipal de Villeurbanne a été incarcéré pour 4 millions de francs dans le budget de son journal : cette affaire pourrait-elle avoir un lien avec le financement du CDS ?

P. Méhaignerie : Cela démontre que la justice est égale pour tous. Cela démontre, quoi que disent certains, que personne, quel que soit, n'est aujourd'hui protégé. On ne peut plus dire, comme on l'a fait il y a quelques années, "responsable mais non coupable", ou "les hommes politiques s'arrangent entre eux". Indépendance, égalité du citoyen devant la loi et transparence ; je crois que chacun reconnaît aujourd'hui le progrès accompli.

RTL : E. Balladur a dit qu'il réfléchissait à une réforme de l'abus de biens sociaux. À travers cette réforme, n'y a-t-il pas une forme d'amnistie ?

P. Méhaignerie : Il n'y a aucun projet en préparation. Le Premier ministre ne m'a rien demandé. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a confusion, dans l'opinion publique, entre ce qui a trait à avant 1990, qui est amnistié sauf enrichissement personnel. Ce qui a trait à après 1990, c'est ce qui est enrichissement personnel. Trop souvent, ces dossiers totalement différents sont confondus dans l'esprit de l'opinion publique. Il est vrai que, avant 1990, ce financement était toléré. Donc, il s'agit de regarder si les entreprises qui, avant 1990, ont en toute parfaite bonne foi participé au financement, doivent être mises sur la place publique. C'est le seul problème. Nous avons aussi à protéger nos emplois. Mais jamais, jamais, nous n'accepterons que l'enrichissement personnel soit, lui, amnistié.

RTL : Pour le cas de B. Tapie. Si demain, la cour d'appel déclarait la mise en faillite personnelle, dont l'inéligibilité, vous apprêteriez-vous à saisir le Conseil constitutionnel ?

P. Méhaignerie : Demain, non. Après-demain, peut-être. Je n'ai pas tous les éléments aujourd'hui pour pouvoir porter un jugement et vous répondre définitivement. On verra dans quelques jours.

RTL : Dans votre livre, vous avez l'idée d'un projet de loi qui concilierait la liberté d'informer et le secret de l'instruction.

P. Méhaignerie : C'est un enjeu extraordinairement difficile, nous y travaillons depuis un an. J'ai toujours dit que ça ne peut pas être une décision de l'exécutif ou du Parlement qui ne soit pas faite en association avec les magistrats et avec les journalistes. Nous avons à trouver un nouvel équilibre entre deux droits fondamentaux, le droit à l'information et d'autre part le droit à la présomption d'innocence. La solution probable, c'est le Sénat qui y travaille – il y a conférence de presse dans quelques semaines –, c'est peut-être, à un certain moment de la procédure, par exemple au moment de la mise en examen et de la mise en détention, de faire des débats contradictoires en publics. Ainsi, pour les affaires qui prennent deux ou trois ans, le public sera informé. Mais inversement, au moment de l'enquête préliminaire, la recherche de la vérité exige une confidentialité pour la bonne efficacité de la justice. Mais je dis bien que toute cette réforme ne pourra être faite qu'avec l'approbation des magistrats et de tous ceux qui travaillent au bon fonctionnement de la justice.

RTL : À trois semaines du premier tour, est-ce que des juges chargés de dossiers sensibles auraient pu recevoir des consignes sur les conséquences possibles de leurs actes ?

P. Méhaignerie : Même s'ils en avaient eu, je crains qu'ils auraient été tentés de faire l'inverse.

RTL : On a l'impression que le CDS est un peu moins la garde rapprochée du Premier ministre candidat ?

P. Méhaignerie : Le mot ne convient peut-être pas, mais nous soutenons totalement la campagne de Balladur parce que nous estimons que c'est le meilleur candidat pour la France, solide et sérieux. C'est un homme qui tient ses promesses. Donc, même si je dois être dans la campagne plus réservé compte tenu de ma fonction de ministre de la Justice, nous sommes totalement engagés derrière E. Balladur. Je constate d'ailleurs aujourd'hui que sa campagne fonctionne bien.

 

Jeudi 30 mars 1995
RMC

P. Lapousterle : Que pensez-vous de cette campagne présidentielle dont on dit que les Français l'aiment modérément et où les noms d'oiseaux sont nombreux entre les candidats RPR ? On s'accuse d'être traître, amateur ou démagogue. Est-ce-que vous pensez que c'est normal et que cela peut durer encore six semaines ?

P. Méhaignerie : D'abord cette campagne est longue et elle n'est pas terminée. Dans les débats en petits groupes ou dans les débats le soir, en ce qui me concerne, avec E. Balladur, les débats sont de qualité. Il y a beaucoup de monde et les gens sont attentifs.

P. Lapousterle : Vous n'avez pas beaucoup répondu à ma question, est-ce-que vous pensez que le ton est normal et est-ce qu'il peut durer longtemps ?

P. Méhaignerie : Dans toutes les campagnes, il y a des noms d'oiseaux, des critiques, de l'amertume. Je dirais que c'est normal à condition qu'à côté, il y ait des débats de fond.

P. Lapousterle : M. Strauss-Kahn disait que lorsqu'on téléphone maintenant à Matignon ou dans tout ministère, on sonne, le téléphone sonne mais ne répond plus, le gouvernement est en panne.

P. Méhaignerie : À la Justice, ça répond, et tard le soir, je dois vous le dire.

P. Lapousterle : C'est la grève, aujourd'hui, dans le secteur public, notamment dans les transports. Au moment où la croissance est de retour, comme le rappelait encore M. Balladur hier soir, est-ce qu'il faut que tout le monde en profite et les fonctionnaires aussi ?

P. Méhaignerie : S'il y a du grain à moudre, et s'il y a du grain à moudre aujourd'hui, du moins dans certaines entreprises, on le doit à la politique économique et au retour de la bonne santé, il faut le dire. Deuxièmement, ce retour de la bonne santé n'est pas le même dans toutes les entreprises : il y a des entreprises qui font des bénéfices et ces bénéfices doivent être partagés. Aujourd'hui, certains secteurs méritent une amélioration de leurs salaires. D'autres, par contre, ont des déficits encore et il n'appartient pas contribuables de voir ces déficits aggravés pour que demain, les contribuables soient obligés de prendre ces déficits en cause. D'autant plus qu'aujourd'hui, chacun sait que l'aggravation des déficits publics, c'est la certitude d'aggravation du chômage. Je dois rappeler que si l'on veut revenir au-dessous de 7 % de taux de chômage dans les cinq ans qui viennent, c'est possible. Des pays voisins y sont parvenus, nous avons les atouts pour, il faut à tout prix réduire les déficits publics et stopper l'hémorragie des comptes sociaux. Je crois que cela doit être rappelé.

P. Lapousterle : Mais les fonctionnaires peuvent être augmentés et les déficits publics rester ce qu'ils sont ?

P. Méhaignerie : Au cours des dernières années, en tant que président du conseil général et maire d'une ville, je dois quand même rappeler que, dans la fonction publique, il y a eu des améliorations statutaires et de pouvoir d'achat, même dans une période difficile de récession. Donc je crois qu'aujourd'hui, la priorité doit aller aux secteurs qui ont beaucoup travaillé, qui ont dégagé des bénéfices, particulièrement dans les entreprises privées.

P. Lapousterle : Dans le livre que vous avez signé. "Aux Français qui ne veulent plus être gouvernés de haut", vous définissez votre métier de Garde des Sceaux et vous dites : "Sacré métier !" Est-ce que vous resterez dans l'Histoire, le Garde des Sceaux qui a connu le plus d'affaires politiques ?

P. Méhaignerie : Qu'il soit clair qu'il n'y a pas plus d'affaires qu'hier, la seule différence est qu'elles sont instruites et qu'elles viennent en procès. Et je crois que ceci change du tout au tout par rapport au passé. D'abord parce qu'aujourd'hui, il y a l'indépendance de la justice, il y a la transparence et l'égalité du citoyen devant la loi, personne aujourd'hui ne peut le contester. Deuxième conséquence, nous avons connu, dans la période 1980-90, une période d'impunité. Et c'est cette période d'impunité qui a conduit au développement de la corruption. Aujourd'hui, les signaux, mêmes brutaux je dirais, dans certains cas, vont dans l'autre sens. Ils conduisent dès maintenant à une modification des comportements. Je crois que ceci est bien compris. Au point où des organisations de magistrats disent très clairement, aujourd'hui, nous espérons que ces deux années, où nous avons acquis l'indépendance de la justice et la capacité de faire notre travail, ne soient pas une parenthèse.

P. Lapousterle : À quoi est dû le fait qu'on puisse faire avec vous ce que l'on n'a jamais pu faire quand on était juge, en France, avant ?

P. Méhaignerie : Parce que ni le Premier ministre, ni moi, ne voulons revoir ces phrases : "Responsable mais non coupable", où les hommes politiques s'arrangent entre eux. Dans une démocratie, il doit y avoir une indépendance de la justice. Maintenant, celle crise de transition, cet apurement, vont conduire, j'en suis convaincu, à une deuxième période de plus grande sérénité de la justice et les magistrats eux-mêmes la revendiquent et des adaptations vont nous y conduire. Mais il fallait passer par celle période d'apurement.

P. Lapousterle : Mais on dit que ce n'est pas seulement la liberté de la justice, c'est aussi le laisser-aller et le désordre. Certains disent que c'est même l'anarchie dans la justice et que les juges, pendant celle période, ont fait un peu n'importe quoi et ont dépassé ce qu'ils pouvaient et devaient faire, est-ce que c'est votre avis ? Est-ce qu'il y a eu des débordements ?

P. Méhaignerie : Non, globalement la justice fonctionne bien, même s'il nous reste encore d'énormes efforts à faire pour qu'on puisse désormais juger dans des délais raisonnables. C'est vrai qu'il y a, en matière d'informations, de transmissions sur la place publique de non présomptions d'innocence, de violations de secret de l'instruction mais il faut en connaître la cause. Toutes les parties ne sont pas contraintes au secret de l'instruction, ni une partie des avocats ni les familles, parfois certaines professions. Et là, il y aura, dans les semaines à venir, un projet de loi au Sénat permettant d'assurer un meilleur équilibre entre deux droits fondamentaux : le droit à l'information et le droit à la présomption d'innocence. Mais je crois que la façon de trouver une synthèse, c'est probablement d'ouvrir des fenêtres d'information et, par exemple, faire en sorte que la mise en examen soit contradictoire et publique pour les hommes publics.

P. Lapousterle : Vous avez été ministre du Premier ministre J. Chirac, entre 1986 et 1988, vous êtes maintenant ministre du Premier ministre E. Balladur depuis deux ans, le même temps. Pourquoi avez-vous choisi M. Balladur contre M. Chirac ?

P. Méhaignerie : J'ai choisi M. Balladur alors qu'il n'est pas dans ma famille politique parce que je crois que, dans la période qui vient, c'est l'homme qui tient ses promesses. La France a besoin de sérieux et de solidité et il exprime parfaitement ces qualités, avec une autre à laquelle le Breton que je suis est attentif, c'est sa ténacité. C'est l'homme capable de beaucoup de sang-froid et de calme, même dans les périodes difficiles.

P. Lapousterle : M. Chirac n'est ni tenace ni sérieux ?

P. Méhaignerie : Mais je ne critique pas l'un, je donne une supériorité il l'autre.

 

Vendredi 31 mars 1995
France Inter

A. Ardisson : Vous avez décidé de demander une enquête préliminaire sur le financement du CDS, vous l'avez fait dans un souci de transparence. Est-ce que vous imaginez la scène d'un magistrat demandant à entendre le Garde des Sceaux en tant qu'ancien président du CDS ?

P. Méhaignerie : En général, on n'entend pas le président mais le trésorier. Mais même si on voulait l'entendre, pourquoi pas ? C'est la réussite d'une démocratie où la justice est indépendante du pouvoir politique. En ce qui me concerne, j'ai toujours combattu pour la transparence, l'indépendance de la justice et l'égalité des citoyens devant la loi pour qu'on ne puisse dire demain, responsable mais non coupable, où les hommes politiques s'arrangent entre eux. Aujourd'hui, tous les magistrats et les professions reconnaissent qu'il y a un vrai changement politique et ils espèrent que ce ne soit pas simplement, comme ils le disent, la parenthèse Méhaignerie. Donc il était tout à fait normal que je m'applique à moi-même cette exigence de transparence, pas à moi-même, au parti. D'autant plus que ce sont des faits qui datent de huit ans, là où il n'y avait pas de financement des partis politiques. J'ai toujours dit, y compris dans mon livre, qu'à cette période, il fallait bien que les partis se débrouillent pour financer des campagnes électorales hélas très coûteuses. Et dès 1986-87, j'ai milité non seulement pour limiter des dépenses électorales, mais aussi militer pour avoir un financement public qui nous permette de sortir de celle période.

A. Ardisson : La procédure de l'enquête préliminaire est celle qui a été employée pour les autres partis politiques.

P. Méhaignerie : Tout à fait.

A. Ardisson : Mais on a vu des ministres obligés de démissionner pour ça ?

P. Méhaignerie : Il n'y a pas d'enrichissement personnel, d'acte d'ingérence. Il y a les dons des entreprises et normalement – c'est l'enquête qui le dira – il y a amnistie. Il appartiendra au Parquet d'apprécier, le cas échéant, les suites. Mais pour le moment, il s'agit de faire toute la vérité et c'est tout à fait normal, de le faire pour le CDS comme pour les autres partis.

A. Ardisson : Vous faites ça un mois avant l'élection présidentielle ; est-ce que c'est un hasard ?

P. Méhaignerie : Non, c'est le concours de circonstances, c'est le bon déroulement de la justice en fonction, non pas des échéances électorales, mais de la nécessité de faire en sorte qu'en aucun cas le cours de la justice ne e la justice en fonction, non pas des échéances électorales, mais de la nécessité de faire en sorte qu'en aucun cas le cours de la justice ne soit arrêté.

A. Ardisson : Vous n'avez pas subi de pressions ?

P. Méhaignerie : Absolument pas, j'ai pris ma décision dès que j'ai eu connaissance de ça, à mon retour des États-Unis, la semaine dernière.

A. Ardisson : Mais vous saviez déjà qu'il s'était passé des choses pas très claires, vous venez de le dire ?

P. Méhaignerie : Cette modalité, je l'ignorais et le réflexe normal de tous les trésoriers, de tous les partis était de protéger leur président, au CDS comme dans la quasi-totalité des autres partis politiques.

A. Ardisson : Ne risquez-vous pas d'être fragilisé au sein de ce gouvernement du fait que certains vous reprochent de ne pas vous engager suffisamment dans la campagne d'E. Balladur, de ne pas suffisamment mouiller votre chemise, vous avez même critiqué certaines modalités de la campagne ?

P. Méhaignerie : Je suis totalement engagé dans la campagne de M. Balladur, mais avec l'engagement du ministre de la Justice, c'est-à-dire de ne pas y mêler la justice, avec une certaine réserve. Mais cette réserve, qui est en plus dans ma nature, n'induit aucunement de ma part une quelconque tiédeur. J'estime que le candidat Balladur est le meilleur par sa solidité, son sérieux et le fait qu'il tienne ses promesses, et aujourd'hui c'est important.

A. Ardisson : Vous contribuez à cette campagne à travers un livre public chez Plon, "Aux Français qui ne veulent plus être gouvernés par le haut". Dans ce livre, vous commencez par parler des inégalités et vous dites qu'il ne faut plus compter sur l'État-providence pour les corriger. N'est-ce pas exactement le cœur du débat entre J. Chirac et E. Balladur ?

P. Méhaignerie : Pour moi, les deux inégalités majeures sont d'abord le chômage, ensuite pour certains salariés l'accumulation du déficit de considération des bas salaires et de l'insécurité. Voilà les deux inégalités à corriger. Comment peut-on les corriger ? En maîtrisant la dépense publique, en stoppant l'hémorragie des comptes sociaux et en développant la décentralisation et l'expérimentation. Si je parle de l'expérimentation, c'est parce que je l'ai fait dans mon département. Nous avons lancé le RMI avant qu'il n'existe, nous avons sur le plan de l'emploi multiplié les initiatives de façon à réduire le chômage. Je crois que, s'il l'on ne rend pas les Français acteurs du changement, si tout vient d'en haut, si le citoyen attend de l'État ce qu'il devrait donner de lui-même, nous n'aurons pas de solution au problème du chômage. C'est la raison pour laquelle je dis, le pays a de formidables atouts, nous devons avoir un message d'espoir à condition que le slogan des année 80, l'État le fera pour vous soit remplacé par le slogan, faisons le nous-mêmes au niveau où se pose le problème.

A. Ardisson : Vous écrivez à un moment donné, qu'il faut remettre les avantages de chaque catégorie sociale sur la table pour les redistribuer en faveur de ceux qui en ont le moins. Cela pose directement le problème des salaires et des grèves qui ont lieu actuellement. Est-ce qu'il faut dire non à ceux qui, actuellement, réclament des augmentations de salaire parce qu'ils sont pourvus d'un emploi, d'une sécurité ?

P. Méhaignerie : Il faut à tout prix parvenir à une meilleure transparence, comme dans le domaine de la justice, et faire en sorte que chacun sache ce que les autres peuvent percevoir. J'estime aujourd'hui que l'effort doit porter sur ceux qui cumulent les désavantages des bas salaires, de l'insécurité, du déficit de considération. Je crois que, dans certains secteurs publics, il y a des augmentations de salaire qui iraient contre l'emploi ou contre l'amélioration de la situation que de ceux qui sont en difficulté aujourd'hui. Et s'il y a du grain à moudre, c'est grâce à l'effort des deux dernières années, mais ce grain à moudre n'est pas le même dans telle entreprise publique qui a un lourd déficit payé par le contribuable et dans des entreprises privées, ou publiques parfois, qui ont fait d'énormes efforts de productivité, qui aujourd'hui ont des bénéfices qui doivent être partagés avec les salariés.

A. Ardisson : E. Balladur a laissé entendre qu'il n'était pas contre des augmentations de salaire ?

P. Méhaignerie : À condition de les différencier. J'aurais souhaité que nous concentrions l'effort sur d'abord la lutte contre le chômage, en faveur des exclus, et ensuite de ceux qui ont les plus bas salaires et les déficits de considération. Attention au secteur public ! Il y a déjà eu, dans certains secteurs, des avantages dans les trois dernières années, je parle par exemple dans le domaine des collectivités locales. Aujourd'hui, la priorité doit aller aux bas salaires.

A. Ardisson : Il y a quelque chose qui m'a surpris dans ce livre, vous parlez longuement de l'école, des études supérieures que l'on prolonge souvent inutilement et au détriment de l'acquisition d'un savoir-faire professionnel, et vous proposez de rendre payantes les études supérieures au-delà de la troisième année. C'est difficilement conciliable avec une philosophie personnaliste ?

P. Méhaignerie : Pas du tout. J'estime qu'il faut faire un plus grand effort financier pour les jeunes, les étudiants lors des trois premières années d'études, jusqu'à bac + 3, quitte à le faire aussi pour une année de redoublement. Et donc avoir plus de bourses pour ces étudiants pour jouer l'égalité des chances. Après, l'étudiant a le choix : soit entrer dans la vie professionnelle, soit continuer des études. S'il va dans l'enseignement ou la recherche, il a des allocations de recherches, s'il va dans d'autres secteurs, il peut bénéficier de bourses ou d'allocations sous forme de prêts. Mais la poursuite trop prolongée des études, aujourd'hui, est combattue dans tous les pays européens parce qu'elle peut se retourner contre la promotion sociale. Et je crains que, dans quelques années, nous ayons beaucoup d'étudiants à bac + 5, bac + 7, qui aient du mal à trouver des métiers.

A. Ardisson : Vous l'avez dit, ce livre est votre contribution à la campagne. Êtes-vous satisfait du nouveau style d'E. Balladur dans cette campagne ?

P. Méhaignerie : Oui, beaucoup plus vivant. Je l'ai constaté à Loudéac, beaucoup plus détendu et beaucoup plus proche des préoccupations des Français. Et je crois que la bataille pour l'emploi peut être gagnée et les moyens à mettre en œuvre pour gagner cette bataille de l'emploi, je crois que le Premier ministre les détaille plus en plus concrètement et à la satisfaction de ceux qui assistent à ces réunions.