Interview de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux PME, au commerce et à l'artisanat, dans "Les Echos" du 5 octobre 1998, sur les conséquences de la loi Raffarin sur les grandes surfaces, les schémas d'urbanisme commercial, l'Observatoire national du commerce, les relations de l'Etat avec la distribution, le FISAC, l'extension aux magasins de la taxe sur les bureaux en Ile-de-France et la réforme du statut des coopératives de commerçants.

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Q - La concentration dans la distribution a-t-elle atteint la cote d'alerte ?

La concurrence existe encore. Nous sommes en situation d'oligopole, pas de monopole. On franchira la ligne jaune le jour où il n'y aura plus de bagarre pour des parts de marché. Cela dit, les fournisseurs ne sont pas rassurés. Et j'observe qu'après avoir fait baisser les étiquettes — avec l'appui des pouvoirs publics parce qu'on était en période d'inflation — la grande distribution fixe aujourd'hui les prix de référence. On l'a vu à la rentrée avec les micro-ordinateurs à 3.990 francs. On ne peut que s'en féliciter. C'est un moyen de diffusion de produits essentiels au plus grand nombre.

Mais cela peut être aussi dangereux. On retrouve en effet derrière cela toute la problématique des relations entre les producteurs et la distribution, même si le manichéisme n'est plus de mise : les grandes surfaces sont, de plus en plus. Elles-mêmes donneurs d'ordre et producteurs.

Q - La loi Raffarin n'est-elle pas une des causes de la concentration ?

Sur au moins un point, elle l'a été : elle a créé une rente de situation économique et a fait s'envoler le prix du mètre carré de surface de vente. Les entreprises existantes se sont retrouvées dans la situation tout à fait enviable de n'avoir plus de nouveaux concurrents. Elles se sont retrouvées à la tête de dots magnifiques. Cela rend tentant le mariage. Mais, pour l'essentiel, les concentrations actuelles répondent à des considérations stratégiques.

Q - Vous ne regrettez pas de n'avoir pas touché à ta loi ?

Les débats en Commission départementale d'équipement commercial ont changé de nature. Ils sont plus ouverts. Les rejets systématiques moins fréquents : 20 % seulement des mètres carrés demandés sont refusés. Cela dit, les conséquences de la réglementation sont celles que l'on attendait : il y a très peu d'autorisations pour des créations de nouveaux magasins, et beaucoup pour des opérations d'extension ou de modernisation.

Q - C'est tenable sur longue durée ?

Sur longue période, sûrement pas. Mais aujourd'hui, il est impossible de dire à quel terme. Il est trop tôt pour mesurer l'impact réel de la réglementation de 1996.

Q - La loi prévoit l'élaboration de schémas d'urbanisme commerciaux. Y êtes-vous favorable ?

Aux schémas ? Plus que jamais ! Les premiers tests ont montré que c'était difficile, que nous n'avions pas encore de méthodologie de travail. Certains ont travaillé sur des zones administratives, d'autres sur des zones de chalandise. Certains ont élaboré des sortes de plans d'occupation des sols, alors que raisonner en termes de cartographie commerciale est une hérésie. Ce serait prendre le risque de figer une évolution que l'on ne connaît pas et de faire exploser le prix des terrains... Mais ces expérimentations ont pourtant eu des vertus pédagogiques. Prenez la notion d'enseigne « locomotive »: les commerçants de centre-ville y étaient opposés. En travaillant sur les expérimentations ils se sont rendu compte qu'ils avaient beaucoup à y gagner... Il ne faut surtout pas renoncer. Plus nous aurons de « guides » objectifs, moins nous aurons de réglementation.

Q - La création de l'Observatoire national du commerce y contribuera-t-elle ?

Aujourd'hui, nous n'avons pas d'autre instrument d'analyse que des statistiques sur les autorisations de mètres carrés. Cela reste très quantitatif. L'Observatoire sera pour nous un instrument de mesure et de transmission de l'information au profit des pouvoirs publics mais aussi de l'ensemble des acteurs économiques.

Q - Quand l'Observatoire sera-t-il installé ?

Le décret le créant sera publié dans les tout prochains jours.

Q - Qui le présidera ?

Les qualités du président devront être le sérieux, l'aptitude à dialoguer et à anticiper. Le sérieux pour la fiabilité des études. L'aptitude à dialoguer parce que nul n'ignore la tonalité d'une réunion des partenaires sociaux dans la distribution. L'anticipation, parce qu'il me semble que l'on regarde trop dans le rétroviseur.

Q - Pourquoi avoir étendu ses missions à l'emploi ?

Parce que nous sommes dans une activité de services et qu'il y a une qualité spécifique à trouver. L'enjeu est réel. Face à l'essor du commerce électronique, la distribution actuelle ne conservera pas ses clients avec des techniques dépassées. L'Observatoire aura une fonction d'alerte. A lui de détecter les évolutions, de prévenir les pouvoirs publics et les professionnels du risque d'obsolescence de telle ou telle forme de distribution, de détecter les nouveaux besoins pour que l'on puisse optimiser l'emploi et la formation.

La grande industrie est née il y a un siècle, le commerce moderne il y a trente ans. Mais il est en passe d'acquérir le statut d'industrie à part entière et nous ne disposons d'aucun des outils habituels nous permettant d'en suivre l'évolution. Et puis. Dans un secteur où les partenaires sociaux n'ont guère l'habitude de la négociation, les pouvoirs publics doivent aussi prendre en compte la qualité de vie des gens qui y travaillent.

Q - N'y a-t-il pas, surtout, la tentation pour tout gouvernement de vouloir réglementer le commerce, faute de pouvoir le faire pour une industrie mondialisée ?

Il y a un peu de vrai... mais un peu seulement. D'abord, l'État a une politique industrielle, dans la recherche et l'innovation notamment, même s'il renonce à la gestion directe des entreprises. Ensuite, si la localisation de l'industrie est importante pour l'emploi, celle du commerce est fondamentale.

Elle conditionne toute la vie. Chacun voit bien les enjeux pour le centre des villes, les banlieues, les zones rurales.

Qu'on le veuille ou non, la puissance publique ne peut rester indifférente, même si elle doit réguler le commerce plutôt que le réglementer. C'est ce qui justifie pleinement, par exemple, l'action du Fonds d'intervention pour la sauvegarde des activités commerciales, le Fisac, dont nous venons de porter la dotation de 300 à 400 millions de francs.

Q - Le Fisac? Ça sert à quelque chose ?

Bien sûr que oui ! C'est un levier extraordinaire. Vous n'imaginez pas l'importance, pour une ville moyenne, d'une intervention du Fisac. Importance pédagogique d'abord, quand l'élaboration d'un dossier de candidature oblige collectivité locale et commerçants à une vraie réflexion. Importance financière ensuite : sans les 800.000 francs de subvention - en moyenne - l'opération ne pourrait bien souvent pas se faire.

Q - Après les subventions, les impôts... Pourquoi cette extension aux magasins de la taxe sur les bureaux en Île-de-France ?

Puisque c'est l'idée d'un collègue du gouvernement. Elle doit être bonne... La création de commerces génère des déplacements urbains tout aussi coûteux pour la collectivité que la construction de bureaux, Il pouvait donc paraître injuste que les uns soient assujettis à une taxe compensatoire, et les autres pas. Cela dit, cette fameuse taxe est proportionnelle aux surfaces. Je ne pense pas que ce soit une bonne référence pour la distribution, tant les chiffres d'affaires au mètre carré peuvent varier. Il faut ouvrir une discussion technique.

Sur la réforme du statut des coopératives de commerçants, je ferai ce que je pourrai juridiquement faire.

Q - Où en est la réforme du statut des coopératives de commerçants ?

Je ferai ce que je pourrai juridiquement faire.

Q - C'est-à-dire... rien ?

Si ! Les coopératives souhaitent pouvoir pratiquer des campagnes promotionnelles ou publicitaires avec des prix uniques sur tout le territoire, comme le font leurs concurrents intégrés. Je ne suis pas contre. Mais des réflexions sont en cours à Bruxelles sur une éventuelle réforme de ce qu'on appelle, en jargon professionnel, les restrictions verticales. Les deux sujets sont interdépendants.

Nous sommes donc à la recherche d'une solution.

Q - Et sur la consolidation des liens entre une coopérative et ses adhérents ?

Là, je suis plus prudente. En s'aventurant sur ce terrain. On ne toucherait pas qu'au statut des regroupements de commerçants, mais aussi à celui du mouvement coopératif en général, et même au droit des sociétés...