Interviews de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Le Bien public - Les Dépêches" du 24 octobre 1998 et à RTL le 26 octobre 1998, sur l'âge de la retraite, le problème du paiement des retraites, les fonds de pension, le financement de la sécurité sociale et les violences au cours des manifestations lycéennes.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Le Bien Public : samedi 24 octobre 1998

Bien-Public-Les Dépêches. – Quel est l'avis du secrétaire général de Fo sur les manifestations lycéennes ?

Marc Blondel. – C'est l'expression d'un mal de vivre. Moi, je n'oppose pas les lycéens et les casseurs. Je ne soutiens pas du tout les casseurs mais je pense qu'ils sont dans la même situation de mal de vivre que les lycéens. En France il y avait 400 000 chômeurs en 1974 deux millions en 1981, trois en 1990, il y en a actuellement trois millions plus un million de RMIstes. Ce qui signifie que la machine à refouler a marché à fond. Beaucoup de jeunes n'ont comme seule perspective que le chômage, il en est parmi eux qui n'ont jamais vu leurs parents travailler. Ils se regroupent, ils sont agressifs. Si le Gouvernement ne prend pas cette situation à pleines mains il y aura des explosions, et elles ne seront pas réglées à coup d'argent. Il ne faut pas s'habituer à vivre dans une société qui est minée par le chômage. C'est d'ailleurs pour cela que FO manifestera le 21 novembre.

BP-LD. – Jeudi les retraités manifestaient à leur tour…

M. B. – Oui les syndicats se sont bien fait entendre. Les comparaisons qui sont faites entre les revenus des retraités et ceux des jeunes et qui concluent qu'ils ne sont pas si mal lotis que cela me semble faussé parce qu'elles intègrent leur patrimoine. FO a toujours dit qu'une personne qui a travaillé pendant 40 ans doit avoir les moyens de poursuivre sa vie jusqu'à son terme de la manière la plus indépendante possible. Les maisons d'accueil pour les personnes âgées sont beaucoup trop chères, elles coûtent environ 10 000 F par mois. Il faut redescendre à 5 000 F. Par ailleurs il faut penser au moment où sera en retraite la génération du baby-boom. FO est ouvert à l'idée de faire un fonds pour dépasser le cap des années 2005-2010 et notre idée est que ce fonds soit alimenté par une légère taxation sur les heures supplémentaires. (…)
Dans l'immédiat, et dès la mi-novembre pour être plus précis, j'espère bien que FO pourra négocier le système de préretraite volontaire ARPE – il est ouvert aux personnes de 56 ans ayant travaillé 40 ans – aux personnes qui ont travaillé depuis l'âge de 14 ou 15 ans et qui ont cotisé 40 ans.

BP-LD. – Et les 35 heures ?

M. B. – Ce qui était une aspiration sociale à travailler moins dévient une crainte pour les salariés parce que les lacunes de la loi sont telles que l'on a peur d'une remise en cause du pouvoir d'achat. Pour FO en tous cas la revendication est de travailler 35 heures et d'être payés 39. Par ailleurs je suis en désaccord avec Mme Aubry quand elle, annonce que la baisse de 10 % du travail d'un salarié permettra des embauches.

Cela se fera certes mais pas de manière automatique et arithmétique.

BP-LD. – Où en est le dossier de la Sécurité sociale ?

M. B. – Je soutiens qu'à l'heure actuelle, en ce mois d'octobre, il y a des hôpitaux qui différent à l'année prochaine des opérations lourdes pour les inscrire sur leur prochain budget. FO ne veut pas de listes d'attente. Nous nous battons pour qu'on redéfinisse le budget de la Sécurité sociale en fonction des besoins des gens – donc de la maîtrise médicalisée – et non pour répondre à des impératifs financiers – la maîtrise comptable, celle d'aujourd'hui.

Le sort de la Sécurité sociale est entre les mains du Parlement et du ministre de la Santé et il n'y a plus en face d'eux de contrepoids parce que les conseils d'administration où sont représentés les patrons et les salariés ne sont plus que les exécutants du Gouvernement.


RTL : lundi 26 octobre 1998

Q - Alors que se passe-t-il, vous avez admis la possibilité d'un recul de l'âge de départ à la retraite ?

– « Non, il s'agissait d'une émission qui a duré une heure. Et dans cette émission il y avait trois séquences – ce qui est assez fréquent comme rythme. On a discuté de la situation des retraités. Et je me suis permis tout simplement une analyse qui n'est pas nouvelle, d'ailleurs, en disant : il faut maintenant que nous parlions des besoins des gens. Et j'ai donné une image. Je vais la reprendre si vous m'y autorisez. Ma mère, 86 ans, 3 800 francs de retraite. Elle a des problèmes de sénescence, il a fallu que je trouve une maison, ce n'était plus possible de la garder. Et nous avons trouvé une maison à 10 000 francs par mois. 3 800 francs, 10 000 francs par mois, impossibilité matérielle, sauf l'aide de son fils pour qu'elle soit dans une maison médicalisée. Je pense que lorsqu'on a travaillé toute sa vie, on devrait être en mesure d'avoir une retraite suffisante pour être pris en charge jusqu'à la fin de ses jours. À partir de ce raisonnement, j'ai fait des propositions. J'ai dit : il faut que ce soit l'hôpital public qui prenne ça en charge, qu'on transforme les hôpitaux, qu'on voit un peu comment on peut faire avec les hôpitaux de proximité etc. Il faut faire descendre le prix mensuel à 5 000 francs à peu près et puis il faut trouver le moyen de consolider la retraite par la dépendance etc., etc. Lorsqu'on a discuté de cet ensemble, j'ai dit : il fallait donc une espèce de plan qui mette tout ça en mouvement. Et là j'ai dit : se posera la question de savoir ce que l'on considère comme une carrière. Est-ce que c'est 37 ans et demi ; est-ce que c'est 40 ans de cotisation ? Et puis j'ai dit : maintenant que les gens rentrent plus tard dans leur métier, parfois à 25 ans, si c'est 37 ans et demi, ça fait 62 ans et demi, si c'est 40 ans, ça fait 65 ans. Ce qui pose un problème. On en a conclu peut-être d'une manière un peu hâtive que j'acceptais qu'on remette en cause l'année de départ. Je crois que la question se posera. »

Q - Vous vous rendez compte, vous êtes en train de parler d'un retour vers 65 ans alors qu'il y a encore quelques mois on disait : pourquoi l'âge de la retraite, ça ne serait pas 55 ans.

– « Attendez. Nous revendiquions pour certaines catégories de gens la retraite à 55 ans, ce qui est différent. Et encore en ce moment, je dis compte-tenu de la situation du chômage : il faut faire un effet d'âge et faire partir les gens qui ont commencé à travailler à 14 et 15 ans. Ça va dans le sens contraire de retarder l'âge de la retraite. C'est très clair. Mais ce n'est pas contradictoire. Ce que je veux expliquer, c'est qu'on ne peut pas quand même raconter aux gens que s'ils cotisent pendant 35 ans, ils vont avoir une retraite suffisante ou une retraite comparable à une retraite qui serait calculée sur 40 ans. On ne peut quand même pas leur dire ça. »

Q - Donc modulation de la situation ?

– « Non. Mobilisation sur le problème de la retraite et mobilisation non pas de la façon dont on le fait actuellement. »

Q - D'une certaine manière, est-ce que vous n'êtes pas en train d'admettre que vers les années 2005, 2010 ou je ne sais quand exactement, il n'y aura plus suffisamment de cotisants pour entretenir les retraites du moment.

– « Nous sommes en train d'enfoncer des portes ouvertes. Tout le monde sait bien qu'en 2005-2010, il y aura un problème de rapport actifs-inactifs, c'est le baby-boom, au lendemain de la guerre, on a fait des enfants, ils vont avoir… »

Q - Vous dites qu'il faut augmenter les montants des cotisations ?

– « Oui, je dis qu'il faut augmenter le montant des cotisations. Parce qu'à choisir entre les régimes par capitalisation et puis les régimes par répartition, c'est choisi tout de suite ou alors on n'y comprend rien. Et je suis tout à fait étonné d'ailleurs des déclarations, y compris du Gouvernement. »

Q - Mais vous croyez qu'en l'an 2005-2010 les jeunes qui auront 25-30 ans, qui auront besoin de s'acheter un appartement, qui auront besoin de se lancer dans la vie, ils accepteront de payer encore plus ?

– « Et en ce moment, les-jeunes de 25-30 ans, comment font-ils ? Eh bien, ils payent les cotisations de ceux qui ont plus de 60 ans. »

Q - Mais là vous leur proposez de payer beaucoup plus.

– « Pourquoi dites-vous beaucoup plus, vous n'en savez rien. Le problème est un problème d'ajustement. Regardons les choses. Déjà, à l'heure actuelle, les cotisations sociales, notamment en ce qui concerne la retraite complémentaire, nous n'utilisons pas les possibilités complètement. C'est-à-dire qu'il y a des secteurs professionnels où on pourrait cotiser plus. La réglementation nous le permettrait. On ne le fait pas. Et on commence à nous dire : il faut un substitut et ce substitut il faut que ce soit les fonds de pension. Et on dit : allez, on y va à fond. Sauf, que je suis obligé de rappeler quelques petites choses quand même. On vient d'annoncer encore qu'on va essayer de faire baisser les taux d'intérêt. Pourquoi ? On essaie de faire baisser les taux d'intérêt pour éviter le chômage ou réduire le chômage. On sait que les taux d'intérêt élevés conduisent au chômage. Or, moi je sais que pour qu'il y ait des fonds de pension qui distribue quelque chose, il faut des taux d'intérêt élevés. Alors là, c'est la contradiction. »

Q - Le complément par capitalisation semble maintenant irréversible. M. Aubry l'a dit hier sur France à l'émission de M. Cotta.

– « Parce que lorsque M. Aubry a dit quelque chose, ça devient irréversible ? »

Q - Non mais ça y est, le Gouvernement semble converti à cette idée.

– « Attendez. D'abord, ça ne devrait pas être M. Aubry qui devrait parler de ce genre de chose parce que les fonds de pension, c'est surtout un problème économique. Je crois que c'est M. Kessler qui a raison. Quand M. Kessler dit : nous manquons d'argent, si on se met dans cet état d'esprit, il faut aller chercher de l'argent, on va prendre de l'épargne populaire ou l'épargne salariale, il nous faut des fonds de pension pour ne plus être ennuyé ou moins utiliser les fonds de pension américains. C'est l'exemple d'Alcatel. M. Kessler a raison. Mais M. Kessler ne dit plus : c'est le troisième pilier d'une retraite. Parce qu'il sait très bien – c'est intellectuellement honnête – que le fonds de pension sera le concurrent, sera le rival de la retraite par répartition. »

Q - Et vous ne croyez pas qu'il puisse y avoir un complément à partir du moment où un certain nombre de garanties seront prises ?

– « Mais non parce que, pardonnez-moi, mais le fonds de pension pour l'inciter à se développer, il y aura exonération de cotisations et d'impôts et le patron mettra plutôt cet argent, plutôt qu'augmenter les salaires. »

Q - Mais M. Aubry dit qu'il n'y aura pas ça justement.

– « Mais M. Aubry peut dire ce qu'elle veut. Moi je sais que les fonds de pension, s'il s'agit d'essayer de mettre de l'argent pour le remettre en bourse, il faut une mesure incitative importante. Sinon, les patrons ne le feront pas. Donc c'est clair. C'est la démarche, on n'y peut rien. Je dirais que c'est le procédé. On ne peut pas modifier ce procédé. »

Q - Avez-vous le sentiment que la vaste concertation lancée par le Gouvernement sous l'égide du Commissariat au plan va aboutir ?

– « Pour l'instant, je vais rendre publique cet après-midi une lettre que j'ai adressée justement à M. Charpin. Je dis que je ne suis pas d'accord qu'on fasse une comparaison entre la situation des jeunes et la situation des retraités dans la limite où on inclue dans les retraites le patrimoine. Et on parle notamment de patrimoine, c'est-à-dire qu'en fait il n'y a qu'une partie des gens qui ont une infime partie ou une grande partie du patrimoine. Alors on fait rentrer ça là-dedans et on dit : regardez, la situation du retraité est de beaucoup, largement supérieure à celle des jeunes. Moi je considère que c'est tricher. Le patrimoine c'est tout autre chose. Je parle, moi des résultats de la retraite. »

Q - Dans six mois on va aboutir ?

– « Attendez, il faut d'abord qu'on se mette d'accord paraît-il, c'était l'objectif du Premier ministre, il fallait qu'on se mette d'accord sur la description des lieux. Il me semble que nous ne sommes pas tout à fait d'accord sur les choix. »

Q - On n'est pas prêt d'avancer.

– « Mais on est obligé d'y aller monsieur. On est obligé d'y aller parce que les problèmes vont arriver à une vitesse grand V. C'est pour ça que je suis d'accord avec le fond. Je n'ai pas dit pour autant que le fond pour moi c'est un fonds de capitalisation. Mais je suis d'accord avec le fonds initié par M. Bérégovoy qui a été repris par M. Strauss-Kahn de mettre un fonds pour essayer de passer la bulle de 2005-2010. »

Q - Et dans le domaine des finances, il est compétent, tandis que M. Aubry…

– « Mais ce n'est pas son métier, non ? Il n'est pas ministre des Finances ? Et j'indique au passage que, moi, je suis partisan que l'on taxe légèrement les heures supplémentaires, parce que je crois que c'est une contribution pour ce fonds, pour passer la bulle de 2005-2010. Maintenant, le problème des retraites c'est avant tout le rapport actifs-retraités. S'il n'y avait pas les trois millions de chômeurs, il est fort probable que nous n'aurions pas le même débat. »

Q - Ah oui, si, si, si… mais ils sont là.

– « Eh oui, si, si si. J'insiste sur un point pour vous dire que je ne suis pas partisan de reporter comme ça d'une manière technocratique l'âge de la retraite. Je pense que je vais avoir raison pour le départ des gens qui ont commencé à travailler à 14-15 ans, qui auraient 40 ans de cotisation et qui pourraient partir. »

Q - Ça va se faire avant la fin de l'année ?

– « Je crois. Je crois que ça se fera dans la deuxième quinzaine de novembre. Qu'on me pardonne si je me trompe de quelques jours. Mais je crois que nous l'aurons avant la fin de l'année. Je vous rappelle qu'on est arrivé peu à peu à 126 000 départs et à 106 000 embauches en contrats à durée indéterminée à 99 %. Ça veut dire que c'est efficace. ».