Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "La Provence" du 9 novembre 1998, sur le financement du régime des retraites et les fonds de pension.

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La Provence : le "papy boom" de 2005, c'est presque demain. Comment se préparer a ce que Certains appellent une bombe démographique, à savoir seize millions de retraités en 2015 ?

Marc Blondel : "La formule de bombe démographique est impropre. On ne peut en effet que se féliciter de voir les gens vivre en moyenne de plus en plus vieux. D'ailleurs, ce qui compte également c'est qu'ils puissent vivre de mieux en mieux, y compris au plan de la santé. Ceci étant, le problème posé est avant tout économique et financier. Si l'on raisonne en terme de besoin - ce qui est la bonne voie - convient de dégager les moyens nécessaires. Cela passe en particulier et fondamentalement par une répartition différente des richesses produites. Il faut rompre avec une logique qui depuis des années accroît le fossé entre la rémunération du capital et la rémunération du travail (salaire direct, allocations et retraites). Le problème est moins un problème d'existence de moyens que de réparation de ces moyens. Les Nations Unies, elles-mêmes, soulignent que les 225 personnes les plus riches au monde gagnent autant que les 2,5 milliards de personnes les plus défavorisées."

La Provence : le gouvernement vent introduire, a terme, un troisième étage dans les régimes de retraite : la capitalisation. Y êtes-vous favorable et comment doit-elle fonctionner : Obligatoire pour tous ou non ? Par qui devront être gérés ces fonds ? Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry ne semblent pas d'accord.

Marc Blondel : "Cela fait maintenant plusieurs années - et en particulier depuis 1995 – que nous dénonçons le mouvement de privatisation de la Sécurité sociale tant dans la maladie que la retraite.

Les fonds de pension s'intègrent dans ce schéma. On nous dit : on ne pourra pas faire face, pour sauver la retraite il faut avoir un troisième étage. Les fonds de pension constituent une machine infernale. Ils sont basés sur les rendements financiers. Pour avoir une bonne rente, il faudra si nécessaire ne pas augmenter les salaires et licencier. Ils brisent la solidarité de génération entre actifs et retraités.

Regardez aux Etats-Unis, avec la crise financière on s'inquiète pour le rendement des fonds de pensions ! M. Kessler,- s'ils sont obligatoires, le vice-président du patronat, a eu le mérite de dire pourquoi il plaidait pour les fonds de pension. Il n'évoque pas la question des retraites mais la nécessite d'avoir plus de capitaux français dans les fonds propres des entreprises. Les pays qui ont des fonds de pension connaissent par ailleurs des déboires sérieux. L'Angleterre, le Chili et la Corse par exemple. Enfin, pourquoi ce que les entreprises seraient prêtes à mettre dans les fonds de pension, ne le mettraient-elles pas dans la réparation ? Quant au fait de savoir s'ils doivent être obligatoires ou facultatifs c'est un peu le débat entre deux maux :- s'ils sont facultatifs. Ils sont inégalitaires, ils pèseront plus contre la répartition."

La Provence : cette épargne retraite ne risque-t-elle pas de mettre à mal le régime par répartition ? C'était une des critiques de la loi Thomas sur les fonds de pension français.

Marc Blondel : "Mais c'est bien la l'objectif. On commence par construire un étage supplémentaire puis on n'entretient plus les niveaux du dessous. A la fin, on vit tous au denier étage avec une retraite de base minima."

La Provence : faut-il mettre un terme aux régimes spéciaux du type SNCF ou RATP ?  Cela se justifie-t-il encore ?

Marc Blondel : "Je vous rappelle que c'était une des raisons du conflit de novembre/décembre et je ne conseille pas au gouvernement de se relancer dans une telle voie.

Cela fait des années qu'on nous fait des rapports et des livres blancs sur les retraites au seul motif financier et en référence à l'inéluctabilité du libéralisme économique. Pourquoi voulez-vous que l'équité ce soit toujours d'aligner la condition sociale vers le bas. En fait de modernisme, ce serait surtout une démarche rétrograde."

La Provence : Force Ouvrière a récemment opéré : un virage sur la retraite. Comment faire passer l'idée que l'âge de la retraite puisse être repousse à 65 ans ?

Marc Blondel : "Nous n'avons pas dit que l'âge de la retraite devait être repoussé. Nous demandons même que ceux qui ont commencent à travailler dès 14/15 ans, avec 40 ans de cotisations, puissent cesser leur activité. Ce que nous avons dit, c'est comment peut-on permettre à un jeune qui, compte tenu du chômage, va commencer à travailler à 23 ou 24 ans, de pouvoir prendre sa retraite à 60 ans alors qu'on exige 40 ans de cotisations pour avoir une retraite à taux plein. Celui qui a, de fait, reculé l'âge de la retraite, c'est le gouvernement qui a fait passer de 37,5 à 40 ans le nombre d'annuités nécessaires."

La Provence : lors des récentes manifestations, une des revendications était l'indexation du montant des retraites sur les salaires et non pas sur les prix. Les salariés peuvent-ils supporter une nouvelle hausse des cotisations ?

Marc Blondel : "Sans parler de hausse des cotisations, on peut déjà augmenter les salaires, ce qui abonderait des recettes des caisses de retraites. Il faut aussi utiliser au maximum les possibilités contributives des régimes complémentaires.

Si on luttait aussi réellement contre le chômage, les recettes seraient abondées. Même la Commission européenne - qu'on ne peut pas suspecter d'être trop sociale - reconnaît que le plein emploi permettrait de passer facilement le problème des retraites.

On retrouve ici la notion de fond : sortir de la logique restrictive et libérale. Et c'est pourquoi nous faisons une manifestation nationale le 21 novembre à Paris."