Interview de M. Gilles de Robien, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, à France-Inter le 31 mai 1995, sur son rôle comme président de groupe parlementaire, la position de la France dans le conflit en Yougoslavie, et les manifestations pour la défense du service public.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : Quelle sorte de président de groupe serez-vous ?

G. de Robien : Un président œcuménique. J'ai l'intention de rassembler les 200 députés qui appartiennent au groupe UDF pour à chaque fois dégager des synthèses, des propositions et, en même temps, un rôle normal d'exigence, de contrôle du gouvernement. Mon travail essentiel va donc être de rassembler.

A. Ardisson : Il y a au moins six chapelles à l'UDF : y a-t-il vraiment une identité UDF qui sur le plan parlementaire a quelque chose de différent à dire ?

G. de Robien : La particularité de l'UDF, c'est d'être à la fois une force vraiment libérale, c'est-à-dire partisane de l'économie de marché – mais presque tout le monde l'est maintenant – et en même temps qui a une sensibilité sociale et européenne nettement affirmée. Cette conjugaison du libéral, du social et de l'européen fait véritablement de l'UDF une force originale qui est une des deux fortes composantes de soutien à l'action gouvernementale et qui a ses exigences dans un projet gouvernemental.

A. Ardisson : Êtes-vous déjà mandaté pour avancer certaines exigences dans les jours qui viennent ?

G. de Robien : Mon élection date d'hier soir. Mon souci a été aussitôt de dire que les prises de position officielles du groupe UDF seraient bien sûr soumises à l'ensemble du groupe. Nous le réunissons pour la première fois la semaine prochaine mais je sais déjà que les participants et les députés vont avoir à intervenir à propos de la Bosnie, par exemple. Dès maintenant, on a déjà imaginé un message à l'intention du gouvernement qui est un message de soutien fort à l'action de fermeté engagée par M. Juppé.

A. Ardisson : Soutien sans états d'âme ?

G. de Robien : Oui bien que la situation est extrêmement délicate. C'est un pays qui est complexe, c'est une situation compliquée, un pays difficile. Mais déjà le gouvernement et notamment M. Juppé et les ministres des Affaires étrangères du groupe de contact ont obtenu, grâce à la France, une première victoire. Cette première victoire, c'est de renforcer la position de la FORPRONU, c'est aussi de créer une force de réaction rapide pour réagir aux attaques de façon à ce qu'on soit moins des cibles mais plus une force d'intervention et de pacification. L'ouverture aussi à Belgrade vers M. Milosevic d'une possibilité de dialogue plus grande et, en même temps, l'indication très nette que les chefs serbes seront tenus personnellement responsables des otages. Je crois que c'est cette position de fermeté annoncée par le Premier ministre que nous allons soutenir dès cet après-midi à l'Assemblée nationale.

A. Ardisson : Quand vous n'étiez que vice-président du groupe UDF, vous étiez plutôt du genre "électron libre" ; par exemple, vous avez défendu la semaine de quatre jours. Est-ce que vous allez garder la même liberté de ton ou vous fondre dans une manière de penser plus orthodoxe ?

G. de Robien : Je ne sais pas me fondre. Chacun, à l'UDF, est bien sûr une personnalité et les talents sont nombreux et individuels. Ce qu'il faut toujours rechercher, c'est une synthèse qui ne soit pas une synthèse profil bas. Et donc c'est mon rôle, si j'ai des convictions personnelles, notamment sur l'aménagement du temps de travail, non pas de proclamer que c'est la position du groupe, mais mon devoir est d'abord de convaincre la majorité du groupe que c'est une piste de recherche de combat contre le chômage qui est intéressante. Et lorsque j'aurai convaincu la majorité du groupe, je pourrai l'exprimer au nom du groupe. En attendant, c'est une position personnelle.

A. Ardisson : Vous souligniez tout à l'heure l'intérêt pour le social du groupe UDF. Aujourd'hui encore il y a des manifestations pour le maintien du service public contre les risques non seulement de privatisations mais de déréglementations que l'on sent poindre à partir de la volonté d'une idée européenne. Est-ce que l'on découvre cela aujourd'hui pour vous ? Est-ce important de maintenir un service public fort, à la française ?

G. de Robien : Je crois que tout le monde est pour le maintien du service public et que les défilés d'hier servent, s'ils traduisent une espèce d'inquiétude de la part de certains acteurs du service public, les Postes et autres, il ne faut pas confondre la qualité du service public rendu – qui, là, doit être préservé intégralement – et la forme que l'on doit prendre pour rendre ce service public. Je prends un exemple très simple, il y a des entreprises privées qui peuvent rendre des services publics. Il y a des entreprises privées qui gèrent des parkings, c'est du service public. Il y a des entreprises privées qui font du transport public de voyageurs, c'est du service public. L'essentiel est qu'à chaque fois qu'on a à imaginer un service à rendre au public, on étudie quelle est la forme la meilleure et la moins chère pour rendre le meilleur service public. Alors que les fonctionnaires français ne s'inquiètent pas, ils sont parmi les meilleurs du monde, ils sont susceptibles de rendre les meilleurs services publics dans la plupart des cas. C'est une question de compétition qu'ils ont à engager avec d'autres formes de service public. Puisque c'est l'argent du contribuable qui, à chaque fois, est engagé ou l'argent de l'utilisateur du service public, je crois que sans arrêt on a à rechercher une sorte de productivité du service public de façon à toujours avoir le meilleur service au public, quelle que soit la forme de ce service.

A. Ardisson : Mais les entreprises privées, auxquelles on peut concéder un service public, ne sont généralement pas des mécènes. On se demande quel intérêt elles pourraient trouver à desservir, par exemple en matière de Poste, voire d'électricité, des communes tout à fait isolées, retirées, difficiles d'accès et pour lesquelles le service rendu est de toute façon coûteux.

G. de Robien : Vous avez tout à fait raison et donc le service public doit intervenir même si c'est à travers une entreprise privée, subventionnée à ce moment-là par l'État ou par la collectivité qui estiment que desservir un village isolé, ça relève bien du service public, ça doit donc faire appel à la solidarité nationale. À partir de ce moment-là, une ligne qui n'est pas rentable à la SNCF ou une ligne de bus qui ne l'est pas dans la desserte départementale doit être subventionnée ou par l'État ou par le département. C'est cela aussi le service public.