Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
C'est maintenant une tradition pour la CGT, de rencontrer la presse afin de préciser son état d'esprit alors que se termine la période des congés.
Pour cette rentrée 98, il est clair que la CGT fera tout pour que s'expriment avec force et dynamisme les exigences des salariés en matière de salaires, d'emploi, de réforme de la protection sociale et, bien évidemment, pour que la mise en oeuvre des 35 heures permette de bousculer les prétentions du patronat.
Nous le disons avec beaucoup de force, tous les éléments de ces derniers mois qui témoignent d'une indiscutable reprise de l'activité, d'une situation florissante pour beaucoup d'entreprises - comme le prouvent les résultats du premier semestre - nous confortent dans notre volonté d'aider les salariés à exiger ce qui leur est dû.
La France a décidément beaucoup d'atouts pour impulser une dynamique économique, sociale, fiscale, qui mette réellement le progrès social et l'emploi à l'ordre du jour.
Cela ne se fera pas sans une réelle volonté politique et sans une forte mobilisation des salariés.
L'évolution des chiffres de l'emploi, des rentrées fiscales, qui ont donné lieu à quelques déclarations dithyrambiques, confirment la réalité d'une certaine croissance. Mais, pour l'essentiel, nous sommes simplement sur la lancée de la forte reprise constatée au dernier trimestre 97 et au premier trimestre 98, sans que l'on ressente un prolongement de cet élan. La tendance actuelle, influencée par les difficultés dans les pays asiatiques et les retombées à risques de la crise financière en Russie, est plus au plafonnement qu'à l'accélération, en France et dans la plupart des grands pays industriels. Mais derrière les chiffres se profilent de dures conséquences pour les peuples, tant en Asie qu'en Amérique Latine.
Pour redonner de l'élan à la dynamique, des mesures internes significatives en matière de salaires, d'emploi, d'investissements sont indispensables pour que les fruits de la croissance soient réinvestis dans un sens favorable à l'activité économique, au développement industriel à celui de la recherche et à l'emploi.
C'est d'autant plus important que l'amélioration constatée des chiffres de l'emploi montre des signes de fragilité préoccupante.
En effet, les créations d'emploi sont constituées pour l'essentiel d'une explosion de la précarité. L'intérim a progressé de 38 % de juin 1997 à juin 1998, la progression des contrats à durée déterminée est spectaculaire, ils représentent trois embauches sur quatre, voire quatre sur cinq scion la taille des établissements et l'emploi à temps partiel suit la même courbe, il recouvre aujourd'hui 17 % des emplois et concerne à 85 % les femmes
Nous considérons que nous sommes en présence d'une tendance que les entreprises sont bien décidées à rendre durable.
Les conséquences sont lourdes pour les salariés car ces emplois donnent lieu à des salaires généralement bas, à des conditions de travail rendues difficiles par les exigences d'adaptation rapide et de rendement qui les caractérisent.
Cette réalité souligne le caractère fallacieux des démonstrations qui tendent à considérer que l'hécatombe d'emplois de la décennie 90 est effacée, alors que le processus en cours vise à remplacer des emplois stables en emplois précaires de faible rémunération.
En fait, les entreprises cherchent avant tout à répondre à leurs objectifs de rentabilité financière par plus de flexibilité, de mobilité, de pression sur les salaires. Le comportement de la majorité d'entre elles dans la mise en oeuvre des 35 heures, le maintien des plans de licenciements et de non remplacement des départs naturels, malgré la reprise de la demande, est révélateur de cette stratégie, ce qui hypothèque lourdement l'avenir.
De plus, commencent à apparaître les premiers stigmates de la politique suivie en matière de service public.
En guise de surcapacité de production, EDF est obligée d'importer de l'électricité, la SNCF est en difficulté pour répondre aux demandes d'acheminement de fret à cause du manque de motrices et d'une insuffisance du réseau secondaire. Par manque d'investissement, les réseaux de téléphone mobile sont saturés à Paris et à Marseille.
La politique de privatisation totale ou partielle, sous la pression permanente de Bruxelles, témoigne de la rapidité avec laquelle la situation peut se dégrader, dès lors que les impératifs de profits étouffent les objectifs de service public. Notons, au passage, que le programme Balladur de privatisations est aujourd'hui pratiquement réalisé.
Les nuages sombres qui planent sur les industries de Défense en matière d'emplois, de suppressions de site, sans que soit formulée pour le moment la moindre perspective industrielle alternative, suscitent la colère légitime des personnels.
Certes, la consommation a connu un certain essor au premier semestre. Mais, tout indique que cette poussée risque de rester conjoncturelle si elle ne trouve pas de relais dans l'amélioration du pouvoir d'achat des salaires, des retraites ct des minima sociaux.
En effet, la situation de l'endettement confirme cette crainte. Fin 97, un ménage sur deux était endetté et deux millions quatre cent mille personnes étaient et restent sous le coup d'un interdit bancaire. L'endettement devient de plus en plus une réponse à la perte de pouvoir d'achat, souligne une étude de l'Observatoire de l'endettement.
Tous ces éléments confirment l'urgente nécessité de s'attaquer avec vigueur à la nécessaire revalorisation du travail dans ce pays. Cela pose à la fois la question des salaires, de la reconnaissance des qualifications et de la stabilité de l'emploi.
Contrairement aux affirmations qui prétendent qu'un emploi précaire prélude à une embauche, c'est en réalité sur le chômage que débouchent les fin de contrats précaires.
Toutes ces raisons nous incitent à la plus grande fermeté pour rejeter les conclusions du rapport Malinvaud. Il n'y avait nul besoin d'experts pour mettre noir sur blanc des revendications patronales affichées depuis bien longtemps. L'extension des exonérations des charges jusqu'à deux fois le SMIC et la pérennisation d'un système aussi pervers, auraient des conséquences lourdes et dangereuses pour le financement de la protection sociale mais tout autant, pour les salariés, le système aboutissant à tirer tous les salaires vers le bas et à encourager la non reconnaissance des qualifications et des diplômes.
Personne ne saurait accepter qu'une modification aussi sérieuse se décide sans une réelle concertation et un véritable débat prenant en compte les différentes propositions. Le gouvernement se réserverait de fortes déconvenues s'il en arrivait à confondre paroles d'expert et paroles d'évangile.
La même fermeté nous anime concernant la mise en oeuvre des 35 heures. Ce qui vient de se passer à l'UIMM et dans le Sucre, confirme s'il en était besoin que l'objectif central du patronat dans les négociations est d'obtenir plus de flexibilité et, notamment, l'annualisation de la durée du travail, la remise en cause d'acquis importants et, chaque fois qu'il le pourra, de nouvelles ponctions sur les salaires sans le moindre engagement sur l'emploi.
L'accord UIMM fait semblant de protéger les salariés en sacrifiant l'emploi. L'accord dans le Sucre fait semblant d'accélérer la réduction du temps de travail mais ponctionne le pouvoir d'achat et sacrifie également l'emploi.
Dans les deux cas, c'est la flexibilité qui entre en scène, en grand, sans engagement sur l'emploi.
Dans les deux cas, le chantage à la dénonciation de la convention collective et les difficultés de mobilisation des salariés, du fait de la période des congés, ont été les armes essentielles du patronat.
Ceci dit, les dés ne sont pas tous sur la table et le « bras de fer » ne fait que commencer !
La CGT, ses organisations, vont multiplier les efforts pour que se créent dans les entreprises les conditions de mobilisation, de rassemblement et d'unité pour faire triompher les intérêts des salariés dans les négociations, comme ont su le faire ceux des Transports Marseillais, de Legrand à Limoges ou de Syseca Thomson, qui sont parvenus à des accords allant dans le sens de la réduction du temps de travail sans perte de salaires et de l'emploi ou encore Alcatel Toulouse où l'accord est en suspens.
Nous appelons partout les salariés à s'opposer fermement aux prétentions patronales, à déjouer les pièges visant, soit à sacrifier les salaires sous le prétexte de l'emploi ; soit à sacrifier l'emploi sous le prétexte des salaires avec, partout, la recherche de nouvelles percées de flexibilité lourdes de conséquences pour les conditions de travail ct de vie. Non seulement amélioration des salaires et créations d'emplois ne s'opposent pas, mais nous avons aujourd'hui besoin de l'un et de l'autre.
De ce point de vue, le gouvernement est aujourd'hui au pied du mur pour la mise en oeuvre des 35 heures dans le secteur Public et les grandes entreprises publiques.
Il a une excellente occasion de montrer la voie d'un bon accord, et cela permettrait à Martine Aubry de porter une appréciation qui serait alors fondée.
L'année 1998 ne peut pas être seulement l'année de tous les profits, et les salariés ont toutes raisons de faire valoir leurs exigences.
La réforme du financement de la protection sociale est toujours à l'ordre du jour, et nous sommes toujours en attente d'une réelle concertation en la matière.
La Sécurité sociale a besoin de ressources supplémentaires et la contribution des entreprises qui ne représente plus que 40 % des ressources aujourd'hui, contre 45 % en 1990, doit y participer. Le mode de prélèvement doit favoriser l'emploi, ce qui suppose de répartir différemment la contribution et de ne plus avantager les entreprises qui cassent l'emploi.
Il est donc urgent de mettre en oeuvre une réforme structurelle, précédée d'une mise à plat du dispositif d'exonérations qui s'élève aujourd'hui à 75 milliards, sans réelle efficacité pour l'emploi, et assortie de mesures immédiates.
Nous réitérons avec force notre exigence d'un nouveau mode de calcul prenant en compte l'évolution valeur ajoutée/masse salariale, afin de mettre légitimement à contribution les profits obtenus par suppression d'emplois.
De plus, nous proposons dans l'immédiat :
- la prise en charge des dettes patronales par un fond spécial de garantie solidarité financé par les entreprises,
-la mise en place d'une contribution spécifique des revenus financiers des entreprises, comme on l'a fait pour les ménages, et de rechercher les moyens de moduler la cotisation UNEDIC, en fonction de la gestion « passée » en matière d'emplois.
Ces mesures doivent permettre de répondre aux besoins de financement et de mettre un terme aux ponctions répétées sur les salariés et sur les contribuables.
Parallèlement, nous réaffirmons nos exigences en matière de réforme fiscale et restons en attente de dispositions réellement redistributrices. En dépit de quelques améliorations annoncées concernant la taxe d'habitation, les mesures envisagées vont surtout permettre aux entreprises de récupérer ce qui leur a été demandé l'an dernier, et au delà pour certaines d'entre elles.
La régularisation des Sans-papiers est plus que jamais sur le devant de l'actualité.
Comme nous l'avions indiqué dès sa publication, le dispositif gouvernemental était injustifiable et intenable. Les différents reculs opérés depuis un an confirment que la seule position susceptible d'assainir la situation est de répondre à l'exigence de régularisation de tous les Sans-papiers qui en ont fait la demande. En leur proposant de se faire connaître, le gouvernement de gauche a suscité un élan de confiance qu'il ne peut trahir sans ternir sa propre crédibilité sur des valeurs républicaines fondamentales. Depuis dix ans, aucun processus de régularisation massive n'a été décidé, et les quelques 50.000 à 60.000 dossiers en instance peuvent et doivent être réglés sans préjudice, ni pour l'équilibre général du pays, ni pour la pression migratoire. La CGT continuera à soutenir sans réserve la lutte des Sans-papiers.
L'ensemble des dossiers évoqués placent donc de fait cette rentrée sous le signe d'un grand effort de sensibilisation et de mobilisation des salariés. Sans préjuger des initiatives futures, nous appelons l'ensemble de nos organisations à aller avec dynamisme au débat avec les salariés, en apportant une attention toute particulière aux lieux de travail. C'est en travaillant d'arrache pied dans et vers les entreprises que peuvent se créer les conditions d'une large mise en mouvement, point d'appui décisif pour de nouveaux progrès en matière de rapprochement et d'unité entre organisations syndicales. Sur les lieux de travail, dans les départements, comme au niveau Confédéral, nous voulons relancer et développer les contacts entre organisations, en nous appuyant sur les fortes aspirations des salariés.
Les enjeux sont considérables, la résistance patronale farouche, mais les salariés ont aujourd'hui les moyens de se faire entendre et de peser pour des choix qui mettent les fruits de la croissance au service du progrès social, du développement économique et de l'emploi.
Avec cet objectif en ligne de mire, les organisations CGT vont multiplier les initiatives de rentrée dans les entreprises, les localités pour sensibiliser les salariés, éclairer les enjeux et favoriser leur mobilisation.
Cette démarche va constituer un point d'appui pour une préparation très ouverte de notre 46ème Congrès Confédéral. Sans attendre les discussions autour du document d'orientation qui sera soumis à la Commission exécutive confédérale de Septembre, la commission d'animation des débats a mis à la disposition des syndiqués un questionnement pour préciser les thèmes à discuter, et les éléments qui s'en dégagent vont permettre d'ancrer les lignes forces de ce document sur les préoccupations qu'expriment les syndiqués.
Le fil conducteur de notre réflexion vise à dégager les conditions nécessaires à la plus grande efficacité possible de l'action syndicale au service des conquêtes sociales.
Nous visons pour cela à l'expression démocratique la plus large dans tous les aspects de la préparation du congrès, élaboration des orientations, des propositions, réflexions sur la nouvelle direction en associant étroitement la Commission exécutive et le Comité Confédéral National qui se réunira deux fois avant le congrès et deux fois pendant le congrès.
Telles sont donc, Mesdames et Messieurs, les préoccupations qui nous animent et qu'expriment les initiatives des organisations CGT en cette rentrée.