Texte intégral
Se laisser faire ou pas
Le nouveau gouvernement évite, sans doute pour encore quelques semaines, d'être trop précis quant à la façon dont il va financer son budget, et notamment les importants allégements de charges promis au patronat sous prétexte de lutte contre le chômage. Mais le nouveau Premier ministre Juppé a tout de même confirmé que la TVA, cet impôt sur la consommation, serait effectivement augmenté, tout en prétendant que, vu la concurrence, cela n'augmenterai pas les prix.
Si c'est vrai, c'est que les entreprises peuvent réduire leurs bénéfices, et peut-être alors aurait-il mieux valu s'en prendre directement aux profits.
Par ailleurs, même si Juppé n'est pas entré dans les détails, on sait bien que la diminution des charges patronales qui fait partie de son plan sa aggraver le déficit de la Sécurité sociale, des caisses de retraite et de chômage ; et que cela aggravera le son de tous les salariés.
Tout cela serait pour créer, nous dit-il, un million d'emplois… en trois ans !
Trois ans, pour un million, cela veut dire qu'il faudrait quinze ans, même si Juppé ne bluffait pas, pour donner du travail aux cinq millions de personnes qui, en France, sont chômeurs, pauvres, RMIstes, ou travaillent avec des horaires réduits.
En revanche, l'augmentation de la TVA, c'est-à-dire des prix à la consommation, et la diminution des prestations sociales, on les aura sans attendre.
Ce qui se passera dans quinze ans, ou même dans trois, Juppé s'en moque. D'ici trois ans, Chirac aura nommé un nouveau Premier ministre qui dira, comme Juppé l'a dit en succédant au gouvernement Balladur : avec moi cela va aller mieux.
Et nous les travailleurs, pendant tout ce temps, nous verrons notre niveau de vie continuer à baisser. Car de nouveaux plans de licenciements sont annoncés, tant dans le privé que dans la fonction publique.
Alors, ce ne peut être qu'un coup de colère de l'ensemble des travailleurs, des ouvriers, des chômeurs, des retraités et des jeunes, avec des luttes, des grèves, des manifestations politiques, qui pourra mettre un terme à cette politique visant à faire supporter aux classes populaires tout le poids de la crise.
Pour cela il manque un parti qui représente les intérêts politiques de l'ensemble des travailleurs du pays. Un parti qui ne soit pas prêt aux compromissions avec les représentants ouverts ou hypocrites du patronat.
Ce parti reste à créer, car 1 600 000 électeurs qui ont voté pour Arlette Laguiller, même si cela représente encore bien plus de monde en comptant tous ceux qui partagent nos idées sans avoir le droit de vote – des jeunes de moins de 18 ans, ou des travailleurs de nationalité étrangère, de la CEE ou pas — eh bien, cela ne suffit pas.
Lutte Ouvrière ne représente pas un parti politique suffisamment fort et dont les militants et les sympathisants soient suffisamment nombreux. C'est pourquoi nous disons que ce parti reste à créer et que nous faisons appel à toutes les bonnes volontés.
C'est pourquoi aussi dans les élections municipales qui sont maintenant très proches, nous essayons de présenter des listes dans le maximum de villes où nous le pouvons.
Ce que nous souhaitons, c'est que là où nous nous présentons, le nombre de ceux qui votent pour nos listes soit encore plus élevé que ceux qui ont voté pour Arlette taquiner aux Présidentielles. Pour faire la démonstration qu'il ne s'agissait pas d'un vote sans lendemain et que ce que nous disons est approuvé par une grande partie des électeurs populaires.
C'est le meilleur moyen d'œuvrer à la construction d'un tel parti qui serait nécessaire à tous les travailleurs.
C'est le seul moyen aussi de montrer au patronat et aux hommes politiques à sa solde que les travailleurs en ont assez et que finalement, un troisième tour social est vraiment à l'ordre du jour.
9 juin 1995
Lutte Ouvrière
Les soldats de quelle paix ?
L'intervention militaire casquée de bleu de la France en Bosnie-Herzégovine a beau tourner au ridicule, les gouvernements français successifs ne renoncent pas à y maintenir plusieurs milliers d'hommes depuis des années et, qui plus est, à y envoyer des renforts maritimes et aériens alors que le contingent français de troupes terrestres était déjà jusqu'ici le plus important des forces des Nations Unies.
On dit que le ridicule ne tue pas, mais il y a pourtant plusieurs dizaines d'hommes portant l'uniforme de l'impérialisme fiançais qui sont morts là-bas. Bien sûr, ce n'est rien auprès des milliers de morts bosniaques ou serbes. Mais on se demande pourquoi cette guerre ? Et surtout pourquoi la France, comme toutes les autres puissances impérialistes européennes et, en plus, tout récemment, les USA, tient tant à y être représentée ? Par souci humanitaire ? Pour empêcher cette guerre civile d'avoir lieu ? Pour diminuer nombre des victimes ?
Si c'était vrai, cela ne ferait que prouver que, plus les grandes puissances économiques sont riches, super-armées, fortes en matériel et en hommes, moins elles sont efficaces.
Il est certain que les dirigeants serbes de la Bosnie, et en particulier Karadzic, ou celui de la Serbie, Milosevic, sont des réactionnaires avérés, pour qui le droit des peuples, et à commencer par le leur, ne pèse pas lourd dans leurs choix militaires et politiques. Ce sont des dictateurs sanglants, et qui plus est corrompus et sans l'ombre d'un sentiment humain.
Mais d'un autre côté, on nous parle peu des dirigeants bosniaques, qui pourtant ne valent pas mieux. Mais eux, ce sont les alliés du moment de nos gouvernants.
Alliés du moment, parce qu'au début de l'éclatement de la Yougoslavie, la France était du côté des Serbes.
Mais les choses ont changé et la France s'est ralliée aux amitiés des autres grandes puissances européennes, l'Allemagne et l'Angleterre. Depuis, le Bosniaque est devenu l'allié de la France et le Serbe son ennemi. Pourquoi ? Parce que le partage des zones d'influence économiques et politiques dans cette région de l'Europe a toujours été un enjeu pour les grandes puissances, depuis un siècle.
Alors, les gouvernants français ne voulaient pas, en s'isolant du reste des grandes puissances, se retrouver exclus, dans l'avenir, du futur partage des zones d'influence économiques.
Parce que, quel que soit le vainqueur de la guerre civile, l'accord final sera un partage entre les grandes puissances. C'est elles qui, sous prétexte d'être garantes de la paix, seront les cosignataires d'un éventuel traité et c'est leurs influences respectives qu'elles négocieront dans ce traité.
Alors les Serbes et les Bosniaques qui meurent là-bas, les familles qui sont déchirées, le flot de sang et de haine qui va partager les peuples dans ce pays, le sont au profit d'une petite catégorie de dirigeants réactionnaires, serbes autant que bosniaques, qui seront les futurs interlocuteurs des grandes puissances, en même temps que les bénéficiaires des privilèges personnels que les accords commerciaux pourront leur octroyer.
Mais les soldats français qui meurent là-bas meurent pour les futurs bénéfices et les futurs investissements de Bouygues, de la Lyonnaise ou de la Générale des Eaux, de Schneider et de quelques autres du même acabit.
"On croit mourir pour la partie – disait Anatole France – et on meurt pour les capitalistes et les banquiers".
Et c'est toujours vrai, même lorsqu'on vous baptise de ce nom contradictoire et bizarre de "soldat de la paix".
16 juin 1995
Lutte Ouvrière
La politique vue des mairies
Après le premier tour des élections municipales, on ne peut pas dire que le visage politique du pays, vu des mairies ou des clochers, ait vraiment changé.
L'accession de Chirac à la Présidence aurait, paraît-il, selon la presse, fait considérablement augmenter la consommation de la tête de veau, son plat préféré, dans les restaurants, mais cela n'a pas augmenté les voix des partis de droite qui sort généralement majoritaires, mais n'ont pas avancé.
La gauche, socialiste et communiste, s'est globalement maintenue mais est loin de reconquérir celles de ses positions perdues depuis des années.
Par contre, ce qui est notable, c'est l'implantation confirmée, voie renforcée localement, du Front National. Il n'est pas impossible que ce parti d'extrême-droite obtienne certaines mairies de grandes villes au second tour.
Si cela ne correspond qu'à un déplacement de voix au sein de la droite, c'est une chose. Mais si ce sont vraiment des électeurs populaires qui se laissent abuser, c'est infiniment plus grave car cela introduit la pire des divisions dans les rangs des travailleurs. L'extrême-droite a toujours été au service du grand patronal. Elle ne peut arriver au pouvoir et s'y maintenir qu'avec le soutien financier des grandes familles, des trusts et des monopoles. Et même si son langage démagogique anti-corruption vu autre, peut faire illusion, les travailleurs qui s'y laisseront prendre ne feront que forger leurs propres chaînes en même temps que celles des autres.
Quant aux idées, aux préjugés racistes ou anti-étrangers, c'est vraiment la vermine de la pensée. C'est faire croire aux travailleurs qu'ils ont intérêt à opprimer plus malheureux qu'eux. Mais ceux qui le croiraient oublieraient par la même occasion qu'eux-mêmes sont tout aussi, sinon plus méprisés en tant que chômeurs, que travailleurs ou que pauvres, par les riches et les puissants qui soutiennent les hommes du Front National. Des hommes pour qui le racisme est un marche-pied, un fond de commerce politique.
Et, pour les travailleurs, cette division entre Français et immigrés, favorise bien d'autres divisions et, à l'inverse, cache la principale division, la seule qui ail une réalité, la division entre exploiteurs et exploités.
D'ailleurs, puisque ce ne sont pas les élections qui changeront notre sort et nous permettront de prendre sur les bénéfices patronaux pour maintenir et créer des emplois et pour augmenter les salaires, il faudra bien que ce soient les luttes qui le fassent. Et dans les luttes comme dans la production, nous le savons bien, les travailleurs, français comme immigrés; se retrouvent au coude à coude car là, ils sont tous des travailleurs et rien d'autre.
23 juin 1995
Lutte Ouvrière
Plus d'élections en vue, alors vivent les luttes !
Les jeux électoraux sont terminés jusqu'aux prochaines élections législatives, c'est-à-dire pour trois ans.
Les municipales n'ont pas renforcé la droite, mais n'ont pas diminué son influence non plus. Les gains et les pertes sont à peu pris équilibrés dans les deux sens et donc, malgré l'élection de Chirac, la gauche parlementaire, PS et PCF, maintient globalement ses positions municipales.
Le fait nouveau est qu'il y aura des municipalités Front National dans deux villes relativement grandes, Marignane et Orange, et une très grande. Toulon.
Il ne s'agit pas d'une réelle augmentation des voix du Front National par rapport au score de Le Pen aux présidentielles car il a suffi d'une majorité relative pour obtenir ce résultat. Ce qui est notable c'est que les trois villes en question sont dans le Midi et que deux sur les trois, les principales, sont prises sur la droite. Même si les électeurs du Front National, dans ces villes, se sont recrutés en partie dans les milieux populaires, ce n'est manifestement pas majoritairement.
Cela dit, cette inclinaison de la balance politique de plus en plus vers la droite n'a rien qui puisse réjouir les travailleurs. Dans les villes en question, il ne fera pas bon être immigré ou même Français d'origine étrangère de trop fraîche date. Ni même faire partie de communautés appartenant à l'Union Européenne, envers lesquelles la discrimination est illégale. Les dirigeants du Front National n'ont en effet pas caché qu'ils ne comptaient pas tenir compte des lois.
Même si la gauche n'a pas vraiment reculé, la droite et sa variante d'Extrême-droite sont bien installées dans la vie politique.
Si la gauche parlementaire, PCF et PS, n'avait pas, lors de son passage au pouvoir, emboîté le pas à l'idéologie patronale, si elle n'avait pas contribué à persuader les travailleurs qu'il était inutile de revendiquer et de recourir aux luttes, nous n'en serions pas là aujourd'hui.
C'est cette politique-là qui a renforcé la droite. Car cela a justifié sa politique du "tout pour les patrons".
Et les travailleurs sont restés moralement et matériellement désarmés devant les coups que leur portait le patronal avec l'aide des gouvernements, de gauche d'abord, et de droite ensuite. Et on a abouti au fait qu'une partie de la population travailleuse, très faible heureusement, est prête à se jeter dans les bras d'un homme qui se présente comme un sauveur mais qui est l'un des pires ennemis des travailleurs. Car le slogan "La France aux Français", a toujours caché celui de "La France aux riches".
La solution, c'est de se défendre contre nos véritables ennemis : le monde de la finance, le grand patronat, tous ces chefs d'entreprise aux salaires faramineux qui dirigent clandestinement le pays et achètent les hommes politiques à coup de pots-de-vin. Tous ces hommes qui, par l'intermédiaire de saltimbanques politiques, tentent de nous faire croire qu'il faut nous en prendre à plus malheureux que nous.
Le seul moyen d'enrayer la catastrophe qui nous menace, d'abord avec le chômage et le sous-emploi, les soins de plus en plus inaccessibles, les loyers de plus en plus chers, c'est de se défendre en attaquant. Il faut faire payer les riches, c'est-à-dire le patronat Nous serons obligés, un jour ou l'autre, le dos au mur, d'utiliser l'arme des grèves et des luttes. Alors autant nous y préparer.
Et si les dirigeants du Front National avouent ouvertement qu'ils ne se gêneront pas pour agir en n'appliquant pas les lois, les travailleurs pourraient, de leur côté, en faire autant.
Pour cela il manque effectivement un parti qui fuit réellement au Service des travailleurs. Pas un parti électoral, mais un parti qui soit présent dans les luttes, qui les organise, les unifie, les impulse et qui les rende victorieuses. Il faudrait infiniment moins de dévouement et de sacrifices, par an, pour construire un tel parti que ne nous en impose le patronat en un seul mois.
30 juin 1995
Lutte Ouvrière
Défendons les droits des femmes et les droits des travailleurs
Pas d'amnistie pour le capitalisme !
La loi d'amnistie votée par le Parlement aura finalement donné satisfaction à ceux qui à juste titre, protestaient contre le fait que le projet incluait l'amnistie des "commandos anti-IVG" et qu'il prévoyait de passer l'éponge sur les condamnations de certains délits commis par les patrons contre les salariés. Le projet proposé par le gouvernement, de même que le débat parlementaire autour de ce projet a cependant été révélateur de l'état d'esprit de l'actuelle majorité – bien que cela ne soit pas, à vrai dire, une révélation. Il s'inscrit comme un signe de plus dans cette évolution, il vaudrait mieux dire cette régression des droits des femmes, des travailleurs, dans un sens encore plus réactionnaire.
Il est significatif en effet que l'on propose aujourd'hui de blanchir les actions de ces commandos qui, à une poignée, envahissent les centres d'interruption de grossesse, menaçant les femmes qui y viennent ainsi que le personnel médical. Les auteurs de ces actions, qui ne cachent pas leurs liens avec l'extrême-droite et l'intégrisme catholique, n'avaient eu à subir, jusqu'alors, que des condamnations symboliques. Et si un tribunal, à Roanne vient d'infliger une peine de prison ferme aux assaillants du Centre d'interruption volontaire de grossesse de la ville, c'est la PREMIÈRE FOIS qu'une peine de prison ferme est prononcée.
Il est tout aussi significatif, quoique, là encore, sans surprise, que le gouvernement ait voulu dans son projet, dans un premier temps, absoudre les patrons condamnés pour des manquements à la législation du travail alors que les salariés, les militants syndicaux n'auraient pas. Eux, bénéficié de la même mansuétude. Il fallait protester contre ces injustices flagrantes, contre ce déséquilibre choquant. Mais sans oublier qu'il ne s'agit que d'une petite partie de l'injustice sociale et politique dont sont victimes en permanence les travailleurs, la population laborieuse, les femmes, les jeunes. Parfois au mépris de la loi, d'autres fois parce "c'est l'usage", et bien trop souvent parce que la loi elle-même institue cette injustice.
L'interruption de grossesse, par exemple, est inscrite dans la loi depuis 1975, dans des conditions qui restent encore bien trop restrictives. Mais les médecins qui n'approuvent pas cette loi ne sont pas tenus de l'appliquer et peuvent refuser de pratiquer l'IVG. Ils sont donc au-dessus de la loi… en toute légalité. Sans parler de ceux qui, sans remettre ouvertement en cause cette loi, en rendent de plus en plus difficile l'exercice, multipliant les obstacles concrets ou moraux en matière de contrôle des naissances. La déclaration, prétendument conciliatrice, de Toubon qui, pour justifier son projet de loi d'amnistie, explique qu'il voulait maintenir l'équilibre "entre ceux qui se battent pour et ceux qui se battent contre l'avortement" s'inscrit dans cet esprit. Ce tartuffe qui s'occupe de la justice, à la tête du ministère du même nom, considère qu'il y aurait deux opinions qui se vaudraient, et pas d'un côté des femmes qui ne font qu'exercer des droits inscrits dans la loi, et de l'autre une poignée d'individus qui se moquent bien de cette loi et qui n'ont que faire de la liberté des femmes et de celle des autres.
Même chose en ce qui concerne les rapports entre les patrons et les salariés. Si l'on peut se féliciter que l'équilibre ait été rétabli dans la loi d'amnistie, cet équilibre est loin d'être la règle dans la vie courante. Ni dans la loi, ni hors la loi.
La loi n'autorise peut-être pas tout aux patrons, mais presque. Ils peuvent en toute légalité bloquer les salaires, jeter à la rue des milliers de travailleurs, user et abuser de leur force et de leur santé. Ça n'est pas un crime, même pas un délit. C'est la loi. Et quand les travailleurs, pour se défendre, se servent de la grève, bien souvent, on envoie contre eux les forces de police, au nom de cette même loi.
Et ce que la loi ne les autorise pas à faire, les patrons, les politiciens réactionnaires, le font quand même, misant sur un rapport de force qui suffit, à leurs yeux, pour leur donner tous les droits. Y compris celui de revenir sur ce que les travailleurs ou les femmes ont réussi à leur imposer.
Il est donc vain de chercher un juste équilibre légal dans ce système et de se satisfaire d'une amnistie pour les travailleurs ou d'une condamnation plus ferme de ceux qui veulent réduire les droits des femmes. Le combat pour plus de justice, contre l'exploitation, est un combat de tous les instants dans les usines, dans les bureaux, dans les quartiers populaires, qui n'a pas grand-chose à voir avec la minable bataille d'amendements qui s'est déroulée ces jours derniers au Parlement.