Texte intégral
Le Progrès : Avec sa taille (1,2 million d’habitants), la Courly a-t-elle dimension pour devenir « eurocité » ? Faut-il revoir ses limites ?
Michel Noir : Le critère de la population n’est pas suffisant, ni même valide. N’oubliez pas qu’Amsterdam compte 450 000 habitants et que l’agglomération genevoise n’en a que 360 000. Ce qui est beaucoup plus important pour qu’une ville soit classée dans la catégorie des « eurocités », c’est qu’elle appartienne à plusieurs réseaux caractéristiques des villes internationales. Réseaux fondés, par exemple, sur les échanges scientifiques, techniques, universitaires et culturels, sur les pôles de décision de haut niveau, sur les flux financiers.
Dans tous les domaines, l’agglomération lyonnaise peut atteindre la « masse critique », un critère beaucoup plus riche pour lire la vraie dimension d’une agglomération et donc son aptitude à exister dans le club des « eurocités ».
Tout en s’efforçant d’atteindre cette masse critique, nous devrons envisager une agglomération plus importante en nombre d’habitants, 1,7 million, c’est-à-dire la taille de la région urbaine de Lyon (RUL) me semble être la bonne géométrie.
intertitre : Si Villeurbanne veut s’appeler « Lyon-Villeurbanne », je n’y verrais pas d’inconvénient !
Dans la communauté urbaine, les limites, les « frontières » ont-elles encore une signification ? Quand un industriel de Meyzieu, de Villeurbanne ou de Pierre-Bénite est à Francfort, ni dit-il pas qu’il est de Lyon ? C’est la preuve que les esprits de clocher peuvent s’effacer en faveur de l’intérêt d’une « lisibilité » d’agglomération. Ce n’est pas incompatible avec le respect de l’autonomie de chacun.
Si tel ou tel maire de la communauté urbaine souhaite mettre Lyon devant le nom de sa commune, la ville de Lyon n’y verra aucun inconvénient. « Lyon-Genas », « Lyon-Chassieu » et même – et permettez-moi cette pointe d’humour – « Lyon-Villeurbanne », pourquoi pas ?
N’oubliez pas que vue de Tokyo ou de Los Angeles, la grande agglomération urbaine à laquelle nous appartenons, c’est « Lyon – Rhône-Alpes-Genève ». C’est une réalité qui devrait conduire tous les passionnés de leur seul clocher à mesurer tout l’intérêt d’appartenir à une communauté.
Le Progrès : Certaines ces cinquante communes de la Courly, en particulier les « petites », craignent l’hégémonie de Lyon, ainsi que celle du RPR. Pouvez-vous les rassurer ?
Michel Noir : Nous avons lancé un signal très précis : la bonne géométrie, c’est une voix par tête. C’est-à-dire que Lyon a souhaité que chaque commune puisse être représentée au conseil de communauté. L’esprit de communauté, où chacun a sa part, correspond à la définition de Victor Hugo de l’amour maternel : « Chacun l’a tout entier et il est partagé par chacun ».
Quant au fait que Michel Noir est maire de Lyon, qu’il est président de la Courly et qu’il a une forte personnalité, il ne faut pas en conclure qu’il y a un risque d’hégémonie. Ce serait ridicule ! Je dirais au contraire que c’est parce que le maire de Lyon a une forte personnalité qu’on pourra garantir ce que sera cet esprit « Grand Lyon », donc l’esprit communautaire.
Pour ce qui est du RPR, je crois, dans ma vie publique, avoir démontré la relativité des étiquettes. Quand il s’agit de servir l’intérêt général, les étiquettes sont moins importantes que les comportements et les preuves que l’on se donne mutuellement. D’ailleurs, regardez ce qui se passe avec une majorité au conseil municipal de Lyon : elle est composée pour moitié de conseillers RPR, pour moitié de non RPR, des gens qui disent : « Nous, on suit Michel Noir ». On ne peut pas être tolérant dans Lyon intra-muros et ne pas l’être avec le « Grand-Lyon ».
Le suffrage universel n’est jamais hégémonique. Faire un gros score à une élection n’est pas synonyme de volonté dominatrice. Il ne faudrait quand même pas qu’on reproche aux Lyonnais d’avoir exprimé leur choix.
Le Progrès : La concentration des fonctions importantes de l’agglomération dans son centre ne risque-t-elle pas de se faire au détriment de la périphérie ?
Michel Noir : Commençons par bien distinguer les fonctions. Il y a celles (universités, centre de recherche, tertiaire supérieur) qui sont caractéristiques de l’appartenance aux réseaux des « eurocités ». Celles-là, on les trouve à Villeurbanne, à Écully, à Dardilly. Qui se pose des questions parce que l’École supérieure de commerce de Lyon n’est pas à Lyon, mais à Écully ? Vraiment personne. Donc, pour ce type de fonctions, la localisation n’est pas déterminante.
En revanche, certains équipements structurants – c’est le cas de l’opéra, du stade de Gerland – sont installés dans la ville-centre. C’est un fait qui s’explique par l’histoire, et je n’imagine pas un seul maire de Courly demandant le transfert de l’opéra à Vaulx-en-Velin.
Cependant, l’opéra n’est pas réservé aux seuls Lyonnais. Soixante-dix pour cent des spectacles – et ce chiffre est le même pour le stade de Gerland – viennent d’ailleurs.
Le Progrès : Convient-il alors de faire supporter la charge de ces équipements à tous les utilisateurs existants ou potentiels ?
Michel Noir : La question se pose de savoir quelle conclusion on tire du fait que ces équipements sont déconnectés de leur assiette de localisation. Le conseil général, la région, l’État ont déjà dit qu’ils allaient apporter leur contribution à la réhabilitation de l’opéra.
Si les élus de la Courly en décident ainsi, il n’est pas exclu qu’elle y contribue aussi. Par une politique de conventionnement, ce dossier pourrait devenir de compétence communautaire. Ce ne serait pas le premier exemple. J’ai personnellement pesé de tout mon poids, en octobre dernier, pour que la Courly participe financièrement à la construction de l’IUT de chimie de Saint-Fons.
intertitre : Voirie communale et nettoiement doivent être sous la responsabilité des maires
D’une manière générale en ce qui concerne les compétences communautaires, la loi de 1966 sur les communautés urbaines définit celles qui sont obligatoires et celles qui sont facultatives. Mais, un article de cette loi nous donne, par le conventionnement, la possibilité de toiletter cette loi.
Il y a néanmoins des domaines où la révision pourrait être immédiate, parce qu’il y a consensus complet. C’est le cas de la voirie communale et du nettoiement. Ils doivent être de la compétence du maire, même si la gestion des personnels reste communautaire. Car, quand une rue n’est pas propre, c’est le maire qui se fait interpeller, et pas l’ingénieur subdivisionnaire basé à l’hôtel de communauté.
Le Progrès : La Courly pourrait-elle aussi participer au budget de l’OL ?
Michel Noir : Si, à la réflexion, il apparaît aux élus qu’il n’est pas anormal qu’une équipe, qui conduit au stade de Gerland 25 % de spectateurs lyonnais et 45 % venant de la Courly, soit aidée, la question peut être posée et mérite qu’on en discute. Mais, il ne faut pas avoir d’a priori dans un sens ou dans l’autre.
Le Progrès : En tant que maire de Lyon, vous avez déjà pris plusieurs mesures pour améliorer la qualité de vie. Comptez-vous faire de même en tant que président de la Courly ?
Michel Noir : C’est évident. Il doit y avoir une stratégie « qualité » pour l’ensemble de l’agglomération. Certaines des fonctions « domestiques » de cette stratégie, comme l’enlèvement des ordures ménagères, sont déjà de compétence communautaire. Mais, on voit poindre de façon très pressante la volonté d’élargir cette stratégie « qualité ». C’est le cas dans le domaine de l’urbanisme où l’on demande plus d’esthétisme. On peut faire « beau » sans forcément cher : on n’est pas obligé d’avoir partout des façades en carreaux de salle de bain… De plus, les logements ne doivent pas seulement être beaux : il faut mettre l’accent sur la qualité des aménagements.
intertitre : Non aux trains de marchandises dangereux
La qualité, c’est aussi l’air que l’on respire, les risques que l’on court ou que l’on ne veut pas courir. Pour diminuer la pollution et limiter les risques majeurs, je souhaite qu’on négocie avec les industriels qui renvoient dans l’atmosphère des gaz polluants afin de signer avec eux des contrats d’objectifs par lesquels ils s’engageraient à limiter les rejets.
D’autre part, nous allons discuter avec la SNCF pour que soit abordé un sujet sur lequel tout le monde ferme les yeux : au moment où l’on s’apprête à faire passer les voyageurs par le contournement Est, on va maintenir le passage en pleine ville et de nuit de centaines de trains de marchandises, dont certains à haut risque.
Une démarche de qualité implique aussi que nous relativisions des sites dont nous n’avons pas su tirer parti. C’est le cas des fleuves, un particularisme qui donne à l’agglomération son âme et parfois son mystère. Nous devrons traiter de façon noble tout ce qui touche aux fleuves. Ils ne doivent pas être traités comme un obstacle, mais comme un plus dans l’esthétique de l’agglomération.
Dans une stratégie globale pour la qualité, les contraintes économiques ne doivent pas être exclusives de l’esthétisme. Ce n’est pas parce qu’il y a des nécessités économiques qu’il faut construire une ZAC comme celle des Minguettes. Mais, on se rend compte plus tard que ça coûte horriblement cher de rendre acceptables des espaces mal conçus. Le logement social peut et doit être beau.
Le Progrès : Justement. Le logement social est de compétence communautaire. Comment comptez-vous concilier la demande de familles modestes et la nécessité d’augmenter le nombre des logements « standing », indispensables à une ville internationale ?
Michel Noir : Il s’agit de concilier ces deux exigences. Une centaine de logement ont été construits par l’office d’HLM de la Courly au sommet de la montée de la Grande-Côte, avec la plus belle vue sur Lyon.
Mais, construire des logements sociaux en centre-ville ou réhabiliter ceux qui sont de mauvaise qualité ne nous empêche pas d’avoir cinq cents logements de grand luxe sur le quai Achille-Lignon.
Il n’y a pas de beaux quartiers à favoriser par rapport à d’autres. La richesse, c’est la variété : ce qui est riche est pluriel. C’est aussi vrai pour le logement que pour la psychologie des êtres humains.
Le Progrès : Que peut faire la Courly pour fluidifier la circulation en ville ?
Michel Noir : La qualité de vie en ville passe par la qualité des moyens de déplacement. Il faut arriver à concilier et à équilibrer le développement des transports en commun et celui des transports individuels. Les transports en commun doivent être d’une qualité telle qu’on puisse les choisir quels que soient ses besoins ou son portefeuille. Dans la presqu’île, il est beaucoup plus commode d’utiliser le métro et je le prends souvent.
Le Progrès : D’accord pour la presqu’île. Mais, est-il normal de mettre vingt-minutes de Bellecour à la Part-Dieu, de ne pas avoir de métro pour aller à Gerland ?
Michel Noir : En matière de transports en commun, il est indispensable que la Courly définisse une stratégie d’agglomération globale et cohérente. La qualité de notre réseau n’est pas à la hauteur et, aujourd’hui, le métro n’a pas la densité kilométrique qu’il devrait avoir. C’est le problème numéro un de l’agglomération. Il est difficile, mais passionnant.
Quand on fait l’ENS – École normale supérieure – et la halle Tony-Garnier – qui a vocation à accueillir dix mille personnes par jour – et qu’en même temps on n’a que le 13/18 pour venir à Gerland, il y a un problème. Il faut engager rapidement le prolongement du métro de Perrache à Gerland, surtout si, dans trois ans et demi, le lycée international est ouvert. Les travaux pourraient commencer dès l’ouverture de la ligne D, fin 1991, et ce prolongement pourrait fonctionner fin 1994.
Le Progrès : Et le second tunnel sous la Croix-Rousse que vous aviez promis pendant la campagne, c’est pour quand ?
Michel Noir : Lyon est une des rares villes de cette taille à ne pas avoir de boulevard périphérique complet : on n’en a qu’une moitié. Si on ne fait rien, on ne va pas tenir. On court vert l’asphyxie.
intertitre : Le métro à Gerland fin 1994, le deuxième tunnel sous la Croix-Rousse fin 1992
Le bouclage du boulevard périphérique est un dossier lourd, qui doit être traité de façon aussi rapide, sinon plus, que les circulations nationales ou internationales Nord-Sud. Le contournement routier de Lyon doit être ouvert en 1992. J’espère que l’État tiendra ses promesses, car les collectivités locales qui lui sont associées dans ce projet sont, elles, bien décidées à les tenir.
Le deuxième tunnel sous la Croix-Rousse, en partant de l’A7 et en arrivant à Laurent-Bonnevay, permettra d’avoir un vrai périphérique. Il doit être réalisé selon le même calendrier que le contournement. Mon intention est de boucler le dossier d’études techniques d’ici la fin de l’année. Les travaux pourraient commencer fin 1990, après une phase administrative (qui passe par le Conseil d’État) nécessaire pour que ce projet puisse faire l’objet d’une concession. En deux ans, grâce aux techniques actuelles, le tunnel sera construit.
Le Progrès : Une agglomération est aussi un endroit où l’on se soigne. Le président de la Courly va-t-il s’intéresser à l’adaptation des structures hospitalières ?
Michel Noir : Notre stratégie pour améliorer la qualité de la vie de l’homme dans l’espace communautaire englobe bien évidemment les moyens permettant de mieux se soigner.
Je bénis les dieux que le maire de Lyon soit aussi président de l’espace santé Hospices civils de Lyon (HCL). Si j’ai prononcé deux fois le mot « espace », c’est à dessein. C’est parce que les HCL doivent avoir une stratégie permettant une bonne localisation des services hospitaliers. Dans cette optique, on peut se demander si maintenir un hôpital en centre-ville, en l’occurrence l’Hôtel-Dieu (250 lits pour une surface considérable), est la meilleure des solutions.
Quant à la réflexion sur l’adaptation des structures hospitalières à cette fin du XXe siècle, elle est de la compétence des HCL.
Mais, il faut bien y avoir un dialogue fructueux entre les différents partenaires. Il faudra réfléchir à la meilleure arme et la meilleure ingénierie de l’hôpital.
Pour éviter la contagion des maladies infectieuses, Édouard Herriot avait une idée de génie : le système pavillonnaire de Grange-Blanche. Aujourd’hui, la situation est différente. Beaucoup sont persuadés que le système pavillonnaire n’est pas bon. Il a eu pour conséquence, par exemple, la construction de cinquante-sept blocs opératoires utilisés six heures par jour seulement. Je ne suis pas sûr que cela soit adapté à la modernité d’aujourd’hui. Il flotte une idée opposable au système pavillonnaire, celle d’une « marguerite » : des « pétales-services » autour d’un « cœur-plateau technique » fonctionnant quasiment en « trois-huit ».
En tout cas, il me paraît beaucoup plus urgent de rénover des services où on trouve encore des chambres à huit lits que de construire un nouveau siège des hospices.
Le Progrès : Bien que réduite au cours du précédent mandat, la part du fonctionnement dans le budget de la Courly en représente encore 60 %. Pour augmenter la part de l’investissement, vous faudra-t-il diminuer les effectifs ?
Michel Noir : L’augmentation de la part de l’investissement dans le budget communautaire passe par une stratégie d’efficience de l’entité communauté urbaine.
L’efficience, c’est comme dans une entreprise, vous la trouverez dans la mesure où vous avez une stratégie « ressources humaines et organisation », qui est bien conduite par rapport à l’objectif de l’entreprise. Une stratégie qui implique la formation des hommes, leur qualification, la capacité d’évolution et de valorisation des tâches, la mobilité qui en découle, la capacité de se redéployer au fur et à mesure que l’entité communautaire évolue, que des fonctions prennent plus d’importance et d’autres moins. Sinon, l’organisation devient rigide, donc fonctionne mal, ou alors par crises, ce qui n’est jamais une solution.
Dans ces conditions, diminuer les effectifs n’est pas à la bonne façon de poser le problème. La Courly a des missions à remplir. Dans la mesure où une stratégie efficace a été définie, nous le remplirons avec le souci du qualificatif. Pour cela, nous augmenterons le budget « formation » des personnels. Dès juillet, nous mettrons aussi sur la table de travail et de négociations un plan d’intéressement.
Le Progrès : Une agglomération est un espace où l’on habite, où l’on circule, où l’on se soigne. Si l’on vous a bien compris, le rôle du responsable politique est d’engager la réflexion pour l’amélioration, l’aménagement, on devrait dire la « rénovation » de cet espace.
Michel Noir : La rénovation, c’est le respect d’une primauté de la personne, donc le fait qu’on ordonne les politiques non à des impératifs techniques, mais à des impératifs de finalité humaine. De sorte que, dans le match entre la finalité et les moyens, on doit respecter la finalité et ne pas laisser piéger par le scientisme de la technique.
intertitre : Ne pas se transformer en « garde-mobile chef » !
La rénovation, cela signifie aussi que, lorsque tout bouge, il faut soi-même bouger. Sinon, on se rigidifie, on se transforme en garde-mobile chef, responsable du maintien de l’ordre des idées, et alors les choses se rigidifient de plus en plus, et il y a risque d’explosion.
Faire du maintien de l’ordre idéologique, c’est toujours la facilité vers laquelle ont tendance à aller ceux qui sont inquiets ou ne comprennent pas ce qui se passe. Ils appliquent le principe de Bismarck : « Je réprime avant de comprendre ».