Interview de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture de la pêche et de l'alimentation, dans le "BIMA" du 7 juin 1995, sur les objectifs de son ministère et les axes de la politique agricole.

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  • Philippe Vasseur - Ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation

Média : Bulletin d'information du Ministère de l'agriculture de la pêche et de l'alimentation

Texte intégral

Un nouveau ministre pour un nouveau ministère

Né le 31 août 1943 au Touquet (Pas-de-Calais), Philippe Vasseur est diplômé de l'École Supérieure de Journalisme de Lille qu'il a présidée de 1978 à 1981 et dont il est président d'honneur. Après avoir été responsable de l'information du port autonome de Dunkerque en 1968-69, il commence sa carrière journalistique en 1970 aux Échos dont il est rédacteur en chef de 1977 à 1981.

Chef du service économique de TF1 en 1981-82, il entre au Nouveau Journal en mai 1982, puis au Figaro en 1984 comme rédacteur en chef du service économique. Responsable du supplément économique à partir de 1985, il est directeur de la rédaction économique de 1987 à 1989.

Ancien expert au Conseil économique et social (1978-79), Philippe Vasseur commence sa carrière politique en 1986 au Parti républicain et est élu député du Pas-de-Calais. En 1993, il devient rapporteur spécial du Budget du budget de l'agriculture à l'Assemblée Nationale.

En 1990, il fonde le mensuel Notre région, consacré à l'actualité politique, sociale et économique du Pas-de-Calais. Deux ans plus tard, il est élu conseiller régional.

Marié et père de trois enfants, Philippe Vasseur est l'auteur de "Les patrons de gauche" (1979), "Le chômage, c'est les autres" (1985), "La Droite la plus bête du monde" (1988).

BIMA : Monsieur le ministre, vous voici titulaire d'un "ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation". Quelle interprétation peut-on faire de cette nouvelle dénomination ?

Philippe Vasseur : Cette nouvelle dénomination correspond à un élargissement des compétences de ce ministère à l'ensemble de la chaîne alimentaire. Cette idée est aujourd'hui acceptée et reconnue comme nécessaire par l'ensemble des partenaires de la filière agricole et alimentaire de notre pays. Trois raisons fondamentales et déterminantes pour l'avenir militent en faveur de cet élargissement de compétences. En premier lieu, je voudrais rappeler combien l'environnement immédiat du secteur agricole a été modifié au cours de ces trente dernières années. De déficitaire dans les années 60, notre commerce mondial de produits agricoles et alimentaires est devenu largement excédentaire avoisinant l'an dernier les 46 milliards de francs. D'autre part, près de 70 % des produits agricoles bruts sont transformés par notre industrie agro-alimentaire. Ceci met tout-à-fait en évidence cette notion de chaîne qui unit l'agriculture et l'alimentaire. Dans ces conditions, il n'est plus possible de définir une politique agricole sans tenir compte des conditions de valorisation de cette production par le secteur des IAA. D'autre part, nous devons tenir compte avec le plus grand soin du phénomène de la mondialisation des marchés qui étaient autrefois locaux ou nationaux. Si l'on ajoute à ce phénomène l'importance croissante des règles non tarifaires, les normes, les règles techniques et sanitaires, il devient plus que jamais nécessaire d'organiser une reconnaissance mutuelle entre producteurs et transformateurs pour affronter nos nouveaux marchés avec le maximum d'atouts de notre côté. Cette reconnaissance mutuelle nécessite que nous la préparions et que nous parvenions à un partenariat réel mais équilibré entre chacun des stades de la filière, producteurs, transformateurs, négociants et distributeurs… Les profondes mutations que nous avons connues dans les circuits économiques ont eu, entre autres conséquences, la concentration relative de certains maillons de cette chaîne alimentaire, entraînant des rapports de force économiques parfois difficiles et inégaux entre fournisseur et acheteurs. L'une des répercussions en est la concurrence exacerbée sur les prix entre les distributeurs donc la baisse des marges. Ministre des agriculteurs, vous comprendrez que je sois plus que sensible à notre aptitude à développer des capacités d'autofinancement au profit de notre amont agricole. La réussite de notre filière, d'un bout à l'autre de la chaîne est conditionnée par son innovation, sa diversité, sa capacité à investir et à créer, par le fait même, des emplois. L'extension des compétences du ministère à l'Alimentation dont je rappelais le bien fondé il y a quelques instants, s'avère déterminante pour agir dans ce sens. Sur ce point et en accord avec la demande du Premier ministre, je vais étudier les aménagements à apporter à l'ordonnance de 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Il s'agit essentiellement pour moi de rééquilibrer les contraintes fixées à l'acheteur et au vendeur. Donner à la Pêche la place qu'elle mérite…

BIMA : Et en ce qui concerne le secteur des pêches maritimes ?

Philippe Vasseur : Ainsi que j'ai eu l'occasion de le préciser, à plusieurs reprises, nous devons donner à la Pêche toute la place qu'elle mérite. Dans cette perspective, j'envisage d'organiser avant la fin de cette année une série d'entretiens avec les professionnels pour préparer la future loi d'orientation de la pêche. Il me semble, en effet, tout-à-fait indispensable de bâtir un nouvel avenir pour les pêches françaises. Au plan communautaire, nous devrons obtenir de la Commission Européenne un strict respect des règles d'origine des captures, tout comme de leur qualité sanitaire.

BIMA : Selon vous, quels principes doivent guider l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale?

Philippe Vasseur : L'élargissement de l'Union européenne à ces pays correspond à une nécessité politique, mise en évidence lors du Sommet de Copenhague de juin 1993 et confirmée à Essen en décembre 1994. À Copenhague, il avait été affirmé que les pays d'Europe centrale et orientale avaient vocation à adhérer à l'Union Européenne. Le Sommet d'Essen était allé plus loin en faisant adopter un document de stratégie conditionnant l'adhésion de ces pays à l'instauration d'un véritable dialogue politique interne. La Commission de Bruxelles doit remettre, lors du Sommet de Cannes à la fin de ce mois, un livre blanc précisant les modalités de rapprochement des législations de ces pays avec celle de l'Union, et tenant compte du volet agricole pris comme une spécificité. Nous en sommes donc là ; je dirais en phase d'évaluation face à une question de première importance. Ce qui m'amène à vous dire que nous devons examiner dans le calme et avec le recul nécessaire les conditions de ces adhésions. Sachons tout d'abord évaluer la réalité agricole de ces enjeux, avant d'aller plus loin. Le BIMA pourrait, en phase avec ces négociations, contribuer, dans ses colonnes, à une présentation des réalités agricoles de ces pays candidats à l'élargissement.

BIMA : Ministre de l'Agriculture, quels seront les axes forts de la politique que vous entendez conduire?

Philippe Vasseur : Je crois vous avoir précisé, tout d'abord, au début de notre entretien que la production agricole ne pouvait pas se concevoir sans des relations équilibrées avec son aval. Notre performance reconnue dans le monde l'exige. Mais pour autant, je n'oublie pas que je suis ministre de l'Agriculture et des agriculteurs, et qu'à ce titre, des mesures spécifiques doivent être prises. La priorité des priorités est sans aucun doute la relance de la politique d'installation des jeunes agriculteurs. J'espère fermement aboutir, à l'automne, à l'établissement de la charte de l'installation prévue par la loi de modernisation de l'agriculture. De mon point de vue, l'incitation à l'installation des jeunes agriculteurs ne se résume pas à des aides. Elle correspond également à des perspectives que nous nous devons d'offrir aux jeunes qui choisissent le métier d'agriculteur. Me permettez-vous de préciser ici que ces perspectives doivent également être offertes à leurs aînés, mais ce n'est là qu'une incidente ! Seconde priorité ou second message à destination de l'ensemble des exploitants agricoles français, la poursuite de l'allègement de leurs charges. Celui-ci conditionne la compétitivité de nos exploitations agricoles et s'inscrit dans le droit fil de notre vocation et de notre capacité à exporter. Enfin, je m'attacherai à poursuivre la mise en œuvre de la loi de modernisation de l'agriculture. Les décrets d'application tout comme les rapports au Parlement seront publiés dans les délais prévus. Ceci étant, et avant de conclure, laissez-moi vous dire que je vais m'attaquer de manière résolue à d'autres dossiers qui sont loin d'être étrangers à la préoccupation quotidienne de nos agriculteurs. Au plan européen, je souhaite, au demeurant, accomplir des avancées significatives dans des domaines comme les questions agri-monétaires, le taux de jachère applicable aux grandes cultures, l'achèvement de la réforme des OCM fruits et légumes, ou encore à propos de l'ensemble des questions qui ont trait au confort, à la santé, et au transport des animaux.