Interviews de M. Charles Pasqua, président du mouvement "Demain La France" et conseiller politique du RPR, à RTL le 5, France-Inter le 23 et "Paris-Match" le 26 novembre 1998, sur son souhait d'un référendum pour ratifier le traité d'Amsterdam, sa position au RPR et l'immigration clandestine.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France Inter - Paris Match - RTL

Texte intégral

RTL - 5 novembre 1998

Olivier Mazerolle
Sur Amsterdam : vous êtes-vous rallié à la proposition de P. Séguin qui propose qu'un référendum, ou un vote du Parlement, soit organisé dans cinq ans, lorsque le Traité entrera réellement en vigueur ?

Charles Pasqua
- « Je crois, c'est reporter ou sembler reporter les échéances. Et je pense que cela ne résoudra pas grand-chose. Il y a ceux qui pensent que le Traité est mauvais ; et il y a ceux qui pensent qu’il faut essayer d'en limiter les effets néfastes ; et il y a ceux qui pensent, au contraire, qu'il faut le ratifier en l’état. P. Séguin est de ceux qui pensent qu'il faut essayer d'en limiter les effets néfastes ; et moi je suis de ceux qui pensent qu'il faut rejeter tout cela. »

Olivier Mazerolle
Tout de même, il rappelle, aujourd'hui, dans une interview que Le Monde va publier, que le référendum relève de la compétence exclusive du Président de la République, qui ne veut pas organiser de référendum sur ce sujet, et que le RPR n'a pas à s'opposer à un Président issu de ses rangs.

Charles Pasqua
- « Je comprends très bien son raisonnement, je l'ai déjà entendu. Que le référendum soit de la compétence du Président de la République, tout le monde le sait. Je dirais d'ailleurs, qu'en matière de révision constitutionnelle, en fait - et si l'on s'en tient à la lettre de la Constitution -, le Président n'a pas le choix. II doit soumettre au référendum. S'il décidait de ne pas soumettre à référendum, ça voudrait dire qu'il a lui-même décidé de priver les Français de la possibilité de trancher eux-mêmes sur la souveraineté nationale. Alors je comprends très bien que P. Séguin n'ait aucune envie de demander au RPR de se mobiliser, non pas pour exiger, mais pour rappeler au Président de la République qu'il vaut mieux consulter les Français par voie de référendum pour rester fidèle à l'esprit des institutions. De toutes les façons personne ne peut obliger Séguin à le faire. Mais nous verrons bien, le moment venu, si le Président de la République décide ou non de passer par la voie du Congrès. »

Olivier Mazerolle
Mais où vous mène cette opposition à la ligne du RPR fixée par P. Séguin ?

Charles Pasqua
- « Cela me mène à respecter mes convictions, ce qui est déjà pas mal ; et ce qui devrait être l'objectif de tout homme politique. Et je n'ai pas l'intention de transiger pour quoi que ce soit. »

Olivier Mazerolle
Ce qui signifie ?

Charles Pasqua
- « Ce qui signifie que, le moment venu, je tirerai les conséquences de tout cela. »

Olivier Mazerolle
Oui mais est-ce que ça signifie que vous irez au bout de la démarche ? C'est-à-dire que, éventuellement, vous pourriez constituer une liste aux élections européennes ?

Charles Pasqua
- « Mais une liste aux élections européennes, c'est éventuellement une conséquence, ce n'est pas un objectif. Je ne suis pas en train de rechercher d'autres mandats. Mais il est bien évident que si les Français ne sont pas appelés à... D’une part, si on fait tout ce qu'on peut pour qu'ils ne se rendent pas compte de ce qui est en cause - c'est-à-dire qu'on a déjà perdu une partie de notre souveraineté avec Maastricht et là on va perdre le reste –, si on ne consulte pas les Français, si on fait en sorte qu'il n'y ait pas de débat dans le pays, ce débat aura lieu. Et il aura lieu à l'occasion des élections européennes. Est-ce que je ferai une liste ou pas ? Je n'en sais rien. En tous les cas, je serai dans le débat, vous pouvez en être certain. »

Olivier Mazerolle
Mais aux côtés de qui ?

Charles Pasqua
- « Nous verrons bien. Aux côtés de tous ceux qui défendront la souveraineté nationale. Que ça soit les partis ou les mouvements. »

Olivier Mazerolle
On dit que vous cherchez beaucoup l'entente, justement, avec les amis de J.-P. Chevènement ?

Charles Pasqua
- « Je ne cherche pas de... »

Olivier Mazerolle
On vous voit souvent avec eux ou J.-P. Chevènement, quand il était encore en bonne santé - il va d'ailleurs être rétabli bientôt. Mais il était souvent à vos côtés, enfin on l'a vu, parfois...

Charles Pasqua
- « Non, non. N'exagérons rien. J.-P. Chevènement et moi, nous nous sommes trouvés côte à côte dans des colloques que j'avais organisés, sur les valeurs de la République et c'est vrai que sur ce plan-là, nous sommes assez proches. Bon. Mais J.-P. Chevènement est au Gouvernement - et je souhaite d'ailleurs qu'il puisse y reprendre sa place, le plus rapidement possible car c'est un homme de qualité. Mais cela étant, il est solidaire, je pense, du Gouvernement. S'il ne l’est pas et s'il quitte le Gouvernement, alors là... Ce sera un élément intéressant. »

Olivier Mazerolle
Vous allez continuer à participer à des colloques, à des réunions, avec ses amis ?

Charles Pasqua
- « Partout où j'irai, partout où je trouverai des gens susceptibles d'écouter ce que l'on a à dire concernant la souveraineté nationale, j'irai. Là ou ailleurs ! »

Olivier Mazerolle
Vous êtes, au sein du RPR, un peu minoritaire tout de même non ?

Charles Pasqua
- « Oui, oui, tout à fait, tout à fait ! Je suis certain de ma minorité dans les dirigeants. »

Olivier Mazerolle
Est-ce que, tout de même, vous ne vous dites pas à un certain moment : mais enfin, l'Union européenne existe ; on ne peut pas toujours dire « non! » à toute évolution ?

Charles Pasqua
- « Mais je ne dis pas du tout non à l’évolution. Je ne suis pas contre l'Union européenne : c'est une réalité. Personne ne serait assez stupide pour le contester. Mais ce que je ne comprends pas, c'est que des gens qui se réclament des mêmes idées que moi, aient eu l’idée de négocier un Traité par lequel nous transférons à d'autres les responsabilités dans le domaine de la sécurité, de l'immigration, de la justice, du contrôle des frontières, etc. Ça, j'ai du mal à comprendre pourquoi ils l'ont fait ? Et ce que je constate, c'est que les mêmes qui ont négocié le Traité et qui l’ont signé, proposent aujourd'hui toute une batterie d'amendements pour en gommer les difficultés et les imperfections. Alors que ne s'en sont-ils aperçus plus tôt ! »

Olivier Mazerolle
Vous tentez d'expliquer ça au Président de la République ?

Charles Pasqua
- « Je lui ai déjà expliqué, oui. Je lui ai expliqué, je lui ai écrit. »

Olivier Mazerolle
Il n'est pas convaincu manifestement...

Charles Pasqua
- « Nous verrons bien. Mais ça ne me gêne pas. »

Olivier Mazerolle
Il a reçu l'approbation du suffrage universel en étant élu, ça ne vous amène pas à vous dire…

Charles Pasqua
- « M. Mazerolle, vous n'allez pas essayer, ce matin, de me faire battre avec le Président de la République ! »

Olivier Mazerolle
Non...

Charles Pasqua
- « Le Président de la République a des responsabilités... »

Olivier Mazerolle
Vous n'avez manifestement pas les mêmes idées...

Charles Pasqua
- « Sur ce plan, certainement pas. Je le constate et je le déplore. »

Olivier Mazerolle
L'électorat gaulliste ne va pas être complètement déstabilisé en voyant s'affronter P. Séguin, gaulliste et C. Pasqua, gaulliste ?

Charles Pasqua
- « Nous n'en sommes pas encore là ! Mais en tous les cas, ce qui est important dans la vie, plus que les hommes, ce sont les idées. Et lorsqu'on s'est engagé dans la vie, derrière le général de Gaulle - ce qui a été mon cas dans la guerre -, et que l'on a acquis un certain nombre d'idées, on leur reste fidèle, quelles que soient les conséquences. »

Olivier Mazerolle
Mais tout de même, l'opposition, dans son ensemble - l'UDF, Force démocrate, Démocratie Libérale, RPR - tente de se reconstituer pour...

Charles Pasqua
- « Elle a bien raison, elle a bien raison ! »

Olivier Mazerolle
...tenter de reprendre le pouvoir à la gauche. Et l'étalage de cette division va désarçonner l'électorat de la droite un peu plus ?

Charles Pasqua
- « Mais non ! Écoutez-moi : de toutes les façons on ne peut pas se rassembler dans l'équivoque. On doit se rassembler dans la clarté. À qui fera-t-on croire que le RPR et l'UDF par exemple, en ce qui concerne les perspectives de développement de l'Europe, aient la même vision des choses ? Non ! Alors qu'on essaie de clarifier les choses. C'est ce qu'on va faire ensemble. »

Olivier Mazerolle
Donc une liste unie RPR-UDF cela vous paraît farfelu ?

Charles Pasqua
- « Ceci n'est pas mon problème. Je ne sais pas. Peut-être faudra-t-il une liste RPR-UDF ? La logique, je pense, serait qu'il y ait une liste RPR et une liste UDF. Ça permettrait de ratisser plus large, comme on dit. Et deuxièmement, ça permettrait à chacun de s'y retrouver. »

Olivier Mazerolle
Et si P. Séguin était tête de liste, ça vous amènerait à renoncer à constituer vous-même une liste ?

Charles Pasqua
- « Tête de liste de quoi ? »

Olivier Mazerolle
RPR, d'une liste unique ?

Charles Pasqua
- « Liste unique, c'est une autre histoire. Mais pour défendre quelle politique ? Pour moi, je vous le redis, la révision de la Constitution pour permettre la ratification du Traité d'Amsterdam, c'est un casus belli. Je ne l'accepterai pas. Chacun en tirera les conséquences. »

PARIS-MATCH - 28 novembre 1998

Frédéric GERSCHEL
Vous venez de rencontrer le général Lebed à Moscou. Depuis quand le connaissez-vous ?

Charles Pasqua
- « Notre mouvement Demain la France l’avait invité en 1996, juste après les événements de Tchétchénie. Lebed avait également rencontré de nombreux responsables politiques et économiques dans les Hauts-de-Seine. Nous avions tous été impressionnés par son intelligence et son sens de la repartie. Nous sommes restés en contact étroit. Cela a débouché, à Moscou, sur la signature d’un accord de partenariat technique et économique entre notre département et la région de Krasnoïarsk, dont il est gouverneur. Nous procéderons bientôt à un échange d’étudiants et je me rendrai moi-même en Sibérie au Printemps prochain à la tête d’une délégation de chefs d’entreprise. »

Frédéric GERSCHEL
Pensez-vous que le général Lebed est l’homme dont la Russie a besoin aujourd’hui ?

Charles Pasqua
- « En tout cas, j’ai trouvé un homme très sûr de lui. Très confiant dans son avenir politique et ses capacités. Visiblement pas mal de gens là-bas sont convaincus qu’il accédera rapidement au pouvoir. Après l’effondrement du Parti communiste, il n’y a plus vraiment d’administration dans le pays. Les régions sont tentées de se débrouiller toutes seules. Le risque d’éclatement et d’anarchie est réel. On oublie un peu vite que la Russie reste une puissance nucléaire. Je crois que l’intérêt de tous est la restauration d’un pouvoir central fort. Lebed peut effectivement jouer ce rôle-là. »

Frédéric GERSCHEL
Vous êtes la personnalité de droite la plus populaire derrière Jacques Chirac, selon sondage récent. Pour quelle raisons, selon vous ?

Charles Pasqua
- « Les Français me créditent probablement d’une certaine constance dans mes opinions. Ce qui n’est manifestement pas le cas pour tout le monde. »

Frédéric GERSCHEL
Juste avant le débat sur la ratification du traité d’Amsterdam, vous avez prononcé un discours à l’Assemblé nationale devant les députés chevènementistes. Sur l’Europe, une sorte de front du refus qui regrouperait des gens de droite et de gauche est-il possible ?

Charles Pasqua
- « Si par front du refus vos entendez une organisation homogène et structurée, certainement pas. En revanche, il y aura forcément des actions convergentes dans la mesure où nous avons comme objectif commun la non-ratification du traité. Vous avez, le débat sur la souveraineté nationale n’a rien voir avec les partis politiques. Je sais bien qu’un certains nombre de mes amis au RPR notamment, vont subir des pressions. On va leur dire qu’ils doivent rester fidèles au Président de la République et suivre les instructions du mouvement. Moi, je les préviens aujourd’hui : personne n’échappera à un choix personnel. Personne ne pourra se défiler. »

Frédéric GERSCHEL
N’avez-vous pas l’impression que les Français sont moins eurosceptiques qu’avant ? Qu’ils acceptent tranquillement l’arrivée de l’euro ?

Charles Pasqua
- « Tout dépend de la façon dont vous expliquez les choses aux gens. Si vous leur dites : demain vous aurez une seule monnaie qui vous permettra de voyager dans tous les pays européens sans avoir besoin de faire du change, ils trouvent ça formidable. Si vous leur dites : attention, le franc va bientôt disparaître, ce n’est pas du tout la même histoire. Je constate que la propagande est bien faite : la plupart des citoyens ignore ce qui se passe. »

Frédéric GERSCHEL
C’est-à-dire…

Charles Pasqua
- « Jusqu’à présent, à quoi reconnaissait-on qu’on était français ? A la carte d’identité, à la carte d’électeur, à la monnaie que l’on avait  dans ses poches. Tout cela va devenir européen. Personne ne s’en rend compte. »

Frédéric GERSCHEL
En quoi Amsterdam limite-t-il le pouvoir des autorités françaises ?

Charles Pasqua
- « Il y a déjà la monnaie, on l’a dit, qui sera du ressort de la Banque centrale. Avec le traité, on va perdre ensuite notre droit de regard sur la sécurité, le contrôle des frontières, les libertés publiques. À qui va-t-on transférer ces pans entiers de notre souveraineté ? À une espèce de magma technocratique. Des gens irresponsables, au vrai sens du terme, puisque aujourd’hui il n’y a pas de véritables structures politiques en ce qui concerne l’union européenne. Ce débat-là est fondamental, mais on fait  tout pour qu’il n’ait pas lieu. On veut expédier les choses très vite. Deuxième quinzaine de novembre, le texte de modification de la Constitution qui permettra la ratification du traité passe à l’Assemblé. Première quinzaine de décembre, c’est le Sénat. Et on va essayer de boucler tout ça pour les Rois avec un congrès en janvier (réunion à Versailles de l’Assemblée et du Sénat). C’est inacceptable. Le contraire de la démocratie. Le peuple n’a pas son mot à dire. On est aux antipodes de la Ve République. »

Frédéric GERSCHEL
Existe-t-il plus de chances que vous conduisiez une liste aux européennes ou que vous ne le fassiez pas ?

Charles Pasqua
- « Beaucoup plus de chances que oui, pour répondre directement à votre question. Il faut que les Français sachent ce qui se passe. J’ai demandé à cor et à cri qu’un référendum ait lieu et ce ne sera pas le cas. Dans ces conditions, ce que je comptais dire lors de la campagne référendaire je le dirai au moment des élections européennes. »

Frédéric GERSCHEL
Certains au RPR disent que vous êtes velléitaire. Que vous n’irez pas jusqu’au bout ?

Charles Pasqua
- « Ils verront bien. Je n’étais pas tellement velléitaire quand j’avais 16 ou 17 ans et qu’il fallait se battre contre les Allemands. »

Frédéric GERSCHEL
Nicolas Sarkozy et François Fillon ont laissé planer la menace d’une exclusion du RPR au cas où vous mèneriez une liste différente de celle du mouvement ?

Charles Pasqua
- « Ces oukases m’indiffèrent totalement. Faut-il rappeler que je suis l’un de ceux qui ont créé le RPR, en décembre 1976 ? À ma connaissance, l’abandon de la souveraineté nationale ne faisait pas partie de nos objectifs. »

Frédéric GERSCHEL
On ne vous a pas entendu prendre position sur la polémique concernant les mutins du Chemin des Dames…

Charles Pasqua
- « Elle n’a rien apporté. Je dis simplement que si l’ensemble de l’armée française avait refusé de se battre, nous parlerions probablement aujourd’hui une autre langue. »

Frédéric GERSCHEL
A droite comme à gauche, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer la démission du président du Conseil constitutionnel, Roland Dumas, mis en cause dans l’affaire Elf. Qu’en pensez-vous ?

Charles Pasqua
- « Roland Dumas bénéficie comme tout justiciable de la présomption d’innocence. Je n’ai pas l’habitude de changer d’avis en fonction de l’importance des courants d’air. »