Texte intégral
O. Mazerolle
En réduisant votre inéligibilité à un an, la cour d'appel vous laisse l'opportunité juridique, si vous formez un pourvoi en cassation, de vous présenter, à la fois, aux élections européennes et à l'élection présidentielle. Vous formez ce pourvoi ?
J.-M. Le Pen
- « Je réunis pour l'instant mes conseils, puisque je n'ai pas encore le texte de l'arrêt. Et moi j'aime bien juger sur pièces. Mais ce que j'en sais prouve déjà qu'il contient un certain nombre de raisons, tout à fait péremptoires, de cassation. »
O. Mazerolle
Par exemple ?
J.-M. Le Pen
- « Cela dit, je ne crois qu'à une seule cassation, c'est celle du peuple, puisque c'est au nom du peuple qu'on rend la justice ; moi j'espère que c'est le peuple qui fera cassation aux élections. Car cette décision judiciaire est non seulement... Elle est scandaleuse ; elle est presque plus scandaleuse que celle du tribunal correctionnel, car il s'y ajoute une hypocrisie qui est répugnante. »
O. Mazerolle
Laquelle ?
J.-M. Le Pen
- « L'hypocrisie d'avoir diminué la peine. »
O. Mazerolle
Ça vous permet quand même d'agir…
J.-M. Le Pen
- « Non, écoutez ! Qu'est-ce que c'est que cette peine de mort civile ? C'est l'expulsion de mon mandat de député européen ; c'est l'expulsion de mon mandat de conseiller régional. Et c'est une peine, en fait, s'il n'y avait pas la Cour de cassation, qui serait une peine d'au moins six ans ! (...) Puisque si je ne pouvais pas me présenter aux élections, cette fois-ci, je pourrai me présenter dans cinq ans. J'aurai 76 ans. Remarquez, je me sentirais, peut-être, encore vert. Clemenceau n'avait pas cet âge-là quand il a gagné la Grande guerre de 14-18. »
O. Mazerolle
Quand même, là, vous avez juridiquement une possibilité d'action. Donc vous allez bien le faire quand même pour vous présenter aux européennes !
J.-M. Le Pen
- « C'est une opportunité qu'il faudra peut-être saisir. Le moment venu, je vous dirai cela, dans une conférence de presse. »
O. Mazerolle
« La cassation devant le peuple » ça veut bien dire ce que ça veut dire quand même ! Vous allez y aller ?
J.-M. Le Pen
- « N'importe comment, je suis président du Front national, et le Front national posera, en toute circonstance, cette question lors des élections, quelles qu'elles soient. Qu'elles soient à leur date normale ou anticipées. »
O. Mazerolle
Mais vous savez, vous pouvez former un pourvoi, vous présenter ainsi aux élections européennes, puis ensuite, éventuellement, abandonner le pourvoi, comme ça vous êtes libéré de tout pourvoi pour les présidentielles…
J.-M. Le Pen
- « Je vous remercie de vos conseils ; je vois que vous avez de bons spécialistes juridiques. Il est évident que la cour, en choisissant une nouvelle incrimination mirobolante - « violences sur personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions » - je ne vois personne dans cette affaire qui corresponde à cette définition. Et d'autre part, la cour ayant changé l'incrimination, aurait dû rouvrir les débats. Je n'ai pas eu la possibilité de me défendre de cette nouvelle incrimination. Par conséquent, il semble qu'elle ait accumulé les motifs de cassation. Est-ce que ça veut dire qu'elle veut botter en touche ? Je n'en sais rien. Mais je veux tout de même dire une chose, il y a un adage qui dit : « On a 24 heures pour maudire ses juges », eh bien moi je maudis ceux-là ! »
O. Mazerolle
Pourquoi trouvez-vous légitimes les condamnations qui s'appliquent à d'autres hommes politiques ? Et pourquoi trouvez-vous que les juges sont indignes quand ils s'attaquent à vous ?
J.-M. Le Pen
- « Parce que, quand les autres hommes politiques sont condamnés, c'est parce qu'ils ont « tapé dans la caisse », dans l'exercice de leurs activités. Ce qui n’est pas du tout mon cas. »
O. Mazerolle
Mais les magistrats sont les mêmes, ils jugent avec la même équité…
J.-M. Le Pen
- « Non, mais c'est tout à fait différent. Ce qui est scandaleux, c'est le recours, de plus en plus large, à ces peines d'inéligibilité, qui consistent, en fait, à priver les électeurs du droit de choisir leur élu. Dans un certain nombre de cas, quand il s'agit d'une violation des devoirs de l'élu, on comprend que cette peine soit appliquée. Dans mon cas, c'est-à-dire dans un incident électoral, dans lequel je suis parfaitement innocent et plutôt victime d'un véritable guet-apens d'une contre-manifestation de gauche, il s'agit de quelque chose de scandaleux ! Et je crois que l'opinion va le ressentir comme ça, malgré les commentaires et les éditoriaux qui accompagnent, d'ailleurs, toujours, dans ces cas-là, l'offensive politico-judiciairo-médiatique. »
O. Mazerolle
Comment peut-on dire dans certains cas, que les juges jugent équitablement et que dans d'autres cas, parce que ça s'applique à vous, ils ne sont plus équitables ?
J.-M. Le Pen
- « Mais pas du tout ! Ce n'est pas cela le problème M. Mazerolle ! Le problème c'est que, ces hommes politiques, je crois qu'il y en a 30 - six ministres ou anciens ministres -, qui sont mis actuellement en examen, ça touche des faits de violation de leurs devoirs d'élu. C'est-à-dire qu’ils sont, pour la plupart d'entre eux, accusés de détournement de fonds et de délits de cette qualité-là ; voire même, de complicité d'empoisonnement dans l'affaire du sang contaminé. Moi ce n'est pas du tout ça. On me reproche une bousculade électorale dans laquelle... »
O. Mazerolle
Mais c’est pas bien quand même !
J.-M. Le Pen
- « Mais c'est pas bien » écoutez, vous n'allez pas me faire la morale ! »
O. Mazerolle
Je ne vous fais pas la morale mais c'est pas bien de bousculer quelqu'un !
J.-M. Le Pen
- « C'est pas bien », mais moi je n'ai pas bousculé quelqu'un ! C'est moi qui, allant faire, avec ma fille, qui était candidate, une visite des commerçants de Mantes-la-Jolie, suis tombé dans une véritable embuscade d'une contre-manifestation socialo-communiste, d'une centaine de personnes ! »
O. Mazerolle
Vous avez dit, hier matin, dans une interview au Parisien, que si vous ne pouviez pas vous présenter aux européennes, c'est votre femme qui conduirait la liste. Est-ce que c'est un mode de désignation d'un parti contemporain ça ? De voir un président de parti dire : si c'est pas moi, ça sera ma femme ?
J.-M. Le Pen
- « Oui, c'est un acte de résistance. Ça consiste, face à des gens qui, illégalement et injustement veulent écarter, en l'occurrence, Le Pen - mais hier c'était Mégret ou Le Chevallier -, de son poste, d'imposer le nom que les adversaires ont voulu écarter, voilà. Ça s'appelle "faire la nique" au pouvoir. »
O. Mazerolle
B. Mégret dit, lui : La démocratie, le fonctionnement de la démocratie dans un parti politique, c'est d’en référer aux instances et de demander aux instances - bureau politique, comité central - de désigner le candidat. Vous, vous n’êtes pas d'accord avec ça ?
J.-M. Le Pen
- « Non, mais ce n'est pas du tout le cas ; personne n'a jamais dit ça ! Et Mégret... »
O. Mazerolle
Si, B. Mégret a dit : les instances…
J.-M. Le Pen
- « Il ne l'a surtout pas dit quand il a désigné sa femme pour le remplacer à Vitrolles, comme M. Le Chevallier a mis sa femme pour le remplacer à Toulon. Ce qui a d'ailleurs toujours eu mon approbation. Et en l'occurrence, je suis le président du Front national, j'agis dans le cadre de mes responsabilités. Et ne croyez pas que je méprise les militants, car j'ai été le premier, et je suis encore le premier, militant du Front national. »
O. Mazerolle
Quand vous avez lu l'interview de B. Mégret, dans Le Figaro, disant : « La véritable trahison, ce serait d'enfermer le Front national dans une opposition éternelle. » C'est vous là, qui êtes visé ?
J.-M. Le Pen
- « Je ne me sens pas du tout visé. »
O. Mazerolle
Mais si, parce que c'est vous qu'on soupçonne de vouloir « enfermer le Front national dans une opposition éternelle ».
J.-M. Le Pen
- « Ces soupçons sont ceux qui sont émis par les commentateurs de la presse ennemie. Par conséquent, ils ne m'intéressent pas directement. J'ai toujours dit qu'il n'y a qu'une seule finalité noble de la politique : c'est l'exercice du pouvoir, pour y mettre en application, les principes et le programme que l'on défend. Mais je condamne, à l'avance, toute tentative de mixité avec des dirigeants politiques qui sont corrompus et désavoués d'ailleurs par... »
O. Mazerolle
Mais B. Mégret, lui, parle « d'alliances » justement pour arriver au pouvoir…
J.-M. Le Pen
- « Écoutez, si c'est le cas, je suis en accord avec... »
O. Mazerolle
Oui, il l'a dit dans l'interview au Figaro.
J.-M. Le Pen
- « Eh bien voilà. C'est l'opinion de M. Mégret. Mais il n'est pas président du Front national. Et pour l'instant, ce que je sais, c'est que M. Mégret a dit clairement, et il a voté clairement au bureau politique, pour reconnaître au président les responsabilités qui sont les siennes. On essaye là, de créer entre B. Mégret et moi, une distorsion, une opposition ; c'est très artificiel et très artificiellement aggravé par les commentaires des médias. »
O. Mazerolle
Mais quand on vous parle de succession possible, ça à l'air de vous irriter. Que répondez-vous à ceux qui disent…
J.-M. Le Pen
- « M. Mazerolle, vous aurez un successeur, il n'y a pas que moi qui… »
O. Mazerolle
... qui disent : J.-M. Le Pen préférera casser le Front national qu'il a créé plutôt que de le donner à quelqu'un d'autre ?
J.-M. Le Pen
- « Mais ça, ce sont des commentaires malveillants de la presse. Ça ne correspond à aucune réalité. Je sais très bien que je suis mortel, comme nous tous d'ailleurs, et quel que soit notre âge. Moi, j'ai prévu ce temps-là ; le congrès du Front national désignera, à ce moment-là, celui qui sera mon successeur. Et d'une façon démocratique. »
O. Mazerolle
La mort politique vous la redoutez ?
J.-M. Le Pen
- « La mort politique » ? L'assassinat politique, tel que pratiqué par la cour d'appel et par le tribunal correctionnel, oui. Cette forme d'assassinat politique, d'un pouvoir socialo-communiste... »
O. Mazerolle
C'est une décision de justice M. Le Pen, c'est pas « un assassinat » !
J.-M. Le Pen
- « … présente une forme totalitaire ; ce mélange entre la justice et la politique, ça c'est totalitaire. Et cela aboutit à un assassinat. »
O. Mazerolle
L'accusation est grave envers les juges que vous formulez là ! « Assassinat » ? Vous vous rendez compte !
J.-M. Le Pen
- « Assassinat politique » oui ! C'est bien ce que je dis. Voilà. »