Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, dans "Le Parisien" du 16 novembre 1998, sur les conséquences d'une confirmation de sa condamnation à deux ans d'inéligibilité en appel notamment la candidature de sa femme aux élections européennes de 1999, et sur les poursuites engagées par la justice allemande sur ses propos sur les chambres à gaz.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Q – Dans quel état d'esprit êtes-vous ?

Jean-Marie Le Pen. – Je suis, depuis toujours, un homme politique contesté par la majorité de l'« établissement », et soumis à de constantes pressions médiatiques. Dans ces conditions, je ne peux guère espérer aujourd'hui d'indulgence. Mais il existe des juges indépendants et courageux. Alors, sait-on jamais ? En tout cas, l'enjeu est, pour moi, capital : si la cour d'appel confirme, en effet, ma condamnation pour un incident dont je conteste la réalité délictuelle, je serai déchu de mes mandats de député européen et de conseiller régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur. Compte tenu de la date des prochaines élections, c'est donc à une peine de cinq ans que je serai, en fait, condamné. Cherche-t-on ma mort politique ?

Q – Ne regrettez-vous pas d'être allée à Mantes-la-Jolie ?

– Pas une seconde ! Il n'y avait rien que de très normal à ce que j'aille accompagner ma fille, candidate aux législatives, dans une tournée de commerçants, quatre jours avant le second tour de scrutin. Je sais bien que la mode est au repentir, mais je ne regrette rien. Sauf d'être tombé dans une embuscade.

Q – Si votre peine est confirmée, irez-vous en cassation ?

– Anticiper serait injurieux envers les juges. D'autant que plusieurs hypothèse sont possibles : de la relaxe pure et simple à la confirmation du jugement.

Q – Un pourvoi en cassation risquerait de vous empêcher d'être candidat à la présidentielle…

– Comment être présent au moment de la bataille finale si on vous a tué à la bataille d'avant ? Je vais bien regarder où je mets les pieds. De toute façon, d'ici la présidentielle, je peux, je le sais, tomber dans une nouvelle embuscade.

Q – Si la peine d'inéligibilité est confirmée, vous allez être hors-jeu…

– Mais il est hors de question que je sois hors-jeu ! Quoi qu'il arrive, je suis, et demeurerai, le chef du FN. Les rêves les plus fous de certains ne peuvent pas aller jusqu'à espérer que  je sois « volatilisé » par une décision de justice. La « divine surprise » a ses limites…

Q – Que direz-vous, dans ce cas, à vos partisans ?

– Que cela justifie de leur part un grand mouvement de mobilisation contre l'injustice, et pour les libertés publiques. Pour l'électorat du FN, une confirmation de ma condamnation dramatiserait la campagne des européennes de juin 1999 en lui donnant une dimension affective…

Q – Vous voulez dire que votre épouse serait tête de liste ?

– Oui. Il est exclu que le nom de Le Pen soit arbitrairement éliminé du débat. Servi par vingt-cinq ans de publicité et d'engagement, il représente pour le FN un capital. Sans compter qu'il y a, en France, une culture du couple qui justifie, quand les circonstances l'exigent, que la femme se substitue à l'homme.

Q – Quel sera l'objectif de la liste FN ?

– Dépasser la barre de 20 %.

Q – Vous paraissez avoir déjà fait une croix sur votre propre candidature.

– Pas du tout ! Le dépôt officiel des listes aura lieu trois semaines avant le scrutin. Si je suis condamné, pourquoi le Président de la République ne me gracierait-il pas ? Jacques Chirac a bien gracié Omar Raddad.

Q – Bruno Mégret défend l'idée que « la principale trahison, c'est de s'enfermer dans une opposition éternelle »…

– Cette présentation ne me vise évidemment pas. Bruno Mégret n'est pas responsable des différentes ouvertures faites tout au long de la vie du FN. De plus, il est l'auteur d'un livre qui s'appelle « l'Alternative nationale », dont la thématique est qu'il n'y a rien à attendre des partis de l'établissement. Alors !... J'ajoute ceci : s'il s'agit de faire du Madelin sans Madelin, ça peut intéresser certaines personnes, mais pas moi.

Q – Où en est l'information ouverte contre vous par le parquet de Munich dans l'affaire des chambres à gaz, dont vous avez redit que c'était un « détail » de l'histoire de la Seconde guerre mondiale ?

– Cette affaire est un scandale. A fortiori quand c'est l'Etat allemand qui se permet de poursuivre un homme dont le père est mort pour la France en 1942. Je suis allé voir à Munich mon ancien collègue au Parlement européen, Franz Schonhuber, ex-rédacteur en chef de la télévision bavaroise, mais présenté systématiquement dans les médias français comme un ancien Waffen-SS, alors que tant d'Allemands, à des postes officiels, ont eu le même parcours que lui. Et j'ai répondu ce jour-là à un journaliste que je n'avais pas de raison de regretter ma phrase sur le détail, même si je regrette qu'elle ait pu être mal comprise, et ait blessé certains. Le procureur de Munich a ouvert une enquête, et demandé la levée de mon immunité de député européen. Pour l'obtenir (420 voix contre 20), il a osé modifier ma phrase, et y ajouter les mots « ne que » et « anodin », qui en changent totalement le sens. Au départ, on m'accusait de « négationnisme ». Je suis poursuivi, aujourd'hui pour « incitation à la haine raciale ».

Q – irez-vous vous expliquer devant un juge allemand ?

– Eventuellement. Je n'ai pas peur d'y aller. J'ai constitué, pour me défendre, un groupe d'avocats français, franco-allemands et allemands. Je n'écarte pas non plus l'idée que la poursuite ait été essentiellement électorale et que, avec l'élection de Gerhard Schröder, elle n'aille pas à son terme.