Conférence de presse de M. Alain Decaux, ministre chargé de la francophonie, sur la politique audiovisuelle extérieure de la France, Paris le 26 juillet 1989.

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Circonstance : Création du Conseil audiovisuel extérieur de la France le 26 juillet 1989

Texte intégral

C'est le 18 mars dernier que M. Michel Rocard, auquel je m'étais ouvert de ma très grande préoccupation quant au retard que la France avait pris en matière de télévision extérieure, m'a confié cette enquête. Je devais dresser un état des lieux et en même temps proposer des mesures qui permettent de pallier ce grave inconvénient. Pour planter le décor, je vais vous raconter une histoire : « il y a quelques mois, ici même au quai d'Orsay, Jacques Pelletier, ministre de la Coopération et du Développement et moi-même recevions conjointement le Président de la Guinée Équatoriale qui venait nous annoncer que son pays allait adhérer à la Communauté des pays ayant en commun l'usage du français et serait présent au Sommet de Dakar. Il nous a raconté l'histoire de son pays, l'histoire singulière d'un pays hispanophone qui, après l'indépendance et l'accession progressive À un régime plus démocratique, avait décidé de passer de l'espagnol au français.

C'est une décision presque unique dans l'histoire, celle d'un pays qui, du jour au lendemain, un peu comme les Suédois ont décidé de passer de la conduite à gauche à la conduite à droite, décide de changer de langue, Bien entendu, les Equato-Guinéens ont leur langue, mais je parle là de la langue de travail, la langue internationale, la langue que beaucoup de pays francophones utilisent dans leur relations extérieures, et pour cela un certain nombre de mesures ont été prises : entrée dans la zone franc, français décrété comme langue de travail, enseignement du français dans les écoles, entrée dans la Communauté francophone. Lorsque le Président a achevé son récit, je lui ai dit : « cette histoire est extraordinaire, Monsieur le Président, et maintenant quel est l'avenir ? » Il m'a répondu : « maintenant, pour confirmer tout cela, il nous faudrait une télévision de langue française »·

Cette histoire ouvre très bien cette conférence de presse parce que c'est cela la vérité. La vérité est qu'aujourd'hui, pour 90 % du genre humain, on peut s'en réjouir ou s'en plaindre, mais c'est un constat, la culture passe par la télévision. Or, la France n'a pas la place qu'elle doit avoir en matière de télévision, d'où ce travail que nous avons fait, d'où les propositions que nous avons présentées. Nous sommes allés très vite comme l'avait demandé le Premier Ministre : l'enquête de Martine Storti et Dominique de Combles de Nayves a duré moins de trois mois parce qu'il fallait me laisser le temps de rédiger ensuite et, en tant qu'écrivain j'aime bien rédiger moi-même. Trois mois plus tard, le rapport était entre les mains du Premier Ministre. Tout a été extrêmement vite, les spécialistes m'ont même dit que c'était une sorte de record : deux réunions interministérielles se sont tenues, les ministères concernés ont pris connaissance des propositions, elles ont été discutées, des accords ou des désaccords ont été exprimés, comme cela arrive toujours, au sujet de mes vingt propositions, des compromis ont été trouvés, mais disons que de nombreuses propositions ont été acceptées telles quelles.

Qu'ai-je proposé et qu'est-ce donc que le Conseil des ministres a accepté ce matin ? La création d'un Conseil de l'audiovisuel extérieur de la France (CAEF). Certains d'entre vous doivent se dire : « quoi, encore un Conseil ! » C'est vrai, il y a déjà eu beaucoup de conseils. Quelquefois ces conseils regroupent beaucoup de gens qui se réunissent une fois et ensuite il ne se passe plus rien.

Ce ne sera pas le cas en l'occurrence : le Conseil audiovisuel extérieur de la France sera présidé par le Premier ministre et comprendra en tout et pour tout quatre ministères. Ceux qui sont réellement concernés. C'est-à-dire le ministère des Affaires étrangères, parce que c'est de lui que dépend naturellement l'action extérieure de la France, le ministère de la Communication, puisque ce que nous nous apprêtons à diffuser dans le plus grand nombre de pays du monde, ce sont des émissions produites par les chaînes de télévision française, le ministère de la Coopération et du Développement qui a déjà mis en œuvre Canal France International depuis le 15 mai dans une série de pays d'Afrique, le ministère de l'Économie et des Finances enfin, puisque rien ne peut se faire sans lui, Le CAEF décidera des orientations de la politique extérieure télévisuelle de la France et se réunira cinq fois par an, les décisions qu'il prendra seront administrées par la direction de la Communication du ministère des Affaires étrangères qui mettra en œuvre ces décisions. Ce sera la SOFIRAD, une société particulièrement pratique puisque ses statuts lui permettent de regrouper des capitaux privés et des capitaux publics, qui, associée aux organismes de télévision publique Antenne 2, FR3, mais aussi RFO, et l'INA mettra en place les hommes et les moyens. Telles sont les structures qui résument notre action.

L'ambition, quelle est-elle ? C'est, sur un espace de cinq années, couvrir l'ensemble du globe, parvenir à proposer à tous les pays du monde, qui les accepteront ou non, cela les regarde, des émissions en langue française. Ce système est déjà celui de Canal France International qui s'adresse aux ' »pays du champ » c'est-à-dire l'Afrique, nous en avons tiré l'idée d'une banque mondiale d'images, c'est-à-dire d'une sélection des meilleures émissions produites par les diverses grandes chaînes de télévision françaises. Cette banque d'images sera donc proposée aux pays de tous les continents avec lesquels nous pourrons négocier et qui souhaiteront la recevoir. Peut-être penserez-vous : « cinq ans c'est long ! ». C'est vrai on pourrait aller plus vite, les satellites sont là, la France a déjà choisi le satellite comme support de sa politique télévisuelle extérieure. Il y a déjà une politique dans ce domaine. On pourrait dire, comme Sieyès en 89 à propos du Tiers-État, qu'est-ce que la télévision extérieure ? Rien. Que devrait-elle être ? Tout. Que demande-t-elle à être ? Quelque chose. Ce serait inexact, parce que la télévision extérieure est déjà quelque chose, mais il faut aller plus loin et pour cela, avoir cet organe coordonnateur qui n'existait pas et que le Conseil des Ministres a décidé de mettre en place. Nous pourrions, à l'aide des satellites qui sont déjà de par le monde comme par exemple TDF pour l'Europe comme aussi le satellite qui permet dès aujourd'hui de diffuser Antenne 2 sur la Tunisie et au-delà de la Tunisie sur l'Algérie, nous pourrions aller vite, il y en a partout des satellites. Et il suffit, je l'ai écrit dans mon rapport, et une première étude de TDF le montre, de trois satellites pour couvrir l'ensemble du globe. Mais il y a les contraintes budgétaires ; nous savons très bien que tout cela coûte cher. Donc il faut un délai de cinq ans.

Je n'ai pas établi un cadre rigide dont tout le monde devrait être l'esclave. Il faut faire travailler toutes les personnes gui sont concernées, elles travailleront, dans un cadre assez large autour duquel et dans lequel s'inscriront les décisions et se feront les études de marché car on a un peu trop souvent l'habitude de lancer les choses sans étudier à fond les marchés. Cinq ans, cela permet d'étaler ces frais et d'arriver à une parité budgétaire avec les fonds mis à la disposition de l'action radiophonique extérieure. Il y a une action radiophonique essentiellement à travers RFI gui va bientôt faire l'objet d'une communication de M. Thierry de Beauce. Pour 1990, 50 millions de francs sont inscrits au budget en mesures nouvelles. Voilà en quelques mots le décor planté et maintenant je suis tout prêt à répondre à vos questions.


Question : Je voudrais savoir si vous ne craignez pas que votre nouvelle télévision ne fasse doublon avec Canal France International ?

M. Decaux : Je vous ai dit que l'idée est née de Canal France International. Canal France International émet sur l'Afrique, continuera à émettre sur l'Afrique. Mais l'ambition de Canal France International n'était pas, bien entendu, de passer de l'Afrique aux autres continents, quoique des pourparlers aient été engagés entre Canal France International et le Moyen-Orient, ce dont je me louais déjà. Ce sont des opérations totalement complémentaires, tellement complémentaires qu'elles devront être profondément unies. Dans beaucoup d'autres pays ce sera le même programme que Canal France International, pour d'autres ce seront d'autres programmes car on ne peut pas fournir exactement la même chose à tous les continents. Mais le principe reste le même et il n'y a aucune concurrence. Il y a en ce qui concerne l'agence d'images une ambition plus grande que ce qui existe aujourd'hui. Nous prenons en compte AITV, mais nous élargissons l'ambition en incluant cette agence existante dans une agence plus vaste.

Question : A propos de TV5 ?

M. Decaux : La première ambition de TV5 était d'émettre sur l'Europe des émissions francophones, des émissions venant du canada, venant de la Belgique, venant de la France, etc. …

Une seconde étape est intervenue au Sommet de Québec quand les chefs d'État et de Gouvernement ont décidé qu'il y aurait un autre TV5 : TV5 Canada Québec. En moins d'un an le projet été réalisée.

Le 31 août 1988 à Montréal, l'élan était donné conjointement par le Très Honorable Brian Mulroney, Premier Ministre du Canada, et M. Robert Bourrassa, Premier Ministre du Québec. L'ambition de cette chaîne est d'être diffusée par câble dans l'ensemble du Canada et au-delà, aux États-Unis. Donc, voilà l'histoire de TV5, des deux TV5 : TV5 Europe et TV5 Canada Québec. Que devient TV5 Europe dans l'opération ? Il ne faut pas se le dissimuler : TV5 Europe a suscité des critiques. Des enquêtes ont été faites qui ont confirmé que certaines de ces critiques étaient fondées. Indiscutablement, TV5 Europe a fait des progrès mais ce n'est pas encore satisfaisant. Il y a plusieurs éventualités : ou bien on le laisse tel quel et ce n'est pas satisfaisant, ou bien on l'améliore – c'est une éventualité – ou bien encore on étudie des possibilités de recourir à Antenne 2. Antenne 2 est maintenant diffusée en Tunisie l'empreinte du satellite atteint en même temps l'Algérie et couvre une grande partie de l'Europe. On peut déjà recevoir Antenne 2 dans beaucoup de régions avec une antenne parabolique. Faut-il alors substituer Antenne 2 à TV5 Europe ? Il est bien évident qu'aucune décision unilatérale ne peut être prise. Quand on a des engagements internationaux, on les tient et quand on souhaite les modifier, on propose une négociation et on étudie les compensations souhaitables. Le débat reste ouvert, je l'ai dit ce matin au Conseil des Ministres. C'est le CAEF qui doit décider quelle sera la position de la France : garder le statu quo, proposer à nos partenaires d'améliorer TV5 ou encore une autre solution, celle dont je viens de parler mais cela ne se fera que par négociations.

Question : Y a-t-il déjà eu des négociations avec les partenaires francophones ?

M. Decaux : Non, il n'y a pas eu de négociations : c'est un programme qui vient de la France seule. Le Canada a parfaitement le droit, par exemple, d'avoir ses programmes ici et là dans le monde. Canal France International est un programme bilatéral. Il est tout à fait logique qu'un pays ne se prive pas d'avoir une action offensive en ce qui le concerne, mais la préoccupation francophone est présente d'une manière permanente. Comment oublierais-je que je suis ministre de la Francophonie, ministre français de la Francophonie, que par conséquent la francophonie, j'y crois profondément, passe par un accord qui existe et qui est profond entre tous les partenaires. Cet accord s'est manifesté de manière éclatante à Dakar. Il n'est pas question, je le répète, de faire quoi que ce soit qui puisse porter atteinte à cette remarquable entente entre 44 partenaires. Simplement, il est normal dans certains cas de faire le point, d'en parler ouvertement aux partenaires, et éventuellement de chercher des solutions qui puissent satisfaire les uns et les autres.

Question : Est-ce que la France a les moyens véritables de ses ambitions ? Pour l'année 1990 cette vaste entreprise aura un budget de 50 millions. OÙ allez-vous les trouver et comment financer tout ça ?

M. Decaux : Les 50 millions de francs correspondant à nouvelles mesures. Ce n'est qu'une première étape. Ce que nous voulons, c'est élargir la somme chaque année, progressivement, afin d'arriver dans cinq ans à égalité avec le programme de RFI. Ce sont des mesures nouvelles. Nous n'allons pas les prendre sur la redevance. Elles sont inscrites au budget, pour une part au ministère des Affaires étrangères, pour une autre part au ministère de la Coopération et du Développement. Actuellement, 200 MF sont consacrées à l'action télévisuelle extérieure. Les 50 MF viennent en plus.

Question : On a la chance en France d'avoir une chaîne de référence : Antenne 2. Pourquoi semblez-vous exclure dans vos propos une exportation de cette chaîne ?

M. Decaux : « Antenne 2 » figure naturellement dans mon rapport. « Antenne 2 » devrait s'associer à la SOFIRAD. Elle est un des éléments de l'ambition extérieure de la France. Il y aura d'une part la banque d'images pour les pays qui le souhaiteront, d'autre part « Antenne 2 » pour l'Europe et l'Afrique du Nord. « Antenne 2 » est donc tout à fait prévue, elle devrait être une alternative de la banque d'images pour les pays gui souhaitent une chaîne généraliste.

Question : Monsieur le ministre, en vous écoutant, j'ai surtout entendu parler de moyens de diffusion mais vous n'avez pas beaucoup parlé de contenu. Est-ce que vous pensez que les moyens dont on dispose aujourd'hui sont suffisants pour envoyer les images qu'il faut à ces pays ? Ne faudrait-il pas donner plus de moyens ?

M. Decaux : Je voudrais bien. Mais, je considère déjà que la décision prise est très importante. Je ne cacherai pas que l'objectif que j'ai proposé n'est pas de produire, les sommes en question seraient très insuffisantes pour cela. Nous allons combler un retard, nous allons prendre place sur un marché qui est déjà énormément encombré par des télévisions d'autres langues et la solution est de puiser dans le réservoir d'émissions existantes. Il ne faut absolument pas oublier qu'au Sommet de Dakar, les Chefs d'État et de gouvernement ont décidé d'une aide à la production des pays du Sud. Notre projet enfin est complémentaire de celui de Canal France International qui souhaite recevoir des émissions venant des pays de l'Afrique francophone pour les rediffuser non seulement en Afrique mais dans d'autres pays.

Question : Je voudrais une petite précision, sur l'avenir de TV5. Avez-vous dit que c'est le CAE, qui après discussion décidera de l'avenir de TV5 ?

M. Decaux : Non, j'ai dit que c'est le CAEF qui déciderait s'il faut laisser les choses en l'état ou s'il est opportun d'ouvrir un€ négociation. Ce qui est tout à fait exclu, je le répète, c'est qu'il y ait une décision unilatérale de la France.

Question : L'outre-mer peut être un support de la francophonie, alors quel rôle sera réservé à RFO dans votre plan ?

M. Decaux : RFO joue un rôle très important dans les départements d'outre-Mer et au-delà. Ainsi le débordement de RFO au delma de l'île de la Réunion a été positif pour la place de la langue française à l'Ile Maurice. Vous allez dire : les « Mauriciens sont francophones », c'est vrai, mais ils sont également anglophones, ils parlent aussi d'autres langues, celles de leur ethnie d'origine en général, c'est d'ailleurs un exemple tout à fait parfait de plurilinguisme.

J'ai rappelé cet exemple positif au Conseil des Ministres de la même manière que j'ai rappelé qu'il y avait eu un exemple négatif, celui de la Tunisie où pendant longtemps nous n'avons pas donné satisfaction au désir des Tunisiens de recevoir Antenne 2. On a tardé, et pendant ce temps, la RAI s'est installée confortablement. Et tous ceux qui ont voyagé en Tunisie savent parfaitement à quel point la langue italienne a repris droit de cité en Tunisie. A l'occasion du voyage du Président de la République en Tunisie, au mois de juin dernier, le programme d'Antenne 2 a été diffusé. L'idée, c'était de l'abandonner après le départ du Président en attendant d'autres négociations, mais le programme a tellement plu qu'il n'a plus été question, une fois le Président de la République parti, de l'interrompre. Il est maintenant diffusé dans toute la Tunisie mais mieux encore, il est reçu en Algérie, un des pays du monde où il y a une des plus fortes densités d'antennes paraboliques, souvent bricolées d'ailleurs. C'est un exemple pour nos industriels, parce que si on les bricole si facilement on pourrait les vendre moins cher…

Question : Dans le nouveau Conseil n’apparaît pas le ministère des Télécommunications ni celui de l'industrie. Est-ce que la France, c'est le service public ou est-ce que la France, c'est l'ensemble du paysage audiovisuel français ?

Votre projet ne me semble pas avait de dimension industrielle et stratégique, c'est un centre serveur d'images de l'ordre de Canal France International. Pourquoi enfin avoir choisi la SOFIRAD qui est un organisme moribond alors qu'existe l'INA – dont les capacités sont reconnu sur le plan international ?

M. Decaux : Vous m'avez demandé s'il n'y avait que les services publics dans l'organigramme spécifique ? Oui, puisque ce sont des fonds d'État, il est normal qu'il fasse appel à des organismes d'État, mais nous prenons en compte tout ce qui peut se faire sur le plan des télévisions privées. J'ai ce matin au Conseil des ministres rappelé la belle aventure de TF1 en Californie. TF1 émet deux heures par jour sur une chaîne hertzienne, multi-ethnique, d'abord à des heures peu favorables, puis peu à peu quand on s'est aperçu que la clientèle venait, à des heures très favorables, puisqu'actuellement c'est de 17 h 30 à 19 h 30. C'est une indication pour ce que nous ferons dans les autres pays. Le journal télévise de TF1 est sous-titré en anglais, le décalage permet de sous-titrer ce journal et c'est ce qui, à mon avis, a été une des raisons du succès. Dans cet État où les purs francophones sont relativement peu nombreux, on compte 800 000 téléspectateurs pour deux heures de TF1 en Californie, c'est tout à fait extraordinaire. Des négociations sont aujourd'hui entreprises avec San Francisco et avec New York.

Comment ne prendrions-nous pas en compte tous ceux qui se lancent dans des aventures de ce genre ? Je pense également à ce qui est en train de se faire en Afrique avec Canal Plus. Là aussi, ce sont de belles avancées qu'il faut prendre en compte. Plus le privé sera offensif à l'étranger plus je serai content, malheureusement ça se compte sur les doigts de la main. Je cite avec joie l'exemple de la Californie je voudrais qu'il y en ait beaucoup d'autres.

Question : Vous parlez d'une banque de données de programmes, mais vous ne parlez pas du comité de programmes éventuel qui pourrait les choisir, Est-ce que dans le choix de ces programmes vous comptez associer les pays gui vont les recevoir ?

M. Decaux : C'est là précisément le travail des différents responsables qui serait mis en place et qui vont devoir faire tout le travail d'affinement.

Question : Est-ce que vous prenez en compte « la Sept » également dans votre projet d'action télévisuelle extérieure ?

M. Decaux : Oui, dans mon rapport « la Sept » est prise en compte. « La Sept » ne sera pas dans son dernier état une chaîne francophone. La langue française y sera présente avec d'autres langues, primitivement il n'était question que de l'allemand, mais plusieurs pays sont déjà candidats : l'Espagne, mais aussi la Belgique et la Suisse, pays francophones, et « la Sept » doit donc jouer un rôle important. En Europe, à l'Ouest comme à l'Est, un vaste public attend une chaîne de haut niveau culturel.

Question : Vous proposez que des organismes purement français diffusent des émissions françaises à travers le monde. Que devient la francophonie ?

M. Decaux : La francophonie, c'est ma préoccupation majeure et je n'ai pas attendu d'être ministre pour faire le constat de la réalité francophone. Second constat, la nécessité d'une action télévisuelle très amplifiée et c'est le ministre de la francophonie qui a dit au Premier ministre : la télévision, c'est l'avenir de la langue française. J'ai donc été chargé de cette affaire. Il est évident que le Premier Ministre n'a pas oublié que j'ai commencé à travailler à la télévision en 1956, que la télévision a fait partie de ma vie quotidienne pendant plusieurs décennies.

Le Ministre de la francophonie est chargé depuis ce matin d'une nouvelle tâche parallèle. Est-ce qu'un pays francophone peut se plaindre qu'un autre pays francophone fasse beaucoup plus que ce qui existe pour la langue française ? Est-ce que les intérêts ne sont pas étroitement liés ? Mon souhait est, au contraire, que cette action commune soit doublée par de multiples actions individuelles. IL ne faut pas être malthusien en matière de diffusion de cette langue française qui est notre seul lien dans cette communauté francophone. Aucun francophone au monde ne devrait prendre ombrage des efforts particuliers que la France est disposée à faire pour accroître l'audience du français par la télévision. Je crois au contraire que l'on doit nous en féliciter.

Question : Les reproches qui vous sont adressés concernent plutôt sur l'éventuelle mise à mort de TV5 à laquelle vous avez l'air de faire de gros reproches. Est-ce que vous pouvez brièvement les donner ?

M. Decaux : Ce qui a empêché TV5 d'être aussi satisfaisant qu'il aurait pu l'être, c'est évidemment un grand manque de moyens budgétaires. Le budget de TV5 est actuellement l'équivalent de 3,3 % de celui d'Antenne 2.

Je ne fais pas de reproches à ceux qui, avec beaucoup de courage, ont animé TV5. Ils se sont trouvés devant une situation difficile, il y a eu notamment des problèmes de droits très difficiles. Chacun des pays composant TV5 s'est trouvé confronté à ce problème. Pourquoi n'y a-t-il pas de meilleures fictions canadiennes, françaises ? Parce qu'elles sont trop chères. C'est aussi simple que cela. Nous avons fait des enquêtes, et nous nous sommes aperçu qu'il n'y avait pas eu de grand empressement pour choisir ce qu'il y avait de meilleur, même quand cela était possible. Le résultat est aujourd'hui meilleur qu'auparavant, mais ce n'est pas l'image qu'on peut souhaiter d'une télévision de langue française. Peut-être le CAEF décidera-t-il de donner les moyens d'améliorer TV5 ? Le débat reste ouvert.

Question : Vous avez dit tout à l'heure que c'est la Direction de la Communication du ministère des Affaires étrangères qui serait chargée de piloter le projet. Quel est le rôle du ministre de la Francophonie : est-ce qu'il se contente de remettre le rapport et ensuite de laisser aux autres le soin de l'appliquer ?

M. Decaux : C'est l'inverse La Direction de la Communication assurera le secrétariat du CAEF, et transmettra pour exécution à la SOFIRAD, organisme qui a à son actif des réussites incontestables, ne serait-ce que par exemple le programme de radio au Maroc. Vous parlez du ministre de la francophonie, son destin dans toute cette affaire est assez surprenant. J'ai remis au Premier ministre le rapport qu'il m'avait demandé de faire. Le Premier ministre a proposé de me confier la responsabilité de sa mise en œuvre.

Le Président de la République a demandé si tout le monde était d'accord. Tout le monde était d'accord, donc j'assume la poursuite de cette mission, parallèlement à celle de défenseur de la Francophonie. D'ailleurs, la défense de la Francophonie et la défense de la langue française passent par une offensive télévisuelle mondiale.

Question : A l'heure actuelle, la plupart des œuvres télévisuelles faites en France dans le cadre européen, sont tournées en anglais et en français. Qu'en pense le ministre de la Francophonie ?

M. Decaux : Je ne peux parler qu'à titre personnel, parce que ce sujet n'est pas du ressort d'un Ministère. Je pense que ce sont des choses qui peuvent se faire. Au début du cinéma parlant, on n'avait pas de possibilité de doublage et l'on a tourné, notamment à Berlin, un grand nombre de productions en français et en allemand. Simplement, les acteurs jouaient deux fois et éventuellement on remplaçait les acteurs qui ne possédaient pas les deux langues, on avait deux équipes d'acteurs et c'est ainsi qu'il y a eu des films en double version dans les années 30. Qu'il y ait tournage dans deux langues, ce n'est pas du tout à exclure parce que ça peut en effet diminuer le budget. Encore faut-il qu'au n'en arrive pas à certains excès que, personnellement, je condamne absolument.

Un ami comédien me racontait ceci : se rendant dans les bureaux d'une production, il rencontre la personne, – je vais utiliser le mot hélas employé – chargée du casting. Je dirais plutôt la distribution, mais on dit le casting, le mot distribution est pourtant parfait. Cet ami arrive dans ce bureau, présente ses états de service, c'est un comédien qui n'est pas une vedette, mais enfin quelqu'un qu'on connaît bien dans le métier. On lui dit : « ça ne va pas. Est-ce que vous avez un curriculum vitae ? On va vous écrire ». Il montre son curriculum vitae, qui indique qu'il a débuté dans la vie comme professeur d'anglais, et tout à coup la personne chargée du casting dit « Ah, vous avez été professeur d'anglais, mais alors vous parlez bien l'anglais, on vous engage ». Comment voulez-vous que, là comme Cyrano dans la fameuse tirade, « mon sang ne se coagule pas ? » Engager quelqu'un que l'on refusait parce qu'on estimait qu'il ne ferait pas l'affaire comme comédien, juste parce qu'on apprend qu'il parle l'anglais, ce sont des choses peu tolérables.

Dans la perspective d'EUREKA AUDIOVISUEL, l'association des moyens de production est quelque chose d'excellent, mais il faut absolument éviter que chacun y perde son identité. Cela doit être dit dès le début. Dès avant les premières Assises audiovisuelles du mois de septembre, qui vont être très importantes, il faut que chacun le dise. Au mois de septembre les créateurs et tous les ayants droit vont venir de tous les pays, et il faut que chacun dise : « oui associons nos moyens de production mais que cela ne débouche pas sur des productions inodores, sans saveur, qui pour plaire à tout le monde ne plairont à personne ».

Question : Monsieur le Ministre, encore une dernière question est-ce que la télévision ne vous manque pas trop ?

M. Decaux : Ecoutez, il faut choisir dans la vie. J'ai fait ce métier, j'ai commencé à la radio en 1951, à la télévision en 1956 – je précise que j'ai commencé extrêmement jeune – et c'est une passion qui a accompagné toute ma vie, de même que l'écriture. J'y ai renoncé, on n'y renonce pas absolument de gaîté de cœur, quand on a une telle passion. Elle me hante, je suis hanté par mon vrai métier, mais on m'a dit que je pouvais être utile là où je suis, je l'ai cru.

Je ne me suis pas dérobé et tant qu'on me dira que je suis utile au service de l'État, je le resterai. Quand on n'aura plus besoin de moi, je retrouverai ma plume, je retrouverai peut-être aussi les caméras de télévision.