Déclaration de M. Jean Puech, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la filière "grandes cultures" (céréales et oléoprotéagineux) dans le cadre de la PAC réformée et de la mise en oeuvre des accords du GATT, Paris le 10 novembre 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jean Puech - Ministre de l'agriculture et de la pêche

Circonstance : Assemblée générale de la Fédération française des coopératives agricoles de collecte d'approvisionnement et de transformation (FFCAT) à Paris le 10 novembre 1994

Texte intégral

Monsieur le Président, 
Mesdames, Messieurs, 

Comme l'an dernier, je suis heureux de me retrouver aujourd'hui, parmi vous, à l'occasion de la clôture de votre Assemblée générale. J'ai été très attentif, monsieur le Président, à votre intervention et aux différents problèmes que vous avez soulevés.

Je sais, en effet, que vos entreprises sont directement confrontées aux modifications qui ont été apportées à la politique agricole commune dans le secteur des grandes cultures et qu'elles le seront également dans quelques mois lorsque nous aurons à appliquer les accords conclus lors de la négociation du cycle de l'Uruguay.

J'essayerai donc de répondre à l'ensemble de vos préoccupations tout en esquissant mon analyse et ma vision de ce que devrait être la filière grandes cultures dans les années à venir.

I. – L'Élaboration du nouveau cadre de la politique agricole commune

En l'espace d'un peu plus de deux ans, l'agriculture française et plus particulièrement la filière grandes cultures ont été confrontées à des réformes majeures.

Ces réformes, il a d'abord fallu les appliquer en y apportant, chaque fois que cela était nécessaire, les aménagements indispensables pour les rendre acceptables.

Dans le domaine agricole comme dans les autres secteurs économiques, l'action du Gouvernement s'inscrit dans la durée. C'est pourquoi, je cherche à construire, sinon reconstruire, les fondements de notre politique agricole commune sur des bases solides et cohérentes.

Pour qu'elles soient solides il faut que les bases de notre politique agricole soient durables et acceptées par les agriculteurs.

Notre détermination lors de la négociation du volet agricole du cycle de l'Uruguay n'avait pas d'autre objectif que de préserver les principes de notre politique agricole commune et donc son caractère durable. Comment aurions-nous pu, en effet, accepter des accords internationaux qui nous auraient conduits à remettre en chantier une réforme de la PAC qui avait tout juste un an ?

Il convenait également que cette réforme puisse être mieux comprise pour être acceptée par nos agriculteurs. C'est pourquoi je n'ai pas ménagé mes efforts pour obtenir de la Commission et de mes partenaires de l'Union Européenne les aménagements et les simplifications que chacun s'accordait à reconnaître indispensables. La revalorisation de 27 % de l'indemnisation jachère, l'introduction du principe de la jachère libre, l'octroi d'une aide de 115 Ecus/ha dans les zones de production de blé dur dites non traditionnelles sont autant d'exemples de ma volonté de corriger les imperfections ou les insuffisances de cette réforme.

Sur le plan national, nous n'avons pas, non plus, ménagé nos efforts. Quand le premier pays producteur de céréales et d'oléo protéagineux de l'Union Européenne est également le premier à être en mesure de verser l'ensemble des aides compensatoires dues aux producteurs dès le premier jour légal de versement, c'est bien le signe d'une volonté et d'une mobilisation remarquable de l'ensemble de l'administration française : administration centrale, administration déconcentrée et offices d'intervention.

Concernant la jachère industrielle, mon souci a été d'offrir cette alternative positive à la jachère nue à l'ensemble des agriculteurs. Le système de répartition qui a été mis en place a ainsi permis de multiplier pratiquement par trois le nombre de bénéficiaires.

La réforme de la PAC, pour être durable, devait être acceptée mais elle devait également avoir un fonctionnement cohérent.

Ce souci de cohérence, c'est-à-dire le rappel des objectifs de la réforme de la PAC, j'ai dû y faire référence au cours du dernier Conseil des Ministres qui s'est tenu à Luxembourg.

En effet, notre demande de réduction substantielle des taux de jachère dans l'Union Européenne n'a pas été partagée d'emblée par nos partenaires. Ainsi, alors que des paramètres objectifs – comme la baisse importante des stocks communautaires de céréales, la réduction de la production mondiale de blé, des prix de marché intérieurs qui freinaient le mouvement de reconquête de la part des céréales dans l'alimentation animale ou bien encore une demande mondiale très active –, conduisaient tout naturellement à décider une reprise de la production dans l'Union Européenne, plusieurs de nos partenaires semblaient avoir oublié à la fois les objectifs de la réforme de la PAC mais également les résultats que nous avions obtenu après de difficiles négociations dans le cadre du GATT.

C'est pourquoi, la baisse de trois points des taux de jachère, c'est-à-dire la réduction de 20 % des terres arables mises hors production dans l'Union Européenne, décidée par le Conseil le 25 octobre dernier a une double signification : c'est bien sûr une décision positive pour nos agriculteurs mais c'est également une décision importante pour le respect de la cohérence de notre nouvelle politique agricole commune.

Ce travail de construction, je dirais même de refondation est loin d'être achevé. Vous avez, monsieur le Président, mis en évidence certains points qui méritent efficacement notre vigilance.

II. – La mise en œuvre des accords du GATT

L'avenir et la pérennité de la production de céréales et d'oléo protéagineux dans l'Union Européenne notamment en France sont très clairement liées aux conditions de mise en œuvre du volet agricole du cycle de l'Uruguay dans notre politique agricole commune.

La France a très clairement précisé sa position. Celle-ci figure d'ailleurs en bonne place dans le mémorandum que j'ai remis à la Commission le 8 septembre dernier.

Cette position je la résumerai de la façon suivante :

Il revient tout d'abord au Conseil des ministres, c'est-à-dire à l'enceinte politique des institutions européennes, de définir très précisément les conditions de mise en œuvre des accords du GATT dans notre politique agricole commune. Cette position ne signifie pas une remise en cause des compétences de la Commission mais seulement le souci légitime de faire prendre par le Conseil des décisions qui ont fait l'objet, en leur temps, d'un compromis politique au plus haut niveau.

Il convient par ailleurs de veiller à ce qu'aucune décision défavorable à l'activité commerciale de nos opérateurs ne soit prise, si ces décisions ne découlent pas directement des engagements internationaux auxquels nous avons souscrit. 

Enfin, il m’apparaît indispensable que tout au long de la procédure en cours, les deux principes essentiels de préférence communautaire et de vocation exportatrice de l'Union Européenne soient scrupuleusement respectés.

Dans cet esprit, je serai particulièrement vigilant à ce que les équivalents tarifaires qui seront appliqués aux importations de céréales soient calculés avec soin, afin de préserver la préférence communautaire, et par ailleurs, que les règles afférentes aux exportations ne soient pas des freins à notre dynamisme commercial.

III. – Les politiques d'accompagnement

a) les entreprises coopératives

Les réformes évoquées précédemment ont eu des conséquences directes sur l'activité de vos entreprises coopératives.

Les mouvements de concentration et de restructuration qui ont touché les organismes de collecte et de stockage du secteur céréales et oléo protéagineux ne datent pas seulement de l'avènement de la réforme de la PAC. Ces mouvements sont antérieurs et répondaient à des nécessités économiques. Mais il est clair que les conséquences de la réforme de la PAC ont accentué ces tendances lourdes propres à votre secteur.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le Président, les Pouvoirs Publics ne sont pas restés de simples spectateurs face à ces bouleversements. L'État est intervenu pour accompagner les adaptations auxquelles vous deviez faire face.

Ainsi, un plan sectoriel a été élaboré par la Direction Générale de l'Alimentation pour soutenir des programmes d'investissements matériels destinés à améliorer la qualité des produits et des prestations se retrouvant aux différents niveaux du cycle de travail des grains (réception, conservation par stockage dans de bonnes conditions après classement des lots, par exemple).

L'éligibilité des projets passe par la mise en œuvre de plans de restructuration des opérateurs concernés afin qu'ils s'adaptent, si ce n'est déjà fait, aux nouvelles conditions économiques.

Sur la période 1994/1995, il est prévu de prendre en compte annuellement 50 MF d'investissements susceptibles d'être aidés par la POA et le FEOGA.

b) La filière semences – variétés végétales

Concernant la question des semences végétales, je voudrais revenir sur ce que vous avez appelé votre « déception » provoquée par mon intervention au Congrès de l'AGPB au Touquet.

Comme vous le savez, la France a demandé, en son temps, à la Commission, d'étudier les conséquences de la réforme de la PAC sur la filière semences-variétés végétales. À ce jour, la Commission n'a fait état d'aucun rapport et d'aucune proposition au Conseil. Nous réitérerons donc notre demande, lors de notre prochaine réunion à Bruxelles.

En effet, je suis très attaché, comme vous-même, à la préservation de cette filière, si nous souhaitons poursuivre nos efforts de compétitivité. Mais s'agissant d'une aide à l'utilisation de semences certifiées je dois vous rappeler qu'aucune solution n'est envisageable si celle-ci n'est pas de nature communautaire. En d'autres termes, une aide purement nationale serait contraire au droit communautaire tel que défini dans le traité de Rome.

En revanche, et vous l'avez rappelé dans votre intervention, monsieur le Président, le Conseil des Ministres de l'Agriculture a adopté en septembre dernier une nouvelle réglementation sur le régime juridique de la protection des obtentions végétales. Ce règlement permet à la fois de reconnaître le privilège du producteur mais également dispose que les utilisateurs de semences de ferme sont soumis, dans certaines conditions, à une contribution financière pour le devenir de la filière. S'agissant de relations qui relèvent du droit privé, il vous revient donc, entre obtenteurs, producteurs, négociants et coopératives de mettre en œuvre des formules adaptées. Notre appui, en tant que puissance publique, s'il se révèle nécessaire, vous est acquis.

c) Le développement des utilisations non alimentaires des produits agricoles

La France a été le principal artisan à Bruxelles de la mise en place d'une jachère industrielle qui puisse offrir aux agriculteurs une alternative intelligente à la jachère nue. Dans ce domaine, l'État a pris des décisions substantielles que ce soit en matière fiscale, ou sur le plan réglementaire, pour rendre attractif ce régime, et permettre un vrai développement de cette filière.

Nous avons notamment banalisé les carburants incorporant de l'ester de colza ou de l'ETBE ; nous avons ouvert dans les faits l'incorporation de l'ester de colza dans le gazole : surtout, nous avons pris des décisions de défiscalisation qui rendent financièrement possibles, pour les agriculteurs, la jachère industrielle et, pour les industriels, la commercialisation des produits qui en sont issus.

J'ai bien compris, M. le Président, votre souhait de voir s'opérer le développement de la jachère industrielle dans un cadre stable. Ce souci est avant tout lié à la notion des investissements qu'il faut mettre en œuvre. Votre attachement à ce cadre stable est d'autant plus grand que les organismes stockeurs sont confortés par le surcroît d'activité et de rentabilité que leur procure la production issue des jachères industrielles.

Ce souci de stabilité est partagé par le Gouvernement. Je vous rappelle notamment que la défiscalisation, limitée dans le temps à l'origine, a été pérennisée. Les mesures arrêtées ont été avant tout mise en place au bénéfice des agriculteurs, de manière à réduire le traumatisme qu'avait provoqué la jachère nue.

Il n'était évidemment pas possible que le bénéfice de ces mesures soit concentré uniquement autour des outils industriels futurs ou existants. Ce principe, qui a conduit le Gouvernement à demander à Bruxelles l'équivalence entre le colza et le tournesol, m'a également conduit à mettre en place un système équitable et transparent de répartition des hectares de jachère industrielle pour l'ensemble du territoire national.

Cette option est à mes yeux définitive car elle correspond à un souci d'équité. La répartition de ces hectares, fixée à 275 000 pour la campagne en cours, a permis de répondre aux besoins exprimés par chaque agriculteur. Elle a également assuré à chaque organisme collecteur des surfaces suffisantes pour respecter les engagements contractuels qui avaient pu être conclus avec les entreprises d'estérification.

Je souhaite donc maintenant que l'ensemble du dispositif se mette en place : c'est l'intérêt des industriels ; c'est celui des agriculteurs et c'est aussi celui des organismes stockeurs.

d) Allègement des procédures et simplification

Vous avez, monsieur le Président, soulevé à plusieurs reprises les problèmes liés aux lourdeurs administratives des réglementations communautaires mais aussi parfois des réglementations nationales.

J'ai bien noté vos appels en direction de mon collègue du Budget. Je ne manquerai pas de le saisir sur les différentes questions que vous avez posées.

Concernant la réglementation communautaire et notamment celle qui concerne l'application de la jachère industrielle, je puis vous assurer de ma détermination à convaincre la Commission d'alléger et simplifier, autant que faire se peut, les contraintes administratives qui pèsent sur les agriculteurs de l'Union Européenne.

Ce dossier général de simplification des règlements de la politique agricole commune a fait l'objet de plusieurs mémorandum tant français qu'allemand ou britannique, et il est en cours d'examen dans le cadre du Conseil. Ce thème constituera, en tout état de cause, une de mes priorités lorsque j'aurai à assurer la présidence du Conseil des Ministres de l'Agriculture à partir du 1er janvier prochain.

e) Les garanties à apporter aux agriculteurs contre les aléas du marché

La réforme de la politique agricole commune a eu pour effet, notamment dans le secteur des oléagineux, à exposer les producteurs et les collecteurs aux aléas du marché mondial. Ceci n'est pas en soi une contrainte insurmontable. II existe, en effet, des mécanismes qui permettent de se protéger contre ces aléas. A cet égard, je voudrais saluer la mise en place d'un marché à terme pour le colza que j'ai eu l'honneur d'inaugurer en octobre dernier à Paris. C'est ce type d'instrument, certes plutôt méconnu jusqu'à présent dans le monde agricole, qu'il convient d'encourager et de faire connaître. Ces nouveaux instruments concourent à la modernisation de notre agriculture.

IV. – Les perspectives d'avenir

Je voudrais avant de conclure mon intervention esquisser en quelques mots ma vision de l'agriculture européenne et française pour les prochaines années – notamment dans le secteur des grandes cultures.

Cette vision s'inscrit à la fois dans les idées développées dans notre mémorandum ainsi que dans le contenue de la loi de modernisation qui va être discutée par les deux assemblées avant la fin de l'année.

Il s'agit de la double mission que je veux assigner à l'agriculture française et je l'espère à l'agriculture européenne la mission économique et la mission d'occupation de l'espace rural. Ces deux missions vont de pair, elles ne sont pas exclusives l'une de l'autre.

Concernant la filière grandes cultures et vos entreprises, je pense tout d'abord à la mission économique fondée sur la recherche de la performance et de la compétitivité.

Ces concepts ne sont pas des vœux pieux ou de circonstance... Ils vont devenir, de plus en plus, des données incontournables pour la pérennité de la place de la céréaliculture européenne et française sur les marchés mondiaux.

Quand je parle de vocation exportatrice de l'agriculture, je ne signifie pas que l'État protégera artificiellement des flux exportations vers les pays tiers, mais je veux dire que notre agriculture et notre céréaliculture possèdent intrinsèquement, les atouts suffisants pour relever la compétition avec nos principaux concurrents internationaux au premier rang desquels les États-Unis.

Allègements des charges, allègement des réglementations parfois stérilisants, bien sûr ; mais aussi gain de productivité tout au long de la filière qui va du producteur jusqu'au consommateur final en passant notamment par vos entreprises de collecte et de transformation. 

La compétition économique est, plus que jamais, là présente à nos portes. Je suis convaincu que vous saurez la gagner.