Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale, à RMC le 22 octobre 1998, sur les revendications des lycéens et la gestion des lycées par les régions.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q - Le plan Allègre : les lycéens se sont dit mi-déçus, mi-satisfaits.

- « Je crois qu'ils sont plutôt déçus que satisfaits. Ils doivent s'interroger aujourd'hui : est-ce que leurs manifestations ont été utiles ? Je crois qu'ils n'ont pas obtenu ce qu'ils voulaient. Ils voulaient plus de professeurs pour des classes moins chargées, et on leur fait un plan un peu bricolé, avec très peu de réponses humaines, très peu d'encadrement pédagogique. »

Q - 14 000 personnes...

- « Ils veulent de l'encadrement ; ils veulent des réponses humaines avec de la compétence ; ils veulent que la convivialité dans le lycée s'appuie sur une politique culturelle, une politique sociale, une véritable animation dans le lycée, pour une vie lycéenne plus ouverte. Et là, je ne crois pas que l'on fait l'effort nécessaire à cette convivialité dans le lycée. Ce n'est pas parce qu'on rajoute un peu de parpaing et un peu de béton qu'on règle les problèmes. »

Q - 14 000 personnes ce n'est pas du parpaing ni du béton !

- « Non, mais 14 000 personnes qui ne sont pas, en tant que telles, qualifiées en matière de relations humaines, d'encadrement pédagogique. On fait de l'accompagnement, mais on ne traite pas le problème au profond. Je crois que la réponse est tactique ; elle n'est pas une réponse d'avenir. C'est une réponse un peu archaïque. Au fond, on est un peu déçu parce qu'on avait le sentiment que l'analyse de M. Allègre était moderne mais sa réponse est archaïque. »

Q - Toujours partisan des formules, vous ! Pour le reste : comment réagit le président de région que vous êtes « au cadeau », entre guillemets, qui est fait aux régions ?

- « Franchement, on est à RMC, c'est un peu le soleil, et il faut sourire un peu quand même, parce qu'il fait un cadeau avec notre argent. C'est assez socialiste : je fais des promesses avec l'argent des autres. Donc il dit, au fond : les régions, vous allez emprunter, et puis moi je vais payer les taux d'intérêt. En ce moment vous savez que les taux d'intérêt son assez bas. Donc le cadeau n'est pas très élevé. Au fond, il annonce 4 milliards. Mais ça va lui coûter quoi ? J'ai le calcul pour Poitou-Charentes : ça fait une dizaine de millions. Une dizaine de millions par région, c'est-à-dire, grosso modo, sur les 5 ans qui viennent : il donne un petit bonus pour qu'on fasse 5 % de travaux supplémentaires. C'est une goutte d'eau ! Donc je crois qu'on n'a pas là, la réponse à ce qu'on attendait, c'est-à-dire une vraie réflexion sur le lycée de l'an 2000 ; sur ce que nous devons faire dans les constructions de lycées pour l'avenir, pour que la vie lycéenne soit plus ouverte. Mais là, il y a, je crois, un déficit. »

Q - Revenons juste à l'enveloppe dont vous parlez : c'est arrivé à d'autres par le passé - à votre majorité -de faire des cadeaux bonifiés aussi ?

- « C'était surtout arrivé à M. Jospin en 90 ; c'était surtout sa grande idée. Mais là où ils sont assez malicieux quand même, c'est qu'en 90 les taux d'intérêts étaient élevés alors que là, les taux d'intérêts ne sont pas très élevés. Alors faire de la bonification quand les taux d'intérêts sont bas, ça ne coûte pas cher à l'État. Au fond, ils nous font quand même quelque chose d'assez extraordinaire, parce que l'État annonce et les régions remboursent. Voilà le programme social. »

Q - Si les régions avaient fait leur travail, si les lycées étaient en bon état, s'il y avait ce qu'il fallait, est-ce que les lycéens seraient descendus dans la rue ?

- « Si vous n'étiez pas une radio aussi implantée régionalement, je serais aller voir en province. Mais je sais qu'ici, à RMC, on est attaché à ce qui se passe dans les régions. Regardez ce qui s'est fait ! Je prends un exemple : sur l'année 1998, vous savez combien on a mis d'argent dans les lycées ? On a mis 19 milliards ! Et vous savez combien l'État nous a donné pour faire ce travail ? 8 milliards ! 11 milliards de dette de l'État sur les régions. »

Q - C'est votre responsabilité !

- « Oui, mais la responsabilité dans la décentralisation, selon le grand G. Defferre. Que disait-il le grand G. Defferre ? Il disait : transferts de compétences, mais pas transfert de la charge. L'État ne doit pas transférer ses charges aux collectivités. C'est à dire que l'État doit veiller à ce qu'à la compétence correspondent des budgets. Or nous avons la compétence et nous n'avons pas les budgets. Et donc c'est effort est fait par les parents, par les régions, il est fait par la fiscalité régionale. Et aujourd'hui, il y a un déficit terrible de l'État dans ce travail-là ! Donc les régions font leur travail. Savez-vous - depuis 1986, que nous avons cette compétence - combien de lycées neufs nous avons fait, dans toute la France ? 500 lycées neufs. »

Q - Et les lycéens défilent...

- « Parce qu'ils veulent des profs ! Parce que dans ces belles classes, souvent dans ces ensembles, dans ces équipements que nous avons fait, il n'y a pas d'enseignants. J'ai l'exemple dans la région. Un self, un restaurant de lycée superbe : ce self est fait pour travailler deux heures et demi. Et parce qu'il n'y a pas assez de profs on fait manger tout le monde en une demi-heure. Donc, on a un très bel équipement qu'on utilise mal. C'est ça le problème de l'éducation. Il faut que les moyens soient au niveau du lycée. »

Q - Vous avez aussi vu, comme nous, les photos des gens qui attendent dans les couloirs parce qu'il n'y a pas de salles. Ce ne sont pas des problèmes de salles qui manquent ?! Vous le savez bien, franchement !

- « Non, je peux vous dire très franchement, je vous le dis vraiment : j'ai rencontré beaucoup de délégations lycéennes ; les problèmes de locaux ne sont pas leur première préoccupation. Ils veulent de l'humain avant d'avoir du matériel. Il faut, certes, faire encore des choses ; il est évident qu'on a besoin, en termes d'informatique, de plus d'équipements, il nous faut ces efforts. Et moi je suis prêt à ce qu'on se mobilise davantage. Il faut vraiment répondre à cette colère de la jeunesse par des choses concrètes. Donc je suis prêt à ce qu'on fasse des efforts pour l'informatique, pour les langues étrangères, pour les équipements sportifs. Il faut qu'on se mobilise. Mais qu'on ne dise pas qu'aujourd'hui la revendication première de la jeunesse c'est du matériel. La vraie revendication concerne, un : une vie lycéenne plus humaine ; et deux : une insertion professionnelle plus efficace. »

Q - De ce point de vue - parce qu'on entend de tout dans l'opposition : des applaudissements, des critiques - que pensez-vous des choix de M. Allègre ?

- « “Applaudissements”, il ne faut pas exagérer ! »

Q - Si ! Juppé, Barre, Madelin...

- « Oui. Disons que la démarche de C. Allègre  n'est pas antipathique. C'est vrai que... »

Q - Ce n'est pas une question de sympathie. Est-ce que c'est intéressant, ça va dans le bon sens ?

- « C'est intéressant, c'est ce que je veux dire, ça va dans le bon sens. Parce que c'est plus de décentralisation ; c'est plus de déconcentration ; c'est plus d'autonomie du lycée. Donc tout ceci va dans le bon sens. Mais c'est pour cela qu'on est un peu déçu, parce que l'analyse est moderne, mais la réponse est archaïque. Donc il faudrait quand même qu'on ait une transformation du mammouth. Parce qu'il va chercher l'argent dans la poche des régions, mais vous ne croyez pas qu'il y a de l'argent qui dort dans le mammouth ? Donc c'est là qu'on l'attend un peu. Aujourd'hui, le mammouth accouche d'une souris. Mais il faudrait qu'on aille chercher dans le mammouth des moyens financiers. C'est une meilleure répartition des moyens à l'intérieur du mammouth qu'il faut !

Q - Et M. Jospin, que pensez-vous de la manière dont il dirige la France ?

- « Je pense que, ces derniers temps, un phénomène important est arrivé : M. Jospin est entré en campagne présidentielle. »

Q - Il était candidat à la présidentielle en 95...

- « Voilà. Mais il a commencé ses 18 premiers mois en étant le Premier ministre de la France. Et maintenant on le voit, il est candidat. On le voit partout ; il commence à travailler les catégories socioprofessionnelles, les unes après les autres ; il vient de nommer M. Glavany - ancien chef de cabinet de M. Mitterrand - à l'agriculture ; aujourd'hui il va parler devant les artisans. Il décline toutes les catégories professionnelles. Nous avons un Premier ministre candidat. Il faut bien qu'on comprenne cela. Aujourd'hui, M. Jospin est dans la perspective où il pense à son avenir personnel. Je crois que c'est préoccupant. Je prends l'exemple des artisans... »

Q - Ce n'est pas le cas de M. Chirac, par exemple ?

- « M. Chirac, lui, a une position qui est complètement différente. Il n'est pas aux manettes quotidiennes, il est en charge de l'essentiel. M. Jospin, lui, à le travail de mécanicien au quotidien à effectuer. Si vous prenez, par exemple, le dossier de l'artisanat : il fait campagne sur les 35 heures, et moi je crois que c'est une faute très grave ; les 35 heures c'est l'asphyxie de l'artisanat. Je ne vois pas comment un boulanger, un pâtissier, un boucher, un charcutier aujourd'hui, peut - face aux grandes surfaces, face à toutes les pressions qu'il a à affronté - gagner cette compétition avec 35 heures ? Je pense qu'il y a là, vraiment, une menace très grave sur l'artisanat. »