Texte intégral
En décembre dernier, nous insistions dans ces colonnes sur la nécessité de concilier la juste rétribution du travail des salariés et la création d'emplois. Le conseil confédéral puis le bureau ont confirmé cet objectif en adressant aux fédérations et aux unions départementales leurs préconisations sur les salaires.
Les négociateurs CFTC s'efforceront d'obtenir un redressement des minima conventionnels pour 1995 et au minimum dans les entreprises la garantie du maintien du pouvoir d'achat pour tous. De plus, les salariés doivent recevoir leur part des gains de productivité et de compétitivité auxquels ils ont contribué. C'est la notion de juste salaire, qui ne saurait être valablement contestée au nom de l'emploi. Ce gain de pouvoir d'achat peut se faire sous la forme de salaire ou de réduction du temps de travail. La participation et l'intéressement sont aussi des moyens de partager les gains de productivité en consolidant l'avenir.
Une période de décisions va s'ouvrir.
La période qui s'ouvre va être plus favorable aux décisions. Sans attendre tout des dirigeants politiques, nous devons être prêts à agir auprès du nouveau président de la République afin d'obtenir les bonnes décisions. De son côté le CNPF vient de désigner son nouveau Président, Jean Gandois, qui n'a pas fait mystère de son intention de redonner corps au dialogue avec les confédérations.
Au cours de la récession de 1993, chacun a pris conscience des dégâts que peut causer une économie libérale mondialisée dans une Europe en quête d'unité économique et monétaire. Au moins confusément, chacun se rend compte qu'il est grand temps de reprendre le contrôle de l'évolution sociale. Or, la croissance revenue dégage les marges de manœuvres nécessaires à l'action de redressement.
C'est pourquoi, notre proposition d'un engagement ou d'un contrat collectif entre partenaires sociaux pour l'emploi et la protection sociale devient de plus en plus opportune.
Revitaliser la politique contractuelle
L'année 1995 doit donc être une année de revitalisation de la politique contractuelle. Bien entendu, les questions liées à l'emploi sont les toutes premières à mériter un réveil de la négociation à tous les niveaux. Depuis septembre dernier, par le canal de la lettre confédérale, les militants sont invités à demander, dans leur entreprise et leur administration des discussions ou des négociations sur les moyens de sauver ou de créer des emplois, notamment en mettant à profit les gains de compétitivité et de développement de la production ou des services.
Dans un autre domaine, les partenaires sociaux doivent d'urgence s'accorder sur les perspectives d'avenir de la protection sociale. Des discussions bilatérales entre le patronat et les syndicats doivent, le plus vite possible, permettre d'établir une base de discussion avec les Pouvoirs publics. Le Conseil confédéral de la CFTC appelle les quatre confédérations réformistes à en faire la proposition au CNPF, dans un esprit de négociation. Les fondements du système français de protection sociale doivent être réaffirmés, avec une répartition plus claire des responsabilités entre l'État et les partenaires sociaux, aux différents échelons nationaux, régionaux et locaux, dans un esprit de subsidiarité.
Le "Livre blanc sur l'assurance maladie" constitue par exemple une base intéressante de discussion parce qu'il n'oppose pas qualité et gestion, même si telle ou telle proposition précise est contestable. La CFTC s'est prononcée pour un plan de cinq ans négocié entre les partenaires sociaux et l'État. La question de recettes nouvelles ne peut se poser qu'après que cet effort de redressement ait été engagé.
Ainsi, de grands chantiers peuvent s'ouvrir entre patronat et syndicats, sur l'emploi et la protection sociale. Compte tenu des différences d'options entre les confédérations, la CFTC, par l'équilibre de ses positions, peut jouer un rôle charnière tout à fait essentiel, au service du bien commun.
Alain Deleu
Paris, le 9 janvier 1995
La CFTC a eu ce jour un entretien approfondi avec le nouveau président du CNPF, Jean Gandois. La délégation confédérale conduite par son président, Alain Deleu, a insisté sur la nécessité de relancer la politique contractuelle à ses différents niveaux. Elle a proposé la mise au point, dans les meilleurs délais et en tout cas avant les présidentielles, d'un document paritaire d'orientation générale sur l'emploi et la protection sociale, complété par l'ouverture de négociations sur des thèmes spécifiques. Elle a également demandé que les partenaires sociaux soient capables de suivre et de maîtriser ensemble l'actualité sociale, comme par exemple la question du logement social aujourd'hui, quitte à mettre sur pied une cellule de suivi.
La CFTC demande que la négociation permette de combattre la fragilisation des salariés due aux déréglementations, grâce à une consolidation et une simplification du droit social.
En matière d'emploi, la CFTC a insisté pour qu'une discussion s'engage en priorité sur l'emploi des jeunes, qui est un des problèmes les plus graves, mais aussi sur la gestion de la carrière des femmes et des cadres, étant entendu qu'il faut cesser d'opposer salaires et emploi. Elle a insisté pour que tous les moyens dont disposent les partenaires sociaux dans le cadre de l'Unedic soient mis en œuvre pour faire reculer le chômage de longue durée et pour enrayer le glissement dons l'exclusion.
À propos de la protection sociale, la CFTC a demandé que le CNPF affirme clairement avec ses partenaires syndicaux leurs missions et leurs rôles dans les régimes de protection sociale. C'est un sujet sur lequel la discussion promet d'être serrée car le CNPF semble toujours s'interroger sur le degré de son engagement dans des régimes comme l'assurance-maladie et la branche famille.
À propos de l'Europe, la CFTC a insisté pour que la période de présidence française permette de faire avancer la solution du problème posé par le refus britannique de participer à l'Europe sociale.
Paris, le 12 janvier 1995
Retraite complémentaire des cadres : la CFTC demande au CNPF la réouverture des négociations
De vives protestations parmi les cadres retraités ont marqué la mise en œuvre des dispositions de l'accord du 9 février 1994 sur le régime de retraite complémentaire de l'AGIRC, dont les services reçoivent actuellement des centaines de lettres de protestation.
Deux mesures principales sont à l'origine de ce mécontentement : l'application aux retraites d'un abattement sur la majoration de points pour enfants, et le report de 50 à 60 ans de l'âge de réversion des veuves. La CFTC s'était opposée vigoureusement à l'introduction de dispositions antifamiliales dans cet accord.
Dans une lettre datée du 11 janvier, la CFTC vient de demander à Jean Gandois la réouverture des négociations sur les dispositions contestées. "La montée des protestations place les organisations qui ont voulu ces modifications et l'ensemble des signataires devant une situation nouvelle", précise Alain Deleu au président du CNPF. Nous pensons que la réouverture d'une négociation sur ces questions manifestait la capacité des partenaires sociaux de s'adapter aux réalités et de maîtriser l'actualité sociale.
La vague de contestation actuelle n'est pas une surprise pour la CFTC, qui espère que ce nouveau contexte sera l'occasion pour les partenaires sociaux de renégocier un accord particulièrement contestable.
6 au 13 février 1995
La Vie à Défendre
Va-t-on réformer de fond en comble la "Sécu" ? Le faut-il vraiment ? Que faut-il défendre ?
Avant même que les candidats à la magistrature suprême n'aient annoncé leurs intentions, les manifestations "pour la sécurité sociale" se succèdent. À la télévision, encore sous le coup des images des catastrophes naturelles et des guerres à travers le monde, nous avons même entendu qu'il fallait nous tenir prêts à la grève générale.
Nous savons être critiques. Nos administrateurs, nos agents de la Sécurité sociale, sont bien placés pour connaître les pesanteurs du système. Et pour s'y attaquer.
L'universalité des bénéficiaires remet parait-il en cause la légitimité des syndicats d'employeurs et de salariés pour gérer la "Sécu". À quels fantômes ou à quels faux nez va-t-on passer les clés ? Dans quel but ? La démocratie y gagnera-t-elle ? Va-t-on s'en remettre à l'État-providence ?
Nous ne roulons pour personne. C'est pourquoi nous refusons que les débats sur les structures abritent des luttes de pouvoir.
Le régime général et les régimes complémentaires de retraite ont déjà largement entrepris leur dure adaptation aux réalités, pour cause de chômage et de déclin démographique. Les négociations avec les médecins commencent à porter leurs fruits. La question hospitalière est la plus délicate car il s'agit de rétablir partout sur le territoire la qualité au meilleur coût. Par ailleurs, la branche famille perdrait ses chances d'avenir en basculant dans le giron de l'État, c'est-à-dire de Bercy.
Il y a une urgence pour la "Sécu". C'est la réunion prochaine entre le CNPF et les cinq confédérations. Il faudra y décider de ce que nous voulons faire, ensemble. C'est pourquoi nous avons proposé à nos partenaires réformistes de nous réunir pour préparer ce rendez-vous avec le CNPF. Après les manifestations séparées, il faudra négocier ensemble.
Avril 1995
La Vie à Défendre
Le 28 février dernier, les organisations syndicales et patronales se sont rencontrées au siège du CNPF. Cette initiative de Jean Gandois répondait positivement à la demande que lui avait adressée la CFTC au lendemain de son élection, en janvier dernier, à la présidence du CNPF.
Au moment où les négociations s'engagent, "La Vie à Défendre" a demandé à Jacques Voisin d'en rappeler les enjeux. L'analyse de la CFTC.
La rencontre des partenaires sociaux le 28 février dernier au CNPF fut remarquée par tous les observateurs avertis comme un véritable événement, une démarche sans précédent. C'est en tout cas une rencontre historique. Mais les intentions ont besoin d'actes si nous voulons répondre effectivement aux nombreuses attentes. Les partenaires sociaux ont créé l'événement en manifestant unanimement leur volonté de renouer avec le dialogue social. Nous réclamions pour ce qui nous concerne un engagement ferme, précis et coordonné des organisations patronales et syndicales sur toutes les questions sensibles autour de l'emploi, des conditions et de l'organisation du travail, de la protection sociale. En choisissant ces thèmes et en se fixant des échéances, les partenaires sociaux amorcent en effet une démarche sans précédent.
Le CNPF, sous l'impulsion de son nouveau président, vient semble-t-il d'amorcer un tournant. Trop longtemps préoccupé à gagner des libertés économiques, reléguant au second plan le social, il crée la surprise en partageant le souhait commun de développement social. Les intentions doivent maintenant se transformer dans des actions. Les négociations qui s'ouvrent affichent cette ambition. Le plus difficile est devant nous, même si le fer est chaud. L'emploi est au cœur des débats, les jeunes attendent et les chômeurs désespèrent.
À l'initiative de la CFTC, la négociation s'ouvrira sur un travail paritaire déjà engagé sur l'insertion des jeunes. Il s'agira de faciliter l'intégration des jeunes sans emploi. L'examen nécessaire des dispositifs existants devra s'attacher à mieux cibler les publics sans contrarier ou déstructurer les emplois comme c'est aujourd'hui trop souvent le cas. Le contrat de travail normal devient l'exception.
Les dispositifs nécessaires ont aussi servi de prétexte. Il faut adopter des règles simples séparant, par exemple, l'orientation de l'insertion, au plus près des conditions normales d'emploi en associant autant que de besoin, la formation alternée dans une démarche qualifiante reconnue. Nous avions qualifié les négociations de juillet denier d'inachevées. Celles qui s'ouvrent aujourd'hui, auront-elles assez d'ambition pour répondre aux attentes ?
Le choix de "l'organisation du travail" comme autre thème de négociation est tout aussi délicat. Le sens des mots permet toutes les interprétations, même les plus opposées, allant de la mise en œuvre de toutes les formes de flexibilité, de dérégulation, sous prétexte d'emploi, à un aménagement négocié des temps de travail dans un cadre réglementé qui allie les intérêts et les besoins de l'entreprise mais aussi des salariés. Ce que l'on pourrait appeler le temps de travail social doit aussi apporter une réponse à l'emploi.
Que veut dire, par ailleurs, "temps choisi" et quelles en sont les conditions ? Les pratiques en la matière nous forcent à être extrêmement réservés, même si l'idée nous intéresse. Comment y associer l'amélioration des conditions de travail quand nous savons, là aussi, que nous tenons de tristes palmarès ?
C'est pourtant une occasion de franchir ensemble de nouveaux pas. Nous devons prendre notre place en organisant d'abord les cadres et les niveaux de négociations, en impulsant la négociation au niveau des branches professionnelles, puis dans les entreprises. Ainsi, la question tout aussi sensible de la réduction du temps de travail, de ses effets sur l'emploi, de ses conséquences sur les salaires, pourra également être abordée.
Les questions plus spécifiques à l'encadrement seront aussi mises en chantier. Au-delà de la gestion de l'emploi, de l'évolution du "management" dans les entreprises, on voit bien la nécessité d'aborder les conditions d'emploi de l'encadrement. Leur place et leur spécificité dans l'organisation de l'entreprise ne doivent en aucun cas jouer contre eux ou même les marginaliser, qu'il s'agisse entre autres de l'emploi, des conditions et de l'organisation et du temps de travail, cela les concerne. L'entreprise est une entité où chacun doit être pleinement reconnu à sa place.
Viendra bientôt le moment d'aborder l'épineux dossier de la protection sociale. Nous sommes particulièrement attachés à ce que les partenaires sociaux s'en saisissent. Les tentations sont toujours pour certains de nos partenaires, et en premier lieu le CNPF, de laisser faire l'État. Il faut mesurer tous les dangers d'un tel abandon de responsabilité paritaire.
Qui décidera de la politique familiale, de la politique de Santé, de droit et des niveaux de retraites ? Qui paiera ? Sur ce dernier point en particulier, ne nous faisons pas trop d'illusion. Il faut laisser à ceux qui participent le soin de peser sur les décisions. La responsabilité des entreprises dans les financements doit être préservée, de même que la responsabilité de gestion dans tous les régimes.
La voie semble être prise pour que les partenaires sociaux s'engagent ensemble sur des réponses concrètes. Voilà au moins une étape de franchie qui méritait effectivement d'être relevée. Le glissement des responsabilités vers l'État n'est que démission ou soumission.
Il est vrai que nous ne prenons pas le parti le plus simple. "La critique est aisée, l'art est difficile". Mais c'est notre devoir pour que chacun ait sa place.
Jacques Voisin
28 mars 1995
La Vie à Défendre
Communiqué
Négociations patronat-syndicats : la route vers l'emploi est encore longue
À l'issue de la rencontre patronat-syndicats de ce 28 mars, la CFTC note avec satisfaction la reprise, parmi les dossiers prioritaires, de l'emploi des jeunes. Après avoir "ferraillé" pendant un an sur la question des jeunes, la CFTC espère vivement que le groupe de travail lancé désormais sur ce sujet reprendra avec succès la démarche interrompue en juillet 1994. Au cours des prochaines discussions la CFTC insistera particulièrement sur la situation des jeunes diplômés sur le marché de l'emploi, et celle des jeunes sans aucune qualification professionnelle.
La CFTC note la faible ouverture du CNPF sur la réduction du temps de travail, envisagée comme un vecteur de création d'emplois. Il ne suffit pas de dire, comme le fait le CNPF, que négocier sur la réduction ou l'aménagement du temps de travail est du ressort de l'entreprise. Il importe encore de relancer la dynamique de la négociation de branche, par un engagement ferme du CNPF en faveur de la réduction du temps de travail, partout où celle-ci est possible et créatrice d'emplois.
Seules mesures d'aménagement du temps de travail retenues par le CNPF : le temps partiel, les heures supplémentaires, les préretraites progressives… Trois pistes de travail utiles et nécessaires, certes, mais dont la modestie a de quoi décevoir un chômeur dans l'attente d'un vrai engagement. Ce 28 mars, l'on n'a pas vu naître l'ombre d'un premier emploi.