Déclaration de M. Bernard Bosson, ministre de l'équipement des transports et du tourisme, sur les grandes orientations de la politique du transport aérien dans la perspective de la déréglementation européenne, à l'Assemblée nationale le 20 décembre 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Bernard Bosson - Ministre de l'équipement, des transports et du tourisme

Circonstance : Communication du gouvernement à l'Assemblée nationale sur le transport aérien en Europe le 20 décembre 1994

Texte intégral

I. – Le transport aérien français a pendant des années fait le grand écart entre un environnement international en pleine mutation et un discours interne à nos compagnies qui dissimulait cette réalité. 

1. – Un environnement international en pleine mutation. 

En dix ans le secteur est passé d'un contexte hyper réglementé et donc protégé à une situation de quasi concurrence sauvage. 

Cette évolution partie des États-Unis a gagné de proche en proche tous les grands pays aéronautiques. 

L'Europe n'est pas en reste dans ce bouleversement du paysage aérien. Le Gouvernement précédent a accepté à Bruxelles en 1992 une libéralisation totale du transport aérien nous plongeant dans la concurrence la plus totale sans progressivité ni maîtrise de la concurrence par une harmonisation des conditions de concurrence permettant qu'elle acquière un caractère à la fois loyal et sain. 

La dimension sociale a dans cette affaire totalement été oubliée. 

2. – Ce changement, et les engagements français pris à Bruxelles, ont été trop longtemps dissimulés au personnel de nos compagnies aériennes nationales. 

Ceci a conduit : 

a) Au maintien d'un cadre juridique applicable aux transports aériens français complètement obsolète. 

Ainsi, par exemple, la gestion de l'attribution du créneau aéroportuaire sur les plates-formes parisiennes continue à être assurée par un agent d'Air France pour le compte de tous les transporteurs, la maîtrise se faisant non pas par le nombre de créneaux distribués, mais par les lignes affectées aux compagnies… ceci en contradiction totale avec la signature de la France à Bruxelles. 

b) Cette situation a également conduit à une très grande fragilité du transport aérien français. 

– Le groupe Air France s'est enfoncé financièrement très rapidement au cours des années 91, 92, 93. 

– Quant à la compagnie Air Inter, il lui avait été totalement dissimulé qu'elle allait être soumise très rapidement à la concurrence et elle ne s'y était absolument pas préparée. 

Les autres compagnies françaises qui se sont essentiellement développées à l'abri du groupe Air France, se trouvant quant à elle entraînées par les difficultés du grand groupe national. 

II. – La politique mise en place par le Gouvernement. 

Cette politique refuse le protectionnisme, qui consiste à rejeter la modernité, la compétition, la remise en cause et à terme à se trouver tellement non compétitive que l'on est purement et simplement balayé. 

Cette politique ne consiste pas pour autant à accepter l'ultra-libéralisme qui n'est que le renoncement à toutes volontés politiques au profit de la seule loi de la concurrence, j'allais dire la loi de la jungle. 

Le Gouvernement prône : 

– la concurrence d'où naissent l'adaptation et le progrès ;

– mais dans la cadre d'une volonté politique, c'est-à-dire de règles du jeu claires, précises, assurant une concurrence progressive, surtout maîtrisée, loyale et seine, bâtie autour du meilleur service aux usagers et d'un projet social pour les hommes et les femmes qui travaillent dans l'aérien. 

Cette politique se traduit par un triple objectif : 

– garantir l'avenir des ailes françaises, de toutes les ailes françaises, ;

– fixer les conditions de cette concurrence progressive maîtrisée, loyale et saine, 

– défendre et accroître dès que possible la position du pavillon français au sein du transport aérien européen et mondial. 

III. – La situation actuelle est les actions en cours. 

1. – Pour garantir l'avenir de nos compagnies : 

– Il s'agit tout d'abord de faire réussir le plan de reconstruction de la compagnie Air France. 

Le nouveau Président que j'ai nommé, Christian BLANC, a arrêté un plan de reconstruction de la compagnie. 

Ce plan a été accepté par le personnel à une écrasante majorité. 

Le Gouvernement a décidé d'accompagner les efforts des hommes et des femmes d'Air France par une dotation en capital de 2 milliards de francs accepté par la commission européenne. 

Le plan se met en œuvre, non sans difficultés, mais d'ores et déjà les pertes de l'entreprise qui à l'automne dernier représentaient 500 millions de francs par mois ont été réduites de moitié. 

Beaucoup d'efforts restent à faire pour établir la situation financière d'Air France et assurer durablement sa survie. 

Ces efforts sont en cours. 

Définition d'un nouvel avenir pour Air Inter à l'intérieur du groupe Air France. 

L'accroissement de la concurrence du TGV et l'ouverture à la concurrence des lignes aériennes intérieures limitent les perspectives d'Air Inter. 

Le Président que j'ai nommé, Michel BERNARD, et le Président du Groupe Air France, Christian BLANC, ont conçu un plan d'avenir pour Air Inter à l'intérieur du groupe. 

Il s'agit d'ouvrir Air Inter à l'Europe et de mettre en synergie cette ouverture d'Air Inter sur l'Europe avec les ailes européennes d'Air France. 

Ceci prépare l'émergence d'une véritable compagnie européenne à l'intérieur du groupe. 

En ce qui concerne l'ensemble des compagnies extérieures au groupe Air France, une politique d'attribution de droit de trafic à permis au principal d'entre elles d'assurer leur développement. 

Ainsi, l'activité d'AOM Minerve a progressé de plus de 30 % en 1994 par rapport à 1993, l'activité d'Air Liberté de plus de 20 % sur la même période. 

Par ailleurs d'autres compagnies, et c'est notamment le cas de TAT, d'EAS, d'EURALAIR ou encore de RÉGIONAL ont utilisé les nouvelles possibilités offertes par la libéralisation du trafic intra-communautaire et ont développé leur trafic en 1994. 

J'ajouterai que j'ai souhaité que le groupe Air France, qui n'en a pas la vocation, ne développe pas lui-même l'exploitation d'avions de capacité inférieure à son siège et passe dans ce domaine des accords avec les petites compagnies. 

J'ajouterai que, pour aider toutes les ailes françaises, des mesures générales de réduction des charges des compagnies ont été prises. 

Ainsi : 

– le tarif unitaire de la redevance de route a été maintenu en 1995 en francs courants à son niveau de 1994, 

– ainsi la redevance pour service terminaux de la circulation aérienne a été diminuée de 6,7 % ; 

– ainsi également la partie de la redevance de contrôle technique correspondant des charges indirectes ne sera pas perçue en 1994 et 1995, cette mesure correspondant à 46 millions d'économie annuelle pour les compagnies aériennes.

Je terminerai sur ce point en soulignant que je continue de plaider au niveau européen et au niveau mondial pour une modération de l'évolution des charges de navigation aérienne et des charges aéroportuaires. 

2. – La mise en place de moyens pour essayer d'assurer une concurrence progressive, maîtrisée, loyale et saine. 

– L'ouverture à la concurrence du réseau d'Air Inter : 

J'avais arrêté un calendrier d'ouverture très progressive. 

Au nom de la signature du Gouvernement précédent à Bruxelles, la Commission puis la Cour de Justice m'ont imposé d'accélérer le processus. 

J'avais dès l'automne 93, voyant arriver les choses, demandé à Monsieur ABRAHAM, un rapport sur les conséquences des signatures bruxelloises des Gouvernements précédents en matière de liaisons d'Aménagement du Territoire. 

Ce rapport a conclu la nécessité de créer un fond de péréquation du transport aérien. 

Ce fond a été mis en place dans le cadre de la loi de développement du territoire dans un travail mené de concert entre le Ministère de l'Intérieur et mon Ministère. 

Il reste à définir dans le dialogue avec vous les modalités de mise en œuvre de ce fond. 

– L'organisation de la répartition du trafic entres les aéroports parisiens. 

En ce qui concerne Orly :

Dans le système ancien près de 350.000 créneaux avaient été distribués aux compagnies aériennes… ce qui pouvait conduire une augmentation de près de 70 % du nombre de mouvements à Orly, ce qui aurait été insupportable pour les riverains, et contraire à toutes les promesses qui leur avaient été faites. 

J'ai donc dû reprendre complètement notre système d'attribution des créneaux. 

J'ai agi de telle sorte que puisse être maintenu à peu près le nombre de mouvements existants à l'heure actuelle sur la plate forme d'Orly. 

Cette limitation à Orly de l'évolution du trafic, ainsi que le projet de création d'une troisième piste à Roissy, m'ont conduit à lancer une mission, mise en place depuis quelques semaines, d'étude des problèmes de desserte aéroportuaire du Grand Bassin parisien. 

Les choix et les décisions en la matière doivent en effet, être faits dans la transparence la plus totale. 

Il faut en effet rechercher, dans la transparence, les solutions les plus pertinentes pour permettre le développement des Infrastructures aériennes indispensables à l'économie et à l'emploi tout en respectant au maximum les populations concernées et l'environnement. 

– L'action menée au niveau européen. 

Je n'ai cessé de lutter contre les dérives ultra-libérales du Conseil des Ministres des Transports. 

J'ai, dès l'automne 93, déposé un mémorandum proposant des mesures allant dans le sens d'une concurrence maîtrisée, loyale et saine pour aider le transport aérien européen à sortir de la crise. 

J'ai fait établir une plaquette adressée à tous les pays d'Europe, proposant une autre politique que celle qui a visiblement été inspirée depuis des années par nos amis britanniques. 

Ce combat se poursuit et j'entends le faire progresser dans la présidence française du premier semestre 1995, notamment par exemple, dans le domaine de la lutte contre les délocalisations. 

Je saisirai l'ensemble de mes collègues, qui sont déjà prévenus que ce point fait partie des quatre priorités françaises en matière de transport, lors du conseil informel qui aura lieu à Paris les 20 et 21 janvier prochain. 

Il faut que nous arrivions à convaincre la commission et une majorité de Gouvernements de l'erreur qui a été faite en 1992 en acceptant les textes de libéralisation sans un volet d'harmonisation au plan technique, sécuritaire et social. 

Je rappelle que ce qu'a accepté le Gouvernement précédent c'est la possibilité dès 1997 sur une ligne française, pour une compagnie : 

– de ne pas avoir un seul employé européen, 

– de ne pas respecter le SMIC ou les protections sociales minimum pour ces employés. 

Une telle situation n'est pas tolérable car elle ne laisse pas d'espoir pour les emplois européens et français, dans le domaine aérien. 

Il nous faut impérativement parvenir à entraîner sur de nouvelles propositions et à entraîner la nécessaire majorité qualifiée pour compléter les textes de libéralisation de telle sorte que le volet sécuritaire et social ne soit pas absent. 

3. – Les actions menées pour la défense du pavillon français dans les relations avec les pays tiers. 

J'ai fermement soutenu en juin dernier les compagnies AOM, MINERVE, AIR LIBERTÉ, dans leurs démarches visant à obtenir les créneaux horaires satisfaisants sur les aéroports de Londres pour ouvrir des dessertes entre Orly et Londres. 

J'ai donné des droits d'exploitation sur telle ou telle ligne, lorsque ceci me paraissait justifié et sain, afin que la part du pavillon français ne baisse pas, voire augmente. 

Au-delà de ces décisions ponctuelles, il convient de réfléchir à l'évolution inéluctable du cadre juridique de nos relations avec les pays tiers dans le domaine du transport aérien et de définir en conséquence une stratégie de croissance du transport aérien français et européen. 

En effet, jusqu'à présent, le cadre de nos relations aériennes avec les pays extérieurs à l'union européenne est essentiellement défini sur une base bilatérale ce qui nous met dans une grande difficulté vis-à-vis des puissances extérieures à l'Europe, notamment les États-Unis qui peuvent négocier avec chaque pays européen séparément. 

C'est la raison pour laquelle j'ai confié une mission à ce sujet à Monsieur Dominique BUSSEREAU, entouré de trois personnalités, afin de réfléchir suffisamment en amont, ce qui a rarement été fait dans l'aérien, vous en conviendrez, jusqu'à ce jour, pour que nous puissions enfin essayer de prévoir les évolutions et préparer au mieux les ailes françaises à leur avenir. 

Pendant la Présidence française, je compte inviter mes collègues à travailler sur la définition d'attitudes communes à adopter vis-à-vis des pays tiers. 

CONCLUSION 

– Après des années d'ultra-protectionnisme qui ont mené nos compagnies à ne plus être compétitives, 

– après des années de double discours, qui ont consisté à signer les textes les plus ultra-libéraux au plan européen ou mondial, tout en indiquant à nos compagnies que ces textes ne les concernaient pas directement et qu'elles n'avaient pas à craindre de bouleversement, 

– ce Gouvernement est le premier à pratiquer, dans la clarté, une politique à la fois équilibrée, volontariste qui consiste : 

– au plan européen et mondial à refuser l'ultra-libéralisme et à mener un combat pour une concurrence progressive, maîtrisée, loyale et saine, 

– et en même temps à dire aux compagnies françaises qu'elles doivent s'adapter à une évolution qui mène obligatoirement à la concurrence et que de leur adaptation dépend l'avenir des ailes françaises et de leurs emplois. 

Je crois pouvoir dire que c'est la première fois, dans le domaine aérien depuis des dizaines d'années qu'un Gouvernement mène une politique digne de ce nom. 

C'est cette politique qui permettra demain aux ailes françaises, à toutes les ailes françaises de rayonner en France, en Europe et dans le monde.