Texte intégral
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi de vous exprimer l'intérêt et le plaisir que j'éprouve à présider aujourd'hui à la Commission Nationale Consultative des Gens du Voyage.
Cette structure de concertation, composée à égalité d'élus : parlementaires et élus locaux, de dirigeants d'associations nationales de gens du voyage et de représentants des ministères les plus concernés par les questions dont nous aurons à débattre. Elle a été créée par décret du 24 mars 1992 ; depuis, elle ne s'est pourtant réunie qu'une seule fois, à l'occasion de son installation le 2 mars 1993.
Des lors, la réunion d'aujourd'hui doit être interprétée à la fois comme un nouveau départ, et une volonté réelle de dialoguer avec tous ceux qui directement impliques se sentent concernés par la situation des Gens du Voyage et attendent des progrès décisifs de cette instance dont l'objet est énonce en ces termes à l'article 1er du décret : "étudier les problèmes spécifiques que connaissent les gens du voyage et faire au Premier ministre les propositions de nature à les résoudre, en vue d'assurer une meilleure insertion de cette population dans la communauté nationale".
Chacun comprend que cette noble ambition nécessité une forte mobilisation d'un grand nombre de personnes de bonne volonté.
Elle suppose un engagement inscrit dans le long terme.
Elle nous commande tout autant d'obtenir dans les domaines les plus sensibles l'amorce de résultats significatifs à brève échéance.
C'est dans cet esprit que j'ai nommé le Préfet Guy Merrheim, rapporteur général de la commission. Je lui ai demandé de faire le point sur l'application de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement et notamment le stationnement des gens du voyage. II est également chargé de réfléchir, avec l'ensemble des partenaires, les gens du voyage, les élus et les administrations afin de faire des propositions de réponse aux nombreuses questions suivantes : l'accès aux droits et à une citoyenneté effective ; l'éducation et la formation professionnelle des jeunes ; les conditions d'exercice des activités économiques, commerciales et sociales liées au voyage. Par-dessus tout il s'attachera à contribuer à la création d'un climat de compréhension mutuelle respectueux des droits et des devoirs de chacun.
En vérité, déjà depuis plusieurs mois nous écoutons les avis des uns et des autres. Nous mesurons à quel point les questions liées au mode de vie ancestral et respectable des gens du voyage, et notamment des tsiganes, sont à la fois passionnelles et souvent irrationnelles. Elles ne peuvent pourtant connaître une évolution satisfaisante pour les populations sédentaires comme non-sédentaires que si la réflexion se développe sans a priori, et dans le respect des différences.
J'imagine que nous saurons débattre franchement de sujets délicats avec l'esprit de compréhension qui me semble indispensable, au sein de cette commission tripartite. Dès lors nous pourrons porter dans nos communes et nos quartiers cette volonté appliquée, et la faire partager par le plus grand nombre de citoyens, résidents locaux ou voyageurs.
Ce ne sera pas nécessairement chose aisée. Nous savons en effet que les responsables de conflits potentiels ne se recrutent pas dans un seul camp. Certains par leur seule attitude de refus de respect des règlements et arrêtés provoquent les élus et les habitants. Des élus locaux voudraient que lois et règlements leur offrent des moyens coercitifs supplémentaires, mais semblent parfois oublier que la législation actuelle leur attribue des pouvoirs, mais également des obligations en matière d'accueil des gens du voyage. Certains de nos concitoyens comprennent difficilement la spécificité d'un mode de vie tellement éloigné du leur ; ils n'ont pas d'hostilité de principe à l'égard des gens du voyage mais souhaitent qu'ils pratiquent le nomadisme loin de chez eux.
Cette esquisse de constat nous la connaissons tous. II faut maintenant proposer des réponses réalistes et pragmatiques dans le respect de nos valeurs et de quelques principes fondamentaux qui s'imposent dans un État de droit : la loi doit être la même pour tous, elle doit s'imposer à tous, les autorités publiques doivent être en mesure de la faire respecter, quels que soient les contrevenants.
En guise de conclusion provisoire à l'introduction de ce dialogue qui doit être permanent, je souhaite vous faire connaître quelques propositions qui pourraient baliser la piste qui nous conduirait au terme d'une première étape que je situe à deux ans maximum.
Première proposition : il faut restaurer la dignité et la citoyenneté des tsiganes. Beaucoup de nos compatriotes ignorent que dans leur grande majorité les tsiganes qui sillonnent nos routes, traversent nos communes ou y stationnent, sont de nationalité française. Ils doivent dans ces conditions assumer les mêmes devoirs et bénéficier des mêmes droits que tout citoyen français.
Je sais que pour développer et rendre réel l'exercice de la citoyenneté, certains considèrent qu'il faut réexaminer le principe de l'obligation faite aux gens du voyage, être rattaché depuis au moins trois ans à une commune pour bénéficier d'une inscription sur les listes électorales. Je considère que ce sujet pourrait effectivement être examine par la Commission car je crois qu'elle doit pouvoir trouver une solution.
Deuxième proposition : il faut donner les moyens aux pouvoirs publics de mettre en œuvre la loi Besson en matière de stationnement et d'accueil, sans oublier le problème spécifique vécu par les gens du voyage en voie de sédentarisation qui ne voyagent que dans un espace géographique réduit. Peut-être faut-il prévoir un décret d'application de cette loi et notamment de l'article 28 qui nous intéresse particulièrement. Je pense également que nous devons ici envisager une réforme de la définition de la caravane utilisée à usage d'habitation principale par une population qui pratique depuis toujours ce mode de vie.
Troisième proposition : il faut faciliter la scolarisation des enfants du voyage. Aussi longtemps que sera contrarier le stationnement des gens du voyage, l'obligation de scolariser leurs enfants relèvera de l'incompréhension, voire, dans certains cas de l'impossible.
Pour autant que cette hypothèse soit partiellement ou totalement levée, deux actions complémentaires devraient permettre de garantir l'instruction des enfants du voyage, sans pour autant mettre en cause un patrimoine culturel, auquel les communautés tsiganes sont attachées. N'oublions pas qu'aujourd'hui, moins de 60 % de la population tsigane d'âge scolaire fréquentent régulièrement l'école. Que chez les adultes, il n'est pas rare de constater un taux d'analphabétisation proche de 80 %.
Pour les plus jeunes enfants et pendant l'apprentissage de la lecture nous pouvons inciter un développement de bus-écoles mobiles à l'échelon départemental. Les autres enfants devraient fréquenter les mêmes écoles que les enfants sédentaires avec un accompagnement scolaire géré dans l'aire de stationnement par une association tsigane en liaison avec les enseignants locaux et dans le cadre d'un contrat d'objectif avec les Rectorats.
Quatrième proposition : il faut offrir aux gens du voyage les moyens de rejoindre les circuits économiques normaux. Ne nous voilons pas la face et reconnaissons que parmi les griefs adressés à la communauté de voyageurs, ceux qui concernent l'origine de leurs ressources financières sont en permanence sous-jacents avec les soupçons de se livrer à des chapardages, larcins, vols et autres actes délictueux. En vérité, si la délinquance existe effectivement chez les gens du voyage, personne n'a les moyens d'assurer qu'elle soit supérieure à la moyenne nationale.
Ce qui détériore plus sûrement l'image de cette population, c'est le travail non déclaré et son manque de transparence.
De ce point de vue, quelques mesures simples réalistes devraient permettre à ceux qui le souhaitent de créer, développer, et au besoin réintégrer des activités artisanales et commerciales dans un circuit économique régulier.
Par exemple cela peut passer par une simplification des modalités et assouplissement des tarifs d'inscription au registre du commerce et au répertoire des métiers.
On peut aussi imaginer que toute activité pratiquée clandestinement qui ferait l'objet d'une régularisation serait considérée comme activité nouvelle. Par analogie à la création d'entreprise, elles pourraient bénéficier d'un régime d'imposition fiscale et sociale allégé.
Dans le cadre d'aides à la formation, à l'insertion, et au retour à l'orthodoxie économique, nous pourrions également encourager vigoureusement la formation des jeunes adultes aux métiers artisanaux tsiganes, sous forme d'apprentissage sous la direction de tsiganes expérimentes.
Cinquième et dernière proposition : il faut envisager une réforme des titres de circulation. Plusieurs pistes existent : fusionner les livrets spéciaux A et B et supprimer ainsi les distinctions faites entre employeurs et employés ; porter la durée de validité de tous les titres de circulation, de cinq à dix ans ; allonger à six mois la périodicité de visa par les services de police ou de gendarmerie du carnet de circulation ; moderniser l'aspect et la forme des titres de circulation qui s'inspireraient du nouveau passeport européen.
Voilà Mesdames et Messieurs les quelques suggestions que je voulais vous faire aujourd'hui.
II est évident que ce n'est ni le lieu, ni le moment d'entrer dans le détail de ces quelques pistes de travail. Aussi, avant de donner la parole à ceux qui souhaitent réagir à ces propos, je demande au Préfet Merrheim de poursuivre dès ces prochains jours les entretiens qu'il a commencés il y a plusieurs mois, ainsi que les réunions interministérielles qui permettront de s'assurer de la faisabilité de ces réformes pour certaines profondes, et d'en accélérer les mises en place.
Ainsi, comme je le souhaite, dès notre prochaine réunion de la Commission Nationale Consultative des Gens du Voyage, au lendemain des prochaines vacances d'été par exemple, un rapport d'étape sera présenté. Il nous permettra de constater que nous avançons avec toute la détermination qu'il faut vers plus de solidarité mais aussi plus de responsabilité à l'endroit des gens du voyage.