Interviews de M. Gérard Longuet, ancien président du PR, dans "Le Figaro", à RTL, France-Inter et Europe 1 le 28 juin 1995, sur les raisons de son départ de la présidence du PR, les "affaires" le concernant, les critiques des giscardiens à propos du fonctionnement du parti et l'avenir de l'UDF.

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Circonstance : Réunion du Conseil national du PR, à Paris le 28 juin 1995 : élection de M. François Léotard comme président du PR

Média : RTL - France Inter - Europe 1 - Le Figaro

Texte intégral

M. Cotta : Vous avez démissionné de la présidence du PR ; pourquoi, six mois après votre démission du gouvernement ?

G. Longuet : Vous avez commis un petit lapsus. J'ai décidé de ne pas me représenter à la présidence du PR. C'est une décision ancienne puisqu'elle remonte au lendemain des législatives de 93. Il est évident que les affaires judiciaires dont je suis l'objet ont constitué un élément, mais ce n'est pas le seul. Sur les affaires judiciaires, juste un mot. Il y a mes responsabilités d'organisateur de parti et les attaques personnelles sur mes biens propres. Tant que ces dernières ne seront pas éclaircies, je ne prendrais pas de position publique. Je considère que ma dignité d'homme public, c'est de parler sans qu'il y ait d'ambiguïté sur ma situation personnelle. Pour les autres, pour les responsabilités d'organisateur de parti, je les assure sereinement. Je sais ce que j'ai fait, je sais ce qu'ont fait tous les chefs de parti avant la loi de 90 et je les assume sereinement. Mais la vraie raison n'est pas celle-là.

M. Cotta : Votre démarche d'aujourd'hui a-t-elle un rapport avec la poursuite de l'enquête du conseiller Van Ruymbeke ?

G. Longuet : En aucune façon. Je sépare ce qui me vise personnellement. Tant qu'il n'y aura pas dissipation complète des doutes, je ne serai pas un homme public.

M. Cotta : Et s'il n'y en avait jamais ?

G. Longuet : Il y en aura parce qu'il y a déjà eu 4 expertises qui vont toutes dans le même sens. Même si la justice avance à la vitesse de la diligence quand l'information, parfois l'insinuation, avance à la vitesse de la lumière, je ne désespère pas obtenir gain de cause. Sur mes responsabilités partisanes, d'organisateur de parti, je suis tranquille car j'ai la certitude absolue de m'être comporté comme se sont comportés tous les chefs politiques.

M. Cotta : Trouvez-vous les gardes des Sceaux qui se succèdent, apathiques ?

G. Longuet : Il n'est pas bon, pour l'administration de la justice, que ce soient des violations répétées du secret de l'instruction qui puissent porter atteinte aux hommes, aux situations et aux honneurs. Or je trouve que, dans cette affaire, depuis le début, c'est une politique systématique de violation qui permet de faire dire des choses à certains moments et de les oublier ensuite. On a expliqué, il y a un an, que je n'avais pas payé ma maison alors qu 'elle l'était. C'est pour ça que ce type de déclarations, des fuites sélectives, ne m'impressionne nullement, c'est un dysfonctionnement de l'administration de la justice.

M. Cotta : Comptez-vous assumer seul le procès du financement du PR ou que les noms d'A. Madelin et F. Léotard y apparaissent ?

G. Longuet : Avant 1990 et dans mes fonctions de délégué du PR, j'ai surveillé la vie quotidienne de mon parti : ni A. Madelin, ni F. Léotard n'ont exercé des responsabilités de ce type. Donc je ne vois pas en quoi ils seraient impliqués dans le fonctionnement quotidien du PR. Je l'assume juridiquement.

M. Cotta : Pourquoi avoir choisi la date du 28 juin pour l'élection de votre successeur, la réunion est un peu précipitée ?

G. Longuet : Nous avons tous des contraintes et cela prouve en tous les cas qu'il est difficile d'être à la fois président de parti et membre du gouvernement. L'actualité quotidienne vous éloigne de l'exercice de cette responsabilité de chef de parti. Avant de ne pas me représenter à la tête du PR, depuis quatre ans, j'ai mené le PR au succès, dans toutes les élections j'ai assuré son unité et dans la clarté d'une ligne politique nous avons gagné tous les combats contre les socialistes, sans le FN. Ce que je souhaite, aujourd'hui, c'est que mon successeur, qui que ce soit, et ce sera sans doute F. Léotard, je m'en réjouis d'avance, ait la même volonté d'unité du PR, de clarté de ligne. Et autour de cela, le PR, qui est la deuxième formation de France, aura un formidable travail devant lui.

M. Cotta : Quand vous dites que vous avez amené le parti républicain à toutes les élections et à la victoire, pas à celle d'E. Balladur derrière lequel vous vous étiez engagé, c'est ce qui fait tous les problèmes actuels du Parti républicain ?

G. Longuet : Vous avez raison, mais chacun sait, ici, dans ce pays, que l'élection présidentielle n'est pas l'affaire des partis, on nous l'a répété suffisamment. Nous avons soutenu de bon cœur E. Balladur et j'ajoute que c'est le désistement très loyal des électeurs d'E. Balladur qui a permis le succès de J. Chirac dont nous nous réjouissons. Mais si J. Chirac est passé de 22 à 52 %, s'il a gagné 30 points, c'est bien parce qu'il y a eu, cette fois-ci, en 1995, un désistement total de toute la majorité pour le candidat arrivé en tête. On aurait aimé que ce fût la même chose en 1981 et 1988.

M. Cotta : Comment réagissez-vous aux critiques d'H. de Charette, giscardien, patron des Clubs Perspectives et Réalités, qui a dit : "F. Léotard a laissé le parti se transformer en clan au profit d'intérêts particuliers" ?

G. Longuet : Ce qui est excessif est insignifiant. Charette, pour une fois, est excessif ; il est donc, pour une fois, insignifiant. Le Parti républicain, quand nous l'avons pris, il y avait 30 députés ; il y en a 105 aujourd'hui. Si M. de Charette nous avait aidés à gagner une seule circonscription sur la gauche, cela se saurait.

M. Cotta : Mais est-ce que vous pensez que la rivalité Chirac-Balladur, au-delà des problèmes actuels de Charette-Léotard, laisse des traces chez vous, au Parti républicain ?

G. Longuet : Je crois qu'aujourd'hui, au Parti républicain comme dans toute la France, ce que nous voulons, c'est le succès de J. Chirac, du gouvernement d'A. Juppé et c'est surtout le succès de l'ouverture de la France à la construction européenne. Nous avons tous accepté, et manifestement ce gouvernement également, l'ouverture de la France à la construction européenne avec cet objectif de convergence monétaire. Si nous ne préparons pas la France à ce succès, notre société va éclater, va exploser, sa cohésion va disparaître totalement et c'est cette bataille qui nous intéresse collectivement au parti républicain et c'est cette bataille que le Président devra mener en termes d'idées et de propositions.

M. Cotta : En ce moment, c'est plutôt la cohésion de la majorité qui est essentielle. Vous pensez qu'il peut y avoir encore entre le parti républicain et le RPR de J. Chirac une cohésion ?

G. Longuet : Oui, tout à fait. Avec A. Juppé, avec le RPR, nous avons de bonnes relations. Le Parti républicain, c'est un parti, il y a des gens qui entrent, qui sortent.

M. Cotta : Il faut quand même recoller les morceaux.

G. Longuet : Ce n'est pas une forteresse fermée, il y a toujours des gens qui viennent et je m'en réjouis et des gens qui partent et je m'en attriste. Mais il est tout à fait normal qu'un parti soit ouvert à ceux qui veulent venir et qu'il libère ceux qui veulent partir.

M. Cotta : Justement, vous partez pour longtemps ?

G. Longuet : Je prends du recul pour assurer mes responsabilités de président de région, prendre le temps de réfléchir et j'ajoute, parce que la vie politique n'est pas une carrière, assurer une profession parce que j'ai une famille à faire vivre et la politique ne m'a jamais fait vivre.

 

Date : mercredi 28 juin 1995
Source : France inter/Édition du matin

A. Ardisson

A. Ardisson : Vous quittez la tête du PR ?

G. Longuet : Je ne me représente pas.

A. Ardisson : Les affaires qui vous touchent ont joué un rôle dans celte décision ?

G. Longuet : Effectivement, sur un aspect, essentiellement : les attaques personnelles sur mon patrimoine. Le reste, j'assume. J'ai été organisateur de parti ; avant la loi de 90, on a à peu près tous bricolé. C'est universellement connu. Cela concerne d'ailleurs toutes les formations. En revanche, ce qui me touche et me blesse, ce sont les attaques sur ma situation personnelle. Comme il y a des expertises en cours, que toutes celles qui ont eu lieu m'ont plutôt donné raison, j'attends les dernières pour parler, pour redevenir un homme à part entière sur le plan politique. J'attends la dernière expertise qui devrait me donner raison.

A. Ardisson : Où en est l'instruction sur le financement occulte du PR ?

G. Longuet : Le juge Van Ruymbeke, si je connais le fonctionnement de la justice, n'est chargé en rien de s'occuper du financement du PR ni, d'ailleurs, d'aucun parti politique. Par conséquent, il transmet à la chancellerie et un juge sera désigné qui devra prendre ses responsabilités.

A. Ardisson : F. Léotard a de fortes chances de devenir votre successeur mais il manque Millon, Raffarin, Madelin. Ne manquera-t-il pas de légitimité ?

G. Longuet : En janvier dernier, à 90 %, le PR s'était engagé derrière E. Balladur. Aujourd'hui, cette solidarité existe autour de F. Léotard. Ceux qui ont fait un choix différent seraient avisés de militer en faveur de l'unité de la majorité dans son ensemble, de l'unité du PR et de l'UDF. Je ne désespère pas que nous y parvenions dans les mois à venir. Aujourd'hui, il y a encore un peu de tumulte, ce n'est pas grave.

A. Ardisson : Beaucoup de tumultes. Les propos d'H. de Charette qui parle de clan, certains parlent d'absence de démocratie dans votre parti…

G. Longuet : H. de Charette serait avisé, plutôt que de critiquer ceux qui soutiennent son gouvernement, de faire son travail de ministre d'abord, et s'il a des ambitions politiques, de s'efforcer de gagner des circonscriptions sur le PS, ce qu'il n'a jamais fait par lui-même. Moi, j'ai conduit le PR dans l'unité, à la victoire, aux régionales, municipales, législatives. Nous avons apporté à la majorité au deuxième tour des présidentielles, le soutien total des balladuriens. Nous avons notre place à part entière dans cette majorité et si ce gouvernement existe, c'est bien parce que tous ceux qui, au premier tour, avaient soutenu Balladur, se sont reportés sur J. Chirac. A. Juppé le sait d'ailleurs très bien ; qui a invité F. Léotard à déjeuner lundi. Et entre chefs, ça se passe très bien. C'est peut-être au niveau des seconds couteaux que ça se passe moins bien.

A. Ardisson : Y a-t-il toujours un projet de se regrouper derrière E. Balladur qui est un peu absent de la scène politique aujourd'hui ?

G. Longuet : Le PR appartient à l'UDF. Je vous rappelle que V. Giscard d'Estaing est également en fin de mandat. Donc, je crois qu'avec F. Bayrou, avec A. Rossinot et nos autres amis de l'UDF, réfléchir à l'UDF pour la rénover de la même façon qu'il faut que F. Léotard – là-dessus, je partage le sentiment de Madelin – doit rénover le PR. La vie politique a changé, les partis politiques doivent changer.

A. Ardisson : Quelle rénovation dans ces conditions-là ?

G. Longuet : Il y a un vote. Ce qui compte en démocratie, c'est le rapport de forces. Lorsqu'il a fallu se prononcer pour les présidentielles, le PR l'a fait. A. Madelin soutenait J. Chirac, Raffarin s'est rallié beaucoup plus tard quand les sondages étaient plus favorables, mais nous avons voté à 90 %, pour Balladur. Il y aura un vote demain. Ce conseil national est élu par les militants et la seule légitimité que je reconnaisse, c'est celle qui vient de nos adhérents du PR qui mandatent leurs conseillers nationaux. Je reconnais que la date n'est pas facile mais je ne pouvais pas imaginer que le PR soit sans président pleinement investi et pleinement responsable dans une période difficile où le gouvernement aura besoin du soutien du PR.

A. Ardisson : L'UDF fait les frais de cette présidentielle. N'y aura-t-il pas de bataille entre le PR et le CDS ?

G. Longuet : Non, on s'entend très bien. Nous avons, pendant toute la campagne, travaillé ensemble. Je pense que nous avons ensemble une volonté formidable, c'est de faire en sorte que la France soit effectivement prête au rendez-vous de Maastricht. J'ai écouté M. Guetta qui a dit des choses très judicieuses, et notamment que le seul débat qui compte aujourd'hui c'est : comment la France pourra-t-elle tenir son rôle dans un monde ouvert et dans une Europe qui se construit ? C'est la seule préoccupation. Les problèmes de partis, ce n'est pas très important.

A. Ardisson : C'est ce qui vous paraît de nature à refonder votre parti et l'UDF ? En ce qui concerne l'UDF, faut-il que ce soit une confédération ou une fédération ?

G. Longuet : Les Français ont besoin d'être éclairés sur les conditions de la réussite. On leur dit : il faut faire l'Europe, ils le pensent et ils voient une facture de tensions, d'efforts, d'adaptation extrêmement lourde. Et donc, ils ont envie de se dire : que faut-il faire ? Le rôle d'un parti politique, c'est d'expliquer ce qu'ils croient juste et bon pour leur pays. De ce point de vue, on n'a pas intérêt à avoir un message brouillé et confus. Et à l'intérieur de l'UDF, nous avons des idées en commun certes, mais le PR est un parti européen, libéral, qui croit à l'initiative individuelle et personnelle, à la décentralisation. Il a intérêt à parler par lui-même. Ensuite, lorsqu'il faut simplifier pour que l'électeur choisisse, l'UDF existe comme une confédération représentant des candidats sous un même label. Et pour animer la vie politique, c'est au CDS, au PR, pour notre courant, de porter le message auprès des électeurs.

 

Date : mercredi 28 juin 1995
Source : Europe 1/Édition de midi

M. Grossiord : On a beaucoup évoqué les absences, celles d'A. Madelin, d'H. de Charette, C. Millon, P. Vasseur, est-ce que cela ne fait pas un peu désordre alors que F. Léotard doit remobiliser le PR ?

G. Longuet : J'ai été président du PR pendant cinq ‘ans, je l'ai porté à un niveau qu'il n'a jamais atteint en termes de représentation parlementaire, en termes de grandes villes. J'ai fait le choix personnel de renoncer à ce mandat pour un ensemble de raisons dont certaines sont connues et je considérais que le PR ne pouvait pas attendre, et par conséquent, depuis un mois, j'ai ouvert ma propre succession. J'ai fait mon travail et aujourd'hui je passe le relais au candidat F. Léotard et je formule des vœux de succès. J'ajoute que le PR soutient le gouvernement. Le succès de J. Chirac est aussi le nôtre.

M. Grossiord : M. Vasseur revenait sur le fait que cette réunion se passe un mercredi plutôt qu'un samedi ou un dimanche, il se demandait si c'était exprès que vous tombiez le jour du conseil des ministres ?

G. Longuet : Pas du tout, la campagne est ouverte depuis un mois, conformément à nos statuts et je pense profondément que les membres du gouvernement n'ont pas la disponibilité nécessaire et la liberté de parole nécessaire pour être président du PR. Depuis 1993, comme membre du gouvernement d'E. Balladur, j'ai été un mauvais président du PR parce que je n'avais ni la disponibilité, ni la totale liberté de parole. Le parti doit pouvoir s'exprimer et il n'est pas une bonne chose que d'être au gouvernement, avec le devoir de solidarité et de réserve que cela implique, et d'être président de parti.

M. Grossiord : Votre successeur aura plus de liberté pour apporter quel type de soutien à J. Chirac et A. Juppé ?

G. Longuet : Un soutien à la majorité dans un environnement difficile pour notre pays. A. Juppé a besoin de tous ces atouts parlementaires et le PR ne les ménagera pas, nous sommes dans une situation de soutien, et d'amitié avec A. Juppé car c'est quelqu'un que je respecte et dont la ligne a été droite dans tout son comportement.

M. Grossiord : Quand on observe le paysage politique, on se demande s'il n'y a pas un frein évident à ce soutien quand tant d'ambitions se télescopent ?

G. Longuet : Chaque chose en son temps. Aujourd'hui, il faut soutenir le président de la République qui a été élu par toute la majorité au soir du deuxième tour. Il faut soutenir ce gouvernement et assurer son succès. Nous avons besoin de toute la majorité rassemblée pour que ce gouvernement réussisse. C'est notre souhait et nous avons besoin d'un parti républicain vivant pour gagner les rendez-vous électoraux et en particulier les rendez-vous législatifs sans lesquels le gouvernement ne pourra pas continuer. C'est ma seule volonté.

M. Grossiord : Vous avez évoqué les raisons de votre départ. On sait que l'image de votre parti a été affectée par les affaires. Ce sont bien elles qui vous ont fait partir ?

G. Longuet : C'est plus compliqué que cela. La vie politique française, jusqu'en 1990, a vécu dans l'inexistence juridique en ce qui concerne le fonctionnement des partis. Nous étions le seul pays européen où il n'y avait aucune règle, aucune loi. Le CDS aujourd'hui, le RPR également, le PS, le PC, le PR ne sont pas à l'abri aujourd'hui d'une interprétation a posteriori des règles du jeu. Mais ma raison est personnelle, j'ai fait un parcours, j'ai amené le PR à un niveau qu'il n'avait jamais atteint par le passé, à l'intérieur de l'UDF, dans le cadre de la solidarité majoritaire. Je me suis battu jusqu'à l'élection présidentielle et à la préparation des municipales pour que mes amis aient les meilleurs résultats possibles. Je considère que j'ai fait ma part du travail, j'ai porté ma part du fardeau. Le PR est plus fort qu'il ne l'a jamais été, la majorité est solide et je souhaite que mon successeur, qui sera sans doute F. Léotard, qui a la disponibilité, la liberté d'esprit, les qualités d'homme, puisse animer la vie politique qui est une vie différente de la vie gouvernementale. J'ai été au gouvernement, un gouvernement ça conduit l'action pour tous les Français, avec une solidarité qui implique une certaine discipline. En tous les cas, au PR, on a des convictions européennes, des convictions libérales. Ça suppose une liberté d'expression qui n'est pas toujours compatible avec l'engagement gouvernemental. Je considère donc que la candidature de F. Léotard est une bonne chose parce que c'est un homme d'expérience et un homme de liberté de parole. Nous sommes là pour assurer le succès de ce gouvernement et cette majorité à laquelle nous participons totalement.

M. Grossiord : Quels sont vos projets personnels politiques, vous n'allez pas vous mettre en retraite, vous êtes jeune ?

G. Longuet : Je ne suis pas si jeune que ça, j'ai 49 ans. J'ai deux objectifs : défendre la Lorraine dont je suis le président et à laquelle je suis profondément attaché par ce que c'est ma chair, c'est mon sang, ce sont les amis, c'est mon implication de tous les jours. Et c'est un problème que les électeurs doivent connaître : gagner ma vie. Je ne suis pas parlementaire aujourd'hui, je ne souhaite pas le redevenir. Mon suppléant fait très bien son boulot.

M. Grossiord : Vous avez trouvé un point de chute ?

G. Longuet : Je n'ai aucun problème parce que je crois être capable de gagner ma vie en travaillant. Mais une activité professionnelle est incompatible avec la présidence d'un grand parti qui est une implication à temps plein.

M. Grossiord : Est-ce que vous continuez, avec vos amis, à rencontrer, à vous réunir autour d'E. Balladur ?

G. Longuet : J'ai beaucoup de respect pour E. Balladur, qui a apporté à la vie politique française un éclairage nouveau, une sagesse, une certaine sérénité mais, aujourd'hui, ce que je souhaite, c'est le succès de mon pays, le succès de mon gouvernement et naturellement le succès de la majorité à laquelle j'appartiens. Dans cette majorité, chacun a son rôle. Le gouvernement gouverne, les parlementaires examinent et débattent des lois en toute liberté et ils le feront neuf mois sur douze, ce qui est un changement des règles du jeu, mais je le salue comme quelque chose de positif. Sur le terrain, les militants cherchent à mieux faire comprendre leurs projets, à mieux faire comprendre leur action et à faire en sorte que ces positions municipales, départementales, régionales soient tenues par des gens qui aient la volonté de soutenir le gouvernement sans être des godillots.

M. Grossiord : On sait que l'enquête se poursuit sur le financement occulte du PR. Votre nom apparaît dans le dossier. Est-ce que d'autres personnalités pourraient être inquiétées, on a vu apparaître le nom du ministre A. Madelin ?

G. Longuet : Je suis, j'ai été responsable jusqu'en 1986 des finances du PR. Je sais très bien comment nous avons fonctionné en l'absence de loi. Je répondrai de toutes les responsabilités que l'on voudra bien me confier mais j'ajoute, puisque vous parlez d'A. Madelin ou de F. Léotard ou de quiconque, que le travail d'organisation n'était pas assuré par eux et ils n'ont pas à être concernés par ces problèmes qui sont des problèmes d'intendance, qui sont des problèmes d'une époque révolue. Il faut que chacun de nos compatriotes sache qu'une loi de 1990, c'était une loi Rocard, a réglé définitivement et heureusement le problème du financement de l'action politique. Par conséquent, nous avons aujourd'hui des règles du jeu saines. Tout ce qui est évoqué aujourd'hui est antérieur à cette loi sur le financement du parti politique lorsqu'il s'agit du PR. C'est le passé que l'on exhume, moi je m'intéresse à l'avenir.


Date : 28 juin 1995
Source : Le Figaro

Gérard Longuet prône l'"esprit de responsabilité"

Le président "sortant" du PR déclare au "Figaro" que sa formation doit "dialoguer" avec le gouvernement "dans un esprit solidaire et constructif, sans se soumettre à une quelconque domination".

Le Figaro : Personnellement concerné par les "affaires", vous avez décidé de quitter la présidence du Parti républicain. N'allez-vous pas vous retrouver en apesanteur politique ?

Gérard Longuet : C'est un risque. Mais je pars avec le sentiment du devoir accompli. Toutes les batailles menées depuis 1990 contre la gauche ont été gagnées par le Parti républicain, et j'y ai pris ma part de responsabilité. Je pars également avec la certitude que mon parti va, malgré des soubresauts difficilement évitables, garder sa cohérence fondamentale, car il est porté par des convictions fortes, libérales et européennes, et une stratégie simple d'union de la majorité.

Il est clair que la disponibilité que j'aie désormais – et dont je compte bien faire un atout – m'est en partie imposée par des événements extérieurs que je n'ai pas choisis. Il est évident que si je n'étais pas mis en examen sur une affaire strictement personnelle, celle qui concerne ma résidence secondaire du Midi, j'aurais peut-être eu une attitude différente à la fois à l'occasion de la présidentielle et dans ma responsabilité de chef de parti. Mais, puisque les choses sont ainsi, que je n'y peux rien, je ne puis paralyser le PR. Et j'attends avec patience que les expertises me donnent raison.

Le Figaro : Quel peut être cette durée d'attente ?

G. Longuet : Cela peut être entre six mois et cinq ans. Le juge qui instruit mon dossier est un magistrat à la fois très attentif et prudent. Ce juge gère par ailleurs des dossiers qui sont en attente depuis cinq ou six ans. Je souhaite ne pas être dans ce cas, mais il faut se préparer à tout.

Comme le disait le président Pompidou, la justice doit être rapide sans être expéditive. Ceci est une incidente mais la Commission européenne des droits de l'homme considère qu'une bonne durée d'instruction ne devrait pas dépasser trois ans. Si, au bout de trois ans, on n'arrive à rien dans un sens ou dans un autre, c'est peut-être que les choses ne méritent pas d'être figées, bloquées, que la vie d'une entreprise, la vie d'un homme, la vie d'une famille, ne doit pas être paralysée si rien n'est établi dans un sens ou dans un autre.

Le Figaro : Allez-vous, à l'avenir, continuer de vous exprimer publiquement ?

G. Longuet : Moins. Depuis 1990, je me suis beaucoup exprimé à la radio, à la télévision, dans la presse, avec le risque d'être superficiel. L'écriture d'ouvrages, de communications, de conférences, est beaucoup plus exigeante en matière de profondeur et de rigueur intellectuelle. On peut traiter les régimes de retraites, la santé ou l'engagement Français en Bosnie en trois formules de quinze secondes chacune pour le journal télévisé de 20 heures. Pour faire de la politique aujourd'hui, il faut savoir le faire. Mais il ne faut pas faire que cela. Sous la contrainte, c'est vrai, j'ai l'intention de faire justement ce qu'en général les hommes politiques ne font pas : prendre le temps d'aller au fond.

Le Figaro : François Léotard est candidat à la présidence du PR. Comment appréciez-vous ce retour de "Léo" et les critiques, notamment émises par Alain Madelin et ses amis ?

G. Longuet : Pour apprécier la situation, il faut revenir à la campagne présidentielle. Dans sa très large majorité, le PR a fait le choix d'Édouard Balladur au premier tour. Alain Madelin, parce qu'il souhaitait des réformes hardies et qu'il craignait qu'Édouard Balladur ne les engage point, a choisi Jacques Chirac. Il doit aujourd'hui obtenir confirmation de ses espérances en matière de privatisation, de libéralisation, de refonte des budgets publics et sociaux.

Les premières semaines doivent lui paraître dures : il lui faut parer à l'essentiel et renoncer aux allègements, exonérations et autres dérégulations. La TVA, l'ISF, sont sans doute nécessaires. Mais ce n'est, je l'espère, qu'un préalable au changement. Pour le changement, nous le soutiendrons, comme nous avons soutenu hier Édouard Balladur dans le sérieux qu'Alain Juppé adopte à son tour.

Le Figaro : Comment réagissez-vous aux critiques des giscardiens, notamment d'Hervé de Charrette ?

G. Longuet : Avec les giscardiens, les motivations sont passionnelles. On mesure bien qu'Hervé de Charrette n'aime ni François Léotard ni le PR en général. Il n'est pas obligé d'y rester… Ses critiques m'ont blessé. Certes, aux municipales, nous avons perdu Toulon dans le désordre de la droite. Mais, dans la région de M. de Charrette, aucune grande ville n'a été conquise de Poitiers à Rennes, et d'autres ont été perdues, de Tours à Angers. Le PR "pur jus" a conquis Marseille et par exemple, dans ma région, l'union RPR-UDF que je soutiens nous a permis de n'enregistrer pratiquement que des succès sur la gauche. Chez moi, en Meuse, particulièrement.

Les militants reconnaissent ceux qui les accompagnent vers le succès. Aujourd'hui, François Léotard me paraît disposer de l'expérience de gouvernement, de l'autorité nationale et internationale pour conduire en toute indépendance, et sans aucune acrimonie à l'égard du gouvernement, le Parti républicain. Je souhaite simplement qu'à l'image de mes cinq ans de mandat, tout le monde puisse être associé à la prise de décision. Ce qui nous conduira, j'en suis certain, à plus de cohérence et plus de discipline.

Le Figaro : quel doit être, précisément, le rôle du PR vis-à-vis du gouvernement ?

G. Longuet : J'ai souhaité que le prochain président du Parti républicain soit un homme libre et disponible vis-à-vis du gouvernement. Car il faut dialoguer avec lui dans un esprit solidaire et constructif, sans se soumettre à une quelconque domination. Il ne s'agit en rien d'établir un quelconque bras de fer qui serait nuisible à l'ensemble du camp majoritaire. Il s'agit de respecter le pluralisme de nos familles politiques, la diversité et la qualité de ses personnalités. Deuxième formation parlementaire de la majorité, le Parti républicain dialoguera avec le gouvernement dans un esprit de responsabilité. Nous sommes porteurs d'un message libéral et européen. Les "indépendants" sont aussi des Français enracinés dans la tradition de notre pays. Leur voix doit naturellement se faire entendre.

Pour ma part, j'ai très envie de mettre à profit le recul qui s'impose à moi pour approfondir les choix de société de notre pays pour les dix ans à venir, qui ne seront plus ceux avec lesquels nous avons vécu ces dix dernières années. Depuis 1981 – et en réalité depuis très longtemps –, nous vivions sur un débat droite-gauche, sur une opposition société libérale-société socialiste, qui ne correspondent plus aux questions posées aujourd'hui à la France.

Le Figaro : La bipolarisation ne serait-elle plus de mise ?

G. Longuet : En tout cas, la question centrale est désormais la suivante : notre pays est-il en mesure d'affronter un système mondial très ouvert, compétitif et exigeant, riche en promesses de développement, mais en même temps très contraignant en termes d'organisation, de comportement et d'habitude ? C'est cette question qui m'intéresse. J'ai perçu son acuité comme ministre du Commerce extérieur. Quand j'ai négocié les accords du Gatt, j'ai mesuré avec force que nous étions une parcelle d'un vaste ensemble mondial et que nous étions en situation d'interdépendance. Ma conviction s'est alors renforcée : si nous voulons garder un peu de liberté, un peu de démocratie française spécifique, il fallait, dans ce réseau d'interdépendance, être un pôle fort. Et, pour cela, lutter contre nos petites habitudes hexagonales, nos petites faiblesses franco-françaises qui nous tirent vers le bas.

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet