Texte intégral
Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, qui rencontre aujourd'hui Jean Gandois
"Nous avons des comptes à demander au patronat"
La prise de contact de ce matin entre la CGT et le CNPF est la première depuis des années. Louis Viannet y va "sans illusion", mais il compte en profiter pour soulever "la question essentielle, celle des salaires".
Libération : Vous rencontrez ce mercredi le nouveau président du CNPF, Jean Gandois. Est-ce le signe que la CGT a renoncé à sa "politique de la chaise vide" ?
Louis Viannet : Je crois que c'est la première fois qu'il y aura une rencontre formalisée à l'initiative du CNPF. Parler de "politique de la chaise vide", c'est une interprétation particulière de la réalité. Nous n'avons jamais refusé de participer à des discussions, mais nous n'étions jamais invités.
Libération : Qu'attendez-vous de cette rencontre ?
Louis Viannet : Le CNPF vient d'affirmer un certain nombre de velléités de modifier les rapports sociaux dans ce pays. J'ai déjà eu l'occasion de dire que s'il veut s'attaquer à ce problème, il a un champ d'action considérable. Je ne voudrais pas banaliser cette rencontre, mais je ne voudrais pas qu'on se fasse d'illusions. En tout cas, il faudra un sérieux coup d'épaule de la part des salariés pour que le contenu des discussions éventuelles porte sur leurs revendications et non sur celles des patrons.
Libération : Quels sont les dossiers à négocier en priorité ? Et faut-il ouvrir une grande négociation globale comme l'a proposé Jean Gandois et comme le réclame la CFDT ?
Louis Viannet : Ce qui nous guide, c'est un souci d'efficacité. S'il doit y avoir une grande négociation pour bavarder, ce n'est pas la peine. Mais on peut tout à fait imaginer qu'à l'occasion d'une négociation de caractère général, or, fixe un certain nombre de thèmes et de points de repères et qu'ensuite les discussions se prolongent dans les branches et dans les entreprises.
Libération : Et les priorités ?
Louis Viannet : Elles s'imposent d'elles-mêmes. Les questions essentielles touchent aux salaires, qui sont enfermés dans un véritable carcan depuis plusieurs années. Le retard accumulé est d'autant plus sensible que le pouvoir d'achat des salariés est attaqué par l'insuffisance des rémunérations, par les coups portés à la protection sociale, par l'affaiblissement des services publics. Mais le chantage à l'emploi exercé par les employeurs pour peser sur les salaires est en train de voler en éclats.
Libération : À propos de l'emploi, Edouard Balladur a appelé récemment les partenaires sociaux à se rencontrer pour étudier les moyens de réduire d'un million en cinq ans le nombre de chômeurs.
Louis Viannet : Venant de la part d'un chef de gouvernement qui, porte une responsabilité considérable dans la situation que connaît aujourd'hui le pays, c'est pour le moins se moquer du monde. S'il espère escamoter ses responsabilités en renvoyant la balle sur le patronat et les syndicats, il se trompe. Au nom des salariés, nous avons des comptes à demander au CNPF, qui porte une responsabilité énorme dans la situation actuelle. Mais nous en avons aussi à demander au gouvernement.
Libération : Sur la sécu, les syndicats montent au créneau en ordre dispersé…
Louis Viannet : Il aurait été plus sage et plus efficace de se regrouper. Je ne veux pas polémiquer, mais il ne suffit pas de crier : "Au feu !" Il faut mobiliser. Le syndicalisme aura des comptes à rendre sur ce qu'il ne sera pas parvenu à empêcher pour cause d'absence de mobilisation et d'unité. C'est pourquoi nous avons tout fait pour que la journée d'actions du 4 février soit l'occasion d'un large rassemblement. Il est regrettable que cela ne soit pas possible, mais nous ne relâcherons pas nos efforts pour y parvenir.
Libération : Vous êtes à la fois hostile à la maîtrise des dépenses, dont vous pensez qu'elle aboutirait à un rationnement des soins, et à de nouvelles hausses de cotisations. Comment sauver la sécu, selon vous ?
Louis Viannet : Nous ne sommes pas contre une gestion efficace de la protection sociale. Mais qu'est-ce que le progrès social si on ne répond pas aux besoins nouveaux ? Alors, oui, il faut les financer. Il faut que l'État rembourse ses dettes, mais je ne dis pas que ça suffira : il est indispensable de faire participer les revenus financiers du capital. Il est possible de le faire sans pour autant fiscaliser le financement de la protection sociale.
Libération : On parte beaucoup en ce moment « d'activer les dépenses passives du chômage", c'est-à-dire d'affecter les allocations chômage aux entreprises, pendant un certain temps, en échange d'une embauche. Qu'en pensez-vous ?
Louis Viannet : Je l'ai déjà dit et je vais le répéter à Gandois : je mets au défi le gouvernement et le patronat d'apporter des preuves concrètes que les allègements de charges accordés aux entreprises, sous quelque forme que ce soit, aient abouti à des créations d'emplois. Quelle est la traduction sur l'emploi de la reprise actuelle, même si elle est inégale ? Nulle. Prenez l'exemple de la prime automobile de Balladur : elle a permis de redresser les comptes des constructeurs. Résultat : annonce de suppressions d'emplois chez Renault et PSA. Il faut sortir de cette logique qui fait du salarié un simple paramètre dans la gestion des entreprises. Un gouvernement a les moyens de mettre en place un système de pénalités suffisamment dissuasif pour arriver à une autre conception de la gestion des entreprises.
Libération : L'automne a été marqué par plusieurs conflits sociaux. L'UIMM craint que la reprise ne relance les tensions sociales cette année. Est-ce que vous partagez cette analyse ?
Louis Viannet : Ce que je peux vous dire, c'est que les organisations de la CGT feront tout pour faire monter les exigences e revalorisation de salaires dans les entreprises. Quelles formes cela pourra prendre, nous le verrons.
Libération : La CGT tient son 45e congrès en septembre. Vous avez dit que vous alliez "tout changer" dans l'organisation des débats et que vous vouliez "donner la parole aux adhérents". Vous avez ajouté : "C'est pas de la tarte." Pourquoi ?
Louis Viannet : La CGT est un corps spécial qui n'échappe pas aux règles que l'on constate dans tous les rouages de la vie collective de la société. Ce n'est ni évident ni facile de modifier les habitudes. Le fait d'interpeller directement les syndiqués avant même de leur donner des schémas de réponses possibles, c'est une nouveauté et ça demande un effort très important à nos directions syndicales, à nos militants. Vous savez, on est dans un pays, où le droit à l'activité syndicale dans l'entreprise, tel que nous le concevons, reste à conquérir.
Libération : Cette année, vous fêtez votre centenaire et c'est aussi le moment que vous avez choisi pour quitter la Fédération syndicale mondiale (FSM). Faut-il y voir un signe que la vieille dame souhaite sortir de son "splendide isolement" ?
Louis Viannet : Je n'ai pas le sentiment que la CGT était isolée. Ni qu'elle le sera plus ou moins, après avoir quitté la FSM, si le 45e congrès en décide. Nous la quittons parce que malgré tous nos efforts, elle continue à apporter la preuve de son inefficacité. Quant au centenaire, nous le plaçons sous le signe de la volonté d'unité qui a caractérisé les forces sociales de la fin du siècle dernier.
Libération : Vous allez être deux à fêter le centenaire. FO revendique aussi l'héritage. Est-ce que ce n'est pas l'occasion de refaire l'unité ?
Louis Viannet : Si ça ne tenait qu'à moi, ce serait banco tout de suite.