Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, dans "Le Monde" le 21 novembre 1998, sur la cohésion de la majorité plurielle après la prise de position de Mme Dominique Voynet en faveur de la régularisation des "sans-papiers", la préparation des élections européennes de 1999, la surcharge du calendrier parlementaire et les relations entre le PS et le gouvernement.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral


Le Monde :
– Comment réagissez-vous aux déclarations de Michel Rocard, affirmant que François Mitterrand n'était pas « honnête », et qui provoquent déjà l'émoi de plusieurs dirigeants socialistes ?

François Hollande :
– Les socialistes savent ce qu'ils doivent à François Mitterrand : l'union de la gauche, les victoires de 1981 et de 1988, des réformes majeures auxquelles Michel Rocard a d'ailleurs pris sa part. Leur gratitude n'a jamais été un aveuglement. Aussi suis-je d'autant plus libre pour déplorer avec tristesse aujourd'hui les propos de Michel Rocard qui apparaîtront, au-delà de l'estime qu'on lui porte, davantage comme le prolongement inutile et blessant d'un contentieux personnel ancien que comme un témoignage probant.

Le Monde :
– Comment voyez-vous la situation de la majorité « plurielle » après l'expression par Dominique Voynet de son « désaccord » avec le gouvernement sur les sans-papiers ?

François Hollande :
– La majorité plurielle, nous l'avons voulue. Les socialistes auraient pu en effet gouverner seuls. Ils ont souhaité, au contraire, associer à la responsabilité du gouvernement tous ceux qui avaient contribué à la victoire et qui représentaient la gauche plurielle. Cela s'est fait sur la base d'accords bilatéraux que nous avons conclus avec chacun de nos partenaires et qui définissaient une ligne politique. Le débat a donc eu lieu dans le cadre de la pluralité des opinions. Il s'est prolongé à travers le fonctionnement du gouvernement, qui élabore collectivement sa politique.

Une fois que, sur une question, l'échange, éventuellement contradictoire, s'est opéré, la politique définie doit être appliquée. S'agissant de l'immigration et de sans-papiers, le gouvernement a délibéré, le Parlement a discuté, une loi a été votée. Des circulaires ont prévu une régularisation sur la base de critères, qui ont été appliqués de manière souple et humaine. Chacun peut rester maître de sa proposition de départ, mais, en même temps, membre du gouvernement, membre d'un gouvernement et d'une majorité, il faut en accepter les règles, qui sont celles de la lisibilité par les Français de la politique mise en oeuvre. Il ne peut pas y avoir de doute sur les lignes de force de l'action gouvernementale. Elle ne se négocie pas tous les jours. Elle se définit collectivement puis s'applique clairement.

Le Monde :
– Les évènements peuvent imposer de redébattre de ce qui a été débattu…

François Hollande :
– Cela peut arriver. Cet été, les critères de régularisation ont été assouplis, parce que nous avions eu la démonstration qu'il demeurait des inégalités de traitement et des cas méritaient d'être reconsidérés. Ce qui a conduit le gouvernement à réinterpréter certaines conditions et à uniformiser la jurisprudence entre préfectures. D'où la création de la commission Galabert. On peut, à chaque fois, en délibérer collectivement, mais nul ne comprendrait que chaque manifestation de sans-papiers implique la réouverture de débats. Un point de vue, même minoritaire, mérite d'être respecté mais, au nom du droit au débat, pourquoi aurait-il vocation à s'imposer ?

Le Monde :
– Après les déclarations de Dominique Voynet, est-il normal qu'un débat public oppose le premier ministre à un de ses ministres ?

François Hollande :
– Il n'y a pas eu véritablement de confrontation. Dominique Voynet a interpellé le premier ministre sur un point de sa politique. On peut l'accepter d'un chef de parti, même si on peut moins facilement le comprendre venant d'un ministre. Il lui a répondu. On ne demande pas au PCF ou au MDC de partager les choix du gouvernement sur la politique européenne. On sait qu'il y a des divergences. Elles doivent s'exprimer, mais elles ne peuvent pas être comprises comme une interpellation permanente de ce qui avait été décidé. Lorsque le gouvernement a été constitué, les communistes connaissaient notre position sur l'Europe, et les Verts savaient qu'elle était notre politique concernant l'immigration. Nul n'a été pris en défaut ou par surprise.

Le Monde :
– Les accords que vous avez passés il y a dix-huit mois doivent-ils être actualisés ?

François Hollande :
– Les partis devront revenir sur des éléments qui n'ont pas été appréhendés à l'occasion des législatives. Dès lors que le traité d'Amsterdam aura été ratifié, et avant les élections européennes, il ne serait pas illogique que les partenaires de la gauche se rencontrent pour acter leurs convergences et leurs divergences sur les questions européennes et sur les façons de les dépasser au regard de la nouvelle phase, avec onze gouvernements de gauche en Europe.

Le Monde :
– N'est-ce pas paradoxal de chercher une synthèse à l'approche des élections européennes et, ensuite, de s'y affronter ?

François Hollande :
– Je n'ai pas dit forcément une synthèse, mais qu'au moins sur un certain nombre de principes nous puissions marquer nos convergences. Les élections européennes provoquent la dispersion. La constitution de listes séparées n'est pas anormale même si l'union est toujours préférable. Mais il est nécessaire de faire apparaître des positions communes sur l'Europe et la croissance, l'Europe et l'emploi, l'Europe sociale. Si nous pensons la même chose, pourquoi ne pas le dire ?

Le Monde :
– Les élections européennes apportent une prime à l'atypisme et sont très difficiles pour les partis traditionnels. Comment allez-vous y faire face ?

François Hollande :
– Le contexte est différent de tout ce qu'on a connu. La présence de chefs de gouvernement socialistes fait déjà que nos engagements ne seront pas seulement ceux de parlementaires européens voulant peser sur la Commission mais ceux des chefs de gouvernement pouvant eux-mêmes agir au niveau du conseil des ministres européens. L'enjeu va également être modifié car, pour la première fois sans doute, il va y avoir un clivage gauche droite au sein du parlement européen.

« Nous » allons faire une campagne sur la base d'un programme commun européen. Tous les socialistes des quinze pays de l'Union vont défendre les mêmes engagements. C'est ainsi que nous pourrons donner un contenu et un enjeu politique à la campagne car nous n'entendons pas laisser un certain nombre de personnes utiliser le débat à des fins ou narcissiques ou de défoulement collectif. Car un scrutin n'est pas fait pour faire plaisir aux candidats, mais pour être utile aux électeurs.

Le Monde :
– Les élections européennes ne serviront pas de jauge à la réalité politique des différentes composantes de la majorité plurielle ?

François Hollande :
– Non, la seule conséquence de l'élection, c'est combien de députés européens en plus ou en moins pour les uns et pour les autres. Nous nous espérons en avoir davantage mais cela ne peut pas aboutir à une modification des équilibres au sein du gouvernement, pas plus qu'une réévaluation des prétentions de ceux qui pensent que ce scrutin à vocation à déterminer leurs exigences pour les élections municipales. Ne confondons pas tout.

Le Monde :
– Compte tenu d'un enjeu européen plus net, comment pourrez-vous ne pas tenir compte des préférences des électeurs entre les propositions des socialistes, des communistes, des Verts ou des Citoyens ?

François Hollande :
– Pour renforcer la gauche européenne, je souhaite que l'ensemble des partis de la majorité aient les meilleurs résultats. L'erreur serait de construire une stratégie qui viserait à faire simplement les vases communicants. Ce que nous voulons, c'est déborder et donc prendre aux abstentionnistes et même à droite. Il faut créer une dynamique positive où chacun peut gagner au bénéfice de tous.

Le Monde :
– Si les Verts ont un écho plus important et que le PC se trouve en déclin, est-ce que ce sera sans effet sur le gouvernement ?

François Hollande :
– Un pacte majoritaire se définit au moment des élections législatives. On ne va pas donner à un scrutin un rôle qui n'est pas le sien. Ou alors cela s'appelle du saute-élections : je me présente à une élection pour préparer la prochaine.

Le Monde :
– Votre convention sur l'entreprise n'est-elle pas décalée ? La réconciliation de l'opinion avec l'entreprise s'est faite il y a dix ans. Vous vous choisissez un moment où l'entreprise a moins la cote ?

François Hollande :
– Nous voulons un rapport laïque avec l'entreprise, fondé sur le contrat. Il ne s'agit plus de considérer l'entreprise comme un lieu d'exploitation et de conflit ou de lui vouer un culte qui n'a pas lieu d'être. L'entreprise est à la fois un lieu de conflit et de création de richesses et d'emplois : nous voulons plus de citoyenneté et plus de responsabilité économique.

Le Monde :
– Comment concilier la volonté de réforme du gouvernement avec la surcharge parlementaire que l'on constate ?

François Hollande :
– Il faut des textes plus courts, une bonne organisation du calendrier parlementaire pour que des projets essentiels ne soient pas gênés par la multiplication de textes plus secondaires. Mais il faut des lois. La gauche se mettrait en contradiction si elle voulait un rythme soutenu sans en assumer les conséquences parlementaires. Quant à l'opposition, elle ne se bat pas pour favoriser le débat législatif mais pour empêcher l'aboutissement. Il faut réfléchir collectivement à une amélioration du fonctionnement des assemblées.

Le Monde :
– Un an après votre élection comme premier secrétaire, comment jugez-vous votre influence sur le gouvernement, vérifiée sur le relèvement des minima sociaux mais non sur le budget 1999 ?

François Hollande :
– Le parti ne jouerait pas son rôle s'il ne renvoyait pas au gouvernement un certain nombre de frustrations ou de messages de l'opinion. Si, pour le budget 1998, il y a eu un très bon dialogue avec le gouvernement, cette année peut-être parce que les choix ont été connus trop tôt, ou aussi à cause des incertitudes conjoncturelles –, il n'y a pas eu suffisamment d'incorporation de nos propositions fiscales.

Nous aurions préféré davantage de baisse de TVA, avec plus d'ampleur, sur certains produits (travaux et restauration). On a eu raison de privilégier la baisse de la taxe professionnelle mais cela a retardé la réforme de la taxe d'habitation à laquelle nous tenons. A l'avenir, il faudra corriger les effets de la CSG sur des contribuables non imposables disposant de petits revenus mobiliers ou fonciers. L'abattement pour les retraites doit rester plafonné à 20 000 francs dans le cadre de l'impôt sur le revenu. Ce principe doit être validé au moment des décisions sur l'ensemble du dossier des retraites. Nous attendons, pour le premier trimestre 1999, les propositions du gouvernement sur les cotisations patronales. Nous voulons une extension de l'assiette, qui ne pèse aujourd'hui que sur le travail, car on ne peut pas vouloir créer des emplois et, en même temps, pénaliser les entreprises qui embauchent par rapport à celles qui licencient.