Texte intégral
Q - Nous sommes à la veille de la deuxième manifestation des lycéens. Serez-vous dans la rue demain avec les élèves ?
– « Non. Je pense que ce n'est ni mon rôle, ni ma place. Je serai en train de travailler. »
Q - Je vous pose cette question parce qu'à entendre les ministres, les lycéens ont raison, et donc on a l'impression que C. Allègre se retient presque d'aller au premier rang porter une banderole..
– « Non, je pense qu'il ne faut pas caricaturer les choses. Les lycéens ont raison au sens où, en effet, C. Allègre a depuis longtemps lancé une consultation sur les lycées, c'est donc qu'il ressentait bien qu'il y avait des évolutions de fond à apporter aux lycées, et que ce travail a déjà commencé. Et lorsque nous disons : les lycéens ont raison, c'est-à-dire qu'ils expriment une forme d'impatience que nous partageons aussi, puisque nous sommes engagés dans ces réformes. En revanche, compréhension oui, mais complaisance non. Je pense que les lycéens ont raison quand ils réclament davantage de démocratie, mais que la démocratie ce sont des droits mais ce sont aussi des devoirs. Et à mon tour, je voudrais rappeler mon devoir à la veille d'une action nationale pour dire, aussi, aux lycéens qu'ils ont été compris et que dans cette action importante de la semaine dernière ils ont été entendus. »
Q - Aviez-vous senti venir ce mouvement ?
– « Nous avions senti qu'il y avait un besoin de réformes en profondeur dans les lycées. À la fois, en effet, parce que dans certaines classes de terminales, il y a des effectifs élevés ; il y a en même temps des horaires chargées, des programmes chargés ; et il y a aussi une soif de démocratie et de meilleur fonctionnement. Mais ce travail-là doit être fait en commun. C'est-à-dire que les lycéens, aussi, doivent s'interroger sur la part qu'ils peuvent prendre au déroulement et à l'amélioration de cette démocratie. J'étais récemment dans un lycée – le lycée de Montgeron – où les enseignants, le chef d'établissement, avaient lancé, depuis plusieurs semaines, des actions autour de la citoyenneté, et où j'aurais bien voulu, aussi, que les lycéens s'impliquent davantage. Donc je crois que nous sommes dans un partenariat ; que chacun doit assumer ses devoirs et ses droits ; et que les lycéens, aussi, doivent contribuer dans les établissements scolaires, à faire en sorte que cette démocratie lycéenne soit vivante. »
Q - Le questionnaire Meirieu a-t-il été la boîte de Pandore pour toutes ces attentes – même exhaussée – qu'il a suscitées, révélées et du coup légitimées ?
– « Il a indiscutablement permis aux lycéens de s'exprimer, pour la première fois. Donc c'était, là aussi, une démarche de transparence et de démocratie exceptionnelle. Aux enseignants, aussi, de s'exprimer ; aux chefs d'établissements, et donc à toute la communauté scolaire de s'exprimer. Et sans doute de faire émerger un certain nombre d'attentes. Et je crois que cela est à mettre au crédit précisément du Gouvernement, parce que ce n'est pas dans l'immobilisme que l'on résout les problèmes, mais c'est dans un dialogue, y compris en prenant le risque de faire émerger... C'est une façon, aussi, pour un Gouvernement de gauche de travailler. »
Q - Le risque ça lui « retombe sur le nez » ! Pardonnez-moi l'expression...
– « C'est parce pas parce qu'il y a une manifestation que la catastrophe est là. Je crois qu'on vit dans une société vivante ; beaucoup de lycéens sont aussi descendus dans la rue par solidarité. Donc ce qui est important pour nous, c'est de repérer les problèmes réels dans les lycées et d'y répondre. Et si en plus les lycéens veulent descendre – parce que, eux aussi, cela leur fait plaisir, il y a un mouvement d'amitié et de fraternité –, je crois que c'est de leur responsabilité. Mais mon devoir de ministre, c'est de leur dire, aussi, qu'il y a un temps pour manifester ; qu'au cours de cette manifestation précédente leur message a été compris ; et que cette semaine, la place des lycéens est dans les lycées, précisément pour mettre en place les mesures de démocratie lycéenne qui ne peuvent pas être mises en place sans eux. »
Q - Vous êtes ministre et mère de famille. Le lycée est-il un lieu de vie ou un lieu d'études ?
– « C'est d'abord un lieu de travail, de transmission du savoir. Mais c'est aussi un lieu où on apprend à être des hommes et des femmes libres ; où l'on construit ses points de repères ; où l'on vit du relationnel intense ; où on a besoin de réfléchir, de se confronter, où on a besoin de temps pour discuter avec des adultes. Et cette soif de dialogue qui a émergée dans les réponses apportées à la consultation des lycéens, montre que nous avons affaire à de jeunes lycéens responsables, en demande de présence d'adultes, et qu'il faut y répondre. »
Q - Les lycéens ont obtenu que leurs programmes soient allégés après la Toussaint. Ils réclament une autre organisation des emplois du temps. Quand vous dites « le lycéen acteur », on est en fait dans la cogestion ?
– « On est dans le partenariat. Il faut aussi que les lycéens comprennent – et ils le comprennent d'ailleurs, parce que dans les lycées il y a eu un dialogue avec les chefs d'établissements, les proviseurs, aux cours des emplois du temps –, donc les lycéens ont, aussi, pris conscience de leurs demandes qui sont parfois très contradictoires. C'est-à-dire, d'un côté, ils demandent un aménagement des rythmes scolaires et c'est une nécessité. Ils ne veulent pas, par exemple, que des journées dépassent huit heures de cours ; ils veulent avoir plus de dix minutes pour prendre les repas par exemple – ça je cite des cas les plus extrêmes de certains emplois du temps –, et en même temps ils veulent maintenir la diversité des options. Or c'est bien lorsque l'on a à gérer la difficulté de la gestion des options diverses, que les emplois du temps deviennent très compliqués à gérer. Donc il faut, aussi, que les lycéens regardent en face la gestion de la contradiction des différentes demandes, parce qu'ils font partie du corps social, et que dans une société, chacun doit prendre en compte, aussi, les contraintes qui pèsent sur les autres. »
Q - Vous comprenez l'amertume des professeurs, quand ils se plaignent ou manifestent – on ne les entend pas rue de Grenelle. Et quand les gosses sont dans la rue, on les écoute. Pourquoi ?
– « On ne peut pas dire une chose pareille. Je pense que l'ensemble des partenaires du système scolaire sont écoutés ; qu'il n'y a jamais eu autant de mobilisation autour de l'Éducation nationale ; que le Premier ministre lui-même en a fait la priorité de sa déclaration de politique générale. Donc je crois qu'on ne peut pas caricaturer les choses de cette façon-là. »
Q - Les professeurs sont-ils formés à ces nouvelles demandes des citoyens-usagers-lycéens ?
– « Toutes les demandes des jeunes ne sont pas non plus à satisfaire. Nous ne sommes pas dans un système de consommation : uniquement parce qu'on serait jeunes, on aurait tous les droits. Non ! En revanche, les jeunes ont le droit de recevoir une éducation de qualité, et de se sentir en sécurité par rapport à l'éducation qu'ils reçoivent. »
Q - Vous avez bien dit « qu'on n'était pas dans un système de consommation » à l'école. Autrement dit, le lycéen, contrairement à ce qu'il croit aujourd'hui, peut-être, n'est pas un usager du service public de l'Éducation, et récriminant à ce titre ?
– « Non. Je pense qu'on est dans une société moderne, on n'est pas dans une société de la récrimination. On est dans une société des droits et des devoirs. Les jeunes aussi ont des droits et des devoirs. Et à partir du moment où nous travaillons concrètement, lycée par lycée, pour répondre aux problèmes opérationnels, et dans la mesure où. nous préparons les réformes de fond du lycée, je crois qu'aujourd'hui la place des lycéens c'est d'être dans leur lycée, pour y reprendre le travail, et surtout pour prendre à bras-le-corps, la vitalité de la démocratie lycéenne, parce que là, il faudra qu'ils s'impliquent dans les conseils de la vie lycéenne, dans les journaux lycéens, dans la libre expression, et cela au service de la communauté éducative. »