Déclaration de Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, à Paris le 14 novembre, parue dans "Demeure historique" du quatrième trimestre 1995, sur la protection des sites et des jardins remarquables.

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Circonstance : Congrès national de la demeure historique à Paris le 14 novembre 1995

Média : Demeure historique

Texte intégral

La Demeure Historique, sous votre impulsion, M. le Président, participe avec les pouvoirs publics à l’indispensable sauvegarde et promotion de nos richesses historiques.

En premier lieu, c’est bien sûr l’entretien et la restauration de nos plus belles demeures auxquelles vous consacrez vos efforts depuis de nombreuses années.

Mais nous vous devons souvent, aussi, et de plus en plus, la sortie de l’oubli de jardins remarquables et qui suscitent un intérêt exceptionnel et durable.

Un succès qu’ils connaissent est dû, sans nul doute, à l’obstination et à la passion de leurs propriétaires qui sont ainsi parvenus à léguer aux générations actuelles, l’un des éléments les plus fragiles et les plus périssables du patrimoine. Ce faisant, en permettant cette transmission aux générations futures, les propriétaires participent pleinement, sans peut-être en avoir conscience, à l’accomplissement concret d’un développement durable qui signifie, précisément, la transmission aux générations qui nous succèdent d’un patrimoine au moins en aussi bon état que celui que nous avons trouvé en en prenant possession. Si je peux me permettre un conseil à vous tous, réfléchissez bien à cette notion de développement durable. Je crois qu’elle incarne parfaitement (sans que vous ne vous en soyez peut-être rendu compte, car il s’agit d’une notion davantage en usage dans les milieux de l’environnement que dans ceux de la culture) l’esprit dans lequel vous œuvrez.

Vouloir transmettre c’est vouloir communiquer ses valeurs et ne pas compromettre l’avenir des générations futures. C’est pourquoi, je m’efforce d’intégrer, à tous les niveaux des politiques publiques, le concept du développement durable.

Les propriétaires sont animés par l’envie de transmettre et de transmettre en bon état. En bon état, cela veut dire en bon état économique bien sûr, mais aussi en bon état culturel, écologique et paysager. De ce fait, ils me semblent particulièrement bien placés pour mettre en œuvre et promouvoir le concept et la pratique du développement durable puisque celui-ci suppose, évidemment, une transmission en bon état du patrimoine.

Le patrimoine n’est pas seulement le patrimoine culturel, historique, artistique, comme le laisse entendre parfois – et trop souvent sans doute – une acception très française du terme qui n’existe guère aussi restreinte à l’étranger. Le patrimoine cela englobe, sur un strict pied d’égalité, le patrimoine culturel souvent bâti et le patrimoine naturel non bâti.

Gérer le patrimoine dans toutes les acceptions du terme est une de mes priorités. Mais ce n’est pas aux représentants des propriétaires que je vais expliquer la notion de patrimoine. J’aurais plutôt tendance à vous dire qu’il vous appartient, entre autres, de l’expliquer à l’ensemble de la société. J’ajoute aussi que les propriétaires sont peut-être les plus à même de gérer globalement leur bien, c’est-à-dire de l’appréhender sous toutes ses facettes (récréatives, paysagère…), et non seulement productives, et de procéder à des arbitrages entre ses différents usages.

L’Etat développe une politique destinée à développer la connaissance des parcs et jardins remarquables au niveau national sous forme de pré-inventaires réalisés dans la quasi-totalité des régions. Ceci permet d’accentuer la politique de sauvegarde au titre des lois du 31 décembre 1913 et du 2 mai 1930 et d’intensifier les actions de restauration et de mise en valeur des jardins.

Le message en faveur de des parcs remarquables est de mieux en mieux partagé. La preuve en est fournie par l’intérêt que leur prêtent de nombreuses collectivités territoriales qui travaillent, de concert avec les associations de propriétaires, à la mise en place de mesures spécifiques visant à créer une véritable dynamique autour de ce thème : expositions régionales et départementales, créations de routes des jardins, etc.

Les actions que je conduis au ministère de l’Environnement en faveur du paysage doivent contribuer en particulier à la protection et à la mise en valeur de ces espaces remarquables, des jardins, des parcs historiques forts et domaines attenant aux grandes demeures historiques.

Vous savez que l’État a développé des moyens de protection comme les plans de paysage, les directives paysagères et réaffirmé les possibilités et devoir de prise en compte des paysages dans les documents d’urbanisme, notamment les plans d’occupation des sols.

Pour mieux répondre à ces besoins l’Etat a développé en 1995 des actions pour former un plus grand nombre de professionnels du paysage dans le cadre des écoles existantes et mieux faire connaître la profession de paysagiste et la contribution qu’elle est susceptible d’apporter aux différents maîtres d’ouvrages privés ou publics.

Enfin, je souhaiterais saluer la politique d’ouverture au public que de nombreux propriétaires ont entreprise ; connaître ce patrimoine c’est le faire aimer et donc le protéger. Pour cela, nombre d’entre vous ont, non seulement ouvert leurs propriétaires, mais ont su organiser des activités culturelles, concerts, expositions, mise en lumière, animation botanique…

C’est pour cet ensemble d’actions que le ministre de l’Environnement que je suis tient à vos féliciter pour le relais précieux que vous représentez dans la politique que je conduis en faveur de notre patrimoine.

Mais, aujourd’hui il faut peut-être envisager d’aller plus loin. Vous savez que les propriétaires forestiers qui élaborent et appliquent des plans simples de gestion agréée peuvent bénéficier de certaines aides. La même procédure va s’appliquer aux cours d’eau non domaniaux. Pourquoi ne pas ouvrir cette possibilité à certains parcs et jardins ? C’est une « piste » que je porte simplement à votre réflexion aujourd’hui. Mais je souhaite que nous en reparlions.

La qualité des paysages et leur diversité constituent à l’évidence un élément majeur de la qualité de la vie et un facteur essentiel de mise en valeur du patrimoine rural et du développement touristique.

En effet, les abords des monuments historiques, ce ne sont pas seulement les abords immédiats, ce ne sont pas seulement les parcs et jardins, ce sont aussi les paysages environnants ces parcs et jardins. C’est bien l’ensemble qui doit être préservé et pensé globalement : le joyau, son écrin proche et son écrin moins proche. Peut-on concevoir le château de Versailles sans son parc et même sans plaine de Versailles ? Peut-on concevoir Chambord sans les 5 000 hectares de parc qui l’entourent et sans le paysage qui entoure ce parc ? Peut-on imaginer le château de Langeais sans une Loire majestueuse et épargnée ? Peut-on concevoir le Mont-Saint-Michel sans la baie ? Les réponses à ces questions sont évidentes. Elles sont tellement évidentes que ces quatre sites sont précisément des lieux où je conduis des politiques de protection fortes : études du classement de la plaine de Versailles ; protection paysagère des alentours de Chambord ; opposition au tracé de l’autoroute dans le lit de la Loire à Langeais.

En ce qui concerne le Mont-Saint-Michel, le ministère de l’Environnement participe au premier chef – et sensiblement plus que le ministère de la Culture – aux travaux de désensablement, c’est-à-dire à la remise en état du site.

Le Mont-Saint-Michel est le seul lieu français inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO à la fois au titre de la culture et de la nature.

Ma responsabilité en matière de sites est clairement affirmée tant pas mon décret d’attribution que par la lettre de mission que m’a adressée le Premier ministre lors de mon entrée en fonction, il y a six mois. Il m’y demande expressément de mener une politique active de « sauvegarde des sites et des paysages naturels ou construits ». A ce titre, vous me trouverez, je l’espère, de plus en plus fréquemment comme interlocuteur. Votre invitation m’apparaît comme le signe d’une coopération féconde et d’une grande politique que nous pouvons mener ensemble.

Cette année, notre congrès a bénéficié d’une animation musicale de qualité grâce à la présence de l’ensemble « Architecture et Musique » qui a interprété un concerto de Vivaldi, un trio de Kreutzer et un quatuor de Mozart.

« Architecture et Musique » est un ensemble à composition variable qui peut évoluer un duo jusqu’à l’orchestre de chambre. Depuis 1990, il s’est produit dans des édifices historiques comme la saline royale d’Arc-et-Senans, les châteaux de Malmaison, d’Esclimont et de Beaumesnil. Cette année, cet ensemble se structure afin d’assurer, avec un statut d’employeur, des prestations sur facture, concerts, spectacles ou animations, évitant ainsi à l’organisateur les formalités administratives (à l’exception de la déclaration à la SACEM) et de la billetterie). Cette proposition de partenariat est la réponse des musiciens à l’appel lancé par les membres de la FNAMH et la DH pour la survie des festivals et l’animation de notre patrimoine architectural : l’organisateur inscrit les programmes d’« Architecture et Musique » au catalogue des prestations qu’il propose à ses clients (concert ou animation de réception). « Architecture et Musique » étudie avec l’organisateur un budget qui permette lors des concerts publics au bilan au mieux équilibré et si possible dégageant un bénéfice destiné à la restauration ou à l’entretien du site.