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Mesdames, Messieurs,
Lorsque mon ami Didier Boulaud m'a proposé non seulement de parrainer, le mot est juste s'agissant de conseils de jeunes ou d'enfants, mais aussi de clore ce colloque, j'ai accepté avec joie. En effet, votre action répond à une triple priorité.
D'abord, votre réflexion sur le développement des conseils communaux d'enfants et de jeunes vient au bon moment. Il faut moderniser à intervalles réguliers, faire évoluer le mode d'emploi institutionnel qui organise notre vie politique pour aboutir à ce délicat équilibre entre immobilité et chambardement, qui s'appelle modernité. Les conseils d'enfants et de jeunes ne datent pas d'aujourd'hui. Raison de plus pour innover dans leur fonctionnement, améliorer leurs résultats, les faire mieux connaître. Je sais votre interrogation. Les conseils d'enfants sont hétérogènes et peu réglementés. Cette absence de cadrage constitue-t-elle une faiblesse ? Certains souhaiteraient qu'une plus forte impulsion nationale soit donnée. Je pense qu'elle est aussi à relier à une diversité et à une souplesse qu'il faut préserver.
Fédérant de multiples expériences, au service d'un objectif qui va bien au-delà de l'éducation civique, les conseils municipaux de jeunes et d'enfants offrent à des milliers de jeunes garçons et filles un apprentissage. Celui de la République, au village ou à la ville, de la République laïque, démocratique et sociale, des droits qu'elle donne, des devoirs qu'elle impose, de la liberté, de l'égalité et de la fraternité qui en est la devise. Pour cela, il appartient à chaque maire et chaque conseil municipal d'en concevoir la création, non pas comme un gadget, cela va de soi, mais comme une réflexion globale sur la notion de démocratie et sur le pouvoir municipal, non pas uniquement comme un mode de consultation des jeunes ou une volonté d'organiser la transparence et le partage de la décision locale avec ceux qui en sont aussi des acteurs, mais comme une véritable conception de la vie publique et de la société. Là est le véritable projet.
Deuxième intérêt de votre initiative, en vous interrogeant sur la participation des jeunes à la vie de la cité, vous nous invitez à réfléchir sur la notion même de représentativité. Un micro, une table, des urnes, des professions de foi écrites, des enveloppes, des listes et un stylo, est-ce seulement ainsi que la démocratie doit au XXIème siècle encore fonctionner ? Dans nos isoloirs, dans nos mairies, dans nos campagnes électorales et jusque dans nos manières d'informer les Français en cours de mandat, nous sommes plus près de l'agora, du forum romain, que des NTIC. Tout cela est-il dépassé ? Des principes hérités de 1789, il ne faut certainement rien changer, mais concernant les modalités conservées depuis la IIIème République, il y a de quoi discuter.
Certes notre système participatif est éprouvé, mais vous connaissez le double sens que l'on donne au mot « éprouvé ». Singulièrement pour les jeunes qui font l'apprentissage du civisme dans nos conseils mais découvrent le monde à travers des écrans. A l'heure des sondages en rafale et de la télévision, c'est une question qu'il faut aborder. Comment remédier à cette dérive qui fait que la démocratie d'opinion se substitue à l'élection ? D'abord il appartient au Politique par un projet, une ambition, de mobiliser l'opinion, de l'éclairer, fut ce difficile Ensuite en prenant des initiatives pour améliorer la représentativité des élus et la faire davantage correspondre aux réalités du corps électoral. Parité, modification du scrutin sénatorial, modalités d'accès aux mandats, revalorisation du Parlement devraient aller en ce sens. D'autres pistes, celle du regroupement des élections, peuvent être explorées. Mais, mieux vaut prévenir que guérir. En facilitant la socialisation politique, au sens le plus noble, vous combattez ce désengagement, cette crise de confiance face à « la » et « aux » politiques qui, parfois, caractérisent les plus jeunes. L'apprentissage de la responsabilité, de la proximité, de l'efficacité ne doit pas attendre le nombre des années.
Troisième raison d'appuyer votre action, les jeunes représentent la chance de l'avenir, une promesse pour demain. Ils construiront, à leur image, la société du prochain siècle, celui dans lequel nous vivrons. C'est pourquoi, partout où nous le pouvons, nous devons les associer à la décision publique, les préparer à la discussion et à la délibération collectives, leur montrer comment se déterminent l'intérêt général, le bien commun.
A l'Assemblée, tous les ans, se réunit un Parlement des enfants qui permet aux 577 députés juniors de vivre une aventure collective exceptionnelle, de dialoguer et de faire des propositions de loi. Depuis 2 ans, l'une d'entre elles est véritablement adoptée comme loi de la République par la représentation nationale. En Europe, on commence à faire de même. C'est, pour les délégués de classe et d'académie, une marque de confiance qu'ils ressentent et, plus généralement, un hommage rendu à la crédibilité du travail accompli dans chaque assemblée locale d'enfants ou de jeunes.
Dans la ville dont je suis maire, j'ai, comme beaucoup de mes collègues, mis en place un de ces conseils municipaux d'enfants et de jeunes. J'en préside les réunions. Il est évident qu'il raffermit le lien entre les élus et les neuf/dix ans puisqu'il associe ceux qu'ils ont désignés pour les représenter aux grands dossiers culturels, éducatifs, sportifs, environnementaux ou sociaux qui les concernent. Cela permet aux adultes sages que nous sommes devenus de mieux appréhender les problèmes et les interrogations. Faire semblant d'écouter pour tout écarter d'un revers de la main serait pire que ne rien faire. La prise en compte des diverses contraintes qui conduisent de l'idéal vers le réel fait partie intégrante de l'apprentissage de la vie collective et de la vie personnelle, mais il ne faut pas que les conseillers en herbe éprouvent un sentiment de frustration en ne voyant pas leurs projets aboutir.
Une société se juge au sort qu'elle réserve à ses enfants. Il nous appartient à nous tous, élus, pouvoirs publics, associations, enseignants, de contribuer au respect et à l'intégrité de leur personne, de veiller à ce que la réalité de leur vie corresponde aux droits que nous proclamons pour eux. En créant de nouveaux espaces publics de débats adaptés à l'enfant au sein de la communauté éducative mais aussi dans les quartiers et dans la cité, en leur permettant de s'exprimer, d'une certaine manière nous disons non au travail forcé ou à la mendicité forcée, non à leur vulnérabilité face aux sectes ou aux violences, non à la déscolarisation, à la délinquance juvénile et à la maltraitance, non à la montée du suicide chez les adolescents, non aux inégalités qu'ils subissent en matière d'alimentation, d'éducation ou de santé.
Autant de vérités honteuses qu'il ne faut pas cacher. J'en suis, comme vous, persuadé. C'est pour cela que j'ai animé une commission d'enquête qui s'est penchée sur ce dossier et qui vous a auditionnés. Après un long travail, nous avons formulé des recommandations. Plusieurs concernent spécifiquement la citoyenneté. Créer un journal pour les enfants sur chaque chaîne audiovisuel du service public pour développer leur sens du jugement et du discernement par rapport à l'image et à l'information ; instituer un médiateur national pour faire entendre leur voix et se saisir de tout problème général les concernant ; adopter la convention internationale qui, depuis 10 ans, n'est toujours pas traduite dans notre droit, bien qu'elle fixe leurs droits et pose les principes de leur liberté d'expression; centraliser à travers des comités communaux ou intercommunaux, dans chaque municipalité et entre elles, les services d'aides encore trop souvent dispersés. Ce sont quelques-unes des propositions qui complètent votre action et que j'ai transmises cet été au Gouvernement. Je souhaite qu'elles débouchent concrètement. C'est ce que nous devons à tous les enfants.