Texte intégral
France 3 : 29 octobre 1995
Q. : Le déficit se creuse, les chiffres sont alarmants. Si l’on en croit A. Juppé il va falloir se serrer la ceinture. Vous ne pensez pas que ces mesures vont mettre le feu aux poudres ?
R. : Il faut d’abord expliquer où l’on en est. La Sécurité sociale est en péril. Il y a peut-être le feu dans la maison. Depuis deux années consécutives, la Sécurité sociale sera en déficit dans chacune des trois branches. Ce qui n’était jamais arrivé. C’est un trou profond puisqu’en 95, le déficit sera de l’ordre de 65 milliards, et pour 96 vraisemblablement de 61 milliards de francs. Cela veut dire que la Sécurité sociale vit à crédit. Et les Français savent très bien que si l’on vit à crédit, l’on contracte des dettes, l’on doit rembourser les dettes du capital emprunté, il faudrait dépenser 40 milliards de francs, soit la hauteur des dépenses des accidents du travail.
Q. : Va-t-on assister à un énième plan ?
R. : Il n’est pas question de remettre encore une fois un emplâtre sur une jambe de bois. A. Juppé l’a décidé. Ce sera une réforme profonde de la Sécurité sociale. Sinon, il n’y a plus de Sécurité sociale. Et les Français sont attachés à la Sécurité sociale comme s’ils étaient attachés à leur propre maison. Si nous ne faisons rien, si nous mettons en place un énième plan, nous n’aurons plus qu’à mettre la clé sous la maison de la Sécurité sociale. Il n’y aura plus de Sécurité sociale.
Q. : La mesure la plus spectaculaire va être le relèvement de la CSG ?
R. : Nous discutons dans les forums régionaux. Le Gouvernement a souhaité qu’il y ait un débat profond dans les régions. Les Français se sont exprimés sur toutes les hypothèses d’économies à réaliser dans chacune des branches. Les Français ont aussi souhaité nous dire que le travail était trop taxé. Il faut dons élargir la recette de cotisations à d’autres produits.
Q. : Le revenu étant élargi aux revenus d’épargne ?
R. : Ce sont des hypothèses de travail qui ont été lancées. Après avoir recueilli l’assentiment des Français et leur acceptation en matière d’économie, A. Juppé va se présenter devant l’Assemblée nationale et devant le Sénat et, ensuite, il proposera ses réformes courageuses.
Europe 1 : 30 octobre 1995
Q. : Vous êtes à Montpellier où se tient le forum régional sur la protection sociale. Ces forums servent-ils encore à quelque chose, à l’heure des déficits cumulés ?
R. : Bien sûr que oui. En tant que ministre des comptes de la Sécurité sociale je suis à Montpellier justement pour ce dernier forum. Si ça ne servait à rien, je pense que j’irais me promener ce matin, et ce n’est pas du tout le cas.
Q. : Les syndicats vous ont snobée la semaine dernière à Metz, dont FO à chaque fois ?
R. : Cela les regarde. Dans tous mes forums, les organisations syndicales étaient là. Il est vrai que FO ne parle qu’en fin d’après-midi. Mais ils sont là. S’ils ne souhaitent pas y être, s’ils ne souhaitent pas le dialogue… Nous avons souhaité ce dialogue sur le terrain, un dialogue très constructif, très enrichissant et qui évolue au fur et à mesure des premiers commencés il y a trois semaines. J’ai envie de vous dire que grâce à vous, puisque vous participez à ce relais d’informations, les Français présents dans ces forums évoluent dans leur prise de conscience de ce déficit qui est gravissime et dans les solutions à apporter, dans les économies à mettre en place. C’est la raison pour laquelle nous sommes avec eux ce matin.
Q. : Les partenaires sociaux vous comprennent-ils et sont-ils prêts à des coupes claires dans les comptes sociaux ?
R. : Il faut bien qu’ils se rendent à l’évidence : nous ne pouvons plus accepter chaque année 65 milliards de déficit, 61 prévisibles l’an prochain. Si nous ne faisons rien, la maison Sécurité sociale va sauter. Il n’y aura plus de maison Sécurité sociale. Les Français sont très attachés à leur maison. Il faut donc qu’ils la préservent. Pour la préserver, une seule chose à faire actuellement : faire des économies.
Q. : Que vont devenir les prestations familiales à l’heure des économies tous azimuts ?
R. : Elles seront toujours là, présentes, pour accueillir l’enfant lorsqu’il arrive dans une famille. Il est vrai qu’actuellement il faut réfléchir : la Sécurité sociale d’il y a 50 ans n’est plus la Sécurité sociale d’aujourd’hui, le monde a évolué. Pour ce qui concerne la politique de la famille, il faut prendre en compte le travail de la femme, comment faire en sort pour harmoniser sa vie familiale, sa vie professionnelle. C’est à cela qu’il faut réfléchir pour l’évolution d’une politique familiale.
Q. : Pour les allocations familiales, faut-il préconiser leur fiscalisation ou leur attribution sous condition de ressources ?
R. : Nous réfléchissons. Nous avons encore un certain nombre d’hypothèses. Rien n’est fixé. Les Français nous ont dit pendant ces forums qu’ils ne souhaitaient pas la mise sous condition de ressources. D’autres possibilités existent. Rien n’est fixé. C’est la raison pour laquelle nous sommes à Montpellier pour y réfléchir.
Q. : Si vous aviez à choisir une solution, ce serait la fiscalisation ?
R. : Non, pas forcément. Il y a encore des solutions, puisque on s’aperçoit qu’il faut simplifier la complexité des prestations en général, qu’elles soient familiales ou autres. La complexité tue l’équité, la justice. Il faut mettre en œuvre un certain nombre de modifications pour qu’il y ait efficacité et justice dans toutes les branches de la Sécurité sociale.
Q. : L’allocation-dépendance risque-t-elle d’être remise en cause ?
R. : Pas du tout. La prestation autonomie est une prestation qui va aider 700 000 personnes âgées dépendantes à qui nous souhaitons rendre la dignité dans les gestes quotidiens de leur vie. Pour cela, J. Chirac et A. Juppé ont souhaité cette prise en compte. Ce sera l’avancée la plus importante de ces 20 dernières années, une avancées sociale extraordinaire.
Q. : Tiendrez-vous le calendrier de l’extension de l’allocation aux personnes en maison de retraite ?
R. : Nous tiendrons le calendrier dans la mesure où la prestation autonomie, ce projet de loi, sera débattu au Sénat le 7 janvier, puis ensuite à l’Assemblée nationale, avec les deux navettes. Début janvier, donc, pour le bénéfice à domicile, et puis en fin 96, début 97, comme c’était prévue, en hébergement.
Q. : P. De Villiers vous adresse une lettre ouverte : « force est de constater que vous avez été Madame, submergée, avalée, laminée, par la pensée unique. Où est la politique de la famille pour laquelle vous avez été nommée au gouvernement ?
R. : Je laisse à De Villiers ses appréciations. Je ne me sens pas du tout laminée. Je ne vais pas reprendre tous ses qualificatifs généreux. La politique familiale est au cœur de mes convictions. Elle n’en bougera pas. Je suis le ministre des comptes sociaux. Dans ma lettre de mission, je n’ai pas oublié les missions que m’a demandé de mettre en place A. Juppé, à savoir la prestation autonomie, mission accomplie, l’allocation parentale de libre choix, dans le cadre d’une large politique familiale globale, nous y reviendrons dès que nous aurons rééquilibré les comptes sociaux, ce que je fais. Ensuite, nous passerons à la politique familiale. Je n’ai rien oublié de ma politique familiale.
Q. : L’Express vous classe parmi les ministres bizuts en délicatesse, en position éjectable ?
R. : Bizut : je ne peut-être que d’accord. Pour le reste, que l’Express aille demander à A. Juppé et J. Chirac. Pour l’instant, je remplis ma mission avec conviction, confiance et tonus. Je me sens très bien là où je suis.
Q. : Quels sont les sacrifices acceptables par la citoyenne Codaccioni ?
R. : Chacune des branches acceptables par la citoyenne Codaccioni ?
R. : Chacune des branches est concernée par l’équilibre des comptes de la Sécurité sociale. Il n’est plus temps de laisser du temps au temps, de filer les déficits. Il faut que pour tout ce qui concerne la santé chacun se sente responsable du laxisme dans lequel nous nous sommes trouvés depuis des années. Chacun doit donc prendre en responsabilité l’équilibre de la branche maladie, qu’il s’agisse des citoyens dans leur vie quotidienne, des professionnels de santé, des gestionnaires des caisses. Chacun doit faire un effort pour juguler ces 30 milliards de déficit par an dans la branche maladie.
Q. : Accepteriez qu’on réduise les allocations familiales ?
R. : Non.
Q. : Qu’on les plafonne ou qu’on les fiscalise ?
R. : Vous souhaitez une réponse, mais nous réfléchissons encore aujourd’hui Personnellement, je pense qu’il faut de l’efficacité ; il faut simplifier les prestations familiales, les rationnaliser. Il y a des économies à trouver sur ce point.
France Inter : 30 octobre 1995
Q. : Vous avez animé un forum de la protection sociale à Montpellier. Y avez-vous entendu de nouvelles pistes, ou peut-on résumer cela à : il faudra que les Français paient à nouveau ?
R. : Il y a les deux. Pas que les Français paient parce que je crois que le constat a été fait qu’on ne pouvait plus indéfiniment augmenter les cotisations. On ne peut plus non plus réduire le taux des prestations. Le constat a donc été fait ce matin qu’il y avait des économies à faire. Il y a 30 milliards de déficit supplémentaire s’agissant des dépenses de l’assurance maladie, sur un volume de 700 milliards. Pour autant, nous aurons pour 95 un déficit de 65 milliards et un déficit prévu pour 96 de 61 milliards. Nous ne pouvons plus continuer à mettre en place un énième plan qui serait un plâtre sur une jambe en bois. Il faut effectuer une réforme profonde des structures de la Sécurité sociale.
Q. : Comment fait-on ?
R. : Il faut d’abord faire des économies dans chacune des branches. Des idées ont été lancées. Pour ce qui concerne l’assurance maladie, le constat a été vérifié ce matin, comme dans tous les autres forums, qu’il fallait mettre en place dans les meilleurs délais la maîtrise médicale des dépenses de santé. Il ne fait pas non plus pointer le doigt vers les professionnels de santé. C’est vrai qu’il faut leur rendre confiance, mais responsabiliser non seulement les professionnels de santé mais tous les citoyens de France pour réduire le déficit de l’assurance maladie.
Q. : Vous dites que les Français ne paieront pas plus ; il n’y aura pas de hausse de la CSG, par exemple ?
R. : Alors il faudra faire face aux dépenses.
Q. : Ça veut dire qu’il y a/aura une hausse, non ?
R. : Je n’ai pas dit cela. J’ai dit aussi, et nous allons sûrement le vérifier cet après-midi comme dans les autres forums des autres régions, que tous les Français pensent qu’on ne peut plus calculer les cotisations uniquement sur la taxation du travail. Il faut donc éventuellement élargir à d’autres revenus.
Q. : Quelles sont les armes dont vous disposez ?
R. : Ce qui est vraiment le plus important, c’est de savoir comment faire, l’année prochaine pour réduire le déficit de 30 milliards. C’est objectif majeur dans chacune des branches. Je pense que la conscience n’était pas aussi évidente qu’il n’y paraît, cette conscience du déficit dans chacune des branches.
Q. : D’un autre côté, il y a toujours ce déficit qui est énorme. Il sera de 180 milliards à la fin de l’année prochaine.
R. : Non, l’année prochaine, si on ne fait pas la réduction des déficits. Donc, pour les deux années qui viennent de s’écouler, c’est 120 milliards.
Q. : Il faut trouver 120 milliards de recette. On parle d’un emprunt pour financer ce déficit.
R. : Pour l’instant, on ne parle de rien de précis. On fait le point dans les forums. Je suis le ministre des comptes de la Sécurité sociale et demain, je présiderai la commission des comptes. Ce sera donc un nouveau point concret, précis, qui sera une dernière balise, j’ai envie de dire, sur les comptes de la Sécurité sociale. Ensuite il y aura un débat au Parlement et A. Juppé annoncera les réformes structurelles de la Sécurité sociale à partir de la mi-novembre.
Q. : Un mot sur la fiscalisation des allocations familiales qui a été évoquée.
R. : Ce sont des hypothèses de travail. On a encore vérifié ce matin qu’il y avait un point de convergence : les Français de tous les points de France ne souhaitent pas qu’on mette les allocations familiales sous condition de ressources. Ce matin, cela a été débattu : une proposition a par exemple été faite de réduite, car il faut simplifier les prestations familiales ; il y en a 24. Ce matin, proposition a été faite de mettre en place une prestation qui concernerait le coût de l’enfant et une deuxième qui serait réservée à l’accueil de l’enfant. Celle-ci pourrait être fiscalisée. Ce sont des propositions qui font leur chemin. Pour autant, des décisions ne sont pas prises.
Q. : Rien qui risque d’être populaire, de toute façon ?
R. : Les économies ne sont jamais populaires.