Texte intégral
Q. : Cette réforme fiscale s'accompagnera-t-elle de la même forme de concertation que pour la réforme de la sécurité sociale ?
R. : 1. L'intention du Gouvernement est d'ouvrir un large débat.
C'est la raison pour laquelle il est prévu à la fois :
– de consacrer un projet à part spécifiquement à la réforme des prélèvements sur le revenu (fiscaux et sociaux) ;
– d'en discuter tôt dans l'année 1996, très en amont de la loi de finances pour 1997 : le Gouvernement veut d'abord discuter des orientations, qui auront bien entendu ensuite vocation à être reprises dans la loi de finances pour 1997, mais il n'est pas question d'attendre cette loi pour imposer sans concertation des mesures entièrement ficelées qui seraient à prendre ou à laisser.
2. Le lieu de ce débit, c'est tout naturellement le Parlement, à qui la Constitution reconnaît une place éminente en matière fiscale.
La formule des forums qui a été utilisée pour le débat social, en raison de l’implication concrète des partenaires sociaux dans la gestion de la sécurité sociale et de la déconcentration de ses organes, n’est, de ce point de vue, probablement pas tout à fait adaptée. Il faut faire confiance aux deux assemblées, bien entendu largement relayées dans l'opinion par les médias pour débattre des orientations qui seront proposées par le Gouvernement en matière fiscale.
Q. : Est-ce que la France n'est pas menacée d'un ralentissement plus fort que prévu de la croissance ? Ce qui expliquerait les doutes exprimés par les marchés sur le budget, car celui-ci est basé sur une croissance de 2,8 % en 1996.
R. : 1. Il est incontestable que le ralentissement de la croissance, à l'œuvre depuis le début de l'année, tend à se prolonger au 2e semestre.
Toutefois, ce ralentissement :
– n'est pas propre à l'économie française : les six principaux instituts de conjoncture allemands viennent ainsi de réviser à la baisse de 3 % à 2,25 % la croissance de l'Allemagne en 1995 (et à 2,5 % en 1996) ; la croissance britannique fléchit elle aussi nettement ;
– était pour partie attendu après le fort mouvement de restockage de l'an dernier ;
– ne doit pas être interprété comme une rechute de l’activité : la production manufacturière reste en hausse de 2,7 % sur un an en juillet-août, et la consommation des ménages en produits manufacturés a augmenté de 1,5 % en septembre par rapport à l’année précédente (et de 9 % hors automobiles).
2. Pour autant, un raffermissement de l'activité en 1996 demeure l'hypothèse la plus probable
Le cadre international devrait redevenir plus porteur :
La croissance américaine, dont le brutal freinage au début de l'année s'est largement répercuté sur les économies européennes, s'est nettement redressée au 3e trimestre (sur un rythme annualisé de l'ordre de 4 %). Le 4e trimestre s'annonce certes un peu moins soutenu que le précédent, mais il est incontestable que les États-Unis ont réussi leur fameux « atterrissage en douceur » : c'est le meilleur gage d'une croissance durable dans ce pays et c'est une bonne nouvelle pour l'économie mondiale.
Même si le taux de croissance de l'Allemagne l'an prochain ne devrait guère être supérieur à celui de cette année (2,5 % en 1996 contre 2,25 % en 1995 selon les prévisions les plus récentes), la composition de cette croissance devrait être plus favorable à la France : alors qu'elle était jusqu'ici essentiellement tirée par le BTP et par les exportations, elle devrait être davantage tirée l'an prochain par la consommation (en raison des allègements fiscaux touchant plus particulièrement les ménages à faibles revenus, dont la propension à consommer est la plus forte).
L'économie française est saine, et la demande intérieure dispose encore d'un fort potentiel de rebond :
Saine : faible inflation (2,0% en septembre), excédents records de la balance commerciale (107 Mds F sur les douze derniers mois).
Fort potentiel de rebond de la demande intérieure :
– le pouvoir d'achat du revenu disponible des ménages a progressé d'environ 4 % en glissement entre la mi-94 et la mi-95, et leur taux d'épargne se situe à près de 14 %, soit son plus haut niveau des dix dernières années ;
– les entreprises disposent, en moyenne, de larges capacités d'autofinancement, et leur besoin de renouvellement et de modernisation de leur stock de capital est important après plusieurs années de baisse de leurs dépenses d'investissement.
3. En tout état de cause, les incertitudes actuelles sur la croissance ne remettent en aucun cas en question nos objectifs budgétaires.
Notre objectif d'un déficit budgétaire de 322 Mds F en 1995 sera tenu.
Je présenterai dans une semaine un collectif budgétaire de fin d'année dans lequel les moins-values de recettes fiscales (estimées à 25 Mds F par rapport au collectif d'été) seront intégralement compensées par des mesures de redressement.
Nos estimations de recettes fiscales pour 1996 ont été établies de façon très prudente, et ne seraient que marginalement affectées si la croissance se révélait un peu plus faible que notre prévision de 2,8 %.
Les moins-values de 1995 ont été pleinement intégrées dans nos prévisions de recettes pour 1996. Il n'y a donc pas de risque d'effet de base défavorable.
Forts de l'expérience de 1995, nous avons délibérément retenu pour 1996 des élasticités très prudentes dans nos prévisions : ainsi, la progression des recettes fiscales nettes, hors mesures nouvelles du collectif et du PLF, n'excède pas 1,8 %, en francs constants, soit 1 point de moins que notre prévision de croissance du PIB.
Comme vous le savez, le montant des impôts perçus en 1996 ne dépend qu'à la marge de la croissance 1996, du fait notamment que plus de la moitié des recettes fiscales dépendent de revenus de l'année antérieure. Pour fixer les ordres de grandeur, une variation d'un point de taux de croissance du PIB en 1996 ne modifierait le solde budgétaire au cours de cette même année que de 0,0 à 0,2 point du PIB, selon que cette variation du taux de croissance résulterait plutôt de la demande étrangère ou plutôt de la consommation (impact sur les recettes de TVA).
Q. : La suppression d'un des avantages fiscaux de l'assurance-vie figurant dans ce budget ouvre-t-elle enfin la voie aux fonds de pension à la française dès 1996 ?
R. : Les fonds de pension ou appelons plutôt ça l'épargne retraite, c’est un principe excellent, mais qui pose quelques questions, à l'heure où le régime général et les régimes complémentaires s'interrogent à propos de l’équilibre de leurs comptes dans cinq ou dix ans. Comment financera-t-on cette « épargne-retraite » ? Par une cotisation de l'employeur, alors que tout le monde réclame un abaissement du coût de travail ? Par une cotisation des ménages ? Mais il risque alors de n'y avoir guère de différence entre cette épargne retraite et l'assurance-vie. On doit être conscient que cela pourrait donner lieu à un simple transfert de ressources entre les deux systèmes. Enfin, que fera-t-on des fonds ainsi collectés ? S'ils servent à souscrire des actions plutôt que des obligations, cela justifiera sans doute que l'on aménage le régime fiscal favorablement. Le principe et le régime fiscal doivent être étudiés dans le prolongement du débat social, à l'occasion de la réforme des prélèvements obligatoires.
Q. : Dans ce contexte ne pensez-vous pas qu'il est possible de renforcer significativement les économies budgétaires déjà prévues pour 1996, afin d'obtenir plus rapidement une baisse des taux d'intérêt ?
R. : Le projet de budget 1996 traduit la volonté du gouvernement de réduire les déficits publics. L'effort de réduction des dépenses est considérable. Hors dépenses incompressibles, c'est-à-dire celles qui sont liées à des engagements des gouvernements antérieurs ou à la charge de la dette, les crédits sont réduits de 2,5 % ; le déficit passera ainsi de 322 milliards de francs, objectif qui sera tenu en 1995 grâce au collectif que je vais présenter prochainement au parlement, a moins de 290 milliards de francs. C'est une inflexion considérable et je crois pouvoir dire que ce projet de budget est courageux. Il s'inscrit dans le cadre de la loi quinquennale de maîtrise des déficits qui aboutira en 1997 à un solde d'exécution inférieur à 3 % du PIB.
La nouveauté, c'est qu'il y a aujourd'hui un consensus sur l'objectif de réduction des déficits et les marchés l’ont compris. La prise de conscience de la détermination absolue des pouvoirs publics de faire baisser les déficits a déclenché, vous l'avez constaté comme moi, un mouvement d'appréciation du franc et de baisse des taux d'intérêt.
Q. : À quel niveau de prélèvements obligatoires croyez-vous qu’il soit possible d'arriver en 1999, date de la mise en application de la monnaie unique ?
R. : 1. Plus encore que le niveau des prélèvements obligatoires c'est le niveau de la dépense publique qui importe
N'oublions pas que le déficit public, c'est-à-dire l'excédent des dépenses sur les recettes présentes, n'est pas autre chose qu'un impôt sur les générations futures. On ne peut envisager de réduire durablement les prélèvements obligatoires tant qu'on n'a pas enrayé la spirale de l'endettement public.
C'est bien pourquoi notre priorité immédiate est la réduction des déficits. Ceci passe bien sûr par un effort important d'économies, comme en témoigne le projet de loi de finances : hors charges d'intérêts et crédits en faveur de l'emploi (qui sont pour l'essentiel des allègements de charges), les dépenses baissent de – 2 % en francs constants. Mais, à très court terme, le recours à des hausses de prélèvements obligatoires est un point de passage inévitable. D'une part, il nous faut apurer le passé. D'autre part, notre objectif est de ramener notre déficit public en-dessous de 3 % du PIB le plus vite possible.
Or, les réformes structurelles prennent souvent du temps avant de produire des économies significatives. C'est pourquoi, dans l'intervalle, nous avons recours, lorsqu'il n'y a pas d'autre possibilité, à des hausses de recettes.
C'est d'ailleurs la stratégie qu'ont aussi suivi nos principaux partenaires européens : en Allemagne et au Royaume-Uni, les majorations de prélèvements obligatoires ont représenté 2 points de PIB sur les deux années 1994 et 1995.
Mais, à plus long terme, une fois que nous aurons réduit les déficits et maîtriser durablement les dépenses, notre objectif est bien de réduire les prélèvements obligatoires.
2. Les contraintes budgétaires immédiates n'interdisent pas d'engager une réforme de notre système de prélèvements obligatoires à recettes globalement constantes.
Notre système de prélèvements souffre de défauts majeurs qu'il est possible de résoudre à recettes constantes. Telle sera l'objet, de la réforme que nous présenterons au début de 1996.
Il s'agit tout d'abord de rééquilibrer notre système de prélèvements entre les différentes assiettes : revenus du travail, revenus de l'épargne, revenus de remplacement. Du fait du poids élevé de nos cotisations sociales, nous taxons trop le travail, ce qui pénalise l’emploi.
II s'agit aussi d'élargir l'assiette de notre impôt sur le revenu (en le simplifiant) afin d'en abaisser les taux.
Q. : Comment interprétez-vous les messages envoyés d'outre-Rhin demandant un durcissement des conditions nécessaires à la réalisation de la monnaie unique ?
Réponse : Les allemands sont très attachés au symbole du Deutschemark et très fiers de leur monnaie. Cela se comprend. Ils souhaitent donc avoir toutes garanties sur la stabilité de la future monnaie unique pour être sûrs qu'elle sera « aussi bonne que le DM ».
Sur cette inquiétude assez diffuse de l'opinion publique à l’égard d'une nouvelle monnaie se greffent deux types d'attitude de la part des responsables allemands :
– certains peuvent être tentés par une approche que je qualifierai de « démagogique » consistant à entretenir les peurs et adopter un discours anti-monnaie unique. Les récentes déclarations de plusieurs dirigeants du SPD sont de ce point de vue préoccupantes ;
– d’autres s'efforcent de discuter avec leurs partenaires européens, dans le cadre de la préparation du sommet de Madrid, des mécanismes et des procédures qui peuvent permettre de garantir au mieux la stabilité de notre future monnaie commune. C'est ce que fait le gouvernement allemand, qui a d'ailleurs condamné sans ambiguïté les récentes déclarations du SPD.
Quelle est notre position ? Le FF est une monnaie stable. C'est un atout important pour la France, dont l'acquisition nous a demandé de longs efforts. Les français désirent une monnaie unique qui soit également stable. Ils ne veulent pas du retour de l’inflation. Nous avons de ce point de vue des intérêts tout à fait convergents avec les allemands. Nous voulons également que, dès le début de la troisième phase, c'est-à-dire quand on fixera définitivement les parités entre les monnaies, le processus soit clairement irréversible.
Le traité de Maastricht définit des règles pour ce faire, il faut les appliquer. Nous discutons de ces sujets à 15, dans la perspective du sommet de Madrid. Les choses avancent bien.
Q. : Pour quelles raisons la France est-elle très réticente à l'idée d'un grand marché unique entre l'Europe et l'Amérique ?
R. : Il ne faut pas céder aux effets de mode. On passe son temps à parler de zone de libre-échange entre tel ou tel pays ou telle ou telle région.
La France est favorable au développement des échanges. C'est logique, puisqu'elle vit très largement de ces échanges : je rappelle que nous dégageons aujourd'hui des excédents commerciaux extrêmement significatifs qui témoignent de la très bonne compétitivité de notre économie.
Nous sommes donc favorables à une libéralisation des échanges, dans le cadre multilatéral prévu à cet effet : les accords du GATT, l'organisation mondiale du commerce (OMC). Cadre multilatéral, cela veut dire que tous les pays sont rassemblés autour de la table et qu'on discute tous ensemble des conditions d'amélioration des échanges. Nous ne pensons pas que c'est en créant des accords bilatéraux dans toutes les directions que l'on fera progresser cette question.
Nous pensons enfin que les droits de douane ne sont pas, et de loin, le principal obstacle au développement du commerce entre les États-Unis et l'Europe. Les fluctuations du dollar sont une arme commerciale beaucoup plus redoutable. Aussi sommes-nous favorables à une meilleure stabilité des taux de change dans le monde. Nous prenons, dans cette perspective, des initiatives dans les enceintes internationales compétentes où je représente la France : G7, FMI.
Q. : N'a-t-on pas besoin d'une meilleure coordination de nos forces à l'occasion des grands contrats ? Comment l'obtenir ?
R. : Nous sommes, avec ce sujet, au cœur du rôle d'un État moderne. Les modèles étrangers. Je pense notamment aux États-Unis, sont remplis d'enseignements à ce sujet. Les tenants du « Libéralisme dur » sont également ceux qui sont les plus actifs dans le soutien de l'État aux entreprises négociant de grands contrats.
Je souhaite, au sein du ministère dont j'ai la responsabilité, introduire un peu « d'horizontabilité », de fonctionnement en réseaux, et l'utilisation de technologie adaptées à la circulation d'une information qui doit désormais circulée « en temps réel », à l'image de ce qui se passe dans notre économie désormais mondiale.
Le Comité pour la compétitivité et la sécurité économique, que je préside, a entériné au cours de sa réunion du 16 octobre dernier, la mise en place d'un dispositif dont je ne peux vous livrer ici la nature, ni l'étendue ou les moyens – mais qui répond à vos préoccupations. À l'image de nos partenaire/compétiteurs, l'État va être en mesure, très rapidement, de mieux accompagner et soutenir les entreprises françaises à remporter de grands contrats à l'étranger.
Q. : L'intelligence économique est un autre sujet qui vous préoccupe particulièrement. Que mettez-vous exactement sous ce terme ? Qu'est-ce qui vous fait penser que les entreprises françaises sont plus vulnérables que les autres en ce domaine ?
R. : Le concept « d'intelligence économique », utilise sous d'autres termes et peut être de manière moins systématique par les entreprises depuis longtemps, a été formalisé l’an dernier dans un rapport du Commissariat général du Plan, le « rapport Martre ».
En avril dernier a été créé auprès du Premier ministre le « Comité pour la compétitivité et la sécurité économique » composé de sept membres : industriels, financiers et scientifique.
La mission de ce Comité est de conseiller le Gouvernement dans la mise en place d'outils ou de modes d'organisations susceptibles de favoriser la diffusion de l’intelligence économique.
La vulnérabilité du tissu économique français est collective : l’intelligence économique, est d'abord un comportement, une attitude d'ouverture au monde et de volonté de conquête des marchés. Et c'est collectivement que nous devons accomplir la révolution culturelle qui nous permettra d'aborder le siècle qui vient avec des atouts économiques et humains nécessaires au maintien de notre cohésion sociale par l’expansion économique dans une économie mondialisée.
Le Gouvernement s'est engagé dans deux réformes fondamentales qui, avec la lutte pour la réduction des déficits publics, relèvent également de cette démarche :
– la réforme du système de protection sociale ;
– la réforme des prélèvements obligatoires.
En ce qui concerne la conquête de nouveaux marchés, la réforme du dispositif de soutien au commerce extérieur, annoncée au mois de septembre par le Premier ministre devrait être achevée fin 1996.
Plus largement, il s'agit de faire vivre une sorte de « patriotisme économique » en réconciliant l'entreprise et l'État, le citoyen et le consommateur.
Dans la conquête des marchés, l'État doit être la « tête de pont » qui permet aux acteurs économiques de s'implanter et de se développer. Il n'a pas vocation à se maintenir quand le secteur privé est en mesure de prendre le relais. Ce principe doit permettre de créer de nouveaux liens entre l'État et les entreprises.
L'intelligence économique est enfin la maîtrise d’un certain nombre de comportements – comme la réflexion prospective –, de techniques ou d'outils – comme l’utilisation des nouvelles technologies de l’information ou le capital risque – et de pratiques – comme le lobbying ou l'implantation sur les marchés étrangers.