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Le Figaro : À droite comme à gauche les partis politiques proclament leur volonté de se rénover. Ce n’est pas la première fois. Pensez-vous avoir plus de chance de réussir aujourd’hui ? Et pourquoi ?
Hugues Dewavrin : La rénovation n’est pas seulement nécessaire, elle et aujourd’hui incontournable, vitale. Nous arrivons à la fin d’un cycle destructeur. Au PR, nous voulons la mener tambour battant et sans concessions. Les formations politiques traditionnelles sont dos au mur. Problèmes financiers, querelles intestines, ivresse médiatique, assèchement intellectuel… Nous ne ferons pas l’économie d’un examen de conscience approfondi.
François Hollande : Nous sommes, en effet, à la fin d’une période. Les socialistes ont connu tous les symptômes d’une crise profonde. Ils ne sont sortis. Qu’il s’agisse des affaires – même s’il reste des séquelles – ou des querelles de personnes qui, après avoir atteint leur paroxysme au congrès de Rennes, ont été d’une certaine façon, vidées avec la désignation de notre candidat à la présidentielle. Le fait que nous soyons pleinement dans l’opposition, sans aucun lien avec le pouvoir gouvernemental ou présidentiel, a rendu l’opération de rénovation plus simple à mener.
Hugues Dewavrin : Dans la première moitié de la Ve République, le schéma était binaire, donc simple : la gauche réfléchissait et la droite gérait. Une fois au pouvoir, cette gauche romantique, utopique, a mis deux ans pour comprendre les mécanismes profonds de l’économie française. La gauche a appris à compter ! Le spectre politique s’est alors resserré. Nos concitoyens ont commencé à avoir un peu de mal à faire le tri entre les discours de MM. Delors, Bérégovoy, Balladur ou Barre. Nous avons besoin de redéfinir nos contours respectifs. La confusion se paye toujours. Elle est source de malentendus graves. La dernière campagne présidentielle en est une parfaite illustration.
François Hollande : L’urgence aujourd’hui pour le PS est de retrouver une identité idéologique forte. Il lui faut éviter deux écueils, rompre avec la pratique gouvernementale au prétexte que cette dernière a conduit à un échec électoral grave en 1993, rester dans une tonalité, un mode d’expression et même sur un positionnement politique pouvant être perçu comme peu distinct de la ligne définie actuellement par le gouvernement. Le pays a besoin d’alternative claire mais il veut aussi qu’on lui promette ce qu’on est capable de tenir. C’est la condition du respect mutuel.
Hugues Dewavrin : Les Français vivent la politique comme une fatalité, un non-choix. Nous avons tous besoin du contraire : de projets, d’espoir. D’autant plus que la mondialisation de l’économie accentue chez nos compatriotes ce sentiment d’impuissance. Ils ne sentent plus protégés par l’État. En période de crise, les abandons de souveraineté sont toujours très douloureux. Maastricht n’a pas fini de nous faire souffrir. Attention donc à la soft idéologie, à la pensée unique version 95. Elle a une conséquence immédiate : le gonflement du vote protestataire.
Le Figaro : Pensez-vous que l’implantation de plus en plus forte du Front national, qui trouve des renforts tant à droite qu’à gauche, rend plus urgente encore la rénovation que vous avez entreprise ?
François Hollande : Le Front national se nourrit surtout de la désespérance. Celle des électeurs qui adhèrent au Front national sur le mode sécuritaire, celle d’électeurs venant de la gauche qui veulent marquer leur rupture avec le système. Il appartient à toute les formations politiques, qu’elles soient au pouvoir ou dans l’opposition, de lutter contre cette désespérance. Ce n’est pas le FN qui nous force à hâter notre rénovation mais la perspective d’un retour rapide aux responsabilités. Voilà ce qui doit nous motiver. Plus le rapport gauche droite sera rugueux, plus le projet du Parti socialiste répondra à un certain nombre d’inquiétudes et d’angoisses, mieux nous lutterons contre le Front national.
Hugues Dewavrin : C’est la droite seule, qui peut régler le problème du Front national. Il existe – et je le dis sans malignité – un intérêt objectif entre la gauche et l’extrême droite. En la matière, François Mitterrand a fait preuve d’un certain cynisme. Si la droite veut tenter de stopper cette inexorable montée en puissance, elle a tout intérêt à ne plus fuir certains sujets. Nous avons trop souvent esquivé le débat pour éviter l’affrontement. Nous disposons au Parti républicain d’élus particulièrement capables de le mener, tel Pierre Cardo, député maire de Chanteloup.
Le Figaro : La rénovation passe-t-elle obligatoirement par plus de démocratie interne ?
François Hollande : C’est la grande leçon de la première étape du processus que nous avons engagé au PS. Notre tradition était celle du mandat, de délégations confiées à des corps intermédiaires chargés de ratifier des choix. Nous nous sommes aperçus, l’évolution de la société aidant, que l’aspiration à voter, à trancher directement les problèmes était très forte chez nos adhérents. Désormais, pour toutes les désignations importantes et les grandes orientations, nous laisserons toujours le dernier mot à nos militants en essayant même, dans la mesure du possible, d’associer nos sympathisants. Cet impératif démocratique va peut-être toucher les autres formations politiques. En tout cas, il ne pourra plus être remis en cause chez nous.
Le Figaro : Êtes-vous tenté de suivre au PR cet exemple de démocratie directe ?
Hugues Dewavrin : Certainement pas pour la désignation du candidat à l’élection présidentielle, comme les socialistes ont procédé avec Lionel Jospin. Cette démarche me choque. Elle est parfaitement contraire à nos institutions. Mon ambition prioritaire pour le PR est d’en finir avec l’élaboration de nos textes politiques par des cénacles d’experts. Le projet républicain sera redirigé par les militants et je souhaite que chaque année ils puissent le compléter et l’amender. Définir ensemble une ambition sera, pour nous, un exercice vraiment nouveau, je serais tenté de dire presque révolutionnaire. Nous devons retrouver une démocratie participative.
Le Figaro : : Mais envisagez-vous la désignation directe du président du Parti républicain par ses adhérents ?
Hugues Dewavrin : Oui, ce sera presque le cas.
Le Figaro : : Presque ? Il reste un filtre ?
Hugues Dewavrin : Une étape : le conseil national. Je me méfie aussi du côté plébiscitaire de certains processus. Mais tout est encore ouvert, nous sommes dans une phase d’ébullition. Nous allons sans doute nous ouvrir aux minoritaires. Si les militants le décident, le président et le secrétaire général du Parti républicain ne pourront plus être membres du gouvernement. Ce n’est pas le cas de tout le monde ! Le cumul de trois ou quatre fonctions qui nécessitent chacune plus qu’un plein temps n’est franchement pas raisonnable et participe au discrédit de la vie publique. Il nous faudra également assurer une complète transparence financière. J’aimerais que chaque militant dispose annuellement des comptes du siège national et de sa fédération.
François Hollande : Sans jouer les « tiers à bras », j’ai le sentiment que vous n’êtes pas au bout de vos peines. Et quand bien même arriveriez-vous à vos fins au PR, il vous resterait encore l’UDF. Vaste problème ! L’avantage d’une grande formation comme le PS, c’est que la rénovation peut se faire en une seule fois et donc plus vite.
Le Figaro : Les partis n’ont-ils pas intérêt à créer autour d’eux des structures s’ils veulent attirer des personnes qui ne sont pas encore prêtes à franchir le pas d’une adhésion militante ?
François Hollande : Nous ne sommes plus dans une logique d’adhésion, une logique passive, de simple engagement derrière un homme ou un collectif. Aujourd’hui l’envie de participer directement à l’élaboration collective du projet est manifeste. Ce processus n’est pas simple à mettre en place, parce qu’il nous faut changer profondément nos méthodes en évitant l’excès de consultations. Mais si on réussit, la question des organismes associés sera secondaire.
Hugues Dewavrin : Les politiques doivent redevenir des inventeurs d’avenir. Durant ces dix dernières années, l’expression publique s’est résumée à un langage de séduction. On s’est contenté de dire aux électeurs ce qu’ils avaient envie d’entendre. Michel Rocard a repris à son compte cette méthode du « discours miroir » dans sa très surréaliste allocution de Joué-lès-Tours. Il affirmait que les instituts de sondages pouvaient remplacer sans difficulté les partis politiques. Intéressant, non ? Pour voir loin, il faut bien entendu s’appuyer sur ses propres troupes, mais il faut aussi disposer de quelques « palpeurs » dans la société. Le Parti républicain aux États-Unis a créé, il y a une dizaine d’années, des petites cellules ultralégères, nommées « think tank ». Elles étaient étrangères au jeu politique quotidien et à ses contraintes. Ces « think tank » se sont révélées très productives. Nous pourrions installer autour du PR un ou deux laboratoires d’idées, ayant une vision très prospective de la société. Ils nous aideraient sans doute à redevenir des précurseurs.
Le Figaro : La rénovation des partis politiques est-elle possible sans rénovation des autres structures, syndicats notamment ?
François Hollande : Elle sera plus difficile à gauche si ses relais traditionnels n’évoluent pas parallèlement. La rénovation politique sans une mutation syndicale, associative, mutualiste, sera plus exigeante. Si les grands mouvements, souvent à l’origine d’un premier engagement, s’affaissent, alors il faudra aller chercher plus loin dans la société. Mais le risque peut être le retour à des formes d’affinités élitaires.
Hugues Dewavrin : Ce problèmes ne se pose pas pour nous. On a toujours travaillé en prise directe. Il est bien sûr nécessaire de dialoguer avec tous les corps intermédiaires, mais chacun doit rester chez soi. La conclusion des genres ne me semble pas très saine. Je suis plus préoccupé par l’appauvrissement de la classe politique. Les nouvelles générations ne sont pas plus médiocres, mais le pouvoir d’attraction des partis est de plus en plus faible. Les modèles de carrière sont ailleurs. Nous ne sommes pas très loin d’une crise des vocations. J’ai été très frappé par le nombre de maires qui ont rendu leurs écharpes aux dernières municipales.
François Hollande : Je ne suis pas tout à fait d’accord. Je sens revenir dans ma génération et celle qui suit un intérêt nouveau pour la politique sous toutes ses formes : le débat, le militantisme, l’envie de la confrontation électorale. Je suis très frappé du nombre de gens qui, hier encore réticents, voire sarcastiques, éprouvent, aujourd’hui, le désir de se frotter au suffrage universel. À gauche, la crise politique me paraît derrière nous, même si demeure persistante la question de la représentation d’une société de plus en plus éclatée et méfiante.
Le Figaro : Le débat public ne souffre-t-il pas de la trop grande prudence des leaders politiques ?
Hugues Dewavrin : Si les leaders restent aussi conformistes qu’ils l’ont été, ils seront dépassés, la société avancera sans eux. Elle s’organisera en dehors du champ politique, sous forme de groupes de groupes de pression, de lobbies à l’image de ce qui s’est passé aux États-Unis. Je crains que ce mouvement soit déjà bien amorcé. Il est annonciateur d’un déchirement progressif de la cohésion nationale.
François Hollande : La responsabilité de la rénovation aujourd’hui est du côté de l’opposition. Les partis au pouvoir ont des circonstances atténuantes. La logique de l’action fait qu’il n’est jamais vraiment opportun d’aller plus loin que l’horizon fixé par le gouvernement.
Hugues Dewavrin : Ce n’est pas une fatalité.
Le Figaro : D’autant moins que vous vous sentez peut-être dans l’opposition ?
Hugues Dewavrin : Dans la complémentarité…
François Hollande : En tout cas, si nous, qui sommes dans une opposition complète, n’engageons pas une réflexion – y compris sur des sujets comme la mondialisation, l’avenir du travail ou la redistribution, qui ne sont pas si faciles et si évidents pour la gauche – qui le fera ? On jugera la réussite de ce qui s’entreprend aujourd’hui au PS, au nom de la rénovation, à l’aune de la qualité de la réflexion qui aura été engagée.
Hugues Dewavrin : Permettez-moi d’ajouter que si un pouvoir se contente de gérer sans inventer il est condamné à perdre.